Le Ghana à 50 ans : Indépendance ou Nuage de Dépendance ?

Que signifie liberté dans un contexte africain? Un pays peut-il être libre lorsque 75% de son budget sont fournis par des bailleurs de fonds? Pas nécessairement, mais cela ne veut pas dire que l’indépendance du Ghana en 1957 n’est pas digne d’être célébrée. Toutefois, cela veut bel et bien dire qu’il reste beaucoup à faire.

Le 6 mars 2007, le Ghana va célébrer son « Jubilé d’Or », fréquemment mentionné sous le titre « le Ghana à 50 ans »- cinquante ans d’indépendance de leurs oppresseurs coloniaux, la Bretagne. Les ancêtres m’ont béni en m’offrant l’opportunité d’être témoin de cet événement grandiose. Même si je suis Africain (ou Noir) Américain, comme beaucoup de noirs de l’Amérique du Nord et des Caraïbes, je considère le continent africain comme mon domicile spirituel. J’ai voyagé dans sept pays de l’Afrique de l’Ouest. Je suis pan-africain en termes de sentiments, et par là je veux dire que je suis défenseur de l’unité fonctionnelle des Noirs / Africains du monde entier dans nos intérêts individuels collectifs.

Dans mon pays natal, les Etats-Unis, les personnes noires en tant que groupe sont toujours, d’après mon évaluation, des citoyens de second rang. Beaucoup trop d’entre nous continuent d’être victimes de la brutalité de la police, d’un système pénal de /d’(in)justice raciste, d’écoles se trouvant en-dessous de normes requises, de soins de santé et de logement inadéquats. C’est pour cette raison que je ne célèbre pas la Journée de l’indépendance américaine le 4 juillet 1776. Je ne salue pas le drapeau américain ni ne chante l’hymne national américain.

Je proteste non pas parce que je suis anti-Américain ou non-patriotique mais plutôt parce que je marche sur des principes. Le combattant noir américain pour la liberté Frederick Douglass a demandé il y a plus d’un siècle, « Quelle date est pour vous le quatre juillet pour les esclaves? » Grâce, en premier lieu, aux luttes prodigieuses de nos ancêtres, les Noirs Américains ne sont plus des esclaves. Mais nous sommes toujours sans liberté. C’est à partir d’une position d’une personne non-libre, soi-disant Africain Américain qui a fait des va-et-vient au Ghana depuis 1997 que je donne ma perspective personnelle de la signification des célébrations de la Journée d’Indépendance du Ghana.

Il y a cinquante ans, Osagyefo Dr Kwame Nkrumah, dans son discours de Déclaration de l’Indépendance, s’est exclamé en disant, « Le Ghana, votre pays bien-aimé, est libre à jamais! ». La liberté », cependant, peut être quelque chose de passager. Le Ghana est-il libre aujourd’hui? Que voulons-nous dire précisément par « liberté au Ghana »? Ce qui est peut-être, je pense , le plus instructif et ironique et à propos des célébrations dites « Le Ghana à 50 ans » est que le gouvernement ghanéen est forcé de compter sur les bailleurs de fonds occidentaux, surtout la Bretagne, qui doivent lui donner le financement.

Cela amène à se demander dans quel sens exactement le Ghana, et par extension l’Afrique, est libre? Et, dans ce cadre, que peut signifier la liberté pour les Ghanéens lorsque plus de 70 pour cent du budget du gouvernement central sont fournis par les bailleurs de fonds européens/occidentaux? Eh bien en guise d’entrées, et ceci est peut-être l’ironie la plus dérangeante de toutes, certains (mais pas tous) érudits et politiciens ghanéens sont forcés d’accepter sans les critiquer les interprétations britanniques du commerce transatlantique des esclaves, du colonialisme, et de ses conséquences. La véritable indépendance devrait signifier que les Africains ont la liberté d’interpréter leur passé dans une perspective d’Africains plutôt que dans celle des Européens- occidentaux (les blancs).

Ici au Ghana c’est devenu quelque chose à la mode chez les analystes ghanéens de comparer les progrès du Ghana en tant qu’une nation avec ceux de la Malaisie, qui a également obtenu son indépendance en 1957. Dans chaque cas où la comparaison intervient, le commentateur ghanéen aboutit à la conclusion inévitable selon laquelle, comparativement à la Malaisie, le Ghana se trouve bel et bien en arrière dans chaque domaine si l’on se réfère aux indicateurs principaux du développement humain et économique (mortalité infantile, espérance vie, PIB). J’ai toujours été en quelque sorte sceptique quant à l’utilité de tous ces genres de comparaisons. Après tout, les défis sociaux, politiques, et économiques durant la période post-coloniale du Ghana et de la Malaisie respectivement seraient très différents.

Si, cependant, on voulait faire des comparaisons, une autre juxtaposition instructive serait avec la première nation sub-saharienne à rompre avec la colonisation: le Soudan. C’est vrai le Soudan. On rapporte fréquemment que le Ghana fut le premier pays sub-saharien qui a gagné l’indépendance, mais le Soudan, ayant gagné son indépendance le 1 janvier 1956, a eu environ 14 mois d’avance sur le Ghana. Je soupçonne que cette légère différence historique pourrait avoir quelque chose à faire avec le fait que le Soudan est dominé par les Afro-Arabes—ou, pour le dire en termes plus crus, qu’étant donné ses liens politiques et culturels avec le monde arabe, certaines gens ont tendance à ne pas compter le Soudan dans le club des nations « noires » africaines.

