RD Congo : Analyse d'une question nationale non encore résolue

L’hymne national, Debout Congolais, dit que nous, Congolais, sommes «unis par le sort ». C’est une unité extérieure par la force des conquêtes coloniales qui ont forcé ensemble différentes communautés, à différents niveaux de développement social - des communautés sans Etat, celles avec Etat embryonnaire, celles avec royaume ou empire en crise, etc. Le résultat, c’est le Congo Belge, en passant par l’Etat indépendant du Congo qui organisa « l’holocauste oublié. »

Le Congo Belge organisa la forme globale de l’existence sociale - la cohabitation de toutes ces communautés - sur la base de la politique de « diviser pour régner. » Des communautés dites « martiales » étaient opposées à celles dites « poltronnes ». Des tribus étaient créées çà et là. Les BesiKongo, sujets du royaume Kongo, organisés par luvila (un rapport socio-politique d’appartenance au royaume), étaient, au Congo Belge, divisés en « tribus » (Bayombe, Bantandu, Bamanianga, etc.). La visée coloniale de la création d’une sorte d’Etat-Nation dominé, organisant les colonisés pour produire des richesses pour la métropole, faisait de l’Etat un Etat-greffe, c’est-à-dire un Etat implanté artificiellement, sans une base sociologique certaine.

C’est l’indépendance réelle seule qui allait permettre aux communautés colonisées et divisées d’arriver à une vraie unité intérieure. L’hymne dit que c’est par l’effort pour l’indépendance qu’on allait y arriver. Ce ne devait être qu’une unité négociée, participative de toutes les communautés. Sous certains cieux, cet effort, cette négociation participative, a donné naissance à une Charte d’autodétermination - en Afrique du sud, par exemple. Chez-nous, la synthèse nationale entre le Manifeste de la Conscience Africaine et le Contre-Manifeste de l’ABAKO exigeant l’indépendance immédiate, n’a pas eu lieu avant que la Belgique, par des tables dites rondes, ait repris l’initiative de la décolonisation. Le Congrès de Kisantu, préconisant l’autodétermination avec autonomie relative des communautés, était encore partiale.

L’initiative de l’Alliance des Bâtisseurs du Kongo (ABAKO), qui rencontrait certaines pesanteurs - des gens opposés à l’indépendance immédiate ou celle de ceux exigeant des colonialistes de préparer les Congolais pour l’Indépendance - commençait à être accusée de « séparatiste » parce qu’elle demandait l’autonomie du Kongo Central si les autres communautés n’étaient pas prêtes. Mais, avec les résultats du Congrès, l’ABAKO insista pour l’indépendance totale - sans sacrifier le droit à l’autonomie relative des communautés.

Le fait que l’effort pour l’indépendance s’était presque arrêté en 1960, en faveur du seul fait de remplacer les colonialistes dans l’Etat colonial sous condition de l’approbation de ceux-ci et de leurs alliés occidentaux, la négociation pour une unité participative et solidaire de toutes les communautés - avec droit démocratique de chaque communauté à l’autonomie relative - n’a pas encore abouti. On a vite posé l’équation coloniale : Etat=Nation.

L’indépendance n’était plus basée sur une forme globale d’existence sociale reconnaissant l’autonomie relative de chaque communauté comme un droit démocratique. Ceux qui occupent le centre de l’Etat se sont souvent proclamés garants de l’unité nationale qui n’a pas été un résultat des luttes d’autodétermination de différentes communautés et donc en l’absence d’une Charte d’autodétermination. L’unité dans la diversité dont continuent de parler les Constitutions qui se succèdent, n’est qu’une sommation mécanique à la coloniale, qui nivelait toutes les cultures en une culture sauvage des indigènes, culture considérée comme une anti-civilisation (civilisation européenne s’entend !). Aujourd’hui, on oppose chaque affirmation d’identité culturelle à l’exigence d’ « universalité ou de modernisme ».

Il faut remonter au mouvement prophétique - dirigé par Simon Kimbangu Diatunguna - qui avait mis en cause « la domination blanche religieuse et laïque » pour commencer à comprendre l’enjeu de la nécessité de la résolution de la question nationale, celle d’arriver à une forme globale d’existence sociale participative, c’est-à-dire négociée par toutes les composantes aux fins d’en finir avec la domination.

Les gens oublient l’objectif final du mouvement. C’est pourquoi ils s’arrêtent sur les qualités de non-violence des dirigeants du mouvement, s’identifiant ainsi avec les responsables de la domination. Ceux-ci ont compris le caractère violent, c’est-à-dire son exigence de rupture avec la domination culturelle, spirituelle et politique européenne, du mouvement. D’où la répression disproportionnée (le non-violent Kimbangu est jugé par un Conseil de guerre) pour « la restauration de l’autorité de l’Etat colonialiste » dans toutes ses dimensions : spirituelle avec le renforcement des églises coloniales (catholique surtout mais protestantes aussi) ; politique avec la déportation et la relégation des adeptes des prophètes pour empêcher les effets organisationnels du dire et faire spirituels ; et économique avec la reconsolidation protectionniste des entreprises coloniales. Même les enfants des prophètes étaient pris en charge pour qu’ils soient « mieux amadoués » et grandissent avec des idées acceptables et des comportements respectueux de la domination.

