Protocole de Maputo : L’égalité des sexes comme un principe fondamental
Un nouveau contingent d’Etats africains s’apprête à ratifier le Protocole sur les droits de la femme en Afrique. Adopté le 11 juillet 2003 par l’union Africaine à Maputo, au Mozambique, ce Protocole est entré en vigueur en novembre 2005, après avoir été ratifié par 15 pays. Son objectif est de combler les insuffisances de la charte Africaine sur les droits de l’homme et des peuples dans le traitement des droits de la femme africaine.
Le protocole pose l’égalité des sexes comme un principe fondamental et reconnaît les femmes en tant qu’être humain individuel et non en tant que membres de la communauté ou de la famille. Joignant l’acte à la parole, il établit des droits équitables à l’héritage et le droit de chaque femme à choisir son époux. Les mutilations génitales sont interdites, de même que toutes les formes de discrimination basée sur le genre, tant dans les sphères publiques que privées et politiques.
Pour ce faire, il exige des Etats signataires un degré plus élevé d’implication des femmes dans la gouvernance et dans la prise de décisions, ainsi qu’un accès égal à la justice. Surtout, le Protocole offre à la femme un remède juridique au niveau régional sur la problématique de la participation féminine. La Commission Africaine des droits humains et des peuples peut en effet être saisie si les Etats signataires du protocole n’en respectent pas les dispositions.
La persistance du droit coutumier, parallèlement à des systèmes juridiques modernes, place toujours un certain nombre de femmes africaines dans une situation juridiquement mineure, celles-ci vivant d’abord sous l’autorité du père, puis du mari, voire du fils ou d’un autre tuteur après la mort de leur époux. Les politiques économiques mettant l’accent sur les cultures d’exportation principalement contrôlées par les hommes, ou les taux de scolarisation globalement favorables aux garçons, sont d’autres obstacles à l’émancipation féminine. Mais bien qu’elles continuent d’être confrontées à des désavantages économiques et sociaux, les femmes africaines ont connu une amélioration de leur condition au cours des vingt dernières années.
SITUATION DES FEMMES EN AFRIQUE AVANT L’ADOPTION DU PROTOCOLE
C'est en 1945 que l'égalité des femmes et des hommes a été admise en tant que principe fondamental de la personne à travers l'adoption générale de la Charte des Nations Unies. En 1979, la communauté internationale décidait de remettre en question et d'éliminer la discrimination sexuelle qui s'exerçait contre les femmes en adoptant la CEDEF (Convention pour l'Elimination de toutes formes de Discrimination à l'Egard des Femmes). Le 17 octobre 2000, à New York, la marche mondiale pour les femmes, à l'initiative d'un groupe de femmes québécoises en 1998, a pris fin. Une pétition de plusieurs millions de signatures, récoltées de tous les pays qui ont participé à cette action, sera remise aux Nations Unies
Derrière ces actions et ces avancées timides se cachent, à l'évidence pour les femmes, des années de luttes et d'acharnement pour faire valoir leurs droits et le respect de leur personne. Des années où la communauté mondiale dirigeante, à grande majorité masculine, a pris lentement conscience de la condition de la femme dans le monde et a instauré des mesures, parfois volontaires, souvent sous la pression des ONG et sans conviction, qui ont permis, cependant, de dresser la liste des causes et des effets qui ont conduit directement à une discrimination dont les femmes sont les victimes génériques depuis des millénaires. Un "état des lieux" est nécessaire dans le but de placer chacun devant ses responsabilités : pays, gouvernements, individus au regard de leurs spécificités et de leurs traditions et pour amorcer un réel changement.
En outre, d'autres dates importantes sont venues marquer les étapes successives de cette accession à la liberté et au droit à la vie. Depuis 1975, les soins de santé aux femmes et aux fillettes, en plus de leur éducation (scolarisation), sont une préoccupation majeure pour la plupart des gouvernements de la planète. La majorité des pays, même si elle n'est pas écrasante, reconnaît enfin à la femme une "sexospécificité" due à leurs cycles et leurs grossesses ainsi qu'un besoin de soins de santé plus important que celui des hommes.
