L’aide européenne au Sud : des valeurs mais pas de vertus

Les pays du Sud ne peuvent pas se développer en appliquant les politiques libérales préconisées par les institutions financières internationales. En 2008, «Alternatives Sud» avait publié une édition (1) consacrée à ce sujet, montrant par exemple que le «socle des valeurs» sur lequel s’appuie l’aide consentie par les bailleurs de fonds n’est ni vertueux ni désintéressé, ainsi que le rappelle Amady Aly Dieng.

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J C

L’union européenne est le premier fournisseur d’aide aux pays du Sud. A ce titre, elle entend jouer un rôle majeur sur la scène internationale. Adopté en 2005, le «consensus européen», qui oriente les actions de coopération au développement de l’Union et de ses Etats membres, réaffirme le primat accordé à la lutte contre la pauvreté et à la réalisation des Objectifs de Développement du Millénaire. S’appuyant sur le socle des valeurs (droits de l’homme, démocratie, paix, bonne gouvernance…), de principes communs (appropriation par le pays tiers, participation de la société civile, dialogues…) et de méthodes (approche globale et intégrée, cohérence et complémentarité entre l’aide et les autres politiques communautaires), il constitue un modèle propre de développement pour le Sud.

Qu’en est-il de la portée des promesses et engagements sur le terrain ? Comment l’Union gère-t-elle les paradoxes et les effets pervers inhérents à toute relation d’aide ? La volonté affichée de promouvoir l’«appropriation» se traduit-elle par un assouplissement de conditions imposées aux pays récipiendaires ? Vue du Sud, l’Europe est-elle réellement l’auteur «vertueux» et «désintéressé» qu’elle prétend être dans le domaine de l’aide extérieure ?

A l’heure où la commission tente de négocier un nouveau «partenariat économique» avec les pays ACP et vient de définir les priorités et les domaines d’intervention de sa politique d’aide pour les années à venir, un bilan critique de ses orientations et de son action s’impose plus que jamais.

Confrontés à la lourdeur des procédures d’attribution et de suivi et à des exigences technocratiques croissantes, les pays récepteurs ne disposent que rarement des capacités institutionnelles pour gérer et suivre de tels flux, surtout après la cure d’amaigrissement subie durant la phase d’ajustement structurel.

Quant aux priorités des donateurs, elles ne sont pas toujours, voire sont rarement, en phase avec celles des pays bénéficiaires. Décalage entre plusieurs horizons d’attente donc, mais qui, conjugué à la forte dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure toujours assortie de lourdes conditionnalités, se traduit par une perte d’autonomie pour les Etats récepteurs corsetés dans leur capacité souveraine à définir des politiques publiques propres et à les maîtriser. Enfin, loin d’être toujours acheminée vers les populations censées en être les premières bénéficiaires et peu transparentes, l’aide extérieure est accusée d’alimenter les phénomènes de corruption, de créer des situations de rente, de consolider des positions acquises et pérenniser les acteurs du champ de la coopération.

Le bilan douloureux imposé aux acteurs de la coopération a été le catalyseur d’une prise de conscience accrue de la nécessité de changer le cap et de réformer en profondeur le système de l’aide. Des obligations incombent aussi aux bénéficiaires de l’aide. Ils sont invités, entre autres, à définir leurs priorités et à élaborer leurs propres stratégies nationales de lutte contre la pauvreté. Enfin, donateurs et partenaires doivent conjointement mettre sur pied des dispositifs et mécanismes (contrôle parlementaire, droit de regard de la société civile, outil de communication, etc.). Un vaste programme en somme destiné à jeter les bases pour la décennie à venir d’un paradigme de la coopération au développement.

L’Union européenne (Ue) a été l’une des principales chevilles ouvrières de cette nouvelle architecture internationale de l’aide. Son triple statut d’entité politique supranationale de premier partenaire commercial des pays en développement et de premier pourvoyeur d’aide la prédisposait à tenir ce rôle. Ainsi, ine vaste réforme de la coopération européenne est finalement lancée en 2000. La réforme institutionnelle va aboutir à la création d’une entité unique, l’Office de la Coopération Europ Aid, chargée l’exécution des instructions de l’aide dans le monde entier, des relations avec les autres donateursou encore de la simplification et de l’harmonisation des procédures.

