Le discours inacceptable de Nicolas Sarkozy

Il est peut-être écrit quelque part qu´entre Paris et ses anciennes colonies d´Afrique noire, rien ne doit se passer selon les normes admises par le reste du monde. La brève visite de Nicolas Sarkozy au Sénégal aurait pu passer inaperçue : elle lui a au contraire servi de prétexte à un discours inacceptable, que jamais il n´aurait osé tenir hors du pré-carré, devant le plus insignifiant de ses pairs. En Tunisie et en Algérie, il a bien compris qu´il ne lui serait pas permis de se comporter comme en pays conquis. Il n´a, d´ailleurs, pas eu droit au Maghreb à l´accueil populaire, folklorique à souhait et dégradant, qui lui a été réservé à Dakar.

Dans cette atmosphère rappelant le temps des commandants de cercle, il a prononcé une sorte de discours sur l´état de l´Union… française, sans même qu´on puisse lui reprocher de s´être trompé d´époque. Car il ne faut pas s´y laisser prendre : bien qu’il ait prétendu s´adresser à l´Afrique entière, Sarkozy n´est pas naïf au point de s´imaginer que la voix de son pays porte aussi loin que Johannesburg, Mombasa ou Maputo. Si les intellectuels de cette partie du continent ont, pour une fois, prêté attention aux propos d´un président français, c´est parce qu´on leur en avait préalablement résumé le contenu. Depuis quelques jours, ils le découvrent par eux-mêmes avec stupéfaction en même temps que les réalités de la Françafrique.

On comprend leur colère : même dans les pays francophones où on croyait avoir touché le fond depuis longtemps, tout le monde est d´avis que cette fois-ci la mesure est comble.

Etre un chef d´Etat relativement jeune et inexpérimenté ne donne à personne le droit d´être aussi puéril. Lorsqu´on dirige un pays important, on ne peut pousser trop loin le jeu du “moi-je-ne-suis-pas-comme-les-autres”. Ce manque d´humilité d´un homme que l´on dirait encore choqué d´avoir si aisément atteint son but l’a amené à aligner, devant un auditoire particulièrement averti, les plus désolants clichés de l’ethnologie coloniale du dix-neuvième siècle. La science politique s´intéressera peut-être un jour à ce cas de figure unique : un président étranger, faisant du haut de son mètre soixante quatre, le procès de tous les habitants d´un continent, sommés d´oser enfin s´éloigner de la nature, pour entrer dans l´histoire humaine et s´inventer un destin.

Remises au goût du jour par des auteurs français surtout soucieux de flatter la négrophobie ambiante, ces thèses servent à conforter une lecture révisionniste de la colonisation, du génocide des Tutsi du Rwanda et de la Traite négrière. La phrase “Ce sont des Africains qui ont vendu aux négriers d´autres Africains” est d´une colossale ineptie, elle est tout simplement indigne d´un président de la République. C´est une insulte à la mémoire des victimes et une infâme relativisation de la violence fondamentale du commerce triangulaire.

Jamais dans toute l´histoire de l´humanité, une nation n´en a opprimé une autre sans avoir bénéficié de la complicité, voire du zèle des élites du pays conquis. Aux dires de Robert Paxton -dont le travail sur Vichy est une référence absolue- Adolf Hitler n´était pas spécialement intéressé par l´occupation totale de la France : il lui suffisait de la neutraliser et d´en faire une simple base arrière. Ce sont les autorités étatiques françaises de l´époque qui l´auraient pressé de se montrer un peu plus ambitieux. Et qui donc, sinon l´écrivain Charles Maurras a salué comme une “divine surprise” l´entrée des chars allemands dans Paris le 14 juin 1940 ?

Le constat vaut pour d´autres parties du globe. Sans les coupables hésitations de Moctezuma - un homme de faible caractère à la tête du puissant empire aztèque - et le concours des caciques de nombreuses tribus indiennes, Hernàn Cortès et sa poignée de conquistadors n´auraient pas réussi à soumettre à leur loi la quasi-totalité de l´actuelle Amérique latine.

