Mamdani, Mugabe et la communauté scientifique africaine face au cauchemar du Zimbabwe

Au cours de ces dernières semaines, Pambazuka News a publié deux articles sur le Zimbabwe qui ont entraîné cette réaction fort polémiste mais très argumentée de la part d’Horace Campbell. Ce dernier réagit à l’appel lancé par des chercheurs du CODESRIA pour s’opposer à toute intervention militaire au Zimbabwe (1), mais aussi l’analyse faite par Mahmood Mamdani intitulé «Leçons du Zimbabwe».

Il a été fort indiqué qu’à l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'homme, un groupe de 200 chercheurs aient profité de l’occasion offerte par le 12e Congrès du CODESRIA pour exprimer leur préoccupation devant les menaces d'intervention militaire au Zimbabwe (1). Ces intellectuels ont souligné les effets néfastes d’une telle éventualité, en notant que «les interventions militaires aggravent les crises politiques et socio-économiques, ainsi que les divergences internes, avec des implications nuisibles et destructives au niveau régional. Nous reconnaissons que les menaces d'intervention militaire viennent de puissances impérialistes, mais aussi de leurs acolytes africains ».

Ces chercheurs ont manifesté leur opposition à l’appel lancé, pour la destitution de Robert Mugabe, par le Secrétaire d'État américain et par le Premier ministre britannique, Gordon Brown. L’archevêque Desmond Tutu de l'Afrique du Sud et le Premier ministre du Kenya, Raila Odinga avaient auparavant lancé ce même appel pour une destitution de Robert Mugabe par la force des armes.

En tant qu’intellectuel on se joint, partout dans le monde, au peuple africain, et on se réjouit de la vigilance des collègues contre l'intervention militaire étrangère. Je salue aussi leur préoccupation pour la situation épouvantable au Zimbabwe. Mais il est important que le gouvernement Mugabe et le porte-parole de la ZANU-PF ne tiennent pas compte de la déclaration faite par les chercheurs comme une approbation de l'effroyable tragédie qui a frappé les Zimbabwéens pauvres et exploités. Après tout, ces chercheurs CODESRIA ont désigné ce qui se passe au Zimbabwe comme étant "un cauchemar".

Cette déclaration a été faite dans la même semaine où le président Mugabe a dénoncé une préparation, par les impérialistes, d’une invasion militaire, soulignant que l'épidémie de choléra qui frappe le Zimbabwe était une manifestation de la guerre biologique. Le ministre de l'Information zimbabwéen est allé plus loin, prétendant, dans une déclaration faite au journal Herald, que "l'épidémie de choléra au Zimbabwe est une sérieuse arme biologique et chimique, un génocide contre le peuple du Zimbabwe perpétré par les Britanniques", ou encore que "le choléra est une attaque raciste terroriste planifiée contre le Zimbabwe, menée par les non repentants de l’ancienne puissance coloniale qui s'est assurée l'appui des Américains et des alliés occidentaux afin d’envahir le pays."

Cette déclaration faite par le Dr Sikhanyiso Ndlovu a été une insulte à l'intelligence humaine, dans la mesure où le choléra est une infection intestinale aiguë due à de mauvaises conditions d’hygiène. La clé de la prévention de cette maladie est simple : l'eau potable. C'est en raison de la nature simple du traitement que la réponse du gouvernement zimbabwéen à la mort de plus de 1000 personnes paraît insouciante. La guerre biologique est une question trop grave pour être utilisée à s’amuser à crier au loup. Une figure mondiale est en train de quitter la scène internationale avec le souvenir de ce type d’invocation en Irak.

