Revisiter Thomas Sankara 26 ans plus tard : Oser inventer le futur

Thomas Sankara reste l’un des fils les plus illustres du panafricanisme, mais ses pensées et ses actions au cours de sa courte vie ne doivent pas être oubliées par une nouvelle génération d’Africains. Surtout à notre époque, elles doivent être mises en œuvre afin de transformer la vie de la population africaine.

Dans un entretien accordé en 1985, Thomas Sankara a dit : "Vous ne pouvez pas mener à bien des changements fondamentaux sans un certain degré de folie. Dans ce cas, elle provient de la non-conformité, du courage de tourner le dos aux vieilles formules, du courage pour inventer le futur. De plus, il a fallu les fous d’hier pour qu’aujourd’hui nous puissions agir avec une extrême clarté. Je veux être un de ces fous" [1]

Aujourd’hui nous devons nous demander où sont les "fous" africains qui mènent à bien " les changements fondamentaux" dont l’Afrique a besoin. Vingt-six ans après l’assassinat de Sankara, jusqu’à quel point les Africains "ont-ils tourné le dos aux vieilles formules" et ont eu le courage d’inventer le futur auquel Sankara aspirait ? Plutôt, l’Afrique a été plongé dans des dettes financières plus importantes et s’est engagée sur la voie du néolibéralisme, "la vieille formule" qui n’a pas réussi à produire la croissance généralisée pour la majorité des Africains.

Depuis le meurtre de Sankara, les gouvernements et les dirigeants africains se sont conformés au Consensus de Washington. Il leur a manqué le courage de feu Hugo Chavez pour chercher de nouvelles alternatives et pour mettre en place des politiques qui satisfont aux besoins de la population. Ces gouvernements n’ont pas rompu avec le monopole du capitalisme international. Pour la jeune génération, il est nécessaire de reprendre les discours, la vie et les pensées de Thomas Sankara parce que ses actions et ses pensées sont pertinentes pour les Africains et l’Afrique d’aujourd’hui.

Sankara est arrivé au pouvoir en Haute-Volta, le nom du pays de l’époque coloniale à 1984. Au cours de sa courte existence, avant d’être assassiné par des forces néocoloniales, il a changé le nom du pays et adopté celui de Burkina Faso, ce qui signifie le Pays des hommes intègres. Sankara disait la vérité aux puissants lorsqu’il déplorait le piège de la dette dans lequel étaient pris les pays africains. Il croyait en une autonomie économique et dans la sécurité alimentaire pour la population burkinabé. Il a banni les paiements de tributs et les taxes rurales aux chefs traditionnels et a fait la promotion de l’égalité des genres dans une société très patriarcale.

QUI SONT LES ENNEMIS DU PEUPLE ?

Le 26 mars 1983, Sankara s’est adressé à des milliers de personnes lors d’un meeting à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso et, à cette occasion, a demandé "qui sont les ennemis du peuple ?"[2] Il a ajouté : "Les ennemis du peuple ici, au sein de notre pays, sont ceux qui ont profité de façon illicite de leur position sociale, de leur place dans la bureaucratie afin de s’enrichir personnellement. Au moyens de pots de vin, de manœuvres, de documents frauduleux ils sont devenus actionnaires dans différentes compagnies". De plus, "il y a ce groupe de bourgeois qui s’enrichissent malhonnêtement par la fraude et les pots de vin, par la corruption de fonctionnaires de l’Etat afin d’importer toutes sortes de produits en Haute-Volta, décuplant le prix au passage. Ils sont les ennemis du peuples". [3]

Dans son célèbre discours sans notes, aux chefs de gouvernements lors de la réunion au sommet de l’Oua en juillet 1987, Sankara a condamné avec passion la dette, un autre ennemi des Africains. Nous reproduisons ici ce qu’il a dit :