Le président francais a dépassé les limites du tolérable et -bien au-delà des fameux “pays du champ “- beaucoup de descendants d´esclaves vont se demander comment on en est arrivé à une situation où un responsable européen peut se permettre de tenir publiquement, sur le lieu même du crime, de tels propos sur la Traite négrière. La référence à Césaire n´y changera rien. Comparaison n´est certes pas raison, mais Sarkozy n´a pas de chance : au moment même où il évoquait avec une émotion feinte “ le bruit d´un homme qu´on jette à la mer”, un Nègre -ou un Arabe- était enchaîné et roué de coups à l´aéroport de Roissy.

A Dakar, le président de la République française a refusé d´appeler l´université par son nom, parce qu´il lui en coûtait sans doute de prononcer celui de Cheikh Anta Diop. Cette attitude ne l’honore pas, pour dire le moins. Elle met à nu les limites d´un homme pourtant visiblement décidé à montrer ce jour-là qu´il était capable de parler d´autre chose -et sur un autre ton- que de “racaille” et de “karcher”. Son désir de proximité avec un public qu´il devait savoir hostile l´a peut-être un peu perdu. Le rôle de composition qu´il s´est inventé (“Je suis jeune et je te parle à toi, jeune d´Afrique“) témoignait de toute façon – soit dit au passage – d´un réel manque de délicatesse à l´égard de son vénérable hôte.

On n´aura pas la cruauté de faire remarquer à Sarkozy que le tutoiement nous rappelle, à nous autres, de bien mauvais souvenirs. Cela importe en définitive moins que son recours répété a un “je” plein de présomption. Il en faut pour s´imaginer que ni la vie, ni leurs parents ou leurs professeurs n´ont jamais rien appris aux jeunes Africains, qu´il y a toujours eu un abîme entre la Vérité et eux et que, lui Nicolas Sarkozy, allait une fois pour toutes le combler ce 26 juillet 2007. Mais l´étudiant le moins averti de l´assistance avait déjà maintes fois décortiqué Discours sur le colonialisme et entendu Césaire y réfuter l´un après l´autre, avec clarté et précision, les arguments servis par Sarkozy. Ce dernier ne le sait peut-être pas, mais son discours de Dakar est bien plus vieux que lui-même. On peut se croire résolument tourné vers l´avenir alors qu´on a seulement les yeux rivés sur le rétroviseur de sa propre histoire.

Nicola Sarkozy a en outre cru devoir inviter son auditoire à distinguer entre les “bons” et les “mauvais” colonisateurs. Admettrait-il qu´un Allemand applique la même grille de lecture à l´histoire de son pays ? La France n´a été occupée par l´Allemagne que pendant cinq ans- et dans des conditions infiniment moins cruelles que la colonisation- mais on attend le jour où, au lieu de réfléchir sur un système de domination étrangère, violent et illégitime par sa nature même, quelqu´un aura l´audace de faire le tri entre les nazis de bonne volonté et les autres.

Dressant la liste des fléaux du continent, Sarkozy fait une discrète mention “des génocides”, dont la colonisation n´aurait en rien été “responsable”. Il faut s´y arrêter, comme chaque fois que l´on voit le mot “génocide” utilisé au pluriel par un représentant de l´Etat français. Le nouveau président est arrivé au pouvoir dans un contexte de très forte tension entre Paris et Kigali. L´implication de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda est si avérée que l´on sent parfois chez certaines autorités de l´Hexagone comme une tentation de passer aux aveux. C´est en réalité la seule option rationnelle dans ce complexe dossier.

Malheureusement, Paris court le risque, en créant un tel précédent, de voir s´ouvrir la boîte de Pandorre des sanglantes dérives de la Françafrique. Pour se tirer d´affaire, on essaie d´accréditer l´idée que le Rwanda n´était, tout bien considéré, qu´un génocide africain de plus et qu´on aurait tort d´en faire une grosse histoire.

Avant Sarkozy, François Mitterrand et Dominique de Villepin -pour ne citer que ces deux-là- avaient essayé de se débarrasser, d´un haussement d´épaules désabusé, du million de morts rwandais. Or, cette étrange théorie des solutions finales quasi routinières en Afrique ne résiste pas à l´examen. Il se trouve en effet que le génocide, perçu comme le crime absolu par la communauté des nations, a été défini de manière particulièrement stricte par la Convention de Genève de 1948. Et au sens où l´entend celle-ci, le seul génocide sur le continent, au vingtième siècle, est celui des Tutsi du Rwanda en 1994.

