Obama: défenseur des “intérêts de l’empire”
Pour ceux qui attendaient des changements radicaux et immédiats suite à l’élection de Barak Obama à la présidence des Etats-Unis, les résultats à la fin de la première année de son mandat seront sans aucun doute décevants, juge Demba Moussa Dembélé. Comme avec son discours d’Accra, ancré dans des références condescendantes à la ‘’corruption’’ et au ‘’ tribalisme’’, il faut toujours garder en mémoire qu’Obama agit et continuera d’agir, encore et toujours, dans ‘’l’intérêt de l’empire’’, souligne Dembele.
L’élection de Barak Obama à la présidence des Etats-Unis a généré l’enthousiasme du monde entier et l’espoir de changement, en particulier en Afrique et dans la majeure partie du Sud global. Une année plus tard, que reste-t-il de cet enthousiasme, de cet immense espoir et même des attentes que cette élection a générées ? Il est certain qu’une année ne suffit pas pour juger son administration. Mais certaines de ses décisions et de ses actions, au cours des douze mois écoulés, peuvent donner une indication du genre de politique qu’il entend poursuivre jusqu’à la fin de son mandat.
Les changements positifs
Un des changements les plus importants dans l’arène internationale a été la fin du mépris des Nations Unies et la reprise du multilatéralisme en matière de gestion des affaires mondiales. Ceci se reflète dans la reconnaissance du rôle plus important des Nations Unies lorsque l’on aborde des questions globales. Ce changement s’est manifesté dans la participation personnelle du président Obama au sommet de Copenhague sur le changement climatique en décembre 2009, accompagné d’une énorme délégation américaine. Un autre changement positif se trouve dans la nouvelle approche de la question nucléaire en Iran et en Corée du Nord. Au lieu de menaces et d’intimidations, le président Obama a donné la priorité aux négociations et à la diplomatie, même s’il reste peut-être un agenda caché.
De façon générale, avec Obama, les Etats-Unis projettent l’image d’un pays moins arrogant qui s’efforce de restaurer de bonnes relations normales avec d’autres pays et peuples de par le monde. Le discours du Caire, adressé au monde musulman, est certainement une des principales illustrations de cette nouvelle image que l’Amérique de Barak Obama s’efforce de projeter sur le monde. En tendant une main amicale au monde musulman et en faisant la distinction entre l’islam, religion de paix, et ceux qui s’en servent comme instrument politique, il a ouvert la porte qui mène à la restauration de la confiance entre les Etats-Unis et une grande partie du monde musulman.
Déceptions
Mais ces changements positifs ne peuvent pas masquer la grande déception, un an après l’élection d’Obama, en particulier en Amérique latine et en Afrique. C’est presque le statu quo avec Cuba, malgré quelques timides démarches et les gestes de bonne volonté et l’ouverture de La Havane. La bonne volonté manifestée lors du sommet des Amériques à Trinidad et Tobago, lors duquel il a serré la main de Hugo Cavez, n’a pas été suivie d’une réelle rupture d’avec la politique poursuivie par l’administration Bush à l’égard du Venezuela, de la Bolivie et d’autres gouvernements progressistes d’Amérique du Sud. La signature d’un accord avec la Colombie, permettant aux Etats-Unis de stationner des troupes près de la frontière du Venezuela, a été mal perçue par la plupart des pays d’Amérique latine, y compris par certains ‘’ modérés’’ comme le Brésil.
Puis le coup d’Etat en Honduras et ses conséquences a porté un coup sévère à la crédibilité de l’administration d’Obama dans la région. Après avoir – faiblement - condamné le coup, les Etats-Unis se sont finalement montrés indulgents à l’égard du régime illégitime et ont salué les élections organisées par les dirigeants du coup d’Etat comme étant ‘’ un pas vers la restauration de la démocratie’’.
Le boycott de la Durban Review Conference on Racism, qui a eu lieu à Genève en avril 2009, a été une autre grande déception pour toutes les forces progressistes à l’intérieur comme à l’extérieur des Etats-Unis. Plusieurs organisations afro-américaines ont réagi avec colère à ce boycott, perçu comme un signe de mauvaise augure sur la façon dont l’administration Obama allait aborder les questions de racisme et de discrimination à l’intérieur comme à l’extérieur des Etats-Unis.
En Afrique : quoi de neuf ?
Peut-être que l’une des plus grandes déceptions a été l’attitude d’Obama envers l’Afrique. Plusieurs observateurs s’attendaient à voir l’Afrique comme une des priorités de l’agenda d’Obama. Mais jusque là, il y a plus de continuité avec des agendas passés que d’innovations.