" Nous sommes endettés de puis 50, 60 ans et peut-être même plus. Ce qui signifie que nous avons été amenés à faire des compromis sur le dos de notre peuple depuis 50 ans et plus. Dans sa forme actuelle, c'est-à-dire contrôlée par l’impérialisme, la dette est gérée de sorte à reconquérir l’Afrique. Elle vise à subjuguer sa croissance et son développement par le biais de dominations étrangères. Ainsi, chacun d’entre nous devient un esclave financier, c'est-à-dire un véritable esclave de ceux assez traîtres pour investir de l’argent dans notre pays, argent que nous devrons rembourser. On nous dit de repayer. Mais ce n’est pas une question morale. Cela concerne le soi-disant honneur qui consiste à rembourser ou non… Les dettes ne doivent pas être remboursées, d’abord parce que si nous ne remboursons pas, les prêteurs ne vont pas mourir. C’est sûr. Mais si nous remboursons, nous, nous allons mourir. Cela aussi est sûr. " [4]

Il est évident que suite au sommet de l’Oua de 1987, l’appel de Sankara pour " la création d’un front d’Addis Ababa contre la dette" ne s’est pas matérialisé malgré les applaudissements nourris de l’audience. De plus, Sankara a déclaré : "C’est la seule façon d’affirmer que notre refus de payer n’est pas une agression de notre part, mais une démarche fraternelle qui dit la vérité". [5] En fait, aucun de ses contemporains n’a eu le courage et l’audace de refuser le remboursement et il s’en suit que l’Afrique continue de ployer sous la dette à ce jour.

A l’instar de sa condamnation passionnée de la dette comme un retour à l’esclavage, s’il était en vie aujourd’hui, Sankara mettrait en question l’extension des organisations non gouvernementales internationales (Ong) ainsi que les Ong africaines qui ont supplanté le rôle de l’Etat. Ces organisations ont généré la dépendance des populations africaines de l’étranger et d’une élite africaine sycophante plutôt que l’autonomie en laquelle il croyait.

Les ennemis de la population africaine aujourd’hui sont toujours les dirigeants néocoloniaux corrompus qui siphonnent la richesse de leur pays afin de s’enrichir eux-mêmes et leurs alliés occidentaux. Ce sont toujours les fondamentalistes que ce soit ceux du marché, les chrétiens, les musulmans ou dans leur manifestations homophobes. Le terrorisme du marché est la cause de la misère dans la vie de la vaste majorité de la population africaine qui continue à survivre avec un dollar par jour et dont beaucoup ne peuvent se payer les médicaments nécessaire à leur guérison, chose considérée comme allant de soi en Occident et ses systèmes de sécurité sociale.

Pourtant si Sankara était en vie aujourd’hui, il est probable qu’il identifierait de nouveaux ennemis de la population africaine dans les gouvernements africains qui s’engagent dans la location des terres ou "accaparement des terres" à des investisseurs étrangers au détriment du long terme de sa propre population, le changement climatique qui a été largement causé par les pays de l’hémisphère nord et leur addiction au carburant fossile, avec maintenant des impacts négatifs sur certaines régions particulières de l’Afrique, la séduction des gouvernements africains par les Ogm et l’agro-industrie. Mais aussi, les Programmes d’ajustement structurel (Pas) imposés à de nombreux pays africains dans les années 1980 et 90, qui ont été reconfigurés en politiques néolibérales et qui sont anathèmes pour ceux qui ont le véritable intérêt de la population africaine à cœur. De même que le terme à la mode de globalisation – qui n’avait pas cours du vivant de Sankara - et qui est devenu la feuille de vigne qui cache la marche du capitalisme vautour dans le monde entier.

De son vivant Sankara a soutenu "un nouvel ordre économique international" basé sur "le droit à l’indépendance, à l’autodétermination de la forme de gouvernement et de sa structure, le droit au développement" [6]. Mais depuis sa mort, seules les démocraties libérales et le règne du libre échange ont droit à l’existence. Des voies alternatives menant à la construction de la société et au développement économique, autres que les modèles exaltés en Occident, sont considérés comme inconcevables. A la place la doctrine des interventions humanitaires et "les changements de régime" déguisent les formes d’impérialisme et le marché est considéré comme la panacée universelle.