Les deux autres -la Shoah et le génocide arménien- ont eu lieu en Europe et le quatrième au Cambodge. Sarkozy ne pouvait ignorer cela. C´est donc à dessein qu´il a tenté de semer la confusion sur ce sujet douloureux, qui mérite mieux qu´un dérisoire traitement politicien.

Plus soucieux, curieusement, d´évoquer notre passé le plus lointain que le présent, l´orateur s´est gardé de la moindre allusion à la Françafrique, “le plus long scandale de la République”, selon le mot du regretté Francois-Xavier Verschave. Sarkozy était pourtant très attendu sur le sujet, car il aurait eu bien des choses à dire sur la politique africaine de la France depuis le début des années soixante. Il sait bien qu´après des indépendances de façade, Paris a continué, entre coups d’Etat, soutien à des régimes dictatoriaux et contrôle total des leviers économiques et du personnel dirigeant, à faire la loi dans ses anciennes colonies.

Il en est ainsi depuis le temps du général de Gaulle et ses successeurs, de gauche ou de droite, s’en sont toujours tenus à une ligne de conduite en fin de compte si profitable : langue de bois lénifiante sous les ors des palais et, dans l’ombre, le langage de la force avec son lot de coups tordus de divers réseaux et services, d’interventions militaires et d’assassinats ciblés de personnalités politiques.

On n’attendait certes pas de Nicolas Sarkozy qu’il regrette publiquement l´implication de son pays - qui ne fait plus l’ombre d’un doute - dans le génocide des Tutsi du Rwanda ; il n’allait pas non plus, dans un brusque accès de sincérité, se laisser aller à des états d’âme sur le rôle d’Elf et de certains grands groupes financiers - auxquels on le dit très lié - dans le pillage des ressources du continent. Personne, même dans ses rêves les plus fous, n’a jamais espéré le moindre aveu de cette nature : dans le monde tel qu’il va, les choses ne se passent pas ainsi. Qui ne s´est malgré tout surpris à guetter, ces dernières semaines, l´indice d´un début de changement ?

La relation françafricaine a atteint, au sommet, un tel degré de putréfaction qu´elle se sait condamnée à terme. Du Rwanda à la Côte d´Ivoire - en passant par les péripéties de la succession d´Eyadéma - les avertissements n´ont pas manqué depuis bientôt quinze ans. Il eût été habile pour Sarkozy de se donner une aura de réformateur hardi, en faisant de nécessité vertu. Mais même ce petit pas en avant, dicté par une prise en compte lucide des réalités du monde et des mutations de l´Afrique dite francophone, a paru d´une audace inouïe aux parrains de la Françafrique.

Le candidat Sarkozy avait cru pouvoir déclarer que “la France n’a pas besoin de l’Afrique”, mais il n´a pas dû être difficile de démontrer au président l´imprudence de tels propos. Son mutisme remarqué sur la Francafrique montre clairement qu´il n´a pas l´intention d´opérer une rupture qui mettrait dans l´embarras Idriss Deby, Sassou Nguesso et surtout son vieux complice Omar Bongo. Sans parler des amis qu´il ne va pas tarder à se faire : présidents en poste et jeunes dauphins encore imberbes se bousculent, paraît-il, au portillon…

Ceux-là l´ont entendu écarter toute idée de repentance le soir même de son élection et ils n´oseront jamais le fâcher par l´évocation de ce sujet, délicat entre tous. De toutes les anciennes puissances européennes, la France est la seule à avoir ce rapport quasi obsessionnel à son passé colonial. Le Parlement y vote, avec une incroyable candeur, des lois négationnistes et sa classe politique semble faire de la question de la repentance une affaire d´Etat d´une importance exceptionnelle. On a envie d´inviter toutes ces personnes à plus de sérénité.

Regretter les crimes de ses ancêtres est un acte que seule sa conscience peut dicter à un être humain. C´est, par ce fait même, un acte qui perd toute valeur s´il résulte d´une injonction extérieure. Il ne pourra, certes, jamais ressusciter les morts ou même guérir complètement les blessures de jadis, mais il peut grandir celui qui est capable de s´élever à une telle hauteur et aider, parmi les nouvelles générations, à la réconciliation des cœurs et des esprits. Mais si on n´a pas la force de se repentir, on doit au moins avoir la décence de se taire.