Il faut comprendre le BDK (NDLR : Bundu dia Kongo, mouvement politico-religieux congolais) comme une tentative de proposer une solution à l’épineuse question nationale, lorsque les dominants des appareils étatiques, soi-disant post-coloniaux, organisent l’Etat comme si le droit démocratique d’autonomie d’identité culturelle et ses effets politiques était interdit. Au moment où le BDK commence à se former, en 1969, les processus de connaissance, celui d’arriver au leadership national et celui de la foi sont tous extravertis. L’aspect positif de l’ « Authenticité » c’est d’être un cri d’alarme de l’absence de processus de créativité endogène.

En appelant à un enracinement culturel pour relancer cette créativité, le BDK vise une révolution culturelle à travers une critique des institutions entretenant une domination extravertie par une répression politique, c’est-à-dire une critique de l’artificialité de l’Etat dont le leadership culturel (ou son absence) étouffe les identités culturelles créatrices. L’émancipation, le BDK, n’est possible que sous condition de la rupture avec la culture occidentale dominante et aliénante -c’est sa prescription.

Faute de culture urbaine résultant des luttes de défense populaire de la culture urbaine, avec l’insuffisance d’organisation ouvrière capable de donner une direction aux communautés paysannes, l’Etat compradore est incapable de produire une vraie culture nationale faisant écho de la diversité culturelle. La musique, où cette possibilité se manifeste, est parfois tenue à l’œil par l’Etat répressif qui veut la soumettre à sa dictature.

On peut comprendre l’échec du lumumbisme par son incapacité à résoudre la question nationale, avec une centralisation du pouvoir abusivement appelée « unitarisme ».

Après la conférence d’Accra, Lumumba épouse la thèse abakiste de l’indépendance immédiate et la porte au niveau national. Au lieu de tisser une alliance avec l’ABAKO, enracinée dans les masses les plus politisées, relativement, de la colonie, il critique celle-là de « séparatiste ». Lumumba ne voit pas la valeur positive du Congrès de Kisantu, parce qu’il ne perçoit pas la notion d’autonomie relative de communauté comme un droit démocratique capable de servir de levain dans la restructuration de l’Etat colonial. Il conçoit le fédéralisme comme ouvrant la porte au « séparatisme ». Ce n’est que peu avant l’élection présidentielle qu’il visualise que son gouvernement, sans l’appui de l’ABAKO, ne pourra pas bien fonctionner à Kinshasa - faute de la confiance dans les masses Kongo. Il devait composer avec Kasa-Vubu.

Entré dans l’Etat suivant l’exemple de certains pays africains dont les masses populaires étaient plus organisées politiquement, il adopte la politique du « révolutionnaire d’Etat », c’est-à-dire de la subordination de l’Etat à la politique de l’articulation de la volonté (de poursuivre l’effort pour l’indépendance), de la confiance dans les masses (dont il ne contrôle pas l’organisation), de l’égalité (chacun compte pour UN, dans un Etat colonial qui a institué la discrimination) et de la terreur (redistribuer les ressources en faveur des masses contre les couches des riches ou clients de l’Etat colonial). C’est ce que ses adversaires vont nommer « communisme ».

Son parti politique n’est pas à la hauteur pour servir d’opérateur de cette articulation. D’autant plus que beaucoup de ses partisans sont opposés à cette politique et sont aussi des taupes au service de l’adversaire. Ne pouvant utiliser que les appareils d’Etat colonial, dans lesquels il est minoritaire, Lumumba est donc tenté par la centralisation du pouvoir qui l’amènera à s’aliéner Kasa-Vubu et son ABAKO, se privant ainsi de l’appui des masses Kongo, bien déterminées à poursuivre l’effort pour l’indépendance. Au lieu de s’efforcer de réconcilier Kasa-Vubu et N’Kanza Daniel pour une ABAKO forte en sa faveur, il soutient la division et donc l’affaiblissement de l’ABAKO. Coincé, il n’a plus d’autre chose que d’aller tête haute vers la mort.

La critique du lumumbisme doit tenir compte des limites de la politique d’alliances du MNC-L, de sa conception de l’Etat indépendant et de l’absence de conception du droit à l’autonomie relative des communautés, sans lequel la démocratisation, en l’absence d’un mouvement ouvrier indépendant, ne peut réussir. La centralisation du pouvoir ne peut conduire qu’à une politique de parti-Etat.

* Ernest Wamba dia Wamba Bazunini

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