Bien qu’on soit prêt à s'opposer à toute forme d'intervention militaire extérieure de la part des impérialistes, il est important que les chercheurs progressistes concernés s'opposent à l'anti-impérialisme primaire des leaders politiques du Zimbabwe sous Mugabe. Notre préoccupation repose sur une égalité de préoccupation chez ces collègues par rapport à la violence sexuelle, à la répression des dirigeants syndicaux, à la destruction aveugle de vies humaines par le gouvernement Mugabe et à la répression brutale des citoyens ordinaires. Au moment même où cette déclaration était signée, les défenseurs des Droits de l'homme demandaient au gouvernement zimbabwéen de se prononcer sur l'endroit où pouvait se trouver Jestina Mukoko, directeur du Zimbabwe Peace Project (ZPP). Ce dernier n'est que l'une des personnes les plus connues parmi 20 militants des Droits de l'homme qui ont disparu au cours des six dernières semaines. L'enfant de Jestina, âgé de 15 ans, a vu sa mère se faire enlever de leur domicile

Nous devons élever nos voix contre de tels enlèvements, tout en nous opposant à tout plan ourdi par l'impérialisme pour une invasion militaire du Zimbabwe.

Mais une question qui est venue immédiatement à l'esprit après la lecture de la déclaration du CODESRIA est de savoir si nos collègues sont devenus aveugles devant les souffrances des populations dans leur lutte contre les plus récentes et les plus complexes manifestations de l'impérialisme en Afrique.

I - Mugabe et l'exploitation des sentiments anti-racistes et anti impérialistes

Le gouvernement du Zimbabwe, qui est très conscient des sentiments anti-impérialistes et anti-racistes chez les peuples opprimés, a déployé des propagandistes à l’intérieur comme à l'extérieur du Zimbabwe, en vue de lier tous les problèmes du pays aux sanctions internationales décidées par l'Union européenne et les États-Unis. Les anti-impérialistes aux États-Unis citent la Loi sur la reconstruction et le développement au Zimbabwe - adoptés par le Congrès américain en 2001 - comme étant une des sources des malheurs économiques qui frappent les pauvres dans ce pays.

Même si les chercheurs, lors du Congrès du CODESRIA, ne se sont pas lancés dans le même genre de louange pour Mugabe que les auteurs du numéro spécial de «Black Scholar», il n'y a pas assez d’éléments qui montrent qu'il y ait eu, de leur part, assez d'attention portée aux violations flagrante des droits élémentaires. Si ce débat s’est posé au congrès du CODESRIA il n'a pas été reflété dans la déclaration.

Il faut noter que l'un des principaux acteurs du régime zimbabwéen, John Bredenkamp, a une longue expérience dans la manipulation de la question des sanctions et a aidé à l'enrichissement de ceux qui étaient au pouvoir en Rhodésie, comme il le fait maintenant au Zimbabwe. Bredenkamp a tracé sa voie pour faire fortune en brisant les sanctions pour le régime d’Ian Smith. Impliqué dans la politique de pillage économique de l'Afrique australe, il est l'un des principaux éléments de la ZANU-PF. Ses activités le lient aussi aux responsables politiques et financiers d’Afrique du Sud qui sont l’objet d’investigation de la part du Serious Fraud Office (SFO), pour ce qui est des 100 millions de livres en pots-de-vin versés pour assurer la vente d'armes au gouvernement sud-africain.

Il faut en appeler aux membres du réseau du CODESRIA pour qu’ils révèlent les résultats des travaux sur John Bredenkamp, Muller Conrad Rautenbach (alias Billy Rautenbach) et recommander l'arrestation et l'inculpation de ceux qui sont impliqués dans les pillages au Zimbabwe et en Afrique australe. Aussi bien Bredenkamp que Billy Rautenbach (des colons blancs) ont joué un rôle principal dans les pillages en République démocratique du Congo ont et mis en place des relations d'affaires à long terme avec les dirigeants de la ZANU-PF.

John Bredenkamp avait mûri dans l'art de la manipulation alors qu’il était allié à Ian Smith. Il excelle dans ce double jeu aux côtés de l'impérialisme et des nationalistes africains, avec les dirigeants de la ZANU-PF. Don expertise a été aussi mis au service des accumulateurs au sein de l'ANC. Au lieu d’aller donc à une simplification excessive à propos des menaces impérialistes sur le Zimbabwe, ceux qui militent pour la démilitarisation de l'Afrique doivent se battre pour que soient révélés les deals sur les armes qui ont lié le trafiquant zimbabwéen John Bredenkamp et Fana Hlongwane.