Lorsque Nicolas Sarkozy lance : “Jeunes d’Afrique, je ne suis pas venu vous parler de repentance”, il commet une grave inversion des rôles. C´est le privilège de la victime et non du bourreau de décider s´il faut évoquer ou non des crimes si abominables. La réaffirmation constante par le second de son refus du repentir est une véritable maladie de l´âme. Une société dont les dirigeants et tant de citoyens n´ont, avec leur passé, que ce rapport de dénégation, compulsif et grimaçant, révèle à son insu le malaise qui le tenaille et mérite, en vérité, plus de compassion que de haine.

A entendre Nicolas Sarkozy s’en prendre ainsi à son aise avec la Traite négrière, on peut perdre de vue qu´elle a fait, sur plusieurs siècles, au moins deux cents millions de victimes. Ce dernier chiffre est donné par Senghor - dans l´important ouvrage qui lui est consacré par l´universitaire américaine Janet G.Vaillant. Peu porté à l´exagération en la matière, le premier président sénégalais explique très sobrement, dans une lettre à sa biographe, en quoi le “trafic de bois d´ébène” continue à peser à la fois sur le présent et sur le destin de l´Afrique.

Le poète de Joal a été cité à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy en des termes élogieux. Le plus ironique c´est que, quoi que l´on puisse penser de Senghor, il n´est pas certain qu´il aurait laissé un invité du Sénégal dire de telles énormités ce 26 juillet 2007 sans lui porter la réplique d´une façon ou d´une autre. Etre un habile politicien ne l´empêchait pas d´avoir, lui, de la fierté et le sens de l´Histoire.

Au-delà des rapports de suzerain à vassal que Sarkozy peut entretenir avec ses obligés de la «Françafrique», ce qui est arrivé à Dakar interpelle aussi une certaine intelligentsia africaine francophone. Les désillusions nées des Indépendances – partis uniques, Guides-Infaillibles-de-la-nation, épidémie de coups d´Etat militaires et corruption – ont amené certains auteurs à soumettre l´Afrique à une critique sans complaisance. A partir de la fin des années 80, de nombreux textes ont été publiés par nos sociologues, historiens ou philosophes, avec l´intention louable de diagnostiquer le mal africain et de susciter les conditions psychologiques d´un sursaut.

De façon moins élaborée, mais souvent mus par la même volonté de favoriser un électrochoc, les romanciers faisaient de leur côté, avec la démesure et les effets de dilatation que seule autorise la fiction, le procès des systèmes politiques post-coloniaux. Les uns et les autres avaient, malheureusement, tendance à confondre Etat africain et société africaine. Celle-ci était soupçonnée de couver, par le simple fait qu´elle restait elle-même, les germes de sa propre destruction, plusieurs fois annoncée à l´époque – puis aussitôt reportée sine die. C´était là l´exemple achevé d´une vision purement essentialiste de la réalité africaine, tournant autour d´elle-même, comme un serpent qui se mord la queue, avec une lassante monotonie.

Négligeant les rapports de force politiques réels et l´impact décisif de l´Etat francais sur les luttes de pouvoir dans chaque pays de son ex-Empire d´Afrique subsaharienne, la réflexion se polarisait, avec une singulière obstination, sur les effets visibles du désastre au détriment de ses causes profondes, moins spectaculaires, il est vrai. Cette littérature, en principe destinée aux Africains, a été, en fait, beaucoup plus lue par les Occidentaux. Ceux-ci en ont fait leurs délices et elle leur a procuré un exquis sentiment d´innocence.

Ces auteurs balisaient, à leur insu, la voie à une négrophobie que l´on voit chaque jour un peu plus paisible et décomplexée, mais qui sait être vulgaire et injurieuse à l´occasion. En quelques années, l´afro-pessimisme a été, pour ainsi dire, racialisé et vidé de l´énergie libératrice dont elle était potentiellement porteuse. En France et dans le reste de l´Occident, des essayistes «africanisants» s´en sont largement servis pour donner une seconde vie aux préjugés les plus incongrus sur le continent. Et très souvent, ils se sont abrités derrière ces ouvrages pour convaincre de la pureté de leurs intentions un public assez peu averti. Il était, en effet, difficile de les accuser de racisme, puisqu´ils ne faisaient que reprendre les analyses de leurs homologues de Dakar, Yaoundé ou Abidjan.

