RD Congo: Heurts et malheurs d’un long processus de paix

Du sommet de Victoria Falls II au Zimbabwe, le 8 août 1998, point de départ du long processus de paix en RD Congo, à la signature, le 17 décembre 2002, à Pretoria , en Afrique du Sud, de l’Accord global et inclusif (qui a donné lieu à la mise en place le 30 juin 2003, d’un gouvernement de transition 1+4), en passant par l’Accord de Lusaka, signé 10 juillet 1999 par les Etats impliqués dans la guerre en RD Congo et les 30 juillet et 30 août de la même année, respectivement, par le Mouvement de Libération du Congo et le Rassemblement Congolais pour la Démocratie, l’élu de Bukavu, Vital Kamarhe relève ce que le journal « Le Phare » a qualifié des dix erreurs de la Communauté internationale en RD Congo.

Au-delà de ces erreurs, l’élu de Bukavu s’est aussi livré à un exercice en proposant des pistes de solution quant aux questions liées à l’insécurité à l’Est. Finalité : déboucher sur un Congo nouveau.

(…) La Région des Grands Lacs est un territoire immense situé au coeur de l’Afrique, avec des populations jeunes dont plus de cinquante pour cent ont moins de vingt ans. Elle est constituée de plusieurs pays, mais quatre d’entre eux sont plus concernés par les questions de conflits récurrents. Il s’agit du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda et de la République Démocratique du Congo (RDC). Depuis les temps qui remontent à l’exploration de la Région des Grands Lacs, en passant par la colonisation, une politique de diviser pour mieux régner a fini par créer une véritable haine entre deux groupes ethniques. Essentiellement au Rwanda et au Burundi. Cette situation d’antagonisme est à la base de plusieurs massacres et guerres civiles dans le temps, avec comme conséquences, notamment, les vagues successives des réfugiés rwandais et burundais sur le territoire de la République Démocratique du Congo.

Si pendant longtemps, ces conflits se déroulaient au Rwanda et au Burundi, depuis un peu plus de quinze ans, ces deux pays, suite à certaines erreurs de la communauté internationale, ont réussi à transposer leurs conflits internes sur le territoire de la RD Congo, dont l’Est est aujourd’hui le théâtre d’une véritable tragédie humaine. Les bilans établis par les ONG internationales et les Nations Unies, font état de plus de 5 millions des morts, plusieurs centaines de milliers des femmes violées, plusieurs villages brûlés, plus de 2 millions de déplacés internes, des Congolais « réfugiés » dans leurs propres pays.

Il serait fastidieux de vous entretenir dans les détails sur toutes les rencontres et tentatives de paix en RDC. Mais il ne serait pas superflu de rappeler que c’est à la suite de la décision de Mzee Laurent Désiré Kabila, Président de la RDC de l’époque, visiblement excédé par le comportement de ses alliés du 27 Juillet 1998, mettant fin à la coopération militaire entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, que cinq jours après, soit le 2 août 1998, s’est déclenchée ce qu’il convient aujourd’hui de qualifier de guerre d’agression.

Le point de départ du long processus de paix en RDC a été donné par le sommet de Victoria Falls Il, au Zimbabwe, le 8 août 1998. A l’issue de ce sommet, le Président zambien de l’époque, Frederik Chiluba, avait été désigné médiateur dans la crise en RDC avec comme mission d’obtenir la signature d’un accord de cessez-le-feu entre belligérants.

Après des laborieuses et âpres discussions, l’accord de Lusaka fut signé le 10 juillet 1999 par les Etats impliqués dans la guerre en RDC et respectivement, le 30 juillet et le 30 août 1999, par le Mouvement de Libération du Congo (MLC) et le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), deux mouvements de rébellion alliés à l’Ouganda et au Rwanda. Malgré la signature de cet accord, les offensives militaires se sont poursuivies sur terrain et la guerre a continué à faire des ravages sur le plan humain, humanitaire et social.