Le fabricant d'armes britannique BAe a travaillé avec Bredenkamp et Hlongwane en Afrique, de même qu’avec des éléments corrompus au Moyen-Orient. Des appels ont été lancés pour que BAe soit poursuivis aux États-Unis dans le cadre du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Une telle enquête aurait des conséquences potentiellement sismiques pour les entrepreneurs et les fabricants d'armes et serait un autre moyen de s'opposer au militarisme de l’Occident en Afrique.

II - Rejeter les problèmes du Zimbabwe sur la Loi ZIDERA

Le gouvernement de Mugabe lie l'ensemble de ses problèmes économiques à l’offensive lancée par les États-Unis et la Grande-Bretagne. Pour le régime de Mugabe, cette guerre économique se manifestent surtout à travers les sanctions directes prises à l'encontre de ses lieutenants, dans le cadre de la Loi sur la reconstruction économique et démocratique au Zimbabwe et le redressement économique Loi (ZIDERA), qui a été adoptée par l'administration Bush en 2001.

Il est pourtant clair, au regard des centaines de millions de dollars d'investissements effectués par les Britanniques, Chinois, Malais, Sud-africains et autres capitalistes, dans l'économie du Zimbabwe, depuis 2003, que les problèmes de ce pays n'ont pas été causés par une guerre économique. Allant même à l’encontre de la pression du gouvernement britannique, Anglo-American a indiqué, en 2008, sa volonté d'investir un montant additionnel de 400 millions de dollars pour continuer à contrôler les mines de platine au Zimbabwe.

Ce qui, par contre, a été le plus remarquable, reste la manière dont la dictature au Zimbabwe a violé les droits des travailleurs dans le secteur minier, en vue de faciliter et d'accueillir le capital étranger dans les secteurs du diamant et des mines. Des villages entiers ont été dévastés afin de faciliter l’accueil des investisseurs dans le secteur du diamant.

Si les militants des Droits de l'homme et les universitaires se penchent sur les liens entre les partisans de la ZANU-PF et les trafiquants d’armes que sont John Bredenkamp et Fana Hlongwane, avec toutes les ramifications dans le capital international, ils verraient qu'il est tout à fait simplificateur de faire valoir que ZIDERA est au cœur des problèmes du Zimbabwe.

Bredenkamp a été formé durant la période d’Ian Smith pour parer les sanctions et les combattre avec l'aide de l'apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui, Bredenkamp est un allié de l'ANC, de la ZANU-PF et des fabricants d'armes impérialiste britanniques tels que BAe ; tous en même temps. Il est donc important, pour les chercheurs africains, de joindre à l'appel le président de la Commission sur le trafic des armes en Afrique du Sud (South Africa for Arms Deal Judicial Commission), en vue de porter à l'attention du grand public les tractations des individus tels que Fana Hlongwane.

Les chercheurs, tout en alertant le monde contre l'invasion militaire étrangère, doivent s’intéresser à la conduite de l'armée zimbabwéenne, en particulier ceux qui recommandent à Mugabe de rester au niveau du pouvoir suprême. Il est dans l'intérêt de tous les chercheurs intéressés, de comprendre les conditions d'exploitation des ouvriers et travailleurs miniers au Zimbabwe.

Ce qui n'était pas prévu dans ce débat a été de voir le professeur Mahmood Mamdani, d'utiliser ses connaissances universitaires pour évoquer le simulacre d’argument de la ZANU-PF selon lequel les sanctions économiques ont aggravé la crise économique au Zimbabwe. (2)

III - Existe-t-il une révolution démocratique en cours au Zimbabwe?