Les propos de Nicolas Sarkozy viennent en droite ligne de cet univers vaguement «africanisant», si prompt à fustiger la concurrence mémorielle et une soi-disant tendance des Nègres à se présenter comme d´éternelles victimes des autres. Son meeting d´Agen le 25 juin 2006 est particulièrement révélateur de cette intime filiation. Sarkozy y avait été très dur contre «ceux qui ont délibérément choisi de vivre du travail des autres, ceux qui pensent que tout leur est dû sans qu’eux-mêmes ne doivent rien à personne, ceux qui veulent tout, tout de suite, sans rien faire, ceux qui, au lieu de se donner du mal pour gagner leur vie, préfèrent chercher, dans les replis de l’histoire, une dette imaginaire que la France aurait contractée à leur égard et qu’à leurs yeux, elle n’aurait pas réglée, ceux qui préfèrent attiser la surenchère des mémoires, pour exiger une compensation que personne ne leur doit, plutôt que de chercher à s’intégrer par l’effort et par le travail, ceux qui n’aiment pas la France, ceux qui exigent tout d’elle sans rien vouloir lui donner, je leur dis qu’ils ne sont pas obligés de rester sur le territoire national.»

Quatre jours plus tôt, il était l´invité de Franz-Olivier Giesbert à l´émission “Culture et dépendances”. Il y disait textuellement ceci : «J’ai reçu le père malien et le frère [d’un des deux jeunes électrocutés dans un transformateur EDF, origine des émeutes de novembre 2005]. Le père, qui est, depuis trente ans, en France, ne parlait pas français. Le fils, qui est né en France et va au Mali seulement pour les vacances, était en boubou.» Que ce leader politique ait pu en vouloir à des émigrés maliens en train de faire le deuil de leur enfant d´être “en boubou” ou de ne pas parler français, donne la mesure de son mépris pour les Africains et pour leur culture. On aurait, cependant, tort d´oublier que cette façon de penser est, aujourd´hui, assez répandue en France.

La sortie dakaroise de Sarkozy a retenu l´attention parce qu´il est un chef d´Etat, mais il n´a rien dit que l´on n´ait lu ou entendu, au cours de la décennie écoulée, de la part de nombre d´intellectuels européens, mais aussi, il faut bien le dire, de la part des penseurs africains eux-mêmes.
Pour l´afro-pessimisme, qui a d´ailleurs toujours été un courant philosophique diffus et quasi insaisissable, l´heure devrait être à une révision déchirante. D´une partie de l´Afrique à une autre, voire d´un pays à un autre, des processus historiques singuliers et complexes sont à l´œuvre. Il n´est pas raisonnable de s´en interdire l´examen minutieux, loin des a priori réducteurs.

Autrement dit, le choix n´est pas seulement entre une glorification béate du continent africain et sa diabolisation à outrance. Ce sont là deux façons identiques de s´enfermer dans un tête-à-tête pernicieux avec un monde occidental trop souvent pris à témoin -au nom de quoi ?- de nos “temps glorieux” ou de notre “malédiction”. Instruire le procès des sociétés africaines est légitime, mais il est essentiel de savoir très précisément à qui l´on parle. Et si l´on ne trouve pas un moyen sûr de s´adresser en priorité aux Africains, les choses resteront encore longtemps en l´état, au grand dam de nos populations.

On aimerait bien connaître le bilan que le président français lui-même a fait, en son âme et conscience, de sa visite à Dakar. Se peut-il qu´il n´ait pas compris à quel point nous nous sommes sentis insultés ? D´un point de vue rigoureusement politique, son discours est une faute. Il ne tardera pas à s´en rendre compte : les Africains et les Nègres de la diaspora ne le lui pardonneront jamais. La bonne vieille langue de bois aurait mieux servi les intérêts de son pays. Elle lui aurait, en outre, évité ces effets oratoires si empruntés qu´ils en étaient parfois un peu pathétiques. A l´arrivée on a presque envie de remercier Nicolas Sarkozy d´être venu nous apporter, bien malgré lui, la bonne nouvelle : en «Françafrique», depuis le 16 mai 2007, le Roi est nul.

* Boubacar Boris DIOP est un écrivain sénégalais. Il est l’auteur de sept romans, dont un sur le génocide rwandais : « Murambi ou le livre des ossements ».

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