Le discours d’Accra
Le discours d’Accra a illustré cette continuité. Ce discours était supposé exposer la ‘’vision’’ de la politique d’Obama pour l’Afrique. En fait, à Accra, il a davantage repris les clichés fabriqués par l’idéologie impérialiste occidentale et les médias dominants concernant l’Afrique, qu’il n’a exposé une nouvelle vision des relations afro-américaines. Il a passé plus de temps à condamner ‘’ la corruption’’ le ‘’tribalisme’’ et ‘’ la mauvaise gouvernance’’ que de parler des vrais obstacles structurels au développement de l’Afrique, obstacles hérités de siècles de domination, de pillage et d’exploitation par les pays occidentaux et les multinationales.
Lorsqu’il a fait allusion au colonialisme et à la responsabilité de l’Occident sur la situation actuelle du continent, c’était pour dire que cette responsabilité était secondaire à celle de l’Afrique. A son avis, les conflits en Afrique et ses mauvaises performances économiques et sociales sont la faute de l’Afrique. Il n’a pas eu un mot concernant l’implication des pays occidentaux - les Américains en premier- comme provocateurs de conflits ou comme étant ceux qui les ont encouragés, perpétrant des coups d’Etat militaires et des assassinats afin de perpétuer la déstabilisation du continent et leur contrôle des ressources.
Cette prise de position est en phase avec la tentative des pays occidentaux de convaincre l’opinion publique - en Afrique et ailleurs - que quelques décennies de règne néocolonial et d’interventions impérialistes dans tous les domaines effacera des siècles de destruction de l’esprit africain, de génocide et de pillage de la richesse et des ressources de l’Afrique.
Certains Africains ont salué l’insistance d’Obama pour la ‘’ bonne gouvernance’’ et des
‘’institutions solides’’. Mais le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale ont prêché les mêmes choses depuis 1989 (1). Lorsqu’Obama disait que le développement de l’Afrique ‘’dépendait de la bonne gouvernance’’, il utilisait le mot code pour parler des politiques néolibérales afin de rendre les pays africains plus ‘’attrayants’’ pour les investisseurs étrangers et mettre en place ‘’ un environnement propice’’ pour la promotion du secteur privé. Un discours que les Africains ont déjà entendu de la part de la Banque Mondiale et du FMI.
Plus important encore, son discours était notoire pour ses omissions. Par exemple, il n’a mentionné le président Kwame Nkrumah qu’une fois et ce en passant. Mais plus surprenant encore a été son silence total à propos d’un grand Afro-américain et compagnon de Nkrumah, W.E.B Dubois. Il n’a pas eu un seul mot pour Dubois, enterré à Accra, à quelques mètres de l’ambassade américaine ! Dubois est l’un des pères fondateurs de la National Association for the Advancement of Coloured People (NAACP – Association nationale pour l’avance des gens de couleur), la plus ancienne organisation des Droits de l’Homme aux Etats-Unis. Il est aussi l’un des pères du panafricanisme, ce qui explique la raison de sa présence au Ghana pour assister Nkrumah après l’indépendance. Mais, par dessus tout, Dubois est un des intellectuels marquants du 20ème siècle, raison pour laquelle l’Université de Harvard a donné son nom à un de ses instituts afin d’honorer ses réalisations intellectuelles. Et cet institut est présidé par le professeur Henry Louis Gates Jr. que Barak Obama appelle son ami.
L’ombre d’AFRICOM
La visite d’Obama au Ghana a été vue comme l’accolade donnée à la ‘’démocratie ‘’ et à la ‘’ bonne gouvernance’’ Et le gouvernement américain a salué sa visite comme étant une opportunité de ‘’renforcer les liens des Etats-Unis avec un de nos partenaires les plus solides en Afrique subsaharienne et de souligner le rôle capital d’une saine gouvernance et de la société civile dans la promotion d’un développement durable’’. (2) Mais en réalité, cette visite avait pour but de promouvoir les intérêts américains dans une région riche en pétrole et minerais. Obama n’a pas abandonné l’idée de son prédécesseur qui voulait installer le QG de l’Africa Command (AFRICOM) en Afrique. C’est la poursuite de cette stratégie qui a conduit Obama au Ghana, dans l’espoir que ce pays acceptera d’héberger AFRICOM, compte tenu de sa stabilité et de sa proximité du Golfe de Guinée.