Dès le début Mamdani (décrit lui-même comme une victime de l'expulsion forcée), assimile l’expulsion forcée des Asiatiques d’Ouganda à l'expropriation des fermiers blancs au Zimbabwe. Ainsi il compare Robert Mugabe à l’ex-président ougandais Idi Amin. Mamdani explique la popularité de la guerre économique menée par ce dernier contre les Asiatiques utilise le terme «popularité» pour caractériser le leadership de la Zanu-PF.
Peu de monde doute de la «popularité» de Robert Mugabe au Zimbabwe et dans d'autres parties de l'Afrique dans la période de la lutte anti-coloniale, mais dans le cours des quinze dernières années il a transformé les victoires de son peuple en un cauchemar sans fin fait de meurtres, d’homicides, de déplacements forcés et d'oppression brutale.

Idi Amin reste populaire en Afrique de l'Ouest tout comme Robert Mugabe l’est, ainsi que dans d'autres parties du monde où il n'y a pas une pleine compréhension de la tragédie qui se passe au Zimbabwe. Idi Amin, comme Robert Mugabe, est populaire en dehors de leur propre pays pour de mauvaises raisons.

Mahmood Mamdani, en tant qu’Ougandais, est très conscient de l’appui que le gouvernement britannique a apporté à la dictature d'Idi Amin en utilisant les médias britanniques pour insulter les Africains en général, lui-même en particulier. Ce dernier a été utile comme outil de propagande pour l'impérialisme. Mahmood Mamdani, en tant qu’intellectuel qui a beaucoup écrit sur l'Ouganda et la politique fasciste, est conscient du rôle que Bob Astles joué comme un agent des États-Unis et l'impérialisme britannique en Afrique de l'Est. Bob Astles (allié et confident d'Idi Amin à partir de 1966-1979) avait été impliqué dans les scandales du pillage de l’or au Congo dans les années 60 et a survécu avec Amin, en tant que conseiller attitré, jusqu'à son départ pour la Grande-Bretagne quand il est devenu clair que l’invasion de l’Ouganda par l’armée tanzanienne allait entraîner la chute du régime.

Mahmood Mamdani est retourné en Ouganda en 1979, dans le sillage des forces militaires et politiques tanzaniennes. Il s’agit là d’une situation qui a convaincu Mamdani de la nécessité d’une intervention régionale africaine pour débarrasser l'Afrique de la manipulation de la Grande-Bretagne et de la brutale politique de génocide d'Idi Amin.

A l’opposé de ses recherches sur la dictature ougandaise, Mamdani s’investit moins dans la recherche pour tirer des «leçons du Zimbabwe ». Il soutient que "dans le domaine social et économique - et même politique -, ce fut une révolution démocratique, avec un lourd prix à payer. Cette ligne de la «révolution démocratique» issue de la conception newtonienne de la hiérarchie des concepts, a été intériorisée par certains qui se disent eux-mêmes marxistes. Au cours de la période soviétique, ce discours a été utilisé par de soi-disant révolutionnaires tels que Mengistu, le boucher de l'Éthiopie. Est-ce donc un hasard si Mengistu a trouvé refuge au Zimbabwe ?

Dans le cadre de cette "étape révolutionnaire démocratique», les capitalistes africains devaient accumuler pour aller à une maturation du capitalisme. Walter Rodney a réfuté cette théorie des étapes dans son livre «How Europe Underdeveloped Africa”. Dans cette étude, Rodney établit qu'il y avait un lien entre le développement du capitalisme en Europe et les formes de pillage et de génocide en Afrique. Le capitalisme en Afrique a été implanté dans une forme très différente dans l'ensemble du continent et ceux qui l’ont soutenu ont utilisé la formulation de la « révolution démocratique » en vue de promouvoir des capitalistes noirs. Cela n'est nulle part plus évident qu'en Afrique du Sud où le parti communiste, en tant que composantes d’une alliance tripartite, a utilisé cette formulation elle-même pour garder le silence face à la plus intense et la plus rapide accumulation faite par une nouvelle classe capitaliste dans l'histoire récente.

