L’Afrique de l’Ouest d’abord

Déclaration de la société civile de l’Afrique de l’Ouest sur l’Accord de Partenariat économique et le Tarif extérieur commun

L’Ape n’est qu’un accord commercial, de surcroit avec un partenaire dont les parts dans notre commerce ont chuté de 75% en 1975 à 28% actuellement. Il ne peut en aucun cas remplacer notre politique commerciale, ni déterminer celle-ci. Sa conclusion ne se justifie que s’il est porteur de progrès et s’il peut contribuer concrètement à réaliser des objectifs de développement économique et social des pays et de leurs peuples. Or l’Accord en cours de négociation est encore loin de refléter les intérêts des pays de la Cedeao dont 11 sur les 15 sont des Pma. Jugez-en vous-même !

En prélude au sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui se tiendra à Dakar le 25 octobre 2013 pour se pencher sur les Accords de Partenariat Economique (Ape) et le Tarif extérieur commun (Tec), entre autres sujets ;
nous, organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest, venues du Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal et du Togo, avons tenu, les 23 et 24 octobre 2013, des assises que nous avons appelées «le sommet des peuples de la Cedeao ».

Les décisions que prendront les chefs d’Etat sur le Tec et les Ape à l’issue de leurs délibérations détermineront la trajectoire du développement de notre région ainsi que ses possibilités de transformation structurelle durable. Même si ces deux questions sont traitées ensemble, nous attirons l’attention des chefs d’Etat sur le fait qu’elles n’ont ni la même importance ni les mêmes conséquences sur l’intégration et le développement de l’Afrique de l’Ouest qui restent la priorité des priorités.

Le Tec est l’un des principaux instruments nécessaires à l’intégration des systèmes de production et des marchés de l’Afrique de l’Ouest. Son adoption consacre la naissance de l’Union douanière ouest africaine et permettra de bâtir et de mettre en œuvre une politique commerciale unique. Il doit donc être cohérent et efficacement articulé autour des politiques sectorielles régionales, en particulier les politiques agricoles et industrielles, afin de renforcer les capacités productives de notre région et valoriser son énorme potentiel.

De nombreuses organisations de la société civile régionale ont mené d’importants travaux sur le Tec et fourni des contributions remarquables dans ce domaine. Les préoccupations qu’elles ont exprimées dans les secteurs agricoles doivent être entendues et prises en compte, y compris par l’adoption de mesures de défense commerciale appropriées et adaptées à la nature particulière de l’Afrique de l’Ouest. Ces mesures de sauvegarde doivent être faciles à mettre en œuvre et strictement orientées vers les besoins de développement de l’Afrique de l’Ouest et non pas déterminées par des accords internationaux mal négociés que nos pays sont souvent les seuls à appliquer à la lettre. L’absence d’une politique commerciale unique dans la région constitue un problème majeur que la Cedeao doit résoudre afin de donner un véritable contenu à son Tec.

Nous sommes conscients que quelles que soient la nature du Tec et la qualité de la politique commerciale régionale sur le papier, elles ne pourront atteindre leur objectif de renforcement des secteurs de production, de la compétitivité de l’économie et du commerce intra-régional que si les Etats de l’Afrique de l’Ouest respectent leurs engagements relatifs à la mise en œuvre des protocoles et décisions sur la libre circulation des personnes des biens auxquels ils ont librement souscrits. Nous sommes convaincus que la levée des obstacles, aussi nombreux qu’inutiles, qui entravent le développement du commerce intra-régional en Afrique de l’Ouest, est un impératif pour le développement de la région.

Même si les résultats obtenus à date dans le domaine de l’intégration et du développement ne reflètent ni les ambitions des peuples ouest africains qui aspirent à une intégration profonde, ni les efforts des institutions régionales, nous restons particulièrement attachés à la poursuite et à l’approfondissement de l’intégration économique en Afrique de l’Ouest. En conséquence, nous soutenons toute initiative qui renforcera notre intégration et nous nous dresserons aussi devant toute entreprise tendant à ralentir, arrêter, voire compromettre durablement le processus de construction économique de notre région.