Bien plus qu’une augmentation de l’aide et qu’une amélioration de son efficacité, c’est à un rééquilibrage du système des relations internationales qu’aspirent les acteurs sociaux du Sud, pour lesquels l’annulation de la dette, la fin des subventions agricoles, l’arrêt des politiques de libéralisation et le rapatriement des fonds illégalement déposés à l’étranger contribueraient certainement bien plus à briser le cercle vicieux de sous-développement et de la dépendance (cf Dembélé Moussa - 2006)

Bien que les nouvelles orientations consacrent le principe de l’appropriation, les acteurs sociaux du Sud ne reçoivent pas l’attention qu’ils méritent. Il est admis que la plupart des initiatives visant à réformer le système international de l’aide émanent des bailleurs de fonds eux-mêmes, qui en assurent le leadership intellectuel.

Les Ong s’impliquent de plus en plus dans le débat de l’architecture de l’aide et les propositions de réforme. Globalement, cependant, la contribution des pays bénéficiaires au débat sur la réforme du système demeure limitée.

Plusieurs facteurs limitent l’implication du Sud. Du point de vue Sud, l’attention portée aux problèmes techniques par le Nord tend à dépolitiser la lutte contre la pauvreté et ne prend pas en considération les problèmes plus politiques de l’inégalité et des droits des citoyens. C’est tout particulièrement le cas en Amérique latine où la question des inégalités se fait de plus en plus pressante. Plusieurs rapports d’institutions internationales confirment que les politiques de libéralisations commerciales ont ébranlé des pans entiers des économies du Sud. Avant de songer à aider financièrement les pays en développement, l’Union européenne devrait veiller à ne pas appuyer la mise en place des accords commerciaux qu’elle sait défavorables aux pays les plus pauvres.

Les Ong relèvent plusieurs contradictions dans la politique de développement de l’Ue. Plus précisément, ses politiques commerciales, agricoles et d’aide ne sont plus compatibles avec les objectifs en matière de développement qui visent l’éradication de la pauvreté. Au mieux, l’Union efface d’une main ce qu’elle fait de l’autre. Au pire, elle utilise l’aide au développement pour mieux imposer des politiques commerciales et agricoles préjudiciables au reste du monde. (cf Aileen Kwa)

La Déclaration de Paris met l’impératif de l’«appropriation» au centre des stratégies de développement. Pour autant, elle ne questionne pas la place de la conditionnalité dans les programmes d’aide, malgré le constat que celle-ci biaise les choix de développement et brouille la relation entre gouvernements aidés et électeurs. Le «fétichisme de la conditionnalité» est le principal obstacle à une réforme en profondeur de l’aide.

L’appropriation est le premier des cinq thèmes de la déclaration de Paris. Elle figure en première position, car l’expérience montre que l’aide n’est jamais aussi efficace que quand elle appuie les efforts de développement propres au pays, les politiques qui bénéficient de l’adhésion réelle des dirigeants, des administrations et des citoyens. Elle l’est beaucoup moins lorsque les politiques sont dictées par les donateurs (cf. Antonio Tujan Jr et Wim De Ceukelaire). La conception dominante du principe de «responsabilité» invite cependant les gouvernements bénéficiaires de l’aide publique au développement à rendre compte d’abord aux bailleurs de fonds. La société civile doit exiger une application «mutuelle» du concept de responsabilité (cf. Charles Mutasa).

Une refonte des stratégies de coopération s’impose, pour plus de cohérence sociale avec les objectifs communs de cohésion sociale et de lutte contre la pauvreté et des inégalités. Plus que les quantités et les modalités de l’aide, c’est le système économique et commercial dominant qui demeure le principal obstacle au développement. (cf. Mariano Valderrama Leon)

Principal donateur d’aide au développement en Amérique centrale et au Guatemala, l’Ue, de par son approche plus sociale que géopolitique durant les années de conflits et de pacification, ne peut être confondue avec les Etats-Unis. Pour autant, la promotion d’une économie libérale et du cadre institutionnel correspondant domine aujourd’hui l’agenda, en dépit de la croissance des inégalités et de la fragilisation des démocraties (cf. Henry Morales).

Notes
1 - Alternatives Sud – Volume 15 – 2008/ 2 - Edition Syllepse

* Amady Aly Dieng, docteur ès sciences économiques et ancien fonctionnaire international à la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest, est actuellement enseignant à l'Université Cheikh Anta Diop. Il a été parmi les dirigeants de l'Association des étudiants de Dakar (AGSD) créée en 1950 et devenue en 1956 l'Union générale des étudiants d'Afrique occidentale (UGEAO). Il a été aussi président de la Fédération des étudiants d'Afrique noire en France pendant deux ans en 1961 et 1962.

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