L'Afrique et le partenariat international : Quel développement et pour quel financement ?

Depuis la fin du sommet UE-Afrique de Lisbonne de décembre 2007, les éternelles questions relatives à la place du continent africain dans les “nouvelles relations internationales” ont refait surface. Il faut craindre qu’elles ne nous éloignent de l’essentiel dans nos rapports avec le reste de la planète. L’essentiel pourrait se résumer en une seule interrogation. Qui doit financer le développement du continent africain ?

Nous Africains, qui avons cherché, parfois dans la douleur, à nous libérer de la domination étrangère, sommes encore à nous demander si la main qui donne doit être ou non en dessous de celle qui reçoit.

Une lecture attentive de ce qui est écrit ces derniers jours dans les médias africains, une écoute sérieuse de ce qui se discute dans l’opinion publique africaine, montrent encore une fois que dans ce nouveau partenariat mondial, les Africains ont du mal à comprendre que tant que le financement de leur développement viendra d’ailleurs, les solutions globales et collectives ne resteront qu’au stade de déclaration d’intention ou de conversion à une vision du monde.

Dans ce débat post-Lisbonne, qu’il me soit permis de réfléchir sur la problématique du financement du développement en Afrique et ses conséquences sur nos rapports avec le reste du monde en général et l’Union européenne, notre traditionnel partenaire commercial singulièrement.

Sans entrer dans les profondeurs de nos rapports avec l’Europe depuis au moins cinq siècles, je dirais que depuis le début des années 1990, la crise de la dette des années 1980, les profondes mutations dans la gestion des affaires du monde, l’équation que doivent résoudre nos chefs d’Etat africains et leurs homologues d’Europe est de s’assurer que les Africains ont à cœur de se développer, avant de dire à mots couverts ou de façon directe comment financer les choix stratégiques des pays africains dans leur quête de développement et de plus d’émancipation.

Comme il est possible de le constater, depuis bientôt deux décennies, la thématique du développement et de son financement est devenue centrale “dans le débat sur la gouvernance de la mondialisation” (Pierre Jacquet, RAMSES 2003, 123). Au cours des principales réunions internationales consacrées au sujet, les questions essentielles ont été de maîtriser les nouveaux paradigmes du développement (les nouvelles frontières du développement), dans un monde où s’affrontent “les défenseurs de l’idéologie du libre marché et ceux qui estiment que l’Etat et le secteur privé ont tous deux un rôle important” (Joseph E. Stiglitz, 2006).

(…) Dans un environnement mondial où il apparaît de plus en plus que “ce qui sépare les pays développés des pays en développement n’est pas un simple écart de moyens financiers mais aussi un écart de connaissances” (Joseph E. Stiglitz, 2006), l’accroissement des besoins de financement des pays en voie de développement, largement au-delà des capitalisations disponibles, a conduit progressivement à de “nouvelles conceptions du financement des nouveaux indicateurs du développement” sans que l’origine de ces innovations ait été africaine.

Dès lors, toute tentative de partenariat avec une autre partie du monde doit apparaître comme une volonté des Africains de sortir de la politique cinquantenaire de la main tendue, de l’assistanat, pour engager véritablement les réformes rendues nécessaires par les nouvelles frontières du développement et de la gouvernance mondiale.

Or que constatons-nous?

Le constat est que depuis le plan d’action de Lagos (1980-2000) pour le développement économique de l’Afrique et singulièrement pour l’industrialisation de l’Afrique, les initiatives africaines en faveur du développement des Africains par eux-mêmes et pour eux-mêmes sont, en réalité, toujours subordonnées à la générosité hypothétique de leurs partenaires extérieurs en dépit des discours flatteurs, tout en sachant très bien que “c’est la logique des intérêts qui fonde le partenariat : les Etats ne s’engagent dans les relations de partenariat que dans la mesure où leurs intérêts à s’y engager le commandent”.

Encore une fois, le sommet de Lisbonne de décembre 2007 et ses suites placent le continent noir face à ses responsabilités.