L’engagement d’armées africaines dans le cadre de programmes d’entraînement conjoints sous les auspices d’Africom sont aussi des ennemis de la population africaine que Sankara aurait probablement condamnés si il était encore en vie aujourd’hui. On se rappelle que dans un discours à des Afro-américains à Harlem en octobre 1984, il a mentionné en passant que "de nombreux pays africains préfèrent organiser leurs manœuvres militaires conjointement avec des puissances étrangères" [7]

L’internationalisme de Sankara à l’époque et aujourd’hui

En 1984, Sankara a pris sans arrière-pensées le parti des populations opprimées en Afrique du Sud, en Namibie et "le peuple sahraoui dans sa lutte pour recouvrer son territoire national"[8]. En été 1984, le Burkina Faso, sous sa direction, s’est retiré des jeux olympiques. Sankara a dit au moment des faits que "la Haute Volta a décidé de pas y aller et que le Burkina Faso endossait sa décision- non pas parce qu’il y a peu d’espoir de ramener une médaille, non, mais pour une question de principe. Ces jeux, comme toutes les autres tribunes, devraient être utilisés pour dénoncer nos ennemis et le racisme de l’Afrique du Sud. Nous ne pouvons participer côte à côte avec ceux qui soutiennent les politiques racistes de l’Afrique du Sud et ceux qui rejettent les mises en garde et les condamnations formulées par les Africains et qui visent à affaiblir l’Afrique du Sud raciste. Nous réfutons ces forces et nous avons choisi de ne pas participer aux Jeux, même si cela signifie ne jamais participer à d’autres Jeux olympiques ". [9]

Aujourd’hui, pendant que l’Afrique du Sud et la Namibie sont formellement indépendantes et gouvernées par des majorités africaines, le peuple du Sahara Occidental continue d’être sous la domination du Maroc. Aujourd’hui, quel dirigeant africain s’élève publiquement en faveur des Palestiniens et du peuple sahraoui et exige le retrait du Maroc et d’Israël des territoires sahraouis et palestiniens ?

L’internationalisme de Sankara s’étendait jusqu’aux communistes cubains et en septembre 1984 il a été honoré de la plus haute distinction du gouvernement cubain : l’Ordre de José Marti. Lors de la cérémonie, le ministre cubain de la Culture, Armando Hart, a déclaré que "ceci est l’expression d’une reconnaissance bien méritée pour ceux qui ont rendu des services exceptionnels à la cause de leur population, aux relations internationales entre nos pays. Pour la dignité et l’honneur. Ou la lutte contre l’impérialisme la domination coloniale et néocoloniale et pour une véritable libération". [10]

Dans son discours d’acceptation, Sankara a dit du grand José Marti, que "cet homme qui est mort à Dos Rios combattant pour la liberté de tous les peuples du monde, nous appartient à tous à Cuba et au Burkina Faso" [11]

L’internationalisme de Sankara l’a mené jusqu’à Grenade en 1983 où il a rencontré le Premier Ministre d’alors, Maurice Bishop avant qu’il ne soit tragiquement assassiné par les forces de l’impérialisme. Dans son discours à plus de 500 personnes à la Harriet Tubman School à Harlem, en octobre 1984, Sankara a mentionné sa rencontre avec Bishop et comment ils se sont donnés mutuellement des conseils A l’école. Il a aussi vu un ballet et a dit à la foule : " En regardant ce ballet je me croyais vraiment en Afrique". Ce pourquoi il a été longuement applaudi. Il a encore ajouté : "C’est la raison pour laquelle, comme je l’ai toujours dit, et je le répète encore une fois : notre Maison Blanche est dans la Harlem noire". [12]

Pour Sankara, il était clair que la construction de l’unité africaine n’était pas contre d’autres peuples dans le monde, parce que l’éthique africaine d’Ubuntu englobe dans l’amour toute l’humanité dans sa diversité ethnique et de croyance. Dans son propos à la Harriet Tubman School, Sankara a dit "Notre lutte est un appel à la construction. Mais notre exigence n’est pas de construire un monde pour les seuls Noirs contre d’autres hommes. En notre qualité de Noirs nous voulons enseigner à d’autres peuples comment s’aimer les uns les autres". Il a pressé la foule "N’ayez jamais honte d’être Africain !" [13]

Sankara soutenait le Mouvement des non alignés et considérait son pays comme faisant partie dudit "Tiers Monde", "un monde inventé au moment de l’indépendance formelle afin de mieux perpétuer le contrôle de notre vie économique, intellectuelle, culturelle et politique".[14]