Pour permettre l’application de l’accord de Lusaka, le plan de désengagement des forces fut signé à Kampala le 8 avril 2000. Ce plan prévoyait :
- le redéploiement en arrière de 15 km, dans les zones de combat où les forces étaient en contact, de manière à créer un couloir de 30 km,
- le déploiement des observateurs des Nations Unies, l’objectif étant de positionner ces forces dans des positions d’empêcher la reprise des hostilités.

Alors que tous les espoirs étaient permis avec la signature de cet acte d’engagement, un mois après, soit le 16 mai 2000, les armées régulières du Rwanda et de l’Ouganda, sous le commandement de leurs chefs d’Etat major respectifs, James Kabarebe et James Kazini, vont s’affronter à l’arme lourde dans la ville de Kisangani, faisant des dégâts humains et matériels incommensurables. On a ainsi a assisté à une guerre en règle entre deux Etats sur le territoire d’un Etat tiers, sans que ce dernier n’en connaisse la raison.

Le masque était tombé. Et la communauté internationale n’avait pas le choix que de citer pour la première fois le Rwanda et l’Ouganda comme pays agresseurs de la RDC. Or, pendant longtemps, la thèse faussement soutenue était celle d’un conflit interne à la RDC.

La résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui demanda le retrait sans condition du Rwanda et de l’Ouganda et la démilitarisation de la ville de Kisangani, ne changea rien sur le terrain. Les armées du Rwanda et de l’Ouganda ont poursuivi leur oeuvre macabre sur le territoire de la RDC sans qu’aucune grande puissance ne s’indigne et sans la moindre sanction de la part du Conseil de Sécurité, en dehors du communiqué laconique faisant état de sérieuses préoccupations.

Dans les soucis de rendre le processus de paix de Lusaka irréversible, le président Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud initia, en date du 27 novembre 2000, le processus de Maputo, réunissant autour de lui uniquement les Etats impliqués dans la guerre, à l’exception des mouvements de rébellion. C’est la signature, en date du 3 novembre 2000, des sous plans de désengagement de Harare, entre les délégations de la RDC et du Rwanda, qui va faciliter l’adoption, par le Conseil de Sécurité, en date du 14 décembre 2000, de la résolution 1342 prévoyant le déploiement des observateurs de la MONUC dans les zones désengagées (Lisala, Boende, Kabinda et Kabalo).

C’est le point de départ de l’accalmie sur le plan militaire. Malheureusement, un mois après, soit le 16 janvier 2001, Laurent Désiré Kabila est assassiné dans son bureau de travail. Ce fut alors un grand tournant des événements. Le 6 septembre 2001, sous l’égide du prédisent Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud, l’accord de Pretoria prévoyant le retrait des troupes rwandaises et le désarmement des ex-FAR fut signé entre le Rwanda et la RDC. Le 30 septembre 2001, sous l’égide du président Edouard Dos Santos de l’Angola, l’accord de Luanda prévoyant le retrait des troupes ougandaises et la mise sur pied de la Commission de pacification de l’Ituri fut signé entre la RDC et l’Ouganda. Malgré les recommandations des travaux de la Commission de Pacification de l’lturl et l’Acte d’Engagement sanctionné par la signature de toutes les forces vives, l’lturi a continué à compter ses morts. Il a fallu, à l’initiative de la France, le déploiement de l’Opération Artémis pour ramener la paix dans cette partie de la RDC.

Le 17 décembre 2002, les composantes et entités congolaises au dialogue intercongolais acceptent finalement, sous la conduite de M. Moustapha Niasse, envoyé Spécial du secrétaire général de l’ONU, de signer l’accord global et inclusif qui prévoyait une transition politique de 3 ans maximum, avec à la clé la pacification, la réunification du pays et l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes.

