L’intervention française au Mali et les critiques contre Samir Amine de la « Gauche anti guerre » des pays occidentaux

L’intervention militaire de la France est salutaire pour le Mali, la sous région et les intérêts énergétiques de la France au Niger. Elle l’a grandie énormément chez les progressistes africains, mais cela n’enlève en rien de la nature capitaliste et impérialiste de ce pays, même si la « France Afrique » a pris un sacré coup avec l’ « Opération Serval ».

Depuis que le professeur Samir Amine a publié, en janvier 2013, un texte sur le «Mali», des voix se font de plus en plus entendre, en Occident, pour tenter de démontrer son prétendu « renoncement » à ses positions « anti guerres de gauche », et son alignement derrière la « politique néocoloniale » que la France, sous Hollande, serait entrain de mettre en œuvre au Mali, pour y sauver les intérêts de ses entreprises capitalistes et restaurer le pouvoir de sa nébuleuse « France Afrique » dans ce pays !

Parmi celles-ci, l’on peut citer, sans être exhaustif, les réactions de Paul Martial dans son texte, intitulé « Sur le soutien de Samir Amine à l’intervention militaire de la France au Mali » (30 janvier 2013), et celles de « Communauté : les anti - capitalistes », dans leur texte intitulé « Ex-gauche anti guerre en Occident et gauche anti impérialiste au Sud », signé par Bruno Drweski et Jean Pierre Page.

A la lumière de ces critiques, l’on peut se rendre compte que la crise au Mali a montré de façon stupéfiante, à quel degré d’aveuglement idéologique une frange de la gauche peut elle être encore atteinte, alors que l’on espérait qu’on s’en était guéri définitivement, après la chute de la « muraille de Chine », suivie de celle du « mur de Berlin » et de l’effondrement du camp socialiste en Europe de l’Est. Mais rien n’y fait. Elle continue d’analyser les crises, partout dans le monde, du point de vue des visées impérialistes, sans tenir compte des rapports de forces et des enjeux de pouvoirs que comportent ces crises dans les pays concernés par ces visées.

C’est ainsi que ce qui se passait dans les pays de l’Est ne les intéressait pas. Ils ne voyaient dans les problèmes connus dans ces pays que de la subversion impérialiste. Ce sont ces mêmes œillères idéologiques qui sont aujourd’hui portées pour analyser la crise au Mali et l’intervention militaire française dans ce pays, pour n’y voir que la continuation, par le gouvernement socialiste de François Hollande, de la politique néocoloniale française dans ce pays. Pourtant, une simple analyse de la chronologie du déroulement des évènements au Mali, qui ont occasionné cette intervention, aurait pu les aider à faire une lecture plus conforme à l’idéal de gauche dont ils se réclament.

CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS

- 24 janvier 2012 : massacre, à Aguel Hok, de 80 soldats maliens, prisonniers de guerre suite au déclenchement d’une rébellion armée au Nord Mali par le Mouvement de Libération Nationale de l’Azawad (Mnla).
- Février : débandade de l’Armée malienne abandonnant le nord du Mali au Mnla, devenu allié de Ansar Dine pour préparer l’indépendance de l’Azawad et manifestations populaires à Bamako et à Ségou, des familles des militaires et des jeunes pour dénoncer l’impuissance du chef de l’Etat, voire sa complicité même.

- 26 février, soit un mois après le déclenchement de la rébellion, voyage de Alain Jupé, ministre français des Affaires étrangères sous Sarkozy, à Bamako, pour convaincre le chef d’Etat malien de ne pas organiser une riposte militaire pour libérer le Nord, mais de privilégier un « dialogue inclusif » pour résoudre la crise par des négociations, tout en gardant le cap sur les préparatifs pour la tenue des élections présidentielles à date échue.

Ainsi, l’agression contre le Mali, la remise en cause de son intégrité territoriale par le Mnla considéré comme mouvement laïc, allié à Ansar Dine, considéré comme « islamistes modérés » et à des jihadistes étrangers (Aqmi et Mujao), ainsi que les traitements inhumains et dégradants qu’ils infligeaient aux populations locales non acquises à leur cause, n’avaient suscité ni en France ni au niveau de la Cedeao, la nécessité d’une intervention militaire au Mali, ou d’une désapprobation quelconque des Usa, et ou des organisations de gauche, en Occident, à plus forte raison, celle des organisations de défense des droits humains.

Donc, rien que ce rappel devrait suffire pour convaincre notre « gauche anti guerre » que ni les intérêts néocoloniaux de la France, ni ceux impérialistes des Etats Unis n’étaient en cause dans cette crise au Mali. A moins de nous faire croire que la France sous Sarkozy n’était plus néocoloniale et les Usa avaient cessé d’être impérialistes !

Ce qui a fait changer d’attitude ces puissances impérialistes dans cette crise au Mali, est venu un mois après la visite de Jupé, et deux mois après le déclenchement de la rébellion.

En effet, le 21 mars, un groupe de jeunes soldats, autour du capitaine Sanogo, renversait le gouvernement du président Amadou Toumani Touré (ATT) et mettait en place un « Comité national » pour redresser l’armée malienne en déconfiture avancée, en vue de la restauration de l’intégrité territoriale du pays, et créer les conditions d’élections libres, démocratiques et transparentes. Les « gardes rouges » du chef de l’Etat déchu, tous formés aux Usa, au même titre que le Capitaine Sanogo, incapables de s’opposer aux putschistes pour restaurer le pouvoir du Président ATT, n’ont trouvé rien d’autre que de rejoindre, pour une bonne partie, les rangs de la rébellion avec armes et bagages, et pour d’autres, lourdement armés, de se retrancher dans un camp militaire près de Bamako, dans l’espoir de restaurer le pouvoir de leur mentor, sous la pression conjuguée, sur les putschistes, de la France, des Usa et de la Cedeao.