Sankara était soutenait le fait que soit mis un terme à l’hégémonie de l’impérialisme occidental et soutenait la solidarité entre les mouvements des peuples et les gouvernements du Sud avec des mouvements du nord menés par le peuple. Il s’en suit que dans notre monde actuel, si il était en vie aujourd’hui, il aurait condamné l’injustice faite à ceux qui croupissent à Guantanamo depuis des décennies, présumés coupables avant même d’être jugés. Il aurait mis en cause le droit des Américains à chercher à imposer leur volonté aux peuples et gouvernements de toute la planète en les espionnant. Il est probable qu’il se serait tenu aux côté de Dilma Roussef lors de la récente ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies lorsqu’elle a critiqué le programme américain de surveillance et l’a qualifié de "violation du droit international" et une situation "de graves violations des droits humains et des libertés civiles, une invasion et le vol d’informations confidentielles concernant les activités des multinationales, et, en particulier, le manque de respect de la souveraineté nationale".

De même, Sankara aurait réprouvé l’incident de juillet 2013, qui a cloué au sol l’avion d’Evo Morales, à qui la France, le Portugal et l’Espagne ont refusé l’accès à leur espace aérien et que des fonctionnaires autrichiens ont exigé "d’inspecter" son avion, recherchant Edward Snowden. Selon les termes du journaliste John Pilger, c’était "un acte de piraterie et de terrorisme d’Etat". C’était "une métaphore pour le gangstérisme qui maintenant gouverne le monde et la lâcheté et l’hypocrisie des témoins qui n’osent dire son nom". [15]

LA LIBERTE CONQUISE DE HAUTE LUTTE

Le 4 octobre 1984, Sankara, dans son discours adressé à la 39ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, abordant plusieurs points importants, a dit : " Nous devons déclarer catégoriquement qu’il n’y a pas de salut pour notre population à moins qu’elle ne tourne le dos à tous les modèles que des charlatans de tous types ont essayé de nous vendre ces vingt dernières années. Il n’y a pas de salut en-dehors d’un rejet de cette nature". [16] Il a continué en fustigeant "les Africains instruits, les petits bourgeois de l’Afrique, sinon de tout le Tiers Monde pour n’avoir pas renoncé à ses privilèges, soit par paresse intellectuelle ou simplement parce qu’ils ont goûté à la vie occidentale" [17]. Il les a dénoncés comme "des consommateurs passifs et pathétiques, qui se vautrent dans les terminologies fétiches de l’Occident comme ils se vautrent dans le whisky occidental et le champagne dans des salons à l’air louche". [18]

Deuxièmement, il a dénoncé " la politique de l’aide étrangère et d’assistance" parce qu’elle "n’a rien produit hormis la désorganisation et la perpétuation de l’esclavage. Elle nous a volé notre sens des responsabilités pour notre propre territoire économique, politique et culturelle". [19] Troisièmement, il a réitéré sa position par rapport aux populations de l’Afghanistan, de l’Irlande, de Grenade, e Timor Est, du Sahara Occidental, de l’Afrique du Sud à un moment où tous ces pays étaient confrontées à la domination politique et économique.

Il a spécifiquement condamné l’agression étrangère de l’île de Grenade et toutes les interventions étrangères. Il faut se souvenir que le 19 octobre 1983, le gouvernement révolutionnaire conduit par Maurice Bishop était renversé par un coup d’Etat organisé par les forces néocoloniales menées par Bernard Coard, un membre du gouvernement de Bishop.

Enfin, Sankara a osé défier les Nations Unies lorsqu’il a dit vers la fin de son discours : "Nous proposons aussi que les structures des Nations Unies soient transformées afin de mettre un terme au droit de veto. Il est vrai que les effets les plus diaboliques de cet abus ont été compensés par la vigilance de certains autres qui détiennent ce droit. Toutefois, rien ne justifie un tel droit : ni l’étendue d’un pays ni sa richesse". [20] Il a encore vaillamment ajouté : "Il doit y avoir une fin à l’arrogance des grandes puissances qui ne manquent aucune occasion de mettre en cause le droit des peuples. L’absence de l’Afrique du club du veto est injuste et doit être remédiée". [21]