Dans son diagnostic du «lourd prix à payer» pour cette révolution démocratique au Zimbabwe, Mamdani a noté l'impact sur : (a) «l'état de droit, (b) les ouvriers agricoles, (c) les pauvres des zones urbaines et d) la production alimentaire.

Ce qui a été le plus contradictoire dans l'argumentaire de Mamdani est que tout en reconnaissant l'impact des politiques du gouvernement Mugabe sur les pauvres des zones urbaines et sur les travailleurs agricoles, c’est qu’il consacre une grande partie de son analyse à critiquer le manque d'appui des donateurs au peuple du Zimbabwe. Avant l'ère du néo-libéralisme et du pseudo humanisme des soit disant structures internationales non gouvernementales, ces bailleurs de fonds seraient appelés impérialistes et on aurait eu à appeler le gouvernement du Zimbabwe à utiliser ses ressources pour fournir l'eau potable, l'assainissement et les soins de santé pour son peuple.

Robert Mugabe et la ZANU-PF ont mis en place une politique néo-libérale sélective pour enrichir une des plus fortes classes capitalistes en Afrique, tout en dépendant des organismes impérialistes internationaux pour la fourniture de services sociaux au peuple. Mamdani néglige le fait que le Zimbabwe Stock Exchange a affiché ses gains les plus rentables sous le régime de Mugabe.

IV - Mamdani fait une erreur

Dans le débat pour savoir si le Zimbabwe est dans un processus de révolution "démocratique", Mamdani se trompe sur différents domaines. Pour un universitaire qui a écrit sur le génocide, il est curieux de le voir ignorer la relation étroite entre les dirigeants des Interahamwe et les militaires zimbabwéens en RD Congo. L’armée de Mugabe a formé ceux qui ont commis le génocide au Rwanda à se battre aux côtés de Laurent Kabila.

Il est tout simplement erroné d'utiliser des formules tribales pour décrire la forte division de classe au Zimbabwe. C'est ici que la cohérence de la langue des bailleurs de fonds colle à celle des divisions ethniques au Zimbabwe. En décrivant la manipulation de Mugabe, Mahmood Mamdani note : « Très tôt la bureaucratie coloniale avait traduit la mosaïque ethnique du pays dans une carte administrative, de manière à permettre moins de coopération et davantage de compétition entre les différents groupes ethniques et les régions, en veillant, entre autres choses, à ce que la main-d'œuvre pour les mines, les entreprises et les services ne soit pas recrutée dans les zones où on avait besoin des paysans dans les grandes exploitations ou plantations.»

«Ces régions, comme on a pu s’en rendre compte, ont été principalement celles de l’ethnie Shona et de ce fait, sans surprise, on a vu que lorsque le mouvement syndical s’est développé en Rhodésie, ses dirigeants étaient pour la plupart des Ndebele, avec peu de liens avec les leaders shona de la paysannerie impliquée dans le mouvement de libération (Mugabe appartient à la majorité shona).»

Quelle est cette langue de la majorité Shona ? N'est-ce pas le vieux discours tribal de l'anthropologie coloniale?

Les critiques de Mahmood Mamdani ne parviennent pas à dissimuler la réalité que son soutien a été présentée comme un élément de la lutte intellectuelle anti-impérialiste pour soutenir le régime de Mugabe. Malgré les atrocités, les assassinats et les enlèvements de militants de base, Mamdani réussit à utiliser le terme "popularité" en parlant de l'actuel pouvoir au Zimbabwe. Nulle part il n’a fait prendre note du fait que ce gouvernement «populaire» a confisqué pendant plus d’un mois les résultats de l'élection en mars 2008.

Mamdani soutient qu’il y a eu une révolution démocratique payée au prix fort. En effet, au prix de la démocratie elle-même, dans sa plus simple expression, le droit de vote.