De son côté, la Convention des droits de l'enfant, adoptée en 1989, a permis de recommander des lois déterminantes concernant les Mutilations Génitales Féminines (MGF) chez les fillettes. Des liens évidents ont été reconnus entre la pauvreté et la discrimination à l'égard des femmes, notamment lorsqu'elle réduit l'accès à ces soins. Les observateurs ont également remarqué que plus les filles sont scolarisées, plus elles peuvent prendre connaissance de leurs droits et plus elles peuvent les faire valoir. De même, plus les femmes participent à la vie publique, plus leur sort s'améliore et celui de la société dans laquelle elles vivent également, aussi bien en matière de santé publique que de régulation de la croissance démographique ou, encore, de renforcement de la croissance économique. A l'heure actuelle, beaucoup de pays ont adopté des mesures pour protéger la sécurité individuelle des femmes ainsi que leurs droits familiaux et sociaux.
C'est l'afflux de statistiques, la mise à jour de ce fléau, caché et ignoré, démontrant le niveau alarmant de discrimination dont les femmes et les fillettes étaient victimes, qui a poussé les différents comités de protection et de valorisation de la condition des femmes dans le monde à établir des recommandations spécifiques afin d'attirer l'attention sur les facteurs qui accentuent l'inégalité.
FONDEMENT DE L’ADOPTION DES TEXTES JURIDIQUES
Sur le plan International
Au niveau international, différents instruments sont importants :
- La déclaration universelle de droit de l’homme (1948) : Adoptée par l’assemblé général des Nations Unis le 10 décembre 1948, la déclaration universelle de Droit de l’homme est une véritable déclaration de Droit de l’homme. Elle est citée dans les constitutions des Etats et dans les autres textes fondamentaux des droits humains.
- La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) : La CEDEF, adoptée en 1979 par l’assemblé générale des Nations Unies et entrée en vigueur en 1981, est une véritable déclaration des droits des femmes et décrit en détail les situations considérées comme discriminatoires à l’égard des femmes. La CEDEF reconnait pour la première fois que les « pratiques coutumières » peuvent restreindre l’exercice des droits des femmes.
La situation discriminatoire à l’égard des femmes évoquée dans la CEDEF qui s’appliquent aussi sur le cas des MGF sont entre autres :
• Les situations qui empêchent le plein développement et le progrès des femmes ainsi que l’exercice et la jouissance des droits de l’homme,
• Les préjugés, les schémas de comportements de l’homme et de la femme et les pratiques coutumières,
• Les conceptions stéréotypées des rôles de l’homme et de la femme,
• Les situations qui nuisent à la santé et à la sauvegarde de la fonction de reproduction
• La déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes :
Cette déclaration a été adoptée à l’Assemblé Générale des Nations Unies le 20 décembre 1993 et définit les différentes formes de violences faites aux femmes. Elle constitue le document international qui nomme pour la première fois les « MGF » explicitement dans son texte et les définit en même temps comme violence à l’égard des femmes.
Sur le plan régional
Sur le plan régional, quatre instruments existent :
- La charte Africaine des droits de l’homme et des peuples ; elle a été adoptée en 1981 et est entré en vigueur en 1986. Elle est une déclaration de droit de l’homme de l’Afrique, proche de la déclaration universel des droits l’homme.
- La charte Africaine des droits et du bien être de l’enfant ; pour la première fois un instrument au niveau africain formule un droit à la protection contre les « pratiques négatives sociales culturelles ». Adoptée en 1990, elle entre en vigueur en 1999.
- Le protocole à la charte Africaine ; adopté en 2003, c’est une déclaration des droits de la femme de l’Afrique.