Sûrement qu’après 50 ans de cet exercice non démocratique du veto par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui prétendent soutenir la démocratie, la justice et l’égalité pour toutes les nations, celui-ci doit être revu et remplacé par des voix démocratiques et où la majorité de l’Assemblée générale des Nations Unies doit être reconnue comme son organe décisionnel suprême. Si les Nations Unies étaient un forum démocratique, le fait que la majorité écrasante de l’Assemblée générale – qui comprend 193 nations- se soit prononcée pour mettre un terme aux sanctions américaines contre Cuba, n’aie pas été suivie d’effet est le résultat de l’arrogance vindicative du droit de veto du Conseil de Sécurité et, plus spécifiquement celle de l’Oncle Sam.

"LA TRANSFORMATION DE L’ATTITUDE DE LA POPULATION" AU CŒUR DE LA LUTTE

En mars 1985, Sankara a accordé un entretien à un magazine d’information, Intercontinental Press, dans lequel il a évalué une année et demie de révolution au Burkina Faso. Il était totalement franc et reconnaissait que " les transformations matérielles dans la vie des gens n’ont pas encore été achevées. Toutefois, des écoles, des cliniques, des barrages, des routes, des logements ont été construits".

Sankara était ouvert lorsqu’il disait : "Toutefois la chose la plus importante pour nous, n’est pas ce qu’il manque. Ce qu’il y a de plus important c’est l’effort que nous avons consenti pour transformer l’attitude des gens". [22] Il a continué dénonçant "l’esprit néocolonial qui existe dans ce pays, les machinations de l’impérialisme pour dominer le pays de l’intérieur et de l’extérieur. Nous avons encore beaucoup de luttes devant nous pour combattre l’impérialisme". [23]

Vingt-six ans après la mort de Sankara, l’essentiel de la lutte reste de convaincre la population de croire en la transformation de sa vie, de la persuader qu’elle a la capacité d’oser inventer le futur par une lutte collective, plutôt que de croire en la venue d’un messie pour la prendre par la main. Pourtant, réunir les conditions socio-économiques, les changements culturels nécessaires à la création de nouvelles valeurs, attitudes et images, qui défient les concepts dépassés de la masculinité et du patriarcat, ne sera pas facile parce qu’il n’est pas facile de se défaire du conditionnement social et culturel et des tabous.

Sankara l’a reconnu dans son fameux discours du 8 mars 1987, lors de la Journée Internationale de la Femme dans la capitale burkinabé. Il s’est adressé à des milliers de femmes dans un discours hautement politique quand il a dit que la révolution burkinabé "établissait de nouvelles relations sociales entre les hommes et les femmes, contraignant chacun à repenser la nature de l’autre. Cette tâche est formidable mais nécessaire". [24]

"DEFENDRE LES ARBRES ET LA FORET EST SURTOUT UNE LUTTE CONTRE L’IMPERIALISME" [25]

Peu de crédit ou d’appréciation est accordée à Sankara pour sa clairvoyance, au début de la révolution burkinabé, pour sa compréhension de la question du changement climatique qui a, dans l’intervalle, acquis une plus grande notoriété et est entré dans la conscience globale. Sankara était clairement à l’avant-garde de cette compréhension et surtout de l’action contre la progression de la désertification en Afrique. Comme il l’a dit à Paris, en février 1986, lors de la première conférence internationale Tree and Forest, son pays est situé au cœur du Sahel et par conséquent, sa population a dû apprendre à vivre en harmonie avec la nature.

En 1985, un immense programme du nom de People’s Harvest of Forest’s Nurseries (la moisson populaire des pépinières de forêt) a été entreprise dans tout le pays, fournissant 7000 pépinières villageoises. Ceci concernait le fait, comme il l’a dit à la conférence, que "le colonialisme a pillé nos forêts sans une pensée pour la replantation qui assurerait nos lendemains". [26]

En 1986, il a correctement dénoncé "les arguments malthusiens fallacieux" que l’Afrique était surpeuplée, a fait une proposition radicale pour " qu’au moins 1% des sommes colossales consacrées à la recherche de cohabitation avec d’autres planètes soit utilisé pour financer notre combat pour sauver nos arbres et nos vies". Pour le citer de façon plus extensive, Sankara a déclaré :

"Pendant que nous n’avons pas abandonné l’espoir qu’un dialogue avec les Martiens peut aboutir à la reconquête de l’Eden, nous croyons que dans l’intervalle, comme Terriens, nous avons aussi le droit de rejeter l’alternative limitée au choix entre l’Enfer et le purgatoire.