En écrivant pour apporter un soutien indirect à Robert Mugabe et à la ZANU-PF, comme on le voit dans un certain nombre de livres sur le Zimbabwe, Mamdani a été excessivement tributaire des travaux de l'Institut agraire pour les études africaines au Zimbabwe. Les documents de cet Institut ont été entièrement dédiés à la gloire de la "réforme agraire" au Zimbabwe. Les auteurs de ces documents favorables à Mugabe sont les mêmes que ceux qui prétendent que les horreurs de l'opération Murambatsvina (une opération pour rassembler des centaines de milliers de citoyens) ont été exagérés par les médias occidentaux. Ni Mamdani ni les penseurs de CODESRIA n’ont exprimé leur indignation par rapport à la répression et au déplacement forcé, dans ce cadre, de 750 000 personnes des zones urbaines en 2005.

Si un gouvernement blanc avait été l’auteur d’un tel fait, il y aurait un concert d’indignation. Les travaux scientifiques en cours sur les déplacements des ouvriers agricoles zimbabwéens menés par Amanda Hammar aideront les futures recherches qui seront axées sur la réinsertion des Zimbabwéens dispersés à travers l'Afrique australe. Ceux-ci ont d’ailleurs souffert des attaques xénophobes contre les migrants pauvres en Afrique du Sud.

En utilisant les résultats de l'Institut agraire, Mahmood Mamdani a pris soin de couvrir ses affirmations en notant : "Ce que la réforme agraire a signifié ou peu signifier pour l'économie du Zimbabwe est encore vivement discuté."

Ce qui n'est pas en cause, c’est que les politiques du gouvernement Mugabe ont détruit le secteur agricole au Zimbabwe. Dans notre examen de la procédure rapide de saisie des terre, dans le livre « Reclaiming Zimbabwe: The Exhaustion of the Patriarchal Model of Liberation”, nous avons exposé le fait que l'examen de la réforme foncière ne peut être séparé de la question de l'eau, des semences, des engrais et, surtout, de la main-d'oeuvre agricole utilisée.

C'est sur la question des travailleurs qu'on aurait pu s'attendre voir Mamdani s’appuyer sur les constats faits par Brian Raftopoulos Sachikonye et Lloyd. Il n'est pas trop tard pour lui recommander deux livres qui feront la lumière sur la relation entre la terre et du travail : Striking Back : The Labour Movement and the Post Colonial State in Zimbabwe, 1980-2000 (édité par Brian Raftopoulos; Sachikonye Lloyd, Weaver presse Harare, Zimbabwe 2001 et M. Lloyd Sachikonye) et The Situation of Commercial Farm Workers after Land Reform in Zimbabwe, A Report for the Farm Community Trust of Zimbabwe (Harare, Zimbabwe, Mars 2003)

V - Idi Amin et de Bob Astles, Robert Mugabe et John Berdenkamp.

Les qualifications portées par Mahmood Mamdani sur les résultat contestés de la "réforme agraire" ne doivent pas dérouter les chercheurs qui travaillent sur ce que pourrait apporter une réforme agraire démocratique dans la nouvelle Afrique australe, quand on assiste à une sérieuse décolonisation au lieu d’une africanisation de l'exploitation.

L’analyse de Mamdani ne peut pas cacher le fait qu'il existe une classe capitaliste qui profite de la misère et de l'exploitation des populations du Zimbabwe. La division actuelle dans ce pays, qui est présentée sous des dehors ethniques, ne peut pas cacher l'opulence et les disparités entre ceux qui ont le pouvoir et l'exploitation de millions de personnes, dont des centaines meurent de choléra.

Les milliards de dollars exportés par les dirigeants au pouvoir, sous la direction de la Banque centrale du Zimbabwe, ne seront révélés que lorsque les universitaires en général, et les chercheurs africains en particulier, viendront en soutien à l’initiative menée par l'ONU pour établir les avoirs volés. Les dictateurs africains, du Soudan à la Guinée équatoriale, et les pillards, du Nigeria à l'Angola voire au Kenya, voudraient plutôt que les universitaires africains se taisent sur le rapatriement des richesses volées.