La condamnation internationale des putschistes n’a pas tardé, pour avoir osé interrompre le processus électoral qui était en phase finale, pour créer les conditions de libération du Nord de leur pays et mettre fin aux exactions que subissent leurs populations. C’est dans ce but que la Cedeao prit immédiatement des mesures de sanction contre la junte, et décrétait l’embargo contre le Mali, tandis que la France et les USA interrompaient leur coopération militaire, et exigeaient le départ de la junte et la reprise du processus électoral, avant de s’occuper de la crise au Nord Mali. Cette attitude hostile à la junte, fut perçue par la rébellion comme un encouragement à aller plus loin.

C’est ainsi qu’elle proclama immédiatement l’indépendance de l’Azawad. Les touaregs du Mnla et de Ansar Dine, qui ont proclamé l’indépendance de l’Azawad, ne sont pourtant pas représentatifs du peuple touareg qui, lui-même, avec les Arabes et les Bellahs, ne font que 11,6% de la population du Nord Mali qu’ils ont dénommé Azawad. C’est donc une minorité, au nom d’une minorité ethnique, qui s’adjuge le droit de gouverner les peuples du Nord Mali, en remettant aussi en cause le processus électoral, au même titre que les putschistes l’ont fait. Mais aucune sanction contre cette rébellion n’a été prise, alors que tous les efforts ont été entrepris pour empêcher les putschistes de matérialiser leur ambition de libérer le Nord de leur pays. C’est dans ce cadre que la Cedeao avait fait bloquer les armes, pourtant commandées par l’ancien régime, aux ports d’Accra et d’Abidjan.

La libération du Nord Mali et la lutte contre les Jihadistes étaient donc le cadet de leur souci. Ce qui comptait à leurs yeux, c’était de bouter hors du pouvoir les putschistes, pour permettre à leurs hommes liges de revenir au pouvoir à travers des élections qui excluent une partie des citoyens maliens du Nord, laissés sous le contrôle de la rébellion. Ce serait une partition de facto du Mali, entre le sud, où le président élu n’aura aucune légitimité électorale sur un nord, où une nouvelle République est proclamée, dont les populations, exclues des élections, ne peuvent plus être considérées comme des Maliens.

La résistance de la junte contre ce projet de légitimation électorale de la partition du Mali lui conférait un caractère de libération nationale, qui méritait le soutien de la gauche et de tous les démocrates du monde. Mais cette aspiration à la défense de la souveraineté du peuple malien et de l’intégrité de son territoire, était passée inaperçue, du fait que tous les « prophètes en flatteries », qui savent si bien prendre demeure dans les cabinets présidentiels et les chancelleries, et tous les spécialistes français de l'Afrique qui occupent les médias jusqu'à l'assourdissement de masse entretenue par la presse internationale, tous vantaient les mérites du régime ATT comme modèle à suivre. Ils n’ont jamais voulu voir que dans son fond, ce régime n'était qu'un système qui vidait l'État, la République et la démocratie de leur substance éthique, et que le processus électoral pour lequel les grandes puissances et la Cedeao justifient leur hostilité à la junte s’est depuis longtemps discrédité aux yeux des populations, dont l’énormité du taux d’abstention aux élections illustrait cette défiance.

L’attitude au sein de la Cedeao, hostile à la junte au Mali, était incompréhensible par rapport à celle qu’elle affichait face à la junte en Guinée Bissau. En effet, elle avait accepté que la junte de Bissau participe à la transition dans ce pays, pendant qu’elle en exclut totalement la junte malienne ! Cette attitude de « deux poids et deux mesures » ne heurtait pas les républicains et démocrates d’Afrique et du monde, à plus forte raison, la « gauche anti guerre » d’Occident ! Cette attitude de la Cedeao ne peut se comprendre que si l’on considère les enjeux géostratégiques de la crise au Mali.

LES ENJEUX GEOSTRATEGIQUES DE LA CRISE AU MALI

POUR LES USA
Le Nord Mali fait partie du projet du « Grand Orient « des Usa, qui vise à déconnecter l’Afrique du Nord du reste du continent pour la rattacher au Moyen Orient afin d’en faire une même zone géostratégique qui inclue l’Algérie, l’Égypte, l’Iran, l’l'Irak, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc, la syrienne, la Tunisie, le Yémen. Le succès de la mise en œuvre de ce projet peut se mesurer par le fait que jusqu’ici, au Moyen Orient, les Usa sont parvenus à substituer la lutte entre « islamistes modérés » que représenterait la Turquie, et « islamistes radicaux » que représenterait l’Iran, à la lutte « pan arabe contre l’impérialisme ». C’est cette substitution qui met les Usa, peu à peu, du côté des « modérés » contre les « radicaux » et les présentent comme un « allié des bons contre les méchants », et la France, y cherche sa place selon les circonstances.

COMMENT LA FRANCE A TENTE DE S’AJUSTER ?
Chirac a refusé de participer à la guerre d’Irak pour tenter, en vain, de mettre en échec ce projet qui voyait en ce pays le premier verrou à faire sauter. Cette attitude de Chirac, dans la pure « tradition d’indépendance gaulliste » vis-à-vis de la géostratégie étasunienne, avait fortement grandi la France aux yeux de la gauche et de l’opinion publique internationale, sans pour autant en faire un pays anti impérialiste. En effet, il s’est abstenu de soutenir militairement le régime de Sadam Hussein, et une fois la guerre déclenchée, il s’est abstenu de le faire diplomatiquement au sein de l’ONU pour exiger la fin de ce qui était perçu comme une agression américaine contre le peuple Irakien. C’est un tel engagement, qu’il n’a pas pris, qui lui aurait donné le « statut d’anti impérialiste » dans cette sale guerre.

De même, Sarkozy avait essayé, dans un premier temps, d’incarner cette tradition en proposant, pour contrer ce projet US, la création de l’ « Union des peuples de la Méditerranée » (Upm), y compris Israël, malgré les réticences de l’Europe et l’hostilité de l’Allemagne. Mais son projet, à cause d’Israël, se heurtait à l’hostilité de la Lybie et aux réticences de l’Algérie alors qu’il bénéficiait du soutien inconditionnel de Ben Ali de Tunisie. C’est la chute de Ben Ali, emporté par le « printemps arabe » sous les applaudissements des Usa, qui a sonné le glas à son projet, et l’a obligé de succomber aux « forces pro – atlantistes de la Droite Française », pour s’aligner sur celui des Usa après leur soutien sans faille dans la crise en Côte d’Ivoire.