- La charte africaine de la jeunesse ; qui est un document d’orientation sur les droits des jeunes sans distinction de sexe
I. LE PROTOCOLE SUR LE DROIT DES FEMMES EN AFRIQUE : LA NECESSITE D’UNE JUSTICE UNIVERSELLE
Le protocole comble les lacunes relatives aux droits des femmes de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples. La Charte, comme de nombreux autres instruments légaux internationaux, définit des normes en relation avec l’expérience des hommes et en termes de violations discrètes dans la sphère publique, alors que la plupart des violations des droits humains de la femme ont lieu dans la sphère privée. Ses dispositions ne sont pas adéquates pour aborder le droit des femmes. Par exemple, l’article 18 interdit la discrimination seulement dans le cadre familial. Ces omissions sont aggravées du fait que la Charte met l’emphase sur les traditions et les valeurs africaines traditionnelles, sans souligner que de nombreuses pratiques coutumières, comme la mutilation génitale, le mariage forcé, le droit à l’héritage des femmes, peuvent être dommageables ou mettre en péril la vie des femmes.
Le Protocole complète la Charte africaine et les conventions internationales des droits humains en se concentrant sur des actions concrètes et des objectifs pour accorder aux femmes leurs droits. Par ailleurs, il intègre la Convention des Nations Unies pour l’Elimination de toutes les Formes de Discrimination à l’encontre des Femmes (CEDAW) ainsi que la Déclaration de Beijing et la « Platform for Action » dans le contexte de l’Afrique. Par exemple, il demande explicitement la prohibition de la mutilation génitale. Il demande aussi la fin de toute forme de violence à l’encontre des femmes, y compris des relations sexuelles non consenties ou contraintes, que ce soit dans la sphère privée ou publique, et interdit l’exploitation des femmes dans la publicité ou dans la pornographie. Il a fourni un cadre légal et de défense pour que les femmes africaines puissent revendiquer la promotion et la protection de leurs droits humains.
Le développement du Protocole pour les droits des femmes en Afrique trouve son origine dans la Conférence mondiale des droits humains qui s’est déroulée à Vienne, en Autriche, en 1993. Elle soulignait que ’’les droits humains de la femme et de l’enfant fille sont inaliénables et font partie intégrante et indivisible des droits humains universels.’’ D’où la naissance du slogan : ‘’Les droits de la femme sont des droits humains.’’
Prenant conscience que la Charte africaine pour les droits humains et des peuples, adoptée par l’OUA en 1981, n’abordait pas les droits humains des femmes de façon adéquate, les chefs d’Etat et de gouvernements, de ce qui était alors l’Organisation de l’Union Africaine, ont mandaté, en juin 1985, ACHPR afin qu’elle élabore un protocole sur le droit des femmes en Afrique. La Commission africaine a publié un premier projet en 1997, qui a été discuté et amendé par les Etats et la société civile pendant sept ans, avant que d’être adopté en 2003. Il n’a fallu que 18 mois pour que le protocole entre en vigueur, ce qui en fait l’instrument des droits de l’homme qui a mis le moins de temps dans l’histoire de l’OUA/Union africaine pour un tel processus, grâce aux efforts acharnés d’un groupement de la société civile, Solidarity for African Women’s Rights Coalition (SOAWR) qui travaillait en étroite collaboration avec les Etats membres de l’Union africaine et l’African Union Women Gender and Development Directorate.
Notons que le Protocole a étendu son emprise dans le domaine des droits de la femme en Afrique jusque dans des territoires qui, jusque-là, était marqué’’ interdits’’, établissant de nouvelles normes qui englobent les droits sexuels, la santé reproductive, la mutilation génitale et la polygamie.
* Ouédraogo Aïcha est une Burkinabè âgée de 25 ans, engagée dans les activités sociales. Elle est assistante chargée du projet « Education genre et VIH » au RAJS/BF, une ONG de 322 associations de jeunesse. Elle est formatrice en compétences de vie courante en matière de santé de la reproduction y compris le VIH, en promotion de l’éducation et du maintien des filles à l’école. Elle est responsable de la promotion de l’éducation des filles et a participé aux foras sur les violences faites aux femmes de la Marche Mondiale des femmes, sur l’éducation des filles avec le ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation – Le titre est de la rédaction
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