On s'oppose à toutes les sanctions contre le Zimbabwe (y compris ZIDERA), parce que les sanctions ne sont pas efficaces quand il y a des entrepreneurs expérimentés tels que John Bredenkamp et Billy Rautenbach au service de la ZANU-PF. Ce qui est plus important, c’est d’arriver à une analyse complète de l'évasion fiscae opérée par Gideon Gono de la Banque centrale du Zimbabwe. En tant qu’universitaires, disposant de l'espace et des ressources nécessaires pour faire de la recherche, il est de notre devoir collectif, dans le contexte d'une administration Obama, d'appeler le ministère de la Justice des États-Unis à lancer des poursuite contre les éléments de la société britannique BAe qui ont été impliqués dans la corruption et la fraude en Afrique australe.

En outre, les chercheurs africains et les progressistes doivent faire pression sur l’administration Obama pour utiliser les ressources du ministère du Trésor et du Bureau du contrôle des avoirs étrangers pour démocratiser l'information sur les milliards de dollars volés à l'Afrique, et dans ce cas à l'Afrique australe.

Comme dans le cas d'Idi Amin Dada, l'impérialisme est très sélectif dans la révélation des informations sur le vol et l’évasion fiscale perpétrée par le régime de Mugabe. Le mois dernier, le Département du Trésor des Etats-Unis et le Bureau du contrôle des avoirs étrangers avait infligé de nouvelles sanctions à John Bredenkamp, un des acteurs de la classe capitaliste au pouvoir au Zimbabwe. Il est nécessaire de continuer à mener une action concertée de recherches et de révélations sur le rôle d'éléments tels que Bredenkamp et leur alliances avec les membres du gouvernement sud africain qui profitent de la misère et de l'exploitation des populations du Zimbabwe. Est-ce un hasard si les forces liées à Bredenkamp ont appuyé la "diplomatie discrète" de Thabo Mbeki ?

Les pays de l'Union européenne sont également impliqués dans le pillage du Zimbabwe. Les Européens conscients et les chercheurs africains doivent faire pression sur les forces démocratiques en Belgique pour qu’un appel soit lancé à la Banque centrale belge, en vue de communiquer les sommes exportées par Gideon Gono au nom de Robert Mugabe et de la dictature.

Le système bancaire international s'appuie maintenant sur un réseau administré par la Société mondiale de télécommunications interbancaires (SWIFT), basé à La Hulpe, dans la périphérie de Bruxelles. SWIFT relie 7 800 institutions financières dans 205 pays, y compris les banques du Zimbabwe, et traite chaque jour 6 000 milliards de dollars de valeurs en transactions. Bien que détenues par les banques, SWIFT tombe sous le contrôle des banques centrales et, en particulier, le contrôle de la banque centrale belge.

Au lieu de spéculer pour savoir si le régime de Mugabe exporte 9 à 15 milliards de dollars chaque année, la dénonciation du chef de la Banque centrale du Zimbabwe est bien plus importante que les pourparlers pour destituer Mugabe par la force. Le blocage des paiements internationaux est beaucoup plus efficace et plus rapide que d’agir sur le commerce ou d'autres sanctions. La stratégie peut également être inversée dès que les objectifs sont atteints, sans dommages permanents à l'économie ou à l’infrastructure économique.

VI - Les universitaires engagés doivent être outrés de voir ce qui se passe au Zimbabwe

Des gens sont tués et brutalisés au Zimbabwe. L'homophobie et les tests de virginité reflètent les formes les plus extrêmes du patriarcat et de la masculinité déformés. Les femmes qui portent le poids de cette oppression ont appelé à la solidarité internationale. Sous la direction du groupe, Women of Zimbabwe Arise (WOZA), ces braves combattantes ont mis à l’index ceux qui utilisent des discours sophistiqués post-modernistes et anti-impérialistes pour soutenir Robert Mugabe. Les travailleurs du Zimbabwe sont agressés tous les jours et c'est la tâche des chercheurs africains de défendre leurs droits, qu’ils soient organisés ou non syndiqués.