Sarkozy se convertit ainsi au projet du « Grand Orient » des Usa, et faisait tout pour ne pas être derrière la Grande Bretagne dans cette alliance stratégique au sein de laquelle la France, depuis Chirac, avait trainé les pieds. D’où son engagement en première ligne dès qu’il a compris que la Lybie, qu’il a tant courtisée dans son projet de l’Upm, était le prochain verrou à faire sauter dans le cadre de la mise en œuvre du projet US du « Grand Orient ».

Dans le cadre de ce projet, la France voyait dans le Mnla, au Mali, un allié majeur pour défendre ses intérêts, non pas ce pays, mais au Niger avec l’uranium, tandis que les Usa tablaient sur des « islamistes modérés », comme en Tunisie et en Egypte, pour y matérialiser son option stratégique. Ce sont les touaregs, laïcs du Mnla et les « islamistes modérés» d’Ansar Dine, lourdement armés en Lybie, qui, sous la pression de la France et des Usa, ont été autorisés par ATT à rentrer au Mali avec armes et bagages. Ce qui était donc en cours au Mali, ce n’était nullement un projet de recolonisation de ce pays par la France sous l’œil bienveillant des Usa, mais bien le projet US du « Grand Orient » en collaboration avec la France sous Sarkozy.

La gauche devrait donc intégrer sérieusement ce projet dans ses analyses sur les crises au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Car, quand on ignore ce projet, l’on ne comprend ni celui de Sarkozy de promouvoir l’Upm, encore moins l’évolution de la position française impulsée par Hollande sur le dossier malien.
La Banque mondiale, de son côté, l’a déjà intégré dans sa politique envers l’Afrique et le Moyen Orient, en créant une sous région appelée « Midle Est/North Africa » ou (Mena). Et pour montrer que ce projet est au cœur de la géostratégie des Usa dans cette partie du monde, l’Etat américain a créé au sein de son National Security Council une direction dénommée Direction of Near East and North Africa Affairs », sous la responsabilité de Bruce Riedel, qui est un conseiller, en politique étrangère, du président Barack Obama. Il n’y a, ni en France ni ailleurs chez les puissances occidentales, l’équivalent d’une telle institution de cette importance, à un si haut niveau de l’Etat. Ce projet, au plan militaire, a donné naissance à Africom qui est distinct de l’Otan, pour mieux orienter ses interventions militaires en conformité avec les objectifs du « Grand Orient ».

C’est ainsi que l’Otan cible l’Afrique du Nord et le Moyen Orient, d’où son implication directement en Lybie et en Syrie par le biais de la Turquie, alors qu’Africom n’est destiné que pour le reste du continent africain, afin de « protéger l’accès aux hydrocarbures et autres ressources stratégiques abondantes en Afrique, à protéger la vulnérabilité de ces richesses naturelles, et s’assurer qu’aucune tierce partie comme la Chine, l’Inde, le Japon, ou la Russie n’obtiennent des monopôles ou des traitements de faveur », comme le disait en 2007, un conseiller du Département d’Etat étasunien, Dr J. Peter phamen. (Nile Bowie, Covert Ops in Nigeria : Fertile Ground for Us Sponsored Balkanization, Global Research, 11 avril 2011).

Même au plan économique, ce sont les Usa qui ont les plus gros intérêts au Mali, suivis par la Chine et le Japon, et contrairement à l’opinion ambiante, la France n’est que le quatrième partenaire du Mali. Tant au niveau des importations de ce pays qu’au niveau de ses exportations. C’est ainsi que pour les importations en 2011, avant la crise le premier fournisseur du Mali est les Usa avec 2236 millions de dollars Us, suivis de la Chine avec 1734 millions de dollars Us, du Japon, avec 808 millions de dollars Us. La France pointe loin en quatrième position, avec 689 millions de dollars Us.

De même, le premier destinataire des exportations du Mali est la Chine, avec 1904 millions de dollars, suivie des Usa avec 1497 millions de dollars, du Japon, avec 788 millions de dollars et la France pointe encore loin en quatrième position avec 587 millions de dollars. Donc, croire un seul instant que la France a plus d’intérêts économiques à défendre au Mali que les Usa ou la Chine, qui auraient motivé sa politique vers ce pays, ne repose sur aucun fait, mais relève plutôt d’une vision désincarnée de la politique néocoloniale de la France en Afrique.

POURQUOI LE MALI DANS CE PROJET US ?

Depuis la chute de Khadafi, l’Algérie savait qu’elle était le verrou suivant à faire sauter dans la mise en œuvre de ce projet Us. Elle a usé de tous ses moyens pour résister aux conséquences du « printemps arabe » alors que l’Egypte, qui ne s’y était pas préparée du fait qu’elle n’était pas considérée par les Us comme un verrou pour ce projet, y a succombé. Donc, c’est par l’Azawad qu’il faillait arriver à faire sauter le verrou algérien. Or, l’Algérie avait toujours cherché à isoler le Mnla et, et par la suite Ansar Dine, de ce projet de déstabilisation de son pays, en jouant le rôle de facilitateur pour les réconcilier avec le pouvoir de Bamako dans le but de préserver l’intégrité territoriale de ce pays et éviter l’avènement du « Etat Touareg » à ses frontières. C’était sa stratégie pour isoler Aqmi et le Mujao pour mieux les combattre, et préserver l’intégrité de son propre territoire. C’est ce que certaines analyses superficielles présentaient comme une « un double jeu » algérien dans la crise au Nord Mali.

La position de la France par rapport au projet Us de faire sauter le verrou algérien était ambivalente, du fait que ce pays est le premier partenaire commercial de la France en Afrique et le troisième débouché pour les exportations françaises hors Ocde, de même qu’il joue , au plan politique, un rôle stratégique visant à isoler Aqmi et le Mujao pour mieux les combattre ; ce qui mettrait fin à leur menace sur ses intérêts et sur ses citoyens au Niger .