C’est pourquoi nous sommes particulièrement préoccupés par la négociation de l’Accord de partenariat économique (Ape) et les défis qu’elle pose à l’Afrique de l’Ouest. Contrairement aux promesses initiales de l’Union européenne faisant de l’Ape un instrument pour renforcer l’intégration régionale, c’est bien le contraire qui s’est produit car, l’Afrique de l’Ouest a été fragmentée, balkanisée en cinq régimes commerciaux différents suite à la signature des Ape intérimaires. De plus, l’adoption récente par l’Ue d’une décision menaçant de retirer les préférences à la Côte d’Ivoire et au Ghana, entre autres pays Acp, à l’horizon du 1er octobre 2014, apparait comme une pression qui risque d’affaiblir les lignes de résistance de l’Afrique de l’Ouest et la pousser vers un Ape «à tout prix».

Nous rappelons avec force que l’Ape n’est qu’un accord commercial, de surcroit avec un partenaire dont les parts dans notre commerce ont chuté de 75% en 1975 à 28% actuellement. Il ne peut en aucun cas remplacer notre politique commerciale, ni déterminer celle-ci. Sa conclusion ne se justifie que s’il est porteur de progrès et s’il peut contribuer concrètement à réaliser des objectifs de développement économique et social des pays et de leurs peuples. Or l’Accord en cours de négociation est encore loin de refléter les intérêts des pays de la Cedeao dont 11 sur les 15 sont des Pma. Jugez-en vous-même!

Sur l’offre d’accès au marché, l’Afrique de l’Ouest a consenti les plus importants efforts pour se rapprocher de la position de l’Union européenne. Mais en dépit de ces efforts, l’Union européenne est restée campée sur ses positions, exigeant 80% d’ouverture du marché régional alors qu’aucun argument convaincant ne justifie ses demandes.

Nous rejetons d’avance la nouvelle offre d’ouverture de 75% du marché en voie d’être validée par les chefs d’Etat à Dakar car elle est économiquement insoutenable et socialement catastrophique pour l’Afrique de l’Ouest. Des études rigoureuses, jusqu’ici non démenties, ont prouvé son impact négatif en termes de détournement de commerce, pertes de recettes fiscales, perte de revenus pour les ménages, précarité et menace pour l’emploi et l’investissement, entre autres.

Concernant le Programme de l’Ape pour le développement (Paped), nous rappelons qu’il ne saurait être pris pour une demande d’aide classique, ce à quoi l’Union européenne essaye de le réduire. En cas de signature d’un Ape, douze Pma de l’Afrique de l’Ouest ouvriront leurs marchés et renonceront à d’importantes recettes fiscales alors qu’aucune règle internationale ne les y oblige. C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat de faire du financement intégral du Paped, avec des ressources additionnelles, stables et prévisibles, un prérequis incontournable pour la signature de l’Ape.

Sur la Clause de la nation la plus favorisée (Npf), nous réaffirmons que son inclusion dans l’Ape réduira à néant tous les efforts des Etats de l’Afrique de l’Ouest pour diversifier leurs partenariats commerciaux, pour accéder à de nouvelles technologies et des possibilités d’investissement vers les pays émergents du Sud. A cet égard, nous demandons aux chefs d’Etat de renouveler le mandat de négociation qui limite cette clause strictement aux pays développés.

