La place du droit dans la gouvernance en cinquante ans d’indépendance du Bénin
Les Béninois sont conscients de la place du droit dans la création d’un espace démocratique et épanouissant pour les libertés individuelles. Il leur arrive même d’abuser de cette utilisation du droit et il faut se féliciter de ce qu’une Cour constitutionnelle essaye depuis 1993 de discipliner les acteurs politiques.
Par rapport au droit hérité de la colonisation, le Bénin a fait preuve de beaucoup d’originalités en matière de droit constitutionnel. Compte tenu de l’instabilité qu’a connue le pays entre 1960 et 1972, de la stabilité forcée de la période révolutionnaire et marxiste-léniniste, entre 1972 et 1990, et de la stabilité démocratique en œuvre depuis 1990, le pays a essayé tous les régimes politiques, du présidentialisme le plus dur au parlementarisme le plus original en pas¬sant par le triumvirat entre 1970 et 1972 (trois présidents de la République en même temps).
Alors que, compte tenu de la stabilité politique et constitutionnelle en œuvre depuis 1990, les Béninois pensaient avoir trouvé leur régime politique (régime présidentiel), des voix autorisées se lèvent en 2010 pour proposer un nouveau système politique plus en phase avec la régionalisation des résultats de vote (chaque région votant souvent pour le fils du terroir le mieux à même de gagner l’élection présidentielle) ou de réduire les crises fréquentes entre le Parlement et le Président de la République. On ne peut qu’encourager des réflexions profondes sur le système politique qui conviendrait le mieux à la société béninoise qui doit lutter autant pour la liberté individuelle que pour le développement économique et social sans renier des valeurs africaines de fraternité, de solidarité et de travail.
Cette générosité dans les propositions de systèmes politiques n’a d’égale que la pléthore de lois électorales adoptées depuis le renouveau démocratique entamé en 1990 et qui entraîne une difficulté de maîtrise des normes du système électoral par les acteurs politiques et par les populations, en même temps qu’elle révèle une certaine instrumentalisation des textes électoraux par la majorité politique en place à un moment donné, à son profit. Il suffit de se référer ici aux tentatives d’exclusion de certains candidats à l’élection présidentielle dans des textes électoraux, tentatives annulées par une Cour constitutionnelle vigilante, ou encore, aux nombreux atermoiements et crises qui ont eu lieu entre acteurs politiques chaque fois qu’il a fallu mettre en place la Commission électorale dont le caractère permanent n’a pas encore été consacré en 2010, ou quand il a fallu mettre en place un fichier électoral informatisé et permanent en 2010.
Tout cela montre que les Béninois sont conscients de la place du droit dans la création d’un espace démocratique et épanouissant pour les libertés individuelles. Il leur arrive même d’abuser de cette utilisation du droit et il faut se féliciter de ce qu’une Cour constitutionnelle essaye depuis 1993 de discipliner les acteurs politiques.
Sur le terrain du bien être social, le réveil a été un peu plus tardif. Les droits des femmes n’ont commencé véritablement à être pris en compte que depuis 2004, avec un code des personnes et de la famille très protecteur des droits des femmes. Ont suivi des lois réprimant le harcèlement sexuel ou les mutilations génitales féminines ou protégeant la santé de la reproduction. Il ne faut pas oublier que le code du travail avait déjà, en 1998, donné le top d’un renouveau législatif en faveur des femmes.
Sur le terrain de la décentralisation et de la gouvernance locale, les textes adoptés ne sont pas toujours suivis, et de plus, aucune place n’a été reconnue ou accordée aux autorités traditionnelles ou coutumières auxquelles les populations continuent de recourir sur plusieurs plans. Cette concurrence des légitimités électorale et traditionnelle mériterait une meilleure attention de tous, donc des historiens, des juristes et des législateurs, en vue d’une cohabitation harmonieuse entre ces deux légitimités.
En matière de promotion du développement économique, le Bénin doit une fière chandelle au droit communautaire OHADA (affaires) ou CIMA (assurances). Sans cela, ce sont les textes coloniaux qui seraient encore en cours de validité dans le pays. Certaines faiblesses sont toutefois à relever sur ce point. Les réformes judiciaires tardent à suivre la réforme juridique et les tribunaux et cours continuent d’être l’objet de profonds dysfonctionnements. Les réformes longtemps annoncées du droit pénal, de la procédure pénale, du droit judiciaire privé, tardent à se concrétiser.
Toujours sur le plan juridique, le droit issu des organisations régionales telles que l’Union économique et monétaire ouest-africaine et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest n’est pas connu et appliqué comme il se doit. L’intégration régionale continue de piétiner et des efforts en matière de libre circulation des personnes et des biens restent largement en deçà des espérances. De nouveaux défis doivent donc être relevés sur ce terrain.
Au total, le droit pourrait mieux concourir au développement du Bénin des béninois, de l’Afrique et des africains. Pourvu qu’ils s’en rendent compte.
* Gilles Badet, Université d’Abomey-Calavi (lire dans le bulletin de l’IAG : ">http://www.iag-agi.org/spip/IMG/pdf/Bulletin-IAG-_Francais_septembre.pdf)l">
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