L’importance stratégique du Mali dans le projet Us se vérifie en jetant un coup d’œil sur sa position géographique. En effet, l’on y découvre que ce pays à des frontières à l’Ouest avec la Mauritanie de 2 237 km, au Nord avec l’ Algérie de 1 376 km, au Nord Est, avec le Burkina Faso de 1 000 km, avec le Niger de 821 km, au Sud, avec la Guinée de 858 km, la Côte d'Ivoire de 532 km et le Sénégal de 419 km.

La rébellion des Touaregs, lourdement armés et venus de Lybie pour constituer un Etat indépendant au Nord du Mali, était donc la voie royale pour couper l’Afrique du Nord du reste du continent, et faire sauter le verrou algérien.

Le coup d’Etat du capitaine Sanogo, le 21 mars, remettait en cause ce processus qui déstabilisait le Mali et favorisait l’irrédentisme au Nord. C’est la raison pour laquelle les Usa, la France et leurs hommes liges qui sont aux commandes de la Cedeao, se sont mis en branle bas de combat pour chasser ce fauteur de trouble impénitent, qualifié d’ « aventurier sans projet », tout en sachant que l’acte de ce « petit soldat » qui contrecarre leur projet est aussi un projet alternatif en mesure de mobiliser, contre eux, les patriotes, républicains, démocrates et les anti impérialistes. Non seulement au Mali, mais aussi dans la sous région, en Afrique, et dans le monde entier. Même après l’acceptation du capitaine Sanogo de la désignation du président de l’Assemblée nationale comme président de transition, pour être en conformité avec la Constitution, la France, les Usa et la Cedeao s’appuyaient sur les anti-putschistes pour maintenir un climat de déstabilisation du Mali, tout en l’empêchant de s’armer pour faire face à la rébellion, afin de créer les conditions de son départ du pouvoir.

Il n’y avait donc pas d’absence, ni de vacance du pouvoir constitutionnel, mais c’est la place que ces militaires putschistes occupaient dans ce pouvoir, avec leur projet alternatif de libération du nord de leur pays, à la place de la tenue d’élection qui exclut une partie de leur peuple vivant au Nord du pays, que la France, les Usa et la Cedeao appuyés par les anti putschistes, ne voulaient pas, et faisaient tout pour les chasser, quitte à envoyer des troupes de la sous région pour leur faire la guerre !

C’est cette guerre - là qui serait néocoloniale et impérialiste. Et le président du Sénégal nouvellement élu, Macky Sall, refusait d’y participer et proposait comme alternative l’envoi, auprès de l’armée malienne, d’un appui en formation et en équipement pour l’aider à libérer le Nord de son pays et restaurer l’intégrité de leur territoire et la souveraineté de leur peuple. Mais curieusement, aucune voix de la « gauche anti guerre » n’a été audible sur cette question durant la période. Au contraire, ce silence indiquait qu’elle a été aussi victime de la propagande officielle relayée par les médias internationaux, sur l’impératif de tenir, d’abord, de nouvelles élections, et ensuite, d’amener le nouveau pouvoir à négocier avec la rébellion. La guerre qui se préparait donc n’était pas dirigée contre la rébellion avec laquelle il fallait négocier, mais contre l’armée malienne dirigée par le capitaine Sanogo qui refuse de légitimer, par la voie des urnes, le projet de partition de son pays.

C’est ce que vient de reconnaître, honteusement, le président sortant de l’Union africaine (Ua), Thomas Yayi Boni, en répondant à la question suivante du journaliste François Clément dans le « Journal du Dimanche » du vendredi 8 février 2013 : « Pourquoi avez-vous mis tant de temps entre mars 2012 et janvier 2013 pour réagir à la mainmise des « jihadistes » sur le Nord Sahel? »

Réponse : « C’est vrai que nous avons perdu du temps. Mais nous avons cru un moment à la bonne foi de ceux qu’on présentait alors comme des rebelles et que la situation était très confuse entre toutes ces bandes armées que sont Aqmi, Le Mujao, Ansar Dine et le Mnla. C’est ce dernier groupe qui a tout de même décidé de proclamer l’indépendance de la République de l’Azawad au Mali. On pensait qu’il y avait une possibilité de dialogue et un retour possible à la démocratie après le putsch du capitaine Sanogo. Finalement, les faits nous ont donné tort, puisque une fois installés ces terroristes ont déclaré la guerre au monde entier. Après quoi, nous avons perdu du temps également pour faire adopter une résolution aux Nations unies du fait de nos divisions entre Africains, mais aussi des divisions qui traversaient la communauté internationale toute entière. Heureusement que la France est intervenue pour faire cavalier seul et stopper les terroristes qui menaçaient de prendre Mopti puis Bamako. Nous devons en tirer les leçons pour nous réorganiser et devenir plus responsables dans la gestion des crises qui affectent notre continent. »

Même dans cet aveu, il a évité de préciser qui a abusé de leur bonne foi en leur présentant la rébellion comme des gens avec qui il était possible de « dialoguer », même en reconnaissant que c’est le Mnla qui a « décidé de proclamer l’indépendance de la République de l’Azawad ». Il reconnaît aussi, qu’ils ont perdu du temps, même après que les « terroristes une fois installés ont déclaré la guerre au monde entier », en évoquant vaguement, pour se justifier, les « divisions entre africains mais aussi des divisions au sein de la communauté internationale » pour faire adopter une résolution à l’ONU, sans préciser les motifs de ces « divisions ».

Il est cependant indéniable que le Sénégal ne voulait pas envoyer des forces combattantes dans le cadre de la Cedeao pour déloger les putschistes, sous prétexte de « restauration de l’ordre républicain », que l’avènement de Madame Zuma à la tête de la Commission de l’Union Africaine, posait des problèmes de pilotage politique de la crise au Mali avec la Cedeao. Mais aussi, le refus de la Chine et de la Russie d’avaliser par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, d’envoyer des troupes africaines pour déloger les putschistes, empêchait toute perspective d’actions internationales dans ce sens.