Près d’une dizaine d’années de négociation n’a pas permis de conclure un Ape régional. Dans le même temps, pour des raisons déjà bien comprises, des pays de la région ont signé ou paraphé un Ape intérimaire. Du fait de ces actes, l’Afrique de l’Ouest se retrouve aujourd’hui avec cinq régimes commerciaux différents face au partenaire européen. Nous réaffirmons notre solidarité envers les peuples de la Côte d’Ivoire et du Ghana et demandons aux gouvernements de ces deux pays de se garder de poser des actes de nature à déstabiliser l’intégration régionale. Nous demandons en parallèle à l’ensemble des Etats, des institutions régionales et des acteurs de la société civile et du secteur privé à tout mettre en œuvre dans les instances régionales pertinentes pour rechercher dans les meilleurs délais des solutions au cas des Ape intérimaires.

Nous rappelons toutefois que ces Ape intérimaires ne peuvent ni servir de base ni de modèle pour un Ape régional. Nous sommes bien conscients des risques et des menaces sur l’intégration régionale dans l’hypothèse où un Ape régional ne serait pas conclu. Mais nous rejetons d’avance toute option consistant à signer n’importe quel type d’accord. Nous invitons en conséquence les chefs d’Etat à envisager des alternatives crédibles, notamment un plan B pour éviter que le scénario de 2007 ne se reproduise.

Les analyses effectuées sur les Ape intérimaires montrent que contrairement à ce qui est dit jusqu’ici, la Côte d’Ivoire et le Ghana pourraient perdre plus en mettant en œuvre leur Ape qu’en y renonçant. Leur position stratégique dans le commerce intra-régional est telle que l’essentiel de leurs productions industrielles, qui génèrent la valeur ajoutée et l’emploi, est exporté en Afrique de l’Ouest.

Nous réaffirmons notre appel à la Cedeao pour la mise sur pied d’un Fonds de soutien à l’intégration régionale (Fsir). Ce fonds qui pourrait être alimenté, entre autres, par le prélèvement communautaire unique de 1.5%, servirait à compenser dégressivement les pertes que pourraient subir les pays signataires d’Ape intérimaires. Pendant ce temps, ces pays, comme l’ensemble de la région, travailleraient à finaliser les politiques sectorielles communes régionales, accroître la compétitivité et approfondir l’intégration économique en opérationnalisant les mesures sur la libre circulation des biens et des personnes.

L’intégration régionale reste pour nous la priorité des priorités. A cet effet, nous appelons la Commission de la Cedeao à organiser sans tarder une large concertation, ouverte et inclusive, pour informer tous les acteurs de l’Afrique de l’Ouest sur les enjeux et défis du Tec, et créer ainsi les conditions permettant de corriger les imperfections et rendre possible son appropriation et application.

Par ailleurs, nous lui demandons de procéder sans retard à une évaluation objective du Schéma de libéralisation des échanges de la Cedeao (Slec) ainsi que du protocole sur la libre circulation des biens et des personnes. Cette évaluation doit être ouverte à tous les acteurs de l’Afrique de l’Ouest, y compris les populations à la base et les acteurs du commerce transfrontaliers

Pour faire aboutir ces demandes et exigences, nous nous engageons à mobiliser par tous les moyens légaux et appropriés les peuples de l’Afrique de l’Ouest afin de soutenir les chantiers de l’intégration et du développement économique et social de la Région.

Fait à Dakar le 24 Octobre 2013

SIGNATAIRES :
Bénin : Pascib
Burkina Faso: Spong
Côte d’Ivoire : Oscaf-Ci
Gambie : Tango
Ghana : TwnAfrica
Guinée: Cecide
Guinee-Bissau : Mouvement société civile
Mali : Coalition malienne des acteurs non étatiques pour l’Accord de Cotonou (Cmane-Ac)
Niger : Roddadhd
Nigeria : Nants
Togo : Gared
Sénégal : Enda ; Cncr, Fss, M23, Y en a marre, Congad, Cnts
Afrique de l’ouest : Roppa ; Poscao ; Foscao ; Oscaf ; Afao ; Repaoc, Coasad.

La publication de ce mémorandum a été rendue possible grâce au soutien d’Oxfam Novib

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