RD Congo : Les femmes “prisonnières” du viol dans leurs propres maisons
C’est un des drames du conflit congolais, mais également des dérèglements sociaux qui en ont découlé. En effet, le viol est devenu un «génocide silencieux» dont les femmes sont victimes sur des échelles insoupçonnées. Plus qu’une arme de guerre, il s’agit d’un phénomène social en RD Congo. D’après les statistiques de l’UNICEF, quelque 200.000 femmes et filles ont été agressées au cours de ces 12 dernières années, en RDC. Les statistiques les plus terribles viennent du Kivu. En 2008, dans le nord de cette région en proie à un conflit endémique, un rapport de l’International Crisis Group a fait état de 2.200 viols ont été dénoncés. Sans doute beaucoup moins que les cas passés sous silence. ?Cette plaie gangrène aujourd’hui toute la société congolaise, partout. Les femmes dénoncent des mauvais traitements réguliers et indiquent qu’elles n’ont pratiquement aucun contrôle sur leurs propres vies. Jusque dans leur foyer.
Les terribles détails de l’épidémie de viol qui sévit en Rd Congo sont de mieux en mieux connus. Un nombre incalculable de femmes sont agressées sexuellement alors qu’elles vaquent à leurs occupations quotidiennes. Il s’agit là d’une des nombreuses conséquences du conflit et de l’impunité qui ont frappé le pays au cours des dernières années.
Les attaques subies par les femmes dans leurs propres maisons, de la part des personnes de leur entourage le plus proche, font l’objet de moins de publicité. Nombre d’entre elles souffrent régulièrement de mauvais traitements physiques et psychologiques – non pas de la part d’étrangers mais de leurs maris ou d’autres membres de leurs familles. Elles accusent le gouvernement de ne pas faire beaucoup d’efforts pour les protéger, promouvoir leurs droits et poursuivre leurs agresseurs.
Ces femmes font partie des plus pauvres de la planète. Malgré les efforts considérables qu’elles font pour préserver le bien-être de leurs familles et de leurs communautés, elles n’ont ni les moyens, les compétences ou la force de faire valoir leurs droits. Ayant demandé que leur identité soit gardée secrète pour des raisons de sécurité, elles ont expliqué qu’elles étaient traitées comme des biens privés, n’ayant en pratique aucun contrôle sur leurs propres vies. Une femme, seconde épouse d’un politicien de 18 ans son aîné, explique avoir interdiction de se laver quand son mari est absent et être battue si elle désobéit.
“Il passe trois jours chez la première épouse et trois jours chez moi. Quand donc il est chez la première, je dois rester sale, juste me débarbouiller le visage et me parfumer légèrement”, explique-t-elle. “Dès que je commets l’erreur de me laver, il me bat sérieusement et me prive de mon argent de poche. Il me soupçonne de l’avoir trompé dès que je me lave. Il demande constamment à la bonne, à l’enfant si personne n’est passé en son absence. Je n’ai même pas le droit de conduire seule la voiture. C’est presque un cauchemar et je vis prisonnière dans ma propre maison. Je dois vivre comme cela…. Sinon c’est des gifles et autres violences au propre comme au figuré”, témoigne-t-elle.
Une femme dont le mari était récemment décédé a décrit l’humiliation subie lorsque ses beaux parents ont insisté pour qu’elle participe à un rituel superstitieux. “Les oncles et tantes de mon mari sont venus du village et ont décidé que je devais savoir un rapport sexuel avec mon beau-frère, Trésor, le petit frère de mon mari, que j’avais élevé,” raconte-t-elle. “Cette pratique coutumière consisterait en la purification de la veuve ainsi l’esprit de mon défunt ne viendrait pas hanter ni les enfants ni moi. J’ai du me plier à ces coutumes avilissantes. Après cela, mes beaux-parents ont décidé que la maison resterait sous la gestion de mon fameux beau-frère qui allait également avoir la garde des enfants.”
Des lois existent au Congo qui pourraient aider à protéger les femmes de la violence au sein du foyer et certains agresseurs comparaissent devant les tribunaux. Le juge de Lubumbashi Claude Manza a cité l’exemple d’un mari qui avait versé de l’eau bouillante sur sa femme. “Elle a été brûlée et elle est morte,” raconte-t-il. “L’homme a été condamné à mort.” Une nouvelle loi sur les violences sexuelles a été adoptée en 2006, plus complète que la précédente, les violeurs reconnus coupables risquant jusqu’à 20 ans de prison. Le viol conjugal est également considéré comme un crime par cette loi, mais Manza indique qu’il n’a jamais traité une affaire impliquant des cas de violence sexuelle au sein du mariage. “Les femmes victimes sont responsables de cela parce qu’elles ne viennent pas parler de leurs problèmes à la justice,” explique-t-il.
Constantin Lupama, juge à la Cour d’appel de Lubumbashi offre une appréciation plus complète. “La honte et la peur des représailles, explique-t-il, empêchent souvent les femmes de se tourner vers la justice pour obtenir une indemnisation. Et même si elle le fait, il n’y a pas de garantie que son affaire soit entendue étant donné l’état actuel du système judiciaire.”
Une femme violée en 1997 par les soldats de l’ancien président Laurent Désiré Kabila, pendant qu’ils chassaient Mobutu Sese Seko du pouvoir, a expliqué qu’elle aussi avait eu peur et honte de parler de son agression. “Nous avons entendu quelqu’un frapper très fort à la porte. Trois hommes en tenue militaire et armés jusqu’aux dents font irruption dans la maison,” raconte-t-elle. “ Après avoir fouillé la maison de fond en comble, ils enferment les enfants dans la chambre et attachent mon mari à la table de salle à manger. A tour de rôle, ils me violent devant mon mari incapable de bouger car l’arme est pointée sur lui. Seules les larmes coulent de ses yeux – larmes d’humiliation et de rage.
“Après avoir satisfait leurs besoins, ils nous menacèrent de nous tuer si nous les [dénonçions] et s’en allèrent. Depuis lors, mon mari ne me parle qu’en présence des enfants ou des invités. Il ne fait [jamais] allusion à cet épisode sombre de notre vie de couple, [et ne me] touche plus. Je voudrais en parler avec lui, mais nos coutumes m’en empêchent. En une heure, tout mon bonheur de 10 ans était parti en fumée.”
L’amélioration de la formation judiciaire et l’adoption de nouvelles lois qui puniraient plus efficacement ceux qui commettent des actes de violence contre les femmes pourrait aider, indiquent des analystes. Cependant, certains pensent qu’une réforme judiciaire ne suffira pas pour résoudre le problème. Clotilde Aziza Bangwene, activiste pour les droits des femmes, accuse l’illettrisme, indiquant qu’une femme qui ne peut pas lire ne connaîtra jamais ses droits. Elle déclare que les filles doivent être correctement éduquées dans des écoles modernes pour mettre un terme à la culture de la violence. “Sans instruction et sans travail, les femmes sont limitées, dépourvues des moyens de subvenir aux besoins de leurs familles ”, souligne Aziza, représentante de l’Institut Panos Paris en RDC. “L’éducation des jeunes filles doit être une priorité pour tout gouvernement responsable, capable d’assurer l’avenir de son peuple”, ajoute-t-elle
* Héritier Maila est un stagiaire de Institute for War and Peace Reporting à Lubumbashi.
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