C’est à cet enlisement que Hollande avait décidé de mettre fin, en faisant évoluer la position de la France sur ce dossier, pour proposer de privilégier la libération du Nord Mali sur la reprise du processus électoral, qui passe immanquablement par la chasse des putschistes. Ce revirement de la France, qui conforte les positions des putschistes et du Sénégal, avait pris de court les Usa, la Cedeao et le Président de l’Ua, Thomas Yayi Boni, et les anti putschistes maliens, et rejoignait les positions de la Chine et de la Russie au Conseil de Sécurité, sur le dossier malien.

Hollande prenait donc l’exacte mesure des menaces que cet enlisement faisait courir à la France, sur la sécurité de son approvisionnement en uranium du Niger, et sur la sécurité de ses ressortissants dans ce pays qui ont déjà fait l’objet d’enlèvement par ces groupes terroristes. En effet, au Niger se trouve au cœur de l’Aïr, à Arlit, la mine d’uranium souterraine la plus vaste du monde qui produit 3.000 tonnes de minerai chaque année et dont la capacité sera doublée à partir de 2014. Le Niger est donc un pays éminemment stratégique pour Areva, dont le capital est public à 87%, qui y tire plus du tiers de sa production mondiale (35%). Cette exploitation est indispensable à ce numéro un mondial du nucléaire, pour un pays qui n’a pas d’uranium dans son sol, et à « Electricité De France » (EDF), dont cet uranium alimente plus du tiers de ses centrales nucléaires qui fournissent plus de 70% de l’électricité dans ce pays. Cette exploitation est aussi hautement rentable pour Areva, qui ne verse qu’environ 100 millions d’Euros par an au Niger, contre d’énormes bénéfices, qui, en 2010, atteignaient 883 millions d’euros !

Donc, supposer que la France, premier exportateur d’énergie nucléaire au monde sans avoir d’uranium sur son sol, pouvait laisser pourrir d’avantage la situation au Nord Mali, sans perspectives de solution rapide, serait un aveuglement difficilement qualifiable. Le revirement de la position de Hollande est donc plutôt dictée par les menaces qui pèsent sur les intérêts des entreprises françaises et des ménages français sur leur fourniture en électricité en France même, que sur les intérêts de sa cinquantaine d’entreprises au Mali, qui ont moins à perdre dans ce pays, que les entreprises américaines, chinoises ou japonaises !

Mais ce revirement de la France, auquel s’opposaient fortement les Usa, n’a pu produire au Conseil de Sécurité des Nations unies, qu’un compromis boiteux qui autorise l’action militaire pour aider l’armée malienne à libérer le nord Mali par l’envoi d’une force africaine au Mali, mais aussi l’organisation d’élections pour restaurer l’ordre constitutionnel. Ce compromis concédé par la France aux Usa, qui fixait un calendrier précis pour les élections, et n’en fixait aucun pour l’intervention militaire, était alors perçu par la rébellion, comme un nouvel encouragement à consolider ses acquis sur le terrain pour descendre sur Bamako, ou pour pouvoir négocier en position de force plus avantageuse.

Le Mali retournait ainsi à la situation qui avait motivé le putsch du 21 mars 2012 ; ce qui avait occasionné une nouvelle tension entre le président intérimaire qui acceptait ce compromis bancal et la junte qui la rejetait fermement. L’ombre d’un nouveau coup d’Etait assombrissait le ciel malien, pendant que la rébellion prit Konna, pour s’ouvrir la porte de Mopti, ville stratégique pour la conquête de Bamako, et atout majeur pour les négociations éventuelles dans l’a venir. C’est donc face à cette nouvelle situation que la France, sous prétexte d’appel du président intérimaire, prit la décision d’envoyer l’« Opération Serval », pour contribuer à la libération du Nord Mali au près de l’armée malienne et des autorités de la Transition. C’est cette intervention que la « Gauche anti guerre » en Occident, a taxée d’impérialiste, de néocolonialisme, et de soutien aux suppôts locaux de la Françafrique, en confortant ainsi, dans l’opinion, les positions des Usa, qui voulaient d’abord chasser les putschistes, organiser des élections et amener les nouvelles autorités à négocier la paix avec Ansar Dine, taxé « d’islamiste modéré », qui était parvenu à éjecter le Mnla du Nord Mali, après s’être allié à lui, à Aqmi et au Mujao et au Mujao, pour y chasser l’armée malienne.

L’« Opération Serval », qui réhabilite les autorités de la transition et de l’armée malienne, dans le processus de libération du Nord de ce pays, ne pouvait donc être perçus par les Usa que comme un coup de poignard dans leur dos. Les pays membres de la Cedeao sont ainsi obligés, à leur corps défendant, et sans y être préparés, de quitter leur manœuvre contre la junte, pour s’aligner derrière l’intervention française, afin d’éviter de perdre totalement leur face devant l’opinion africaine et internationale.

Même l’Algérie qui, pour des raisons de sécurité intérieure, refusait toute intervention militaire pour privilégier le dialogue avec le Mnla et Ansar Dine, pour isoler les « islamistes algériens » dans Aqmi et le Mujao, afin de mieux les combattre, a dû réviser sa position devant l’ « Opération Serval ».

D’où sa décision de permettre à la France de survoler son territoire et le sens et la portée de la Déclaration du porte parole de son ministère aux Affaires étrangères, Amar Belani, en ces termes : « C’est une décision souveraine du Mali qui a demandé de l’aide aux puissances amies pour renforcer ses capacités nationales de lutte contre le terrorisme ».

Dans ces nouvelles conditions, le Sénégal qui s’était longtemps refusé d’envoyer des troupes combattantes dans le cadre de la force armée de la Cedeao (Misma), pour ne pas se présenter en « ennemi » aux yeux du peuple malien et de son armée, ne devait plus se contenter de cette position qui l’avait grandi durant la période. D’où sa décision courageuse d’envoyer, auprès de l’armée malienne, des forces combattantes de 500 éléments.

Dès lors qu’il ne s’agissait plus de combattre la « junte » pour ramener l’armée malienne dans les casernes afin de pouvoir « rétablir l’ordre constitutionnel », mais de libérer ce peuple agressé et martyrisé, et de défendre la République démocratique et laïque dans pays, le Sénégal devrait se faire un devoir patriotique de mobiliser ses forces de sécurité et son peuple, pour contribuer à la réalisation de cet objectif, dont dépendent, de beaucoup, sa propre sécurité, sa stabilité et la sauvegarde de ses conquêtes républicaines et démocratiques.