Ainsi expliquée, notre lutte pour défendre les arbres et la forêts est d’abord et surtout une lutte démocratique qui doit être menée par la population. L’excitation coûteuse et stérile d’une poignée d’ingénieurs et d’experts forestiers n’accomplira rien. Pas plus que la tendre conscience d’une multitudes de fora et d’institutions - aussi sincères et dignes d’éloges soient-ils- ne peuvent libérer le Sahel puisqu’il nous manque l’argent pour forer des puits pour de l’eau potable, puits qui ne sont profonds que de 100 mètres alors que l’argent abonde pour forer des puits pétroliers à des profondeur de 3000 mètres". [27]

On peut supposer que si Sankara était en vie aujourd’hui, il n’y a guère de doute qu’il aurait été solidaire du président Correa d’Equateur qui a été forcé, en 2007, par la mobilisation de la société civile de protection de l’environnement, à renoncer au forage pétrolier qui promettait 850 millions de barils par jour mais dont la nappe se trouve dans le parc national de Yasuni. La décision visait à empêcher l’émission de tonnes de CO2 et la destruction des moyens de subsistance des groupes indigènes qui vivent dans la région. [28]

En 2007, le revenu pétrolier en Equateur était chiffré à US$ 3,6 milliards et le gouvernement équatorien avait annoncé qu’il renoncerait la moitié de ces revenus s’il recevait l’autre moitié au travers de la compensation internationale basées sur des donations placée sous l’égide Nations Unies. Malheureusement, en 2013, le gouvernement équatorien a abandonné l’initiative Yasuni, déclarant que la communauté internationale, particulièrement les pays développés, qui ont le plus contribué à la destruction de la planète, ont fait preuve de demi-mesures, non seulement à l’égard du fond de compensation mais aussi lorsqu’il s’est agi d’aborder sérieusement le changement climatique. [29] Peu probable que Sankara soit resté silencieux devant ce problème international particulier et le changement climatique en Afrique, s’il était en vie aujourd’hui

SANKARA AUJOURD’HUI

Il n’y a pas de doute que la pensée idéologique et politique de Sankara reste pertinente aujourd’hui pour la population africaine. Les problèmes du néo-capitalisme, de l’impérialisme, du changement climatique, des attitudes culturelles et des inégalités qui persistent à retarder les femmes et les hommes africains, la domination économique de l’Afrique, la désunion, et la corruption sont toujours vivaces 25 ans après l’assassinat de Sankara par les forces néocoloniales. Ces problèmes étaient dominants du temps de Sankara et continuent d’être dominants dans la vie de la population africaine. Je répète : "où sont les fous d’Afrique qui vont mener à bien des changements fondamentaux dont l’Afrique a besoin ? Ont-ils le courage d’inventer le future ?"

REFERENCES

[1] See ‘Thomas Sankara Speaks The Burkina Faso Revolution 1983-87, Pathfinder 1988, p. 144.

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** Ama Biney est la rédactrice en chef intérimaire de Pambazuka News et une intellectuelle militante- Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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NOTES

[2]Ibid, pp.11-20.
[3] Ibid, p.12.
[4] See ‘ Burkina Faso President Thomas Sankara ‘Against Debt’ Speech part 1’ http://bit.ly/HdyJoA
[16] Ibid, p. 86.
[17] Ibid, p. 86.
[18] Ibid, p. 87.
[19] Ibid, p. 89
[20] Ibid, p. 98.
[21] Ibid, p. 98.
[22] Ibid, p.101
[23] Ibid, p. 102
[24] Ibid, p. 202.
[25] Ibid, p. 156.
[26] Ibid, p. 155.
[27] Ibid, p. 15-156
[28] http://bit.ly/1cfItg0
[29] http://bit.ly/1aVQoys