C’est donc l’occasion pour les opinions publiques africaines de se convaincre de la nécessité pour elles d’imaginer des modes de financement assez originaux de leur propre développement pour éviter de «subir», quand bien même ce n’est pas le cas dans les relations internationales, les états d’âme, les ingérences répétées, agaçantes et les prétendues arrogances de donateurs dont l’ambition première est de voir leurs aides servir à la collectivité plutôt que de permettre à une minorité de détenir à elle seule l’essentiel des biens publics. La guerre froide étant morte !

Les rapports entre le continent africain et l’Europe ont besoin de clarté et de lisibilité de la part des Africains eux-mêmes parce que ce n’est pas la première fois que le continent noir, à travers, ses dirigeants va s’engager dans une négociation multilatérale et donner l’impression de subir le diktat des Européens. Dire aujourd’hui que nous les Africains, nous ne savons pas ce qu’attendent nos partenaires de nous, avant toute rencontre à caractère multilatéral engageant l’avenir de notre bien-être collectif, est un discours qui ne fait plus recette.

Cela est d’autant plus vrai que le président Jacques Chirac n’a pas manqué de dire et d’affirmer : “Etre donneur d’aide aujourd’hui, c’est en général appartenir à la grande famille des nations industrialisées et démocratiques. Une famille qui a sa culture, ses solidarités et ses réflexes, notamment la bonne gouvernance, la transparence, le dialogue, la rigueur, l’efficacité. C’est pourquoi, ils [les donneurs d’aide] tendent à se détourner des pays aidés qui ne respectent pas ces critères que, par ailleurs, ils s’imposent à eux-mêmes”.

En d’autres termes, il y a nécessité pour nous les Africains de comprendre que tout partenariat peut s’interpréter comme “une politique de maîtrise et de civilisation des mœurs politico-économiques des entités étatiques” les plus faibles. Dès lors, “l’alignement international derrière la politique de partenariat avec l’Afrique est un fait très remarquable des grandes mutations qui affectent la coopération internationale” en ce début de XXIe siècle. Comme un homme averti en vaut deux, pendant combien de temps encore faut-il apprendre aux Africains que, sans changer eux-mêmes, ils n’ont aucune chance de survivre à ce partenariat mondial en général et euro-africain en particulier qui n’est rien d’autre qu’un nivellement par le haut ?

Outre les partenaires régionaux de l’Afrique, il faut souligner que l’ONU, la plus grande organisation mondiale par excellence, n’hésite pas non plus à fonder toutes ses initiatives en vue d’une accélération du développement de l’Afrique sur le partenariat. D’ailleurs, “le nouvel ordre du jour des Nations unies pour le développement de l’Afrique des années 90” (Yves Alexandre Chouala, 2003), adopté dès décembre 1991 par l’Assemblée générale des Nations Unies ne repose-t-il pas sur le partenariat?

Depuis cette date, les grandes rencontres internationales placées sous l’égide des Nations unies et consacrées au développement de l’Afrique, n’ont de cesse de rappeler aux Africains, que le partenariat international est bel et bien “un concept politique ferme qui met en branle tout un principe de vision du monde.”

(En définitive, il s’agit) de demander aux Africains de relativiser les divergences apparues en leur sein au cours du sommet de Lisbonne, dans la mesure où l’Union européenne reste leur partenaire privilégié dans la volonté du continent noir de s’insérer dans l’économie internationale.

Bien que, par endroits, l’approche générale de l’accord de partenariat économique UE-Afrique permette aux Etats africains de “déterminer en toute souveraineté, les principes et stratégies de développement, les modèles de leurs économies et de leurs sociétés”, force est de reconnaître que les pays qui se hasardent à trop s’écarter des préalables ou des nouvelles frontières du développement, sont tout simplement inéligibles à l’aide publique au développement dont tout prouve qu’elle reste l’essentiel des sources de financement du développement en Afrique, depuis que les Africains eux-mêmes ont décidé de transformer leur continent en zone de conflits récurrents, faisant fuir du coup le financement d’origine privée, oubliant que là où prospère la guerre, s’éloignent toute aptitude et toute capacité à construire pour soi-même et par soi-même, les sillons de son propre avenir.

* Gnamien Yao est ancien ministre de l’Artisanat et des Petites et moyennes entreprises de Côte d’Ivoire.

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* Cet article est paru dans le quotidien ivoirien Fraternité Matin