Cette perception soulève toutes sortes de questions importantes à propos de la politique de l’identité africaine. Ce qu’il importe de noter à ce titre est que le régime de Khartoum et les rebelles du Sud du Soudan n’ont négocié que pendant les quelques dernières années une résolution(très fragile) mettant fin à ce qui fut l’un des conflits les plus longs et les plus négligés sur le continent africain. Plus récemment, la région de Darfur à l’Ouest du Soudan est le centre d’un désastre humanitaire que certains observateurs internationaux sont en train d’appeler génocide. Par conséquent, les vies des Darfuriens ordinaires sont extrêmement précaires comme ils continuent d’être coincés par les groupes rebelles d’un côté et les milices nomades(soi-disant « Janjaweed »), qui sont dits bénéficier du soutien de Khartoum, de l’autre côté.

Pour sa part, le Ghana a eu l’expérience de quatre coups d’Etats militaires (dont au moins un a présenté les agences américaine et britannique de renseignements comme conspirateurs), de moments sporadiques de violence sponsorisée par l’Etat, et d’une récession grave au début des années 1980. Mais contrairement au Soudan, les Ghanéens n’ont jamais connu les ravages et la dévastation de la guerre civile. Le Ghana est aujourd’hui, malgré la volatilité historique de son gouvernement central et les profondes divisions politiques entre les deux partis politiques principaux, la Convention Démocratique Nationale (NDC) et le Nouveau Parti Patriotique (NPP), une nation relativement stable. Alors que cela pourrait être prouvé de façon empirique, je suis de l’avis que cette stabilité a quelque chose à faire avec les efforts inlassables de Kwame Nkrumah de propager le nationalisme pan-africain.

Ce qui est indiscutable, cependant, est que l’indépendance du Ghana fut un exploit de l’élite ghanéenne, des gens comme Kwame Nkrumah et J.B. Danquah, des Afro-occidentaux comme W.E.B. Du Bois et Marcus et Amy Jacques Garvey, et des milliers d’autres noirs radicaux bien connus et moins connus de la diaspora qui ont pris l’identité de la lutte anti-coloniale africaine. Par-dessus tout, l’indépendance du Ghana fut accomplie par des Côtiers de l’Or (Ghanéens) qui ont refusé d’abandonner leur dignité même lorsqu’ils étaient confrontés aux obstacles les plus écrasants. En d’autres termes, l’indépendance du Ghana fut un exploit panafricain de haute signification. Cette histoire, je soupçonne, est bien connue à beaucoup de lecteurs du présent article.

Ce qui est moins connu est que les courants de l’inspiration révolutionnaire qui a alimenté la lutte contre la subordination raciale n’ont pas coulé dans un seul sens à travers l’Atlantique. Spécifiquement, l’indépendance ghanéenne et la lutte pour l’indépendance africaine en général avait des implications concrètes pour le mouvement de liberté des noirs des Etats-Unis. Tout d’abord et avant tout, l’exemple d’Osagyefo Dr Kwame Nkrumah qui dirigeait une nation africaine et encourageait les noirs de la diaspora de « retourner » sur le continent africain a revitalisé la lutte anti-raciste des noirs Américains.

Pourquoi, par exemple, est-il que si peu d’entre nous avons appris à l’école quoi que ce soit sur la visite de Martin Luther King au Ghana en 1957 pour les cérémonies de l’indépendance du Ghana? Pourquoi ne nous apprend-on jamais à propos de l’impact énorme que cette expérience a eu sur la pensée de King? Pourquoi savons-nous si peu de choses sur les deux visites de Malcolm X au Ghana? Par-dessus tout, pourquoi ne nous apprend-on jamais que le gouvernement des Etats-Unis voyait la coopération entre Africains Américains et Africains du continent comme une menace contre les « intérêts nationaux » (c-à-d une menace contre les intérêts des élites blanches et leurs collaborateurs qui n’étaient pas de l’élite et/ou non-blancs), et ont pris des mesures concrètes pour anéantir cette menace perçue?

Je soulève ces questions parce qu’elles sont cruciales si jamais nous devons être réellement libres et indépendants. Bien que nous ayons franchi de grands pas, nous les Africains n’assumons pas encore le contrôle de notre destin. La liberté et l’indépendance doivent être réclamées de manière consistante, on doit se battre pour elles avec ténacité, elles doivent être jalousement gardées, et défendues avec vigueur. Je ne suis pas afro-pessimiste. Il passe rarement un jour ici au Ghana sans que je sois inspiré par la gracieuseté, l’optimisme, la créativité, et la résilience des Ghanéens. En effet, mes expériences m’ont convaincu que, comme John Kufuor l’a affirmé, tout n’est pas que « sombres » en Afrique. Le Ghana et, comme Kwame Nkrumah dirait, les Africains en général, avons beaucoup de raisons de célébrer. Mais il y a toujours un volume considérable de travail à faire. Que sera votre contribution?

* Le Frère Kwame Zulu Shabazz peut être rejoint à l’adresse: [email][email protected]

* Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News n° 294 du 7 mars 2007. Voir : [email protected] ou commentez en ligne sur pambazuka.org