Malheureusement pour Mamdani, cet article en soutien à Mugabe est sorti au moment où des informations ont paru sur la situation d’urgence qui règne dans le domaine de la santé, avec la mort de plus de 1000 personnes atteintes de choléra. Déjà, les porte-parole de la dictature de Mugabe ont commencé à utiliser ses écrits pour donner une légitimité à leur rhétorique anti-impérialiste.

Mahmood Mamdani s'est opposé à l'expulsion des Asiatiques de l'Ouganda, au motif qu'elle s’était faite sur une base raciste. Il a reconnu qu’après la destitution d'Idi Amin l’élite capitaliste asiatique est retournée en Ouganda. Afin de veiller à ce que l'impérialisme et les colons blancs ne soient encore les bénéficiaires de ce bourbier du cauchemar dans lequel se trouve le Zimbabwe, il est nécessaire d'explorer de nouvelles techniques agricoles enracinées dans le savoir des travailleurs pour mettre en place des coopératives et briser la domination des nouveaux capitalistes noirs.

Ce fut un droit démocratique du peuple zimbabwéen de récupérer les terres saisies par les colonialistes britanniques. Cependant, les universitaires progressistes doivent s'opposer à l'exploitation, qu’il soit le fait de Noirs ou de Blancs. A ce niveau, on soutient les ouvriers agricoles zimbabwéens et on s'oppose à la fois aux colons capitaliste du Zimbabwe et à leurs alliés africains qui cherchent à perpétuer l'exploitation des travailleurs, des paysans pauvres et des commerçants.

L'impérialisme occidental comprend la délicatesse de l'équilibre des forces au Zimbabwe. C'est pour cette raison que l'Occident presse les éléments néo-libéraux du MDC à se joindre à un gouvernement d'unité nationale avec le même groupe qui a tué plus de 20 000 Zimbabwéens et expulsé plus de 750 000 citoyens de leur lieu de résidence.

Les récentes études sur la situation au Zimbabwe, comme indiqué dans le Bulletin de l'Association des universitaires africains, sous la direction de Timothy Scarnecchia et de Wendy Urban-Mead, offrent des indicateurs pour ceux qui veulent mettre en lumière les liens entre les partisans de la ZANU-PF et les immenses souffrances de la population de Zimbabwe. (ACAS Bulletin 80 : Numéro spécial sur le Zimbabwe 2)

Mamdani a raison d'attirer l'attention sur l'influence des néo-libéraux comme Eddie Cross sur le MDC, mais le néo-libéralisme est mort et les gouvernements d'Europe occidentale et des États-Unis sont occupés à nationaliser les banques sans aucun contrôle démocratique et sans aucune transparence.

Les Zimbabwéens qui militent pour le changement doivent s'opposer à la tendance néo-libérale au sein du MDC, pour veiller à ce que les souffrances des travailleurs ne se perpétuent après le départ de Robert Mugabe.

Il n'y a rien de révolutionnaire ou de démocratique sur ce qui se passe au Zimbabwe, sous la direction de Robert Mugabe et de la ZANU-PF. Les chercheurs africains et les forces progressistes doivent utiliser toutes leurs ressources pour appuyer les producteurs qui cherchent de nouvelles formes de politique émancipatrice face à la crise capitaliste mondiale. Les Africains, comme tous les hommes qui vivent décemment dans toutes les régions de la planète, veulent vivre dans la dignité et le respect de leurs droits fondamentaux.

NOTES
1) ) Les menaces d’une intervention militaire au Zimbabwe

2 - Lessons of Zimbabwe (http://www.pambazuka.org/en/category/features/52407)

* Horace G. Campbell est professeur d’Etudes africaines-américaines et de Science politique à l’Université de Syracuse, à Syracuse (New York). Né à Montego Bay, en Jamaïque, il a été impliqué depuis plus de quarante ans dans les luttes de liberation en Afrique et de manière générale dans les combats pour la paix et la justice (Dans sa version originale, en anglais, ce texte est disponible à travers ce lien : [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org