Cependant, le professeur Samir Amine avait bien raison de s’interroger, dans son texte de janvier sur le Mali qui lui a valu tant de critiques infondées, jusqu’où Hollande ira dans cette rupture d’alliance stratégique avec les Usa. C’est pour cette raison que, fragiliser cette rupture au Mali par des considérations idéologiques injustifiées, causées par le refus de prendre en considération la différence stratégique entre Sarkozy et Hollande dans la crise malienne, serait le meilleur moyen d’encourager les « pro – atlantistes », qui font légion dans le Parti socialiste, à reprendre du poil la bête pour arrêter l’ « Opération Serval » avant la libération totale du Nord Mali, sous prétexte de risques d’enlisement de son intervention, non soutenue militairement par les autres grandes puissances.

Ils ont même eu recours, dans cet optique, au rappel des coûts financiers de cette intervention, qui coûterait 1,2 millions d’euros par jour à la France, soit 800 millions d’euros, si l’ « Opération Serval » devait durer un an, en occultant, les bénéfices de 883 millions d’Euros d’Areva, et la sécurité de l’approvisionnement des entreprises et des ménages en France.

Hollande, qui a profité de cette intervention pour déployer des « Forces spéciales au Niger » pour protéger les sites d’Areva, a clairement montré où est l’enjeu véritable de l’ « Opération Serval ».

Le rejet de cette intervention par le secrétariat général de l’Oci, au moment où son président en exercice, le chef de l’Etat du Sénégal, y participe par l’envoi de troupes combattantes, les critiques qui émanent des pays arabes du Golfe et des pays d’Afrique du Nord sous régime islamistes dits « modérés », et l’attitude ambivalente de la Mauritanie, laissent présager un puissant soutien de ceux-ci à la rébellion, pour imposer l’arrêt de cette intervention et l’ouverture de négociations.

C’est dans cette perspective que semble s’orienter maintenant le Mnla, qui vient de déclarer sa volonté d’aider la France à combattre les Islamistes, et non, d’aider le gouvernement de transition pour libérer le Nord. C’est aussi dans cette optique qu’une fraction d’Ansar Dine, le « Mouvement Islamique de l’Azawad » ( Mia) se déclare prête à rompre avec les « terroristes », pour prêter main forte à la France, et non au gouvernement de transition. L’on prépare ainsi, des « interlocuteurs crédibilisés » pour imposer des négociations.
C’est ce risque que font courir au peuple malien, tous ceux qui se mobilisent pour crier à la « néo-colonisation » du Mali, et à indexer comme « valet de la France », ceux qui, comme le Sénégal, ont décidé de s’impliquer, totalement, auprès du gouvernement de transition du Mali et de son armée, ou comme le professeur Samir Amine qui appuie cette intervention. Ils dédouanent, en fait, l’attitude des Usa qui refusent d’appliquer la résolution de l’Onu visant à apporter un soutien logistique à l’armée malienne, et qui se contentent de louer à la France des moyens de transports pour convoyer ses troupes et son matériel au Mali.

De même, ils exonèrent la Cedeao et l’Union africaine, qui traînent les pieds et se réfugient derrière un financement de l’Onu pour éviter d’accomplir leur devoir de solidarité envers le peuple malien agressé, torturé et menacé de partition de son territoire, comme ce fut le cas du Soudan. Une telle réorientation de l’ « Opération Serval » risque de transformer la force drançaise « d’intervention » en une force « d’ interposition », pour permettre la négociation de la partition du Mali, comme moyen de se réconcilier avec la stratégie américaine dans la région. Mais apparemment, Hollande ne veut pas de ce risque, tout en s’inclinant devant les critiques de cette intervention, pour décider de procéder au retrait de ses troupes en mars –avril, alors que le territoire malien n’est pas encore totalement libéré, pour céder la place, non pas à l’armée malienne empêchée de rentrer dans Kidal à la demande du Mnla et du Mia, mais à une force onusienne de maintien de la paix !

Si ce revirement se matérialise, les « pro atlantistes » du Parti socialistes auraient repris le dessus sur les forces de « tradition gaulliste », en alignant la France sur les objectifs stratégiques du « Grand Orient » des Usa, comme Sarkozy le fit après la perte de son allié tunisien et l’appui des Usa à sa reconquête de la Côte d’Ivoire. L’ « Opération Serval », après avoir permis de sécuriser les intérêts Français au Niger, se transformerait ainsi en son contraire, pour céder aux pressions visant, non pas la restauration de l’intégrité territoriale du Mali et la souveraineté de ce peuple, mais sa partition de fait, à la suite de négociations avec la rébellion touareg. C’est dans cette direction que semble maintenant s’inscrire les retrouvailles franco – américaines scellées durant le séjour du vice-président américain Joe Biden à Paris, qui aurait même sollicité l’accord de la France pour installer des « Drones » au Niger !

Ce n’est donc pas le Mali qui est visé par une recolonisation de la France, mais bien le Niger. Le Mali serait menacé d’être transformé non pas en « sahélisan » en référence à la situation en Afghanistan, mais bien en « Goma » de la République démocratique du Congo, avec des forces onusiennes qui serviront de garant à une « République Azawad» autonome, dans un premier temps, et indépendante ultérieurement, sous la houlette du Mnla et du Misma, qui occupent Kidal et qui coopèrent avec l’armée française pour traquer les islamistes radicaux de Ansar Dine, Aqmi et du Mujao. C’est pour cette raison, que les autorités de la transition et de l’armée malienne ont tiré la sonnette d’alarme pour exiger la libération totale de leur territoire afin de restaurer la souveraineté de leur peuple sur leur pays, et le désarmement des rebelles, comme préalables à l’ouverture d’un quelconque dialogue.

L’armée française devrait être interpelée pour qu’elle cesse d’empêcher l’armée nationale du Mali de se déployer sur toute l’étendue du territoire de son pays pour contribuer, à ses côtés, à la libération totale du Nord Mali, avec ou sans les Tchadiens. Le blocage de l’armée malienne à Gao et à Tombouctou laisse présager d’un projet de ligne de démarcation militaire entre ce qui resterait de la République du Mali et la « République de l’Azawad », qui devrait être entérinée par des négociations.

Le prétexte utilisé pour justifier cet acte injustifiable est une insulte à l’intelligence humaine. En effet, il est fondé sur les exactions que l’armée malienne risque d’exercer sur les Touaregs de race blanche pour prendre leur revanche ! Mais où étaient donc cette armée française, le gouvernement français et les organisations de défense des Droits humains, quand le Mnla et Ansar Dine mutilaient, flagellaient publiquement des citoyens maliens et violaient les femmes ? Qui avait parlé d’exactions raciales étant donné que toutes les victimes sont des Noirs ? Est-ce que les Français, à la libération en 1945, avaient épargné les « collabos » et tous ceux qui se sont enrichis en faisant des affaires avec les nazis ? Le gouvernement Français, en guise de représailles, n’avait- il pas nationalisé les grandes entreprises qui collaboraient ? Pourquoi voudrait- on donc qu’il en soit autrement au Mali ? Comment la France peut elle protéger les traitres et les auteurs de traitements inhumains et dégradants pour leur assurer l’impunité ? Ce qui est aussi véritablement scandaleux, c’est la confusion qui est entretenue, par les médias français, entre les rebelles du Mnla et de Ansar Dine avec l’ethnie Touareg, tout en évitant de faire la même confusion en Corse, où les « indépendantistes » sont soigneusement distingués du peuple corse et traqués sans merci. « Vérité d’un côté des Pyrénées, Mensonge au-delà ? »

Une telle inflexion serait le contraire des objectifs pour lesquels le président par intérim avait sollicité l’intervention de la France, et pis encore, un détournement inacceptable de la résolution de l’Onu qui fixe à l’intervention étrangère l’objectif d’aider l’armée malienne à libérer totalement le Nord du pays pour y restaurer la souveraineté du peuple malien. C’est pourquoi il faudrait saluer et soutenir le courage des autorités de transition du Mali, qui viennent de lancer un mandat d’arrêt contre les dirigeants du Mnla et de Ansar Dine pour atteinte à l’intégrité territoire du pays, et pour traitements inhumains et dégradants des citoyens maliens, et pour viols. La France et son armée, la Cedeao, l’Union africaine et l’Union européenne, sont ainsi interpellées, pour aider à arrêter et à juger les auteurs et commanditaires de ces actes lâches et barbares.

L’armée malienne a historiquement montré qu’elle a la capacité militaire de venir à bout de la rébellion, pour peu que les autorités politiques acceptent de s’y mettre, sans recourir à des forces extérieures. C’est ainsi qu’elle a triomphé de la rébellion de mai 1963 à Avril 1964, quand la France utilisait la question Touareg pour déstabiliser le régime de Modibo Keita ; lors de l’attaque de la « caserne de Menaka » en de mars –juin 1990, sous la dictature de Moussa Traoré et lors de la « prise de Kidal et Menaka » en mai 2006, sous le premier mandat de ATT. Ce n’est qu’avec la déliquescence de l’Etat malien, entamé depuis Alpha Oumar Konré, et aggravée sous le second mandat de ATT, que les forces armées maliennes sous équipées et démoralisées par les effets de la corruption et du trafic des drogues, qui n’ont pas épargné sa haute hiérarchie, qu’elle a été incapable de faire face à l’agression de janvier 2012.

La libération du Nord Mali nécessitait donc la restauration rapide de ses capacités en équipement et en en logistique, que la Cedeao, sous injonction de la France sous Sarkozy et des Usa, a empêché en décrétant un embargo sur le pays et en bloquant ses armes commandées dans les ports de Accra et de Guinée Conakry. Et même l’Union africaine, en décidant de contribuer au financement, sur fonds propres, de la « Force africaine » d’appui à l’armée malienne pour libérer le Nord du pays pour 45 millions d’Euros, n’y a réservé que 5 millions pour l’armée malienne !

Ce faisant, l’Union Africaine venait de rater l’opportunité historique de créer autour du Mali, de l’Algérie, de la Mauritanie, du Niger , du Burkina et du Sénégal, une véritable force militaire sous régionale en mesure de prendre le relais de l’ « Opération Serval », et des Forces spéciales françaises déployées au Niger, pour libérer définitivement le Nord Mali, et y assurer une sécurité durable, qui seule pourrait garantir leur indépendance nationale respective, et ouvrir la voie à leur intégration politique et économique, comme un premier pas significatif vers l’Unité Africaine, fortement menacée par le projet étasunien du « Grand Orient ».

Dans cet optique, la contribution de l’Afrique du Sud et de l’Angola au renforcement des capacités militaires de cette force sous régionale permettrait au Nigéria de cesser d’y jouer le « gendarme » à la demande des grandes puissances occidentales, pour se consacrer à l’éradication des « islamistes radicaux » dans son propre pays, comme une contribution majeure à la sécurisation du continent.

Ce sont donc ces considérations, qui sont maintenant à l’ordre du jour, qu’il ne faudrait pas noyer dans des considérations idéologiques fondées sur une vision erronée de la nature de l’ « Opération Serval », qui ont considérablement renforcé le camp de ceux qui sont entrain de pervertir son objet, pour en faire un appendice des Usa dans la mise en œuvre de son projet du « Grand Orient ».

QUELLE EST LA NATURE DE L’ « OPERATION SERVAL » ?

La « gauche anti guerre » a tenté de justifier ses positions contre l’intervention militaire de la France dans la crise au Mali, en invoquant les principes fondateurs de la gauche contre la guerre, pour la coopération et la fraternité entre les peuples. Mais cette position de principe a toujours été appliquée par la gauche selon la nature de la guerre.

En effet, si Lénine avait appelé à lutter contre la guerre 1914 -1918, c’est à partir de la nature de celle-ci qualifiée de « guerre inter impérialiste » pour un nouveau partage politique et économique du monde. C’est pour cela qu’il appelait à refuser de voter, dans les Parlements, les budgets de guerre, et de s’opposer à l’enrôlement des citoyens dans les armées impérialistes, tout en mobilisant le prolétariat pour transformer la « guerre impérialiste » en « révolution socialiste ». Mais il n’en reconnaissait pas moins, qu’il y a des « guerres justes » à soutenir, et des « guerres injustes » à combattre.

C’est fort de ces considérations de principe, que la guerre de 1939 – 1945, qui opposait, certes, des puissances impérialistes pour un nouvel partage du monde, était néanmoins perçues par les forces de gauche, comme une guerre contre le nazisme et la dictature fasciste pour l’indépendance des peuples , la démocratie, et la sauvegarde de l’Union soviétique menacée de démantèlement. Cette guerre avait donc changé de nature puisqu’elle n’était plus perçue comme une guerre exclusivement inter impérialistes. C’est cette perception qui a été au fondement de l’alliance des forces de gauches et des forces de la Droite républicaine et démocratique en Europe, et particulièrement en France, pour s’allier avec des puissances impérialistes, la Grande Bretagne et les Usa, pour libérer la France et l’Europe de l’Ouest, et contribuer à renforcer la résistance de l’Union soviétique, et à la défaite du nazisme et du fascisme en Europe.

En aucun cas, la « gauche anti – guerre » ne s’était opposée à l’intervention armée des Etats Unis, à côté de la Grande Bretagne, pour libérer la France et l’Europe occidentale, sous prétexte qu’elle ne règle pas « les conditions politiques, sociales, et économiques de ces pays », mais elle s’est fortement mobilisée dans la résistance, pour créer des rapports de force en mesure d’imposer, à la fin de la guerre, des grandes avancées économiques et sociales des peuples d’Europe libérée, et d’impulser les luttes pour l’indépendances des peuples colonisés dans le reste du monde. Cette « gauche anti -guerre » ne s’était pas refugiée derrière de considérations faciles, pour faire croire que cette guerre était un « choix ente le nazisme et le fascisme d’un côté, et le capitalisme de l’autre », pour condamner l’intervention Uq et traiter ceux qui la soutiennent d’avoir renoncé à l’idéal anti guerre de la gauche, pour devenir une « gauche – pro –guerre ».

Il est donc étonnant que, dans la guerre au Mali, l’on ait refusé d’analyser sa nature avant de définir une position conforme à notre engagement de gauche, et éviter ainsi de se refugier derrière les principes fondateurs du rejet de la guerre par la gauche, pour condamner l’intervention militaire de la France à côté des Autorités maliennes et de leur armée nationale, afin de contribuer à la libération du Nord ce pays, à la restauration de l’intégrité de leur territoire, et à celle de la souveraineté de leur peuple sur leur propre destin. Surtout, quand on évoque, pour soutenir cette position, que cette « intervention ne règle pas les conditions politiques, sociales et économiques, non seulement au Mali, mais de l’ensemble des pays de la région », ou que cette « crise n’est qu’un choix entre « jihadisme » et capitalisme, ou encore, c’est une « confrontation entre le despotisme oriental et la république démocratique » ou, suprême absurdité, que c’est, « l’insidieuse confrontation entre le Moyen Orient et l’Afrique, autour de la question géostratégique du Sahara».

L’on refuse ainsi de voir dans la guerre au Mali, la question nationale et la souveraineté de ce peuple qui sont en jeu, dans le cadre de la géo stratégie du « Grand Orient » par l’entremise de la lutte entre « islamisme modéré » et « islamisme radical ». C’est cette vison des crises qui est en train de triompher au Moyen Orient, tout en faisant oublier que le « jahadisme » n’a nulle part été l’ennemi du capitalisme et a souvent été une arme stratégique, mise en œuvre par les Usa selon les circonstances. Hier, c’était pour chasser les Soviétiques d’Afganistan, aujourd’hui, c’est pour réaliser son projet du « Grand Orient ».

D’autres justifient leur condamnation de l’intervention armée française en alléguant le retour de Hollande à la politique « France africaine », pour défendre les intérêts économiques des entreprises françaises et stratégiques de l’Etat Français au Mali. Mais comment alors expliquer le refus de la France d’envoyer des troupes en Centrafrique, où les entreprises françaises ont plus d’intérêts à perdre qu’au Mali ? Comment comprendre le refus de prioriser la guerre contre les putschistes maliens pour privilégier la lutte contre la rébellion ? Et surtout, comment comprendre la décision de retirer ses troupes pour laisser la place à une Force sous commandement des Nations Unies ? Comment continuer d’ignorer qu’avec cette intervention, les putschistes sont en place, et les élections se tiendront après la libération complète du Nord Mali ; ce qui est contraire à l’agenda concocté par la France sous Sarkozy, les Usa et la Cedeao ?

L’intervention militaire de la France est incontestablement salutaire pour le Mali, la sous région, et les intérêts énergétiques de la France au Niger. Elle l’a grandie énormément chez les progressistes africains, mais cela n’enlève en rien de la nature capitaliste et impérialiste de ce pays, même si la « France Afrique » a pris un sacré coup avec l’ « Opération Serval ».

C’est donc l’implication totale et sans des réserves des républicains, des démocrates, des panafricanistes et de la gauche, auprès des autorités maliennes de transition et de leur armée nationale, que les rapports de force permettront au peuple malien, à la fin de la guerre, d’engranger des avancées économiques, sociales et politiques substantielles, comme ce fut le cas pour le peuple Français à l’issu de la deuxième guerre mondiale.

Déjà, les inflexions négatives observées dans la mise en œuvre de l’ « Opération Serval », montrent à suffisance, ce que les atermoiements de la gauche peuvent, en affaiblissant le mouvement international de solidarité envers le peuple malien, contribuer à renforcer les forces rétrogrades, néocoloniales et impérialistes, pour transformer cette intervention en moyens de renforcement de leur main mise sur les peuples et les richesses de la sous région.

En avant tous pour libérer le Mali ! Nous sommes tous des Maliens !

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** Ibrahima Sène est membre du Parti de l’indépendance et du travail/ Sénégal

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