Le 30 juin 2003, le gouvernement de transition 1+4 fut mis en place. Et encore une fois, le peuple congolais avait cru que la page sombre de la guerre allait enfin être tournée définitivement, Mais ce fut sans compter avec la stratégie du Rwanda de garder toujours une carte de pression sur Kinshasa. Et cette fois-ci, alors qu’on croyait le Rwanda totalement désarmé, le gouvernement ayant concédé à toutes ces exigences, la recette fit vite trouvée : le commandant de la région militaire du Nord Kivu, qui venait d’être nommé conformément à l’Accord de Sun City, le général Nkunda, refusa d’obtempérer â l’instruction du haut commandement militaire l’invitant à venir prêter serment avec ses collègues à Kinshasa, afin de marquer ainsi l’unité retrouvée au sein de la hiérarchie militaire.

Alors que le Rassemblent congolais pour la démocratie (RCD), avec plusieurs postes importants, participait au Gouvernement de transition, la ville de Bukavu fut coupée à deux reprises à la suite de l’offensive du commandant second, le colonel Mutebusi du RCD, contre son chef hiérarchique, le général Nabiolwa. Fait étonnant, le général Nkunda, du RCD aussi, s’est payé le luxe de venir à la rescousse du colonel Mutebusi dans sa tentative de contrôler la ville de Bukavu.

Le 30 juin 2006, les élections générales furent organisées et le peuple, encore une fois, a cru que cette fois-ci était la bonne pour désormais humer l’air de la paix. Rien n’y fit. Car le général Nkunda va se retirer dans les hauteurs de Masisi où il décida de créer son mouvement politico-militaire dénommé CNDP, qui perpétra les premières offensives militaires sur la ville de Goma, un jour seulement après la proclamation des résultats des élections. Ce fut la désolation et la désillusion générales. Dans le but de consolider la paix, plusieurs tentatives furent initiées par la suite. Il s’agit, des :

- Déclaration de Dar Es Salam sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans la région des grands lacs du 20 Novembre 2004;

- Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs du 15 novembre 2006 à l’issue de la Conférence internationale sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans les grands Lacs;

- Communiqué conjoint de Nairobi du gouvernement de la RDC et du gouvernement du Rwanda sur une approche commune pour mettre fin à la menace pour la paix et la stabilité des deux pays et de la région des grands lacs du 9 novembre 2007;

- Acte d’engagement de Goma et les résolutions de la conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans les provinces du Nord et du Sud Kivu et du Programme Amani du 25 janvier 2008;

- Opérations conjointes RDC-Ouganda contre les rebelles de la Lord Résistance Army (LRA) en Province orientale;

- Accord de Goma du 23 août 2008 entre la RDC et le Rwanda (opérations conjointes) ; les opérations Kimya 2 dans le Sud-Kivu.
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Je suis convaincu que les spécialistes en résolution des conflits et en relations internationales se perdent dans la panoplie des instruments juridiques signés par les différents pays et tous les acteurs impliqués dans la guerre à l’Est du Congo, tentative qui, jusqu’ici, malgré leur abondance, n’ont pas conduit à la pacification totale de cette partie de notre pays. Parce que les assassinats ciblés des défenseurs des Droits de l’homme, des journalistes, des religieux, des leaders locaux, ainsi que les violences et les viols contre les femmes continuent. On se retrouve là devant une nouvelle forme de ce conflit qui va jusqu’à utiliser le sida comme arme de guerre.

A ce tableau macabre s’ajoutent un vaste pillage et un commerce illicite des ressources naturelles. Comme qui dirait que la RDC souffre de malédiction à cause de ses ressources naturelles. Cette situation est inquiétante et commence à accréditer la thèse de l’existence d’un plan de somalisation de l’est du pays, créant ainsi une zone de non-droit, véritable far west, propice à la prédation et aux pillages de tous ordres.

* Vital Kamerhe est président honoraire de la chambre basse du Parlement de la RD Congo. Ce texte est extrait d’un discours prononcé au Canada

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