Certains analystes américains sont même parvenus à la conclusion que l’administration Obama s’efforce de renforcer la politique de Bush en ce qui concerne l’Afrique. ’’Alors que les Africains condamnaient les politiques militaires américaines en Afrique sous l’administration Bush, l’administration Obama a non seulement reflété les approches de Bush mais les a renforcées. Le président Georges W. Bush a fait de l’Afrique sa priorité de politique étrangère en 2003, lorsqu’il a déclaré que 25% du pétrole consommé aux Etats-Unis devaient dorénavant provenir de l’Afrique. Comme la Guerre Froide, la Guerre Globale contre le Terrorisme fournit le prétexte pour renforcer la présence et le soutien militaire américains en Afrique. Néanmoins les commentaires officiels concernant la politique américaine font régulièrement l’impasse sur ces deux développements. (3)
Alors que les déclarations officielles tendent à présenter les objectifs de la politique de l’administration Obama à l’égard de l’Afrique comme visant à prévenir les conflits et à stimuler le développement économique, celles-ci sont contredites par les politiques réelles. Aux yeux de ce même analyste, l’agenda présenté par le gouvernement des Etats-Unis à des fins publiques diffère du véritable agenda. Il note que pour l’année fiscale 2010, le budget ‘’double les fonds alloués à l’AFRICOM’’ et il y a eu un doublement’’ du soutien financier aux projets de contre terrorisme à travers tout le continent - y compris l’augmentation des ressources pour l’armement, la formation militaire et l’instruction et ce à un moment où l’allocation de l’aide américaine à l’étranger stagne’’. (4)
Au vu de ce qui précède, il est juste de dire qu’en ce qui concerne l’Afrique il n’y a rien de nouveau, il n’y a pas de vision courageuse pour un nouveau type de relation au 21ème siècle, comme certains l’avaient attendu. Apparemment son ’’sang africain’’ n’a pas fait la différence.
Au service des intérêts de l’empire
Naturellement, il n’y a que les naïfs pour croire que le sang africain d’Obama l’amènerait à avoir un agenda spécial pour l’Afrique. Raison pour laquelle, quelques uns de ces supporters africains les plus enthousiastes, qui attendaient une aide massive, ont été déçus par sa politique. Mais ce que ces gens-là semblent ignorer, c’est qu’Obama a été élu pour servir et promouvoir les intérêts des Etats-Unis. Et ces intérêts ne coïncident pas nécessairement avec ceux de l’Afrique. Et pour parvenir à ce but il utilisera tous les moyens. Dans son discours à Oslo (Norvège), lors de la remise de son prix Nobel de la Paix, le 10 décembre, il a été très explicite à ce propos, disant qu’il n’hésiterait pas à user de la force pour défendre et protéger les intérêts des Etats-Unis.
Dans cette perspective, les décisions et actions de Barak Obama visent, encore et toujours, à promouvoir les intérêts de l’empire, c'est-à-dire, les intérêts des multinationales américaines et des banques, les intérêts de Wall Street ainsi que les intérêts du complexe militaro-industriel. L’élection d’Obama n’a pas changé les objectifs de l’empire qui consistent à maintenir sa domination en renforçant son rôle hégémonique dans les affaires du monde. Donc, au-delà de la rhétorique, il y a l’ombre de l’empire qui est plus despotique, cynique et impitoyable que jamais.
Conclusions
Il est difficile de voir un changement dans le moyen terme. En fait, les élections attendues en novembre 2010 risquent de coûter chèrement au Parti Démocrate si l’économie ne donne pas des signes de reprises et si la situation en Afghanistan continue de se détériorer. La possible perte de la majorité au Congrès rendrait la tâche d’Obama encore plus difficile.
Il est presque certain que si les choses ne s’améliorent pas avant novembre, en particulier sur le front économique, Barak Obama sera confronté à une situation encore plus complexe et encore pire, aussi bien au niveau national qu’international. Si un Congrès plus hostile devait émerger après les élections de novembre, il y aurait peu d’espoir que les ‘’changements’’, dont il s’est fait le champion durant sa campagne, se voient réalisés.
NOTES
1] Voir : Sub-Saharan Africa: From Crisis to Sustainable Growth: A Long-Term Perspective Study. Washington, DC, The World Bank (Afrique subsaharienne : de la crise à un développement durable – Etude prospective à long terme. Washington, DC, Banque mondial)
[2] Straight Talk: Revealing the Real US Africa-Policy', Foreign Policy in Focus, Washington, DC, July 2009
[3] Ibid
[4] Ibid
* Demba Moussa Dembélé est le directeur du Forum Africains pour des Alternatives et un membre du comité organisateur du Forum Social Mondial 2011 prévu à Dakar. (Ce texte a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger)
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