Election de Macky Sall : quelles leçons pour le géant nigérian dormant ?
Au Nigeria, les opposants, les gens comme Macky Sall, élu au Sénégal à l’âge de 51 ans, doivent attendre d’avoir la soixantaine avant d’espérer devenir président de la République.
Quel homme chanceux que Macky Sall ! S’il était nigérian, il devrait certainement patienter jusqu’à ce qu’il soit au moins soixantenaire pour devenir président. Même s’il était paré de toutes les vertus pour battre un opposant bégayant et moins crédible et même si l’électorat aurait été heureux de voir les talons de ce dernier, il n’aurait certainement pas eu l’honneur d’une élection et encore moins d’une victoire éclatante. Les fraudes l’auraient éliminé dès le premier tour et après de nombreux recours à la justice, on lui aurait signifié qu’il ne ne lui reste qu’aller panser ses plaies ailleurs.
Au Nigeria, ceux qui sont au pouvoir ont décidé que les opposants, des gens comme Macky Sall, devront attendre leurs soixante ans avant que de devenir président. Selon une simple règle d’arithmétique et en accord avec la ligne poursuivie jusque là, pour qu’un homme de l’âge de Macky Sall devienne président, il lui reste à naître. Le nouveau président sénégalais a cinquante ans. Donc, si vous soustrayez cinquante de soixante, cela signifie que le prochain candidat, qui n’appartiendrait pas au sérail, n’est pas encore né. Il reste dix ans jusqu’à sa naissance. Vous voyez pourquoi Macky Sall a de la chance ?
Le message pour les Nigérians est (pardonnez le choix du mot !) est qu’ils sont encombré par un dinosaure et qu’il n’y a absolument rien que quiconque puisse faire pour changer le marasme socioéconomique qui prévaut dans le pays. Peu importe le manque de sensibilité et le degré de détermination des Nigérians pour un changement pacifique par les urnes.
Ce qu’il y a de plus frustrant encore est le fait que Macky Sall va maintenant avoir l’honneur de sérer la main à des dirigeants qui travaillent à rendre impossible le changement pacifique dans leur propre pays. Clairement, Macky Sall a dû recevoir des félicitations de certains de ces dirigeants qui, en privé, doivent le considérer comme un chien dans un jeu de quilles, pour avoir destitué par les urnes un vieux chef cacochyme. Je vous le demande : à quoi diable pensait-il lorsqu’il s’est invité dans le club des élites trébuchantes ? Il est bien le seul s’il croit qu’une guirlande lui sera mise autour du cou pour avoir permis aux citoyens d’à côté d’espérer que le changement pacifique est possible. Macky Sall ne doit pas se faire d’illusion. En dépit des sourires de circonstances qui émanent de tous les palais gouvernementaux du continent, il n’appartient pas à la même ligue que les despotes trébuchants, démocratiquement élus, ses voisins.
La population sénégalaise qui a lutté doit être félicitée, en particulier les membres des forces armées, pour avoir choisi la voie des urnes. Pour quelque raison que ce soit, les forces armées ont regardé de loin comment leur commandant en chef s’est fait battre dans une élection, plutôt que de sortir leurs tanks pour chasser un vieil homme qui n’a pas compris qu’il était temps de se retirer. Les soldats auraient pu précipiter Abdoulaye Wade dehors et auraient bénéficié de la gratitude éternelle des Sénégalais, comme ce fût le cas au Niger après que Mamadou Tanja a été destitué après avoir changé la Constitution pour prolonger son règne. Ce qui a causé sa perte. Peu de Nigériens l’ont accusé d’une prestation médiocre au cours des dix ans où il a dirigé le pays. Il a juste oublié de partir quand il aurait dû.
Pour des raisons similaires, Abdoulaye Wade doit être félicité. Comme tous les autres dirigeants trébuchants, le vieil homme n’a pas fait grand-chose pour enrayer la marée de pauvreté croissante au Sénégal. Et à l’instar de ses pairs dans les pays voisins, il aurait pu truquer le premier scrutin ou arranger que le deuxième tour soit frauduleux. Il a tenté d’influer sur le cours des choses. Du moins si l’on en croit les rapports crédibles sur ses partisans sur le terrain qui allaient d’un bureau de vote à un autre avec des sacs de "cadeaux" pour les électeurs affamés, la pratique habituelle des politiciens désespérés. Les électeurs ont dû prendre l’argent et voté selon leur conscience.
Mais, apparemment, ce qui a dissuadé le vieil homme Wade d’aller jusqu’au bout de la procédure de truquage des urnes a été la peur des représailles des forces armées. Notez que quelques jours avant les élections, chez le voisin, les soldats ont mis Toumani Touré à la porte du palais gouvernemental à Bamako, pour sa gestion calamiteuse de la rébellion au nord du Mali. Et bien que certains politiciens de l’opposition ont jugé que la raison de la destitution de Touré était sa mauvaise gestion de l’économie malienne, la raison invoquée par les soldats a été un message pour Wade qui laissait entendre qu’un coup était possible aussi au Sénégal où les forces armées ont déjà laissé entendre leur insatisfaction quant à la manière dont était gérée la rébellion dans la région de Casamance.
Y aurait-il là des leçons à apprendre ? L’une des bonnes choses concernant ces leaderships branlants sur le continent est qu’il y a assez de crises humanitaires sans qu’on en rajoute. Considérez le Nigeria. Est-ce que vous pouvez imaginer la crise humanitaire dans les pays voisins si un quart de la population, quelque 40 millions de personnes, sont forcés et contraintes d’y trouver refuge ? C’est toujours la peur de la crise humanitaire et non la satisfaction de la prestation des dirigeants, qui ont permis à des élections frauduleuses d’être reconnues au Nigeria. C’est cette peur qui a éloigné le Nigeria du bord de l’abîme lors de la crise du 12 juin. Ne blâmez pas les voisins du Nigeria. Ils vont toujours plaider auprès de la communauté internationale afin de laisser les géants dormants dormir, afin de ne pas provoquer de perturbation majeure avec ce que ceci implique en terme de personnes déplacées. Après tout, les géants qui dorment ne dérangent personne et plus leur sommeil est profond et moins les voisins seront dérangés.
Il y a deux façons de maintenir le géant dans son sommeil. L’une consiste à arrêter de prétendre que quelques privilégiés, en dépit de leurs défauts, vont régner en toute éternité. Le Nigeria est le dernier de ces pays dont le nombre est en diminution, où des gouvernements branlants continuent de présenter des personnages ridicules aux élections. Et en disant continuellement à l’électorat d’aller au diable, nous poussons du coude le géant endormi et nous chevauchons le tigre. L’autre façon, bien sûr, est la bonne gouvernance, quelque chose que l’on n’obtient pas lorsque des gens mal préparés sont imposés au peuple. Ou lorsque des gens parviennent au faîte du pouvoir pour des raisons de compassion. Est-ce que cela à l’air raisonnable ?
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Ce texte d’Abdurazaq Magaji a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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