Mandats présidentiels et révisions constitutionnelles en Afrique : la Rd Congo dans la perspective de l’échéance 2016

L’Afrique centrale aborde un important virage d’une histoire politique et constitutionnelle qui s’annonce palpitante à quelques années de la fin du second et dernier mandat des présidents Joseph Kabila de la Rd Congo, Pierre Nkuruzinza du Burundi, Sassou Nguesso du Congo, et Paul Kagame du Rwanda avec des incertitudes sur le respect des constitutions. (1)

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K F

CONSTITUTIONNALISME ET LIMITATION CONSTITUTIONNELLE DES
MANDATS PRESIDENTIELS

Ainsi que l’écrivait Schochet, la vénération du constitutionnalisme est parmi les vanités les plus durables et probablement les plus justifiées de la théorie démocratique libérale. (2) L’on peut cependant retenir, avec Shivji (3) Rosenfeld (4) McIlwain (5) Grey (6) Vile (7) Ivison (8) Mojekwu (9) Nwabueze (10) Zoethout et Boon (11) que le constitutionnalisme moderne requiert la limitation des pouvoirs du gouvernement, l’adhésion à l’Etat de droit et la protection des droits humains. La limitation des pouvoirs du gouvernement par le droit est donc le premier pilier du constitutionnalisme. Le deuxième pilier du constitutionnalisme est l’Etat de droit, car la limitation des pouvoirs du gouvernement l’est par les règles de droit et non par les caprices d’un individu. En tête des règles de droit se trouvent les règles constitutionnelles. La Constitution qui à la fois organise et limite les pouvoirs des gouvernants est donc un élément essentiel du constitutionnalisme. (12)

Cependant, comme l’écrivait Ivison (13) les constitutions ne sont pas seulement des cadres ou des instruments de limitation des pouvoirs pour prévenir les abus, elles doivent aussi être utiles pour des choses plus positives comme la protection des droits humains, pas seulement les droits civils et politiques, mais aussi les droits économiques, sociaux, culturels ou collectifs.

Le troisième pilier du constitutionnalisme est donc constitué de droits humains qui doivent être effectivement protégés contre toute forme de violation et qu’il faut promouvoir. Le respect du constitutionnalisme commande ainsi la limitation constitutionnelle des pouvoirs et des mandats présidentiels et le respect de la Constitution. Comme le soulignait Jean-Louis Esambo Kangashe (14) il existe bien une relation entre constitutionnalisme, constitutions et le mandat politique autant qu’il en existe avec la limitation des pouvoirs, spécialement des pouvoirs présidentiels. La question de la limitation des pouvoirs et mandats présidentiels qui passe généralement par les révisions constitutionnelles en Afrique demande bien que l’on y réfléchisse car elle touche à l’essence du constitutionnalisme.

Cet article s’inspire de deux autres communications données sur le continent africain. Il s’agit d’abord de ma communication donnée en octobre 2007 à Ouagadougou au Burkina Faso dans le cadre du 7e Forum africain de la gouvernance. Lors de la séance d’ouverture du Forum auquel prenaient part des membres du gouvernement, des parlementaires, des magistrats, des militants de la société civile et des droits humains venant de plusieurs pays d’Afrique et qui avait été présidée par le président Blaise Compaoré en présence de l’ancien président du Mozambique, Mr Joaquim Chissano, je m’étais penché sur la question du leadership en Afrique pour expliquer pourquoi les dirigeants s’accrochaient au pouvoir et qu’il y avait pourtant une vie après la présidence.

La seconde communication intitulée « Constitutions, constitutionalisme et limitation des pouvoirs et des mandats présidentiels en Afrique » avait été présentée en aout 2012 à Cotonou au Benin, lors du colloque international organisée sur les 22 ans de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 en hommage à l’œuvre du professeur Maurice Ahanzo-Glele.

L’Afrique centrale aborde un important virage d’une histoire politique et constitutionnelle qui s’annonce palpitante à quelques années de la fin du second et dernier mandat des présidents Joseph Kabila de la Rd Congo, Pierre Nkuruzinza du Burundi, Sassou Nguesso du Congo, et Paul Kagame du Rwanda avec des incertitudes sur le respect des constitutions. De nombreux débats politiques ont lieu et les universitaires ne sont pas de reste. Des thèses sont échafaudées en vue de déblayer le terrain politique et constitutionnel pour une rallonge des mandats présidentiels et permettre aux présidents en fonction de rempiler à la faveur des révisions constitutionnelles. En témoigne le dernier livre du professeur Evariste Boshab, député national, ancien directeur du cabinet du président de la République, secrétaire général du parti présidentiel, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (Pprd).

Cette communication ne saurait ignorer ces développements. Elle comprend deux parties. La première partie porte sur les pouvoirs et les mandats présidentiels tandis que la seconde comprendra les notes de lecture et commentaires sur le dernier livre du professeur Boshab qui préconise, sans le dire, une énième révision constitutionnelle en vue de conférer au président un troisième mandat jusque-là interdit par les articles 70 et 220 de la Constitution du 18 février 2006.

Il n’est pas si facile et si simple de se pencher sur le président de la République qui est généralement un «Léviathan» en Afrique. Il fait peur non seulement à ses adversaires politiques mais aussi aux scientifiques qui se soumettent volontiers à une autocensure. Dans plusieurs pays, parler du président de la République est un «tabou». On le croit omniprésent à travers les services de sécurité et également omniscient, capable d’infliger le mal à tous ceux qui diraient du mal à son sujet. Le critiquer revient à un crime de lèse-majesté. L’unique attitude «citoyenne» ou «républicaine» acceptable est celle qui consisterait à encenser le président de la République pour se faire remarquer de son entourage et accéder à la cour présidentielle par cooptation. Cette communication relève donc aussi d’une certaine audace dans la mesure où elle se rapporte au président de la République.

FONCTIONS, POUVOIRS ET MANDATS PRESIDENTIELS EN AFRIQUE

Les fonctions et les pouvoirs présidentiels sont déterminés par la Constitution qui fixe aussi le statut du président. La pratique politique démontre cependant une tendance générale à aller au-delà des pouvoirs et des mandats présidentiels en recourant généralement aux révisions constitutionnelles dont certaines se révèlent être des violations constitutionnelles ou de nouvelles constitutions en lieu et place de simples révisions.

FONCTIONS ET POUVOIRS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Le président de la République est la fonction la plus élevée et aussi la plus enviée. Coups d’Etat, rebellions ou luttes armées, violations des constitutions, et rarement élections libres et transparentes, tous les moyens sont utilisés pour y parvenir ou s’y maintenir. Pour ceux qui y sont parvenus, s’y maintenir - et s’y maintenir le plus longtemps possible - est parfois perçu comme une question de vie ou de mort. Les opposants acharnés adoptent le plus souvent la même attitude. La fonction présidentielle permet d’avoir la mainmise sur les ressources et les institutions de l’Etat.

Dans de nombreux pays africains, le président de la République est élu au suffrage universel direct. Cette élection se fait généralement à deux tours ou à un seul tour. Dans certains rares cas, comme celui de l’Afrique du Sud, de l’Ethiopie, et de l’Ile Maurice, le président de la république est élu au suffrage indirect par les membres de l’une des chambres du parlement, spécialement celle dont les membres représentent le peuple et sont eux-mêmes élus au suffrage universel direct. Les élections sont généralement organisées par le gouvernement en place à travers son ministère de l’intérieur.

La règle veut cependant que le président en fonction ne puisse pas perdre les élections organisées par son propre gouvernement ou une commission électorale dépendant du gouvernement, en fait ou en droit. Les exceptions à règle sont venues du Bénin, du Ghana, du Sénégal et de la Zambie.

Au Bénin, le président Mathieu Kérékou avait été battu aux élections de 1991 par Nicéphore Soglo avant qu’il ne prenne sa revanche en 1996. Au Ghana, le candidat du parti au pouvoir fut battu de justesse par l’opposant John Kufuor en 2000. En 2012, le candidat du parti au pouvoir fut également battu par l’opposant John Atta Mills qui devint président jusqu’à sa mort le 24 juillet 2012.

Au Sénégal, le président en fonction Abdou Diouf avait été battu aux élections par l’opposant Abdoulaye Wade qui vient aussi de perdre les élections remportées par l’opposant Macky Sall, actuel président de la République. En Zambie, Le président Rupiah Banda avait été battu aux élections par Michael Sata, l’actuel président zambien. Un coup d’œil aux différentes sous-régions africaines révèle qu’aucun président en fonction n’a perdu les élections en Afrique centrale.

MANDATS PRESIDENTIELS ET PRATIQUE POLITIQUE EN AFRIQUE
Le mandat présidentiel est limité à quatre, cinq, six, ou sept ans suivant les pays. Il est de quatre ans aux Comores, au Ghana et au Nigeria. Il est de cinq ans en Afrique du Sud, en Algérie, en Angola, au Bénin, au Burkina Faso, au Burundi, en Erythrée, en Gambie, en Guinée, à l’Ile Maurice, au Kenya, au Malawi, au Mali, en Mauritanie, au Mozambique, en Namibie, au Niger, en Ouganda, en République centrafricaine, en République Démocratique du Congo, au Sao Tome et Principe, au Sénégal, aux Seychelles, au Sierra Leone, au Soudan, en Tanzanie, au Tchad, au Togo, en Tunisie, et en Zambie. Le mandat présidentiel est de six ans au Djibouti, en Ethiopie, au Liberia tandis qu’il est de sept ans au Congo, au Cameroun, au Gabon, en Guinée équatoriale et au Rwanda.

DUREE DES MANDATS PRESIDENTIELS DANS CERTAINS PAYS D’AFRIQUE
- Mandat de 4 ans : Comores, Ghana, Nigeria
- Mandat de 5 ans : Afrique du Sud, Algérie, Angola, Benin, Burkina Faso, Burundi, Erythrée, Gambie, Guinée, Ile Maurice, Kenya, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Namibie, Niger, Ouganda, République centrafricaine, République Démocratique du Congo, Sao Tome et Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Soudan, Tanzanie, Tchad, Togo, Tunisie, Zambie.
- Mandat de 6 ans : Djibouti, Ethiopie, Liberia
- Mandat de 7 ans : Congo, Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, Rwanda

Quant au nombre de mandats présidentiels autorisés par la Constitution, le mandat présidentiel est renouvelable une seule fois en Afrique du Sud, au Bénin, au Burundi, au Congo, au Ghana, en Guinée, en Erythrée, en Ethiopie, en Guinée- Bissau, au Kenya, au Liberia, au Malawi, au Mali, en Mauritanie, au Mozambique, en Namibie, au Niger, au Nigeria, en République centrafricaine, en République Démocratique du Congo, au Rwanda, aux Seychelles, au Sierra Leone, au Soudan, en Tanzanie, et en Zambie.

Le mandat est renouvelable de deux fois aux Seychelles. Il est par contre renouvelable indéfiniment en Algérie, en Angola, au Burkina Faso, au Cameroun, au Djibouti, au Gabon, en Gambie, en Guinée équatoriale, à l’Ile Maurice, en Ouganda, à Sao Tome et Principe, au Tchad, Togo, et au Zimbabwe.

Les mandats présidentiels les plus courts (4 ans) sont prévus en Afrique anglophone et les plus longs (7 ans) en Afrique francophone. Les pays francophones battent également le record des pays où le président peut être réélu indéfiniment.

A l’exception notable des pays comme le Bénin, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Mozambique, le Botswana, la Zambie, et la Tanzanie où les présidents en fonction refusent de s’adonner aux manipulations constitutionnelles en se retirant au terme de leurs mandats, on assiste à l’avènement et à la consolidation des présidences à vie ou des «monarchies présidentielles» de facto dans plusieurs pays d’Afrique.

Certains dirigeants tels que Blaise Compaoré du Burkina Faso, Omar Bongo du Gabon, Paul Biya du Cameroun, Yoweri Museveni de l’Ouganda, et Bouteflika d’Algérie n’avaient pas hésité d’ordonner des révisions constitutionnelles pour enlever toute limitation à la durée ou au nombre de leurs mandats constitutionnels.

Quant aux présidents Joseph Kabila de la Rd Congo, Denis Sassou Nguesso du Congo, Pierre Kurunziza du Burundi, François Bozize de Centrafrique, et Paul Kagame du Rwanda, ils sont dans leurs seconds et derniers mandats. Certains de leurs conseillers constitutionnalistes et politologues se sont déjà mis au service pour anticiper sur l’énormité des chantiers dont la finalisation nécessiterait une rallonge de la durée du mandat constitutionnel.

L’on doute si ces généraux et chefs de mouvements rebelles parvenus au pouvoir en Afrique centrale vont pouvoir librement se retirer au terme de leurs derniers mandats ou s’ils ne vont pas suivre l’exemple de ceux qui s’étaient servis de leurs majorités parlementaires pour amender la Constitution et s’offrir une réélection ad infinitum ou une présidence ad vitam. Dans un autre cas, des leaders africains en passe de se retirer pour des raisons de fatigue du pouvoir comme le Sénégalais Abdoulaye Wade, le libyen Mouammar Khadafi et l’égyptien Hosni Moubarak avaient espéré se faire succéder par leurs fils, comme les bienheureux Laurent-Désiré Kabila de la Rd Congo, Gnassingbé Eyadema du Togo, et Omar Bongo du Gabon. Le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée équatoriale serait aussi déterminé à réussir là où plusieurs de ses collègues ont échoué et espérerait se faire succéder par son fils Téodorin déjà élevé à l’une des vice-présidences de la République.

L’Afrique centrale est la sous-région du continent où il y a eu le plus de manipulations constitutionnelles pour permettre aux présidents en fonctions de rester indéfiniment au pouvoir. Les révisions constitutionnelles qui sont souvent des violations constitutionnelles ou débouchent sur de nouvelles constitutions ne se comptent pas. Une culture de banalisation des règles constitutionnelles s’est développée dans des pays comme la Rd Congo ou il y avait une révision constitutionnelle presque tous les dix mois sous le régime de Mobutu. Cette culture est même nourrie par les juristes. C’est ce qui ressort notamment du plaidoyer pour les révisions constitutionnelles que le professeur Evariste a fait dans son dernier livre et qui mérite un commentaire.

LE PLAIDOYER D’EVARISTE POUR UNE ENIEME REVISION DE LA CONSTITUTION

Evariste Boshab, professeur ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa (Unikin) et secrétaire général du parti présidentiel, le Parti du peuple pour la reconstruction, la démocratie (Pprd), vient de publier un livre de 440 pages qui avait été baptisé à l’Hôtel du Fleuve, loin des milieux universitaires de Kinshasa, en date du 19 juin 2013. (15) Je me suis efforcé d’acheter ce livre vendu à 100 dollars (Ndlr : environ 5000 F Cfa) alors qu’il avait été financé par le gouvernement, de le lire et de le commenter pour vous.

TITRE RONFLANT QUI ENERVE ET TRAHIT LA NATION
Le mot « inanition » évoque la mort ou le dépérissement. Evariste Boshab menace et prédit que la Nation mourrait certainement par « inanition » si on ne révisait pas la Constitution et plus précisément si le président ne recevait pas un troisième mandat par « révision totale » de la Constitution ! Il oublie ce qui pourrait aussi se produire au cas où le peuple recourait à l’article 64 qui l’oblige à faire échec à tout celui qui prend le pouvoir et l’exerce en violation de la Constitution.

LIVRE REDIGE AU MEPRIS DES REGLES DE L’ART ET MEPRISANT POUR SES COLLEGUES
La bibliographie du livre ne contient aucun des textes constitutionnels de la Rdc, de la Belgique, de l’Espagne, de la Suisse ou de l’Autriche que son auteur cite, ni aucun des titres de nombreux des thèses et écrits qu’il évoque comme ceux des professeurs Clément Kabange, Felix Vunduawe, Auguste Mampuya Kanunk’a-Tshabo, Bayona-ba-Meya, Yuma Biaba, Jean-Louis Esambo, Ambroise Kamukuny Mukinay et Kaluba Bibwe alors que l’auteur se réfère à plusieurs sites internet. Aucune référence à Bayart ni Benda, pourtant auteurs des livres et des expressions telles que « politique du ventre » (16) et « trahison des clercs » (17) que l’auteur cite également dans son livre. (18)

Le plus surprenant est qu’Evariste Boshab ne cite même pas les thèses de Kamukuny et Esambo (19) qu’il a pourtant codirigées. Lorsqu’il se réfère plus ou moins en bien au professeur Mampuya (20) (p 266), (21) il omet sciemment de mentionner sa contribution dans la bibliographie. Dans les notes de bas de page (p 340, note 21), (22) Evariste Boshab ne cite pas non plus son article, mais il s’en prend vigoureusement au professeur Auguste Mampuya présenté comme étant « l’un des chantres de la dictature de Mobutu » pour avoir considéré que le vote par acclamation était le plus démocratique. Pour Evariste Boshab, le geste du Professeur Mampuya relevait de la « trahison des clercs face à la politique du ventre », estimant qu’«il était plus facile de ramper pour être invité au repas du « Seigneur » que de demeurer tête haute et ventre creux » » avant de noter que «curieusement, le prof. Mampuya est devenu très critique, donnant à chaque instant des leçons de démocratie ». Et Evariste Boshab de s’interroger : « Est-il amnésique ou croit-il que tous les crimes d’hier sont automatiquement pardonnés ? Qui lui a donné pareille absolution pour qu’il se regarde dans le miroir de l’histoire sans, frémir ? » (23) (p 341).

Très à l’aise dans l’art de la critique, Evariste Boshab ne peut pas reprocher au professeur Mampuya ce dont il aurait pu se reprocher lui-même étant donné que son propre livre n’en est pas moins l’expression d’une trahison des clercs et de la politique du ventre. Les « crimes » du professeur Mampuya, encore faut-il qu’il s’agisse des crimes, sont encore plus pardonnables dès lors qu’il a rejoint le camp du peuple et prône actuellement la démocratie. Persévérer dans le mal étant diabolique, le professeur Boshab risque d’être jugé plus durement. Il ne devrait pas non plus être amnésique en croyant que tous les crimes lui seront pardonnés et personne ne lui donnera absolution pour qu’il se regarde dans le miroir de l’histoire, sans éclater en sanglots.

FLAGRANTES CONTRADICTIONS ET HERESIES INTELLECTUELLES
Le livre du professeur Boshab contient plusieurs hérésies conceptuelles. (24) Après avoir défendu la thèse suivant laquelle la loi no 74-020 du 15 août 1974 qui faisait du Mpr l’institution unique du pays était une nouvelle constitution, le professeur Boshab qui se dit de l’«école sociologique» comme Djelo Empenge Osako, Kayemba Ntamba Mbilandji. Jacques Djoli, Kamukunyi Mukinayi, Jean-Louis Esambo, et Kaluba Dibwe, épouse à présent l’idée d’une révision en prétendant faire un compromis avec les « positivistes » (Clément Kabznge, Felix Vunduawe et Yuma Biaaba) (pp 39-40). (25)

Il fait également une confusion déroutante entre le « pouvoir constituant originaire » (le peuple) et le « pouvoir constituant dérivé » (élus du peuple) en suivant aveuglement Dmitri Georges Lavroff dans son volte-face « au crépuscule de sa vie » comme si son ouvrage était aussi celui d’une personne arrivée au crépuscule de sa vie scientifique (pp 27-28). (25) Evariste Boshab confond également « révision totale » et « révision partielle » de la Constitution, après avoir admis au départ que la révision ne pouvait être que partielle sinon on changerait de constitution et non la constitution (pp 34-41). (27)

A l’appui, il soutient que le passage de la Belgique de l’Etat unitaire à l’Etat fédéral s’est fait sur base d’une révision totale de la Constitution, ce qui lui vaut une correction du propre préfacier de son livre, Henri Simonart, professeur émérite a la Faculté de Droit de l’Université Catholique de Louvain qui conseille aux lecteurs de ne pas le suivre (p 6) (28) comme pour dire qu’il ignorerait le droit constitutionnel de la Belgique où il a pourtant fait ses études doctorales.

Selon Professeur Simonart, la transformation de l’Etat belge en un Etat fédéral est en réalité l’aboutissement d’aménagements partiels apportés par touches successives pendant une quinzaine d’années (p 6). (29) Evariste Boshab fonde son principal argument sur l’article 192 de la Constitution suisse de 18 avril 1999 entrée en vigueur le 1er janvier 2000 (p 38). (30)

L’auteur refuse cependant de mentionner son article 195 qui stipule que toute révision doit être acceptée par le peuple et les cantons, ce qui équivaut à un référendum. Sa lecture de la constitution suisse est littérale, superficielle, et non téléologique. Plus loin, Evariste Boshab affirme que « qu’il s’agisse de l’Espagne ou de l’Autriche, il y a dans les Constitutions de ces deux pays, des dispositions relatives à la révision totale » (p 39). (31) Il ne mentionne nulle part ni ces deux constitutions ni les prétendues dispositions relatives à la révision totale. Esprit malin et intelligent au service du status quo, il le fait à dessein pour fournir à la majorité un argument pseudo-scientifique aux fins d’une révision totale de la Constitution comme si celle qu’il avait ingéniée en 2011 ne suffisait pas.

ARGUMENTS D’EVARISTE BOSHAB
L’auteur repartit arbitrairement les différents groupes qui préconisent la révision de la Constitution entre les « souverainistes », les « puristes », et les « contextualistes» (pp 127-295). (32) L’auteur du « Pouvoir et droits coutumiers à l’épreuve du temps » (2007) qui veut faire feu de tout bois se donne une dizaine de pages (pp 135-144) (33) pour administrer une foudroyante correction à la « théorie » de l’«intérisme» du « souverainiste » du « Grand Frère » professeur Mboyo Empege, taxée de manque d’originalité (p 141). (34) Autant de pages pour régler des comptes avec la « puriste » Conférence épiscopale nationale du Congo et surtout avec le Cardinal Monsengwo, coupables de s’opposer au pouvoir en place et d’avoir rejeté comme non-conformes à la vérité des urnes les résultats des élections de novembre 2011 (pp 151-165), (35). Et presqu’autant pour « corriger » le « puriste » Djoli (pp 166-173) (36) qui avait osé critiquer la Constitution du 18 février 2006 en arguant qu’elle « souffre d’un déficit identitaire, reflétant très peu les valeurs et la vision du pouvoir des congolais » (p 166). (37) Evariste Boshab va jusqu’à déplorer de la part de Jacques Djoli un « criticisme qui a l’avantage de paraître alléchant en se dépouillant de la rigueur scientifique » (p 167). (38) La critique de Jacques Djoli selon laquelle le peuple n’a pas été particulièrement consulté dans l’élaboration de ce texte »et que l’expertise aurait dû procéder « aux enquêtes de terrain par souci d’authenticité » est jugée « aussi rocambolesque que sa réalisation » (p 170). (39)

Evariste Boshab trouve aussi sans pertinence le dernier élément de la critique de Jacques Djoli à propos de l’extranéité de la Constitution du 18 février 2006 en raison du fait qu’elle est écrite en français, une langue étrangère difficilement maîtrisable par la majorité de la population (p 172). (40) Il se considère lui-même comme un « contextualiste ».

Les « contextualistes » seraient d’avis que la révision de la Constitution se situerait dans l’évolution et le mouvement du temps qui change (pp 233-295, 373-374). (41) Il ignore, par exemple, que le temps n’a eu que peu d’impact sur la Constitution des Etats-Unis qui n’a été modifiée que 28 fois en plus de deux siècles et, plus près de nous en Afrique, sur la Constitution du Bénin adoptée après la Conférence nationale et promulguée le 11 décembre 1990 qui n’a connu aucune révision depuis près de 23 ans. Le «contextualiste» ignore également le contexte régional et international qui privilégie l’Etat de droit démocratique. Il affirme par ailleurs que le constituant d’une génération ne saurait lier une autre sans dire combien de générations sont passées depuis la promulgation de la Constitution en 2006 et surtout depuis la dernière révision constitutionnelle en 2011.

Le « contextualisme » conduirait à l’enseignement d’un droit constitutionnel contextuel ou saisonnier, ce qui placerait nos étudiants dans une situation bien inconfortable où le droit, le vrai, le beau, et le juste dépendraient du temps ou des saisons et varieraient suivant les circonstances, au gré des vagues et des vents. Ceux qui voulaient se servir du livre comme une caution scientifique pour une énième violation de la Constitution doivent être bien déçus et devraient déchanter.
Du pont de vue juridique, spécialement du droit constitutionnel, les arguments du « contextualiste » Boshab sont pauvres et intenables d’autant plus qu’ils relèveraient non pas du droit, mais de la « politologie ».

LIVRE DE POLITOLOGIE ET NON DE DROIT CONSTITUTIONNEL
Le livre a été soutenu par la Cellule d’appui politologique pour l’Afrique et les Caraïbes de l’Université de Liège, ce qui pourrait tant soit peu mitiger la sentence de la Faculté de Droit et de l’Unikin déjà coupables d’avoir produit de nombreux talents au service du pouvoir autoritaire dans notre pays. Le monde universitaire et les constitutionnalistes belges connaissent trop peu de cette cellule dirigée par M. Bob Kabamba Kazadi, chargé de cours au Département de science politique et bien connu pour ses accointances avec les milieux du pouvoir à Kinshasa.

Evariste Boshab est l’un des collaborateurs de Capac tout comme Monsieur l’Abbé Malu Malu que l’on ne présente plus. Ce n’est pas un hasard si le baptême du livre est intervenu juste après l’investiture de ce dernier comme président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (Ceni). L’Abbé Malu Malu pourrait avoir de sérieux problèmes à marquer son « coup » en organisant un référendum constitutionnel. En bon capitaine d’une équipe qui gagne souvent « hors-jeu », Evariste BOSHAB tire son coup franc indirect ou un corner dans la surface de réparation pour créer le cafouillage et permettre aux parlementaires de sa majorité de marquer le but fatidique qui serait une révision constitutionnelle.

IMPOSSIBLE REVISION CONSTITUTIONNELLE DES MATIERES A L’ARTICLE 220 DE LA CONSTITUTION

Le savant exercice du « contextualiste » et du « politologiste » consiste d’abord à banaliser les pouvoirs du constituant originaire en l’assimilant au pouvoir constituant dérivé, à fausser la théorie en prétextant que la révision peut être partielle ou totale, et à déverrouiller les matières contenues à l’article 220 en les mettant au même niveau que toutes autres matières constitutionnelles pour les rendre ensuite révisables par le Parlement où son parti et sa coalition détiennent la majorité des sièges (pp 327-371). (42)

Pourtant, l’article 220 interdit toute révision touchant à la forme républicaine de l’Etat, au principe du suffrage universel, à la forme représentative du gouvernement, au nombre et à la durée des mandats présidentiels, à l’indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme politique et individuel. L’article 220 interdit également toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ou les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées (pp 336-371). (43)

L’auteur réserve aux matières contenues dans les dispositions constitutionnelles intangibles qu’il qualifie maladroitement de « clauses d’éternité » (p 327) (44) le triste sort que seul Procuste savait réserver à ses victimes : il les tuait et elles mouraient toutes par « inanition » pour non-conformité à la longueur de son « lit », le « Lit de Procuste».

Pourtant, les matières prévues à l’article 220 « ne peuvent faire l’objet d’aucune révision ». (45 )Au lieu de se contenter de révolter le peuple dont il annonce la mort par « inanition », l’auteur énerve aussi la science du droit et la constitution. D’autre part, aucune théorie, même pas celle dite de la « double révision » qui se fonderait sur l’idée que l’article 220 lui-même ne serait pas verrouillé ne saurait justifier une révision constitutionnelle de ces matières. Evariste Boshab ne le dit pas, mais tout le monde sait que tout ce qui préoccupe le plus le « politologiste » et dont il fait une question de vie ou de mort pour la Nation, ce n’est pas la révision de toutes les matières prévues à l’article 220, mais plutôt le nombre et la durée des mandats présidentiels, le compte à rebours ayant déjà commencé pour le second et dernier mandat présidentiel qui arrive irrémédiablement à son terme en 2016. Cette perspective met dans tous leurs états ceux dont la carrière politique dépend étroitement de la présence de M. Kabila au pouvoir alors que lui-même n’aurait pas grand-chose à craindre pour son avenir, la Nation qui lui demande de respecter la Constitution lui ayant déjà fait la part belle en lui réservant un siège à vie au Sénat.

RESPONSABILITE DES INTELLECTUELS DANS LA CONSOLIDATION DE L’AUTORITARISME

Dans la conclusion de son livre, l’auteur évoque les difficultés qui bloquent le développement du droit constitutionnel (pp 374-388) (46) et cite notamment l’instabilité de la norme constitutionnelle et la « trahison des clercs » se traduisant par l’auto-censure et le servilisme des intellectuels (pp 376-386). (47)

Son livre qui préconise les révisions constitutionnelles tend malheureusement à nous ramener à l’instabilité constitutionnelle de l’ère mobutiste. Il ne constitue pas moins la preuve de ce que l’auteur s’inspirant de Benda (48) et de Bayart (49) fustige lui-même comme étant la « trahison des clercs» relevant de la « politique du ventre » (pp 340-341). Une telle attitude résulte ou débouche sur une certaine « retraite ou défaite de la pensée » (Finkielkraut) ou une «démission des intellectuels». (51) Face à la trahison, il n’est point question de faire un quelconque « plaidoyer des intellectuels » ni de faire des « Eloges aux intellectuels » suivant les expressions de Sartre (52) et de Levy. (53) Il s’agit d’une déconfiture de la pensée de ceux que j’appelais naguère les « tambourinaires du pouvoir » et qui avaient été dénoncés par le romancier nigérian Chinua Achebe. (54) Dans Anthills of the Savannah (les termitières de la savane), Achebe estime que comme les termitières sont construites par de petits et nombreux « soldats », les dictateurs ne sont pas non plus nés, mais plutôt « faits » par les courtisans qui ne cessent de bourdonner à leurs oreilles et d’inventer des théories pour leur faire croire qu’ils seraient faits pour régner et régner pour toujours !

Jibrin Ibrahim se plaint du rôle néfaste joué par les politologues nigérians dans la consolidation du régime autoritaire du Général Ibrahim Babamasi Babangida (IBB). (55) Presque toutes les mesures anti-démocratiques étaient conçues et appliquées par d’éminents politologues recrutés dans les grandes universités nigérianes et qui devinrent des complices des militaires pour s’opposer aux luttes démocratiques et aux aspirations populaires. Chaque blocage de la marche démocratique, chaque stratégie pour faire échec aux forces démocratiques, et tout refus de respecter le calendrier de transfert du pouvoir aux candidats élus était vigoureusement défendu par une coterie de professeurs de science politique travaillant pour la dictature militaire et qui avaient préféré sacrifié leur intégrité intellectuelle et leur responsabilité sociale sur l’autel de leurs ambitions politiques égoïstes et de leurs intérêts matériels par non-respect de la déontologie. Ce qu’Ibrahim écrivait sur les politologues au Nigeria est aussi vrai des juristes et d’autres chercheurs en sciences sociales dans plusieurs autres pays d’Afrique, spécialement ceux d’Afrique francophone. (56)

Plusieurs intellectuels sont engagés dans une compétition meurtrière entre eux pour obtenir le statut du plus grand défenseur ou flatteur du régime même si nombreux finissent par devenir des victimes des monstres politiques qu’ils avaient soutenus. (57) Au nom de la « politique du ventre » qui se vit en Afrique sans être une particularité du continent, la plupart de ceux qui avaient passé une bonne partie de leur vie à enseigner le droit constitutionnel et la démocratie ont fini par traverser le Rubicon et sont devenus des thuriféraires des «monstres politiques» qu’ils abhorraient.

Déjà lors de l’Assemblée générale du Codesria tenue à Dakar en 1992, Kwesi Prah (58) avait raison de penser que la question de vagabondage politique des intellectuels africains devait être prise très au sérieux en sciences sociales africaines, parce que certains de plus intelligents membres de la société excellent dans l’art de lécher les bottes aux présidents dont il ne faudrait parler qu’en bien, qui ne feraient que du bien et agiraient toujours en conformité avec une «constitution» réinventée par eux alors que tout le tort reviendrait aux opposants ou tout au moins à leurs collaborateurs. Certains brillants intellectuels africains finissent par se faire corrompre et devenir des lèche-bottes et des garçons de course des dirigeants autoritaires qu’ils vilipendaient.

La « politique du ventre » (59) pourrait expliquer un tel « servilisme » de ceux qui deviennent des « intellectuels organiques » du pouvoir autoritaire, pour emprunter l’expression de Gramsci, des agents du status quo ou des « chercheurs du gouvernement » selon les termes d’un jeune docteur en droit partageant les thèses d’Evariste Boshab qui participait à la conférence que j’avais tenue à l’Unikin en date du 26 juin 2006 sur « Mandats présidentiels et révisions constitutionnelles en Afrique ». Le professeur Basue lui signifiait immédiatement que les « chercheurs du gouvernement » déjà nombreux parmi nous n’avaient pas leur place à l’université et feraient donc mieux de prester dans les « fermes » présidentielles ou les « hôtels » des fleuves.

Ce livre d’Evariste Boshab est probablement celui qui l’aurait introduit par la grande porte dans le monde des constitutionnalistes. Il risque d’être malheureusement celui qui lui ferme aussi cette porte à cause de ce qu’il qualifie lui-même de « discours soporifique tendant à justifier l’injustifiable ». Il constitue un terrible gâchis intellectuel. L’auteur frémira chaque fois qu’il le verra dans sa bibliothèque. La Nation dont il a prédit l’inanition aura du mal à le lui pardonner. Il en est de même de l’Université qui s’est sentie trahie.

NON A LA REVISION DES MATIERES A L’ARTICLE 220 DE LA CONSTITUTION

Aucun argument de droit constitutionnel ne permettant de réviser l’article 220 de la Constitution, le président ne devrait pas écouter les vendeurs d’illusions scientifiques et politiques. Toute révision constitutionnelle touchant aux matières prescrites par cet article serait une violation intentionnelle et flagrante de la Constitution punissable de haute trahison. L’on peut parier que la Nation refusera de mourir par « inanition » et s’y opposera énergiquement en recourant à l’article 64 qui l’oblige à faire échec à tout gouvernement inconstitutionnel. La communauté internationale n’est pas non plus disposée à cautionner un tel « coup d’Etat » après s’être tue à la suite des élections calamiteuses de novembre 2011.

Pour le président de la RDC comme pour ses collègues du Congo, du Burundi et du Rwanda qui sont également dans leur second et dernier mandat, le cas de Mamadou Tanja, qui avait cru se donner un troisième mandat au Niger au motif qu’il n’avait pas achevé ses chantiers de modernisation devait servir de leçon.

Au lieu de passer leur temps à fabriquer des arguments pseudo-scientifiques pour amener les présidents à violer les constitutions en se cramponnant au pouvoir, les thuriféraires et tambourinaires du pouvoir devraient plutôt aider ces hommes qui étaient déjà mal entrés dans l’histoire politique de leurs pays à se réconcilier avec leurs peuples en se retirant dignement à la fin de leurs mandats. L’histoire nous apprend qu’aucun mobutiste n’avait suivi Mobutu dans sa chute. Ils étaient les premiers à le renier et à le vilipender en le présentant comme un vilain dictateur. Les courtisans de régimes actuels seront les premiers à bruler demain ceux qu’ils adorent ou encensent aujourd’hui et à sabler du champagne une fois qu’ils ne seront plus au pouvoir. Le jugement de l’histoire est impitoyable et personnel.

Les chefs d’Etat devraient cesser d’écouter et écarter de leurs entourages tous ceux qui les empêcheraient d’inscrire leurs noms en grands caractères dans l’Histoire. Tout mandat a une fin. Il faut quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte. Comme l’écrivait Victor Hugo, gloires, honneurs, fortunes militaires, toutes les choses de la terre ne sont sur nous posées que comme l’oiseau sur nos toits. Les dirigeants tels que F.W de Klerk et Thabo Mbeki en Afrique du Sud, Quett Masire et Festus Mogae au Botswana, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade au Sénégal, Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré au Mali, Olesegun Obasanjo au Nigeria, Joaquim Chissano au Mozambique, Daniel Arap Moi au Kenya, Pierre Buyoya au Burundi, Kenneth Kaunda et Rupiah Banda en Zambie, Jerry Rawlings et John Kufuor au Ghana, Ali Hassan Mwinyi et Benjamin Mkapa en Tanzanie, Nicéphore Soglo et Mathieu Kérékou au Bénin, nous apprennent qu’il ne sert à rien de s’éterniser au pouvoir par des coups d’Etat, des fraudes électorales ou des révisions constitutionnelles et qu’il existe bien une vie après la présidence en Afrique.

Cette vie après la présidence peut même être plus belle et plus longue comme le témoigne la vie de Nelson Mandela qui ne s’était contenté d’un seul mandat en Afrique du Sud. Comme ses collègues, le Président Joseph Kabila a tout intérêt à ne pas violer la Constitution pour se donner un troisième mandat.

Après 15 ans au pouvoir, il devrait se retirer en 2016 pour devenir sénateur à vie. Il peut préparer sa succession et se donner un dauphin comme le Secrétaire général du PPRD qui deviendrait alors le candidat à la présidence pour le compte de la majorité actuelle. Tel est le vrai combat que devait mener Evariste Boshab.

Au lieu de se perdre dans des gesticulations scientifiques inutiles, il devrait plaider pour sa propre chapelle et solliciter le soutien du président pour lui succéder. Le reste ne serait que du vent car il n’y aura pas de révision constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels ni même pas de référendum constitutionnel. L’«inanition » risque cependant d’avoir lieu, non pas l’«inanition » de la Nation comme celle annoncée par Evariste Boshab, mais plutôt celle des courtisans. Joseph Kabila n’était pas né pour eux tout comme il ne se privera pas d’entrer dans l’Histoire à cause d’eux car le contraire serait suicidaire.

Le constitutionnalisme et la démocratie commandent que les constitutions, lois suprêmes qui s’imposent à la fois aux gouvernants et aux gouvernés, soient rigoureusement respectées dans la mesure où elles traduisent la volonté du peuple souverain et constituent le socle du contrat social. Les constitutions sont une œuvre humaine et ne sauraient être éternelles. La stabilité politique et constitutionnelle préalable à la paix, à la réconciliation nationale et au développement exige aussi que les mandats présidentiels soient observés et qu’il ne soit fait recours aux révisions constitutionnelles que le moins possible dans le respect de la volonté du souverain primaire et en vue de promouvoir le constitutionnalisme et la démocratie.

Telles ne me semblent pas malheureusement les révisions dont l’unique objectif est de permettre aux dirigeants de rester le plus longtemps au pouvoir comme celle dont Evariste Boshab vient de faire le plus vibrant plaidoyer qui est la parfaite illustration d’une « politique du ventre », d’une déconfiture de la pensée, d’une forfaiture, d’une « trahison de clercs » ou de ce que l’auteur appelle lui-même « servilisme intellectuel ». Une telle révision est d’autant plus qu’elle n’est justifiée ni par le contexte ni par le Constituant lui-même qui l’interdit à l’article 220 en l’incluant parmi les matières non-révisables.

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** André Mbata Mangu est professeur de recherche au Collège de Droit de l’Université d’Afrique du Sud (University of South Africa) - Professeur ordinaire à la Faculté de Droit de l’Unikin - Texte de la conférence organisée par l’Institut pour la démocratie, la gouvernance, la paix et le développement en Afrique et présentée à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa le mercredi 26 juin 2013

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NOTES
) Le présent article est basé sur le texte de la conférence organisée à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa le mercredi 26 juin 2013 par l’Institut pour la démocratie, la gouvernance, la paix et le développement en Afrique (IDGPA). Cette communication portait sur les mandats présidentiels et les révisions constitutionnelles en Afrique.
2) SCHOCHET G J “Introduction: Constitutionalism, Liberalism, and the Study of Politics”, in PENNOCK JR & CHAPMAN J W (eds) Constitutionalism, New York: New York University Press, 1979, 1.
3) SHIVJI I G “State and Constitutionalism: A New Democratic Perspective”, in SHIVJI I G (ed) State and Constitutionalism: An African Debate on Democracy, Harare: SAPES, 1Ed.1991, 28.
4) ROSENFELD M “Modern Constitutionalism as Interplay Between Identity and Diversity”, in ROSENFELD M (ed) Constitutionalism, Identity, Difference, and Legitimacy. Theoretical Perspectives, Durham & London: Duke University Press, 1994, 3.
5) McILWAIN C H Constitutionalism: Ancient and Modern, New York: Cornell University Press, 1988, 22.
6) GREY T C “Constitutionalism: An Analysis Framework”, in PENNOCK & CHAPMAN op cit 189.
7) VILE M J C Constitutionalism and the Separation of Powers, Oxford: Clarendon Press, 1967, 11.
8) IVISON D “Pluralism and the Hobbesian Logic of Negative Constitutionalism”, Political Studies (1999) No XLVII
9) MOJEKWU C C “Nigerian Constitutionalism”, in PENNOCK & CHAPMAN op cit 184.
0) NWABUEZE B O Constitutionalism in the Emergent States, London: C. Hurt & CO, 1973, 1.
1) ZOETHOUT CM & BOON PJ “Defining constitutionalism and democracy: An introduction” in ZOETHOUT CM et al (eds) Constitutionalism in Africa. A quest for autochthonous principles, Gouda Quint-Deventer, 1996, 1.
2) Lire OLUKOSHI A “State, Conflict, and Democracy in Africa: The Complex Process of Renewal”, in JOSEPH R (ed) State, Conflict and Democracy in Africa, Boulder & London: Lynne Rienner Publishers, 1999, 456.
3) IVISON op cit 83.
4) Lire ESAMBO KANGASHE J L “Constitutionnalisme et la question du mandat politique en Afrique noire francophone”, communication à la Conférence internationale sur ‘Les Tabous du constitutionnalisme en Afrique’ organisée par le Centre de Droit Public (CDP) de l’Université de Lomé et le Centre d’Etudes et de Recherche sur les Droits africains et sur le Développement Institutionnel (CERDRADI-GRECCAP) de l’Université Montesquieu – Bordeaux IV, Lomé 14- 15 juin 2011.
5) BOSHAB, E, Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation , Bruxelles : Larcier, 2013.
6) BAYART J-F The State in Africa: The Politics of the Belly, New York: Longman, 1993.
7) BENDA J La trahison des clercs, Paris : J.J. Pauvert, 1965.
8) KAMUKUNY MUKINAY NGAL A Contribution à l’étude de la fraude en droit constitutionnel congolais, thèse de doctorat en droit public, Université de Kinshasa, 2007.
9) ESAMBO KANGASHE J-L La Constitution congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme, Bruxelles : Academia Bruylant, 2010.
20) MAMPUYA A Espoirs et déception de la quête constitutionnelle congolaise, Kinshasa & Nancy : AMA, 2005.
2 ) BOSHAB Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 266.
22) Idem 340.
23) Idem 341.
24) Lire MBATA MANGU A “Hérésie conceptuelle au sujet du constitutionnalisme et ‘constitutions sans constitutionnalisme’ en Afrique francophone”, communication à la Conférence internationale sur ‘Les Tabous du constitutionnalisme en Afrique’ organisée par le Centre de Droit Public (CDP) de l’Université de Lomé et le Centre d’Etudes et de Recherche sur les Droits africains et sur le Développement Institutionnel (CERDRADI-GRECCAP) de l’Université Montesquieu – Bordeaux IV, Lomé 14- 15 juin 2011.
24) BOSHAB Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 39-40.
25) Idem 27-28.
26) Idem 34-41.
27) Idem 6.
28) BOSHAB Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 6.
29) Idem 38.
30) Idem 39.
3 ) Idem 127-295.
32) Idem 135-144.
33) Idem 141.
34) Idem 151-165.
35) BOSHAB Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 166-173.
36) Idem 166.
37) Idem 167.
38) Idem 170.
39) Idem 172.
40) Idem 233-295, 373-374.
4 ) BOSHAB Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 327-371.
42) BOSHAB Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 336-371.
43) Idem 327.
44) C’est moi qui souligne.
45) BOSHAB Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 374-388.
46) Idem 376-386.
47) BOSHAB, E, Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 383-388.
48) BAYART J F The State in Africa: The Politics of the Belly, New York: Longman, 1993.
49) FINKIELKRAUT A La défaite de la pensée, Paris: Gallimard, 1987.
50 Voir MANGU MBATA Crise de la démocratisation au Zaïre: Eloge des intellectuels ou trahison des clercs? Conférence à l’Université Libre de Kinshasa, Juin 1995.
5 ) SARTRE JP Plaidoyer pour les intellectuels Paris: Gallimard, 1972.
52) LEVY MBH Eloge des Intellectuels, Paris : Grasset, 1987.
53) ACHEBE C Anthills of the Savannah, London: Heinemann, 1987.
54) IBRAHIM J “Political Scientists and the Subversion of Democracy in Africa”, in NZONGOLA-NTALAJA G & LEE M (eds) The State and Democracy in Africa, Harare: AAPS Books, 1997, 114-118.
55) MBATA MANGU The Road to Constitutionalism and Democracy in Post-Colonial Africa: The Case of the Democratic Republic of Congo, LLD Thesis, University of South Africa, 2002, 483.
56) IBRAHIM op cit 116.
57) KWESI PRAH cité par IBRAHIM op cit 116.
58) BOSHAB - Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation op cit 340, note de bas de page 21.