Questions particulières à l’attention de Jean Paul Pougala
Ababacar Fall «Barros» réagit à l’appel lancé à la diaspora par Jean Paul Pougala, l’invitant à rentrer en Afrique pour prendre en main les destins des leurs pays au moment où le continent commence à connaître « le début de sa gloire économique ». Barros se demande si ce retour n’implique pas des compromis et des complicités avec des pouvoirs en place toujours captifs du capital étranger.
Cher professeur et compatriote africain,
Nous avons suivi, depuis le mois de mars 2011, vos pertinentes prises de position sur les problèmes vitaux qui agissent notre Continent, l’Afrique, en particulier, et le monde en général. Cela à partir de votre texte remarquable: ‘’ Les mensonges de la guerre de l’Occident contre la Lybie ‘’. Disons que sur l’essentiel de ces prises de positions, vous avez traduit quasiment le sentiment de beaucoup de nos compatriotes africains, relativement aux véritables causes des guerres en Cote d’Ivoire comme en Lybie. Du reste, nous avons eu à les partager avec beaucoup de monde, au Sénégal et ailleurs.
Mais votre récent article : ’’Opération Exodus : L’Afrique fait rêver les Europénes ; et la Diaspora ?’’, a particulièrement retenue notre attention et a suscité en nous quelques questions particulières, par rapport au passage qui renvoie à la fameuse problématique de la question de ‘’l’entrisme’’ que nous avons expérimentée au Sénégal, lors de l’accession d’Abdou Diouf, à la présidence de la République, par la grâce du fameux article 35 de notre Constitution. Vous dites : ‘’L'Afrique a besoin de tous ses fils et toutes ses filles pour consolider la forte croissance en cours. C'est dans cette logique que je viens d'accepter de rentrer mettre mon savoir au service de la formation et de la conscientisation de nos jeunes.
Vous précisez par la suite :
‘’Pays de destination : Cameroun
‘’Matière à enseigner : Géostratégie’’.
La question qui vient à l’esprit de tous les patriotes africains qui suivent la situation politique au Cameroun et en Afrique, depuis les années ’60 et corrélativement à l’appel lancé par le Président Biya le 3 novembre 2011, lors de sa prestation de serment, est : Est-ce que vous ne ‘’risquez’’ de vous jeter dans la gueule du loup ? Est-ce que cet t’appel ne constitue pas un traquenard ? ''Vous, Camerounais de la diaspora en particulier, sortis des plus grandes écoles, exerçant vos activités dans des sociétés de rang mondial, vous qui excellez dans les domaines de pointe, le moment est venu de mettre votre expertise au service de votre pays'', rapporte, www. camer.be. Nous comprenons les soucis du président Biya, car le même site d’info, nous renseigne que : ‘’ d’après les autorités camerounaises en effet, près de quatre millions de Camerounais vivent en dehors de leurs pays. Selon une estimation, entre 60 et 80% de ces camerounais de la diaspora ont acquis une seconde nationalité, celle de leurs patries d'adoption (…)’’
Sur le principe de rentrer dans son pays et se mettre à la disposition de son peuple, nous trouvons cela salutaire. Car il est parfois plus bénéfique d’être à l’intérieur de son pays pour contribuer à faire bouger, avancer les choses, que d’être à l’extérieur. Bien entendu, cela reste valable, en ce qui concerne l’autre versant de l’alternative. Aussi cette démarche, pour nous, est de loin plus judicieuse que celle, par exemple, à la mode, et qui fait ’’fureur’’ chez- nous au Sénégal. Certains de nos compatriotes adeptes de cette mode, sans avoir même été même des partisans de la ‘’critique facile’’, ont attendu la fin de leurs charges professionnelles, au plan national où international, pour ‘’s’engager dans l’engagement ‘’ et se présenter, subrepticement, devant les populations pour solliciter leurs suffrages, à l’occasion de l’élection présidentielle. C’est le cas avec l’élection présidentielle de 2012.
Cela dit, au regard du baobab que vous avez secoué pour le triomphe de la vérité, de la justice et de l’équité en Afrique, pensez-vous que le temps est propice pour faire confiance à Biya ? D’autant que, vous le savez mieux que nous, Paul Biya, un politicien de la trempe d’Abdoulaye Wade et, qui plus est, un grand parrain de la ’’Françafrique’’, excelle dans l’art de la récupération et de la neutralisation politiques. Notre ami, au demeurant compatriote à vous, Mongo Beti, a laissé un lourd tribut aux pratiques du Roi-Président du Cameroun (cf « Quand Paul Biya fait une ouverture vers Mongo Beti, c’est…chausse trappe - in Peuples noirs, peuples africains). On pourrait dire la même chose pour ce qui concerne Pius Njawé, courageux journaliste dont la mort aux Etats-Unis reste suspecte pour certains observateurs de la politique africaine. Une mort qui rappelle, par ailleurs, celle de Félix Moumié en Suisse. Dès après avoir terminé la lecture du texte précité, nous n’avons manqué de vous demander de prendre soin de vous.
Cela dit, une autre question à vous ! Ne pensez-vous pas, du fait de la tendresse que vous manifestez à l’égard de Biya et de son régime, que votre retour à Yaoundé, suite à son appel, serait vu ou interprété comme une quelconque caution à son régime ? Cela étant dû au fait que la nature de son régime est restée la même. C'est-à-dire un ‘’mal développement‘’ qui développe le grand capital étranger. Français essentiellement.
Cher compatriote, vous soulignez dans votre blog, le 3 septembre 2011, que ’’tous les Africains doivent s’inscrire à un cours de géostratégie/géopolitique’’. Vous ajoutez en introduction que ’’la Géostratégie est une branche de la géopolitique, vue sous l'angle patriotique. Geo = géographie, territoire, pays, continent. Stratégie = techniques de Défense’’. Alors, comment allez-vous concilier l’enseignement de la Géostratégie, dans une perspective de Libération économique et social du Cameroun et de l’Afrique, libération qui postule nécessairement le démantèlement du ‘’Pacte colonial’’, et votre cohabitation avec un régime chargé de vieller sur les intérêts ‘’imprescriptibles’’ et ‘’incompressibles’’ de la France au Cameroun et ailleurs en Afrique ?
Rappelons que ce Pacte est consolidé avec les matériaux suivants :
- la présence des bases militaires françaises,
- des accords secrets dits de ‘’coopération,
- le compte d’opération avec le Trésor français et
- La monnaie, le Franc Cfa, appelée ‘’Nazisme monétaire’’ selon le professeur Ivoirien François Agboahou.
Sur cette dernière question, nos économistes ‘’prêts à répéter’’ les prêchi-prêcha du Fmi et de la Bm, (compétitivité, croissance, bourse,… Des catégories économiques loin du vécu quotidien des populations africaines), n’ont à la bouche que le terme ‘’dévaluation’’. Une fièvre naturelle, étant donné que les intérêts de leurs camps se trouvent menacés par la bourrasque de l’Euro en Grèce, en Italie et qui se profile du côté de l’Hexagone, la France.
Vous magnifiez de temps à autre, la ‘’coopération équitable’’ existant entre le Cameroun, l’Angola et l’Afrique, d’une manière générale. Mais si à la tête de nos Etats, les prédateurs que nous connaissons continuent d’y trôner avec comme pour seule politique de ruiner et pervertir nos économies, nos populations bénéficieront-elles de cette coopération ? D’autant que les organisations telles que l’UA, la CEDEAO, l’UEMOA, etc., ne sont que des coquilles vides, en ce qu’elles sont incapables de défendre les intérêts de leurs peuