La France et les Anciens combattants : Une nouvelle escroquerie sur les pensions

Il a fallu attendre 66 ans après le seconde guerre mondiale pour voir la France se décider à aligner les pensions des «tirailleurs sénégalais» sur celles des anciens combattants français. Pour plusieurs raisons, Cheikh Faty Faye trouve la mesure ridicule. Pire, les procédures les plus compliquées sont de mise pour décourager tout aspirant.

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La question des tirailleurs sénégalais des guerres mondiales 1914-18 et 1939-45, tout comme des guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie est, plus qu’hier, encore d’actualité pour la bonne et simple raison que l’ancienne puissance coloniale vient encore de prendre de nouvelles mesures enfonçant davantage le paiement des pensions par des décisions indignes, injustes, arbitraires et mettant en exergue un esprit bien néocolonial.

En effet, sur la question de la décristallisation des pensions, le gouvernement français vient de prendre des mesures, en mai dernier, de «revalorisation des pensions civiles et militaires». L’ambassade de ce pays à Dakar, annonçant la «bonne nouvelle», fait état de «mesure de justice et d’équité» parce que les pensions ont été portées au même niveau pour ces colonisés que celles de leurs camarades français avec effet rétroactif pour compter du 1er janvier 2011. Quel cynisme de présenter ceci comme une réparation du tort causé à ces concernés, «ressortissants des pays autrefois sous souveraineté française».

Cette mesure est bien prise en mai 2011, soit plus de soixante ans après pour les combattants de 1939-45 et d’un demi-siècle pour ceux d’Indochine et d’Algérie. Si la France a massivement puisé dans la jeunesse de nos pays pour aligner des centaines de milliers de combattants contre ceux qu’elle considère comme ses ennemis, il est intéressant de se poser la juste et légitime question du pourquoi avoir attendu un temps si long pour «aligner les pensions» ?

Calcul machiavélique simplement, car cette question de l’alignement des pensions a été posée depuis l’accession à l’indépendance des pays d’Afrique noire anciennement française. Les raisons de l’alignement des pensions seulement à cette période de 2011 ont eu bien un fond de calcul néo-colonialiste. Combien sont-ils encore vivant six à sept décennies après leur participation aux monstrueux combats de 1939-45 et autres, surtout si l’on sait que ces tirailleurs sénégalais étaient toujours placés, dans la stratégie des différents état-major, au premier rang, donc directement comme les premières cibles de l’ennemi.

Combien sont revenus sains et saufs des guerres dans lesquelles la France a été impliquée ou dont elle a été l’initiatrice ? Difficile de donner des chiffres exacts mais la réalité des situations permet de conclure que ceux fauchés par les balles ennemies ont été de loin plus nombreux. Sans oublier que ceux qui ont retrouvé leurs foyers ont traîné diverses maladies parfois très graves pour ne pas survivre longtemps. Ceux-là qui ont eu la chance d’être encore vivants aujourd’hui constituent un nombre insignifiant et donc la France colonialiste peut bien se permettre, en mai 2011, de prendre une telle mesure. Elle peut bien, comme le dit, en termes très clairs, le communiqué de l’ambassade de France à Dakar, pavoiser en présentant cette mesure qui touche plus de ‘trente mille personnes tous pays confondus’. Ceux qui ne sont pas dupes eux, auront une lecture et/ou relecture différente : trente mille personnes sur des centaines de milliers de recrutés de force.

Indigne fait de la France républicaine. Mais fait logique de la France néo-colonialiste. Le montant global dégagé par le Trésor français, moins de 5 milliards de francs Cfa, dans le cas précis du Sénégal, n’honore pas la France si l’on sait que le nombre de personnes, toutes catégories confondues, avoisine 700. Chacun peut faire un rapide et facile calcul pour en tirer la seule conclusion logique : ‘insuffisant et ridicule’ pour que la France s’en targue.

C’est, à dire vrai, honteux comme initiative pour Paris. C’est un manque de considération pour les peuples anciennement colonisés. Ce constat étant fait, passons à une analyse sérieuse de la mesure en prenant en considération les nouvelles conditions mises à l’égard de tout bénéficiaire direct ou indirect (dans le cas où il y a des ayants droit).

- Le premier élément exigé est d’adresser une demande au ministre français de la Défense et des Anciens combattants pour avoir droit à un alignement, alors que ces personnes ayant droit aujourd’hui touchent déjà leurs misérables pensions et donc sont identifiées, connues et fichées depuis longtemps. La logique ne voudrait-elle pas que l’alignement, c'est-à-dire la décristallisation réelle et totale, soit automatique, immédiate et sans pièces nouvelles à constituer.

- Deuxième remarque : remplir une fiche de renseignements bien compliquée, longue et aux conditions pas faciles à réunir. Logiquement ces renseignements sont bel et bien disponibles pour l’administration française. Exemple : nom, prénom, date de naissance, lieu de naissance, si votre nom a changé, si remariage pour les veuves, adresse personnelle, etc.

- Les pièces à reproduire et à fournir devant accompagner la demande, selon la catégorie concernée, sont en nombre :
- Pour les militaires, le fonctionnaire ou l’ouvrier d’Etat : huit pièces
- Pour les ayants cause (épouses, orphelins) : neuf pièces
- Pour les seules épouses : trois pièces
- Pour les épouses remariées après décès du militaire, du fonctionnaire ou de l’ouvrier d’Etat : trois pièces

Si l’on sait à quel point l’administration française est tatillonne en matière de paperasse, surtout à l’égard de tout ce qui vient de nos pays d’Afrique noire, il apparaît bien évident que la mesure présentée comme une avancée significative s’annonce comme encore un véritable parcours du combattant pour toutes les catégories concernées. C’est dire que la France n’a pas une réelle considération pour ces hommes. Comme du reste elle n’en a eu aucune à l’égard des tirailleurs qu’elle a abattus froidement à Thiaroye, en terre sénégalaise en cette aube du vendredi 1er décembre 1944. Encore aujourd’hui, on n’a aucune idée exacte du lieu où elle les a enterrés clandestinement. Même le nombre exact des victimes reste problématique dès lors qu’elle ne veut laisser filtrer la moindre information. La preuve : toutes les mille et une pressions directes ou indirectes sur les autorités sénégalaises actuelles qui ont voulu au départ faire toute la lumière sur ce douloureux évènement.

La simple volonté au départ exprimée par le pouvoir sénégalais n’a pu résister aux pressions exercées par la France qui cherche à faire oublier totalement le massacre de Thiaroye par notre conscience. Mais à coup sûr, elle perdra sur toute la ligne. Car tôt ou tard, nos hommes politiques, nos historiens, nos hommes de littérature et d’autres conjugueront leurs efforts pour que toute la vérité soit dite autour de ce problème qui nous tient à cœur. Comme il en est d’ailleurs, pour le peuple algérien, des événements de Sétif. De même la terre malgache est encore rouge de sang de la répression de 1947, la terre ivoirien du massacre de Dimbokro pour ne citer que ces quelques pages de la logique du colonisateur.

Dans cette mesure annoncée à Dakar en mai dernier par la représentation diplomatique française, la République française fait peu de cas de nos tirailleurs après les avoir utilisés dans des conflits meurtriers. Plusieurs décennies après, elle est encore, dans les faits, à une politique de deux poids deux mesures comme si ses nègres n’avaient jamais compté pour elle.

* Pr Cheikh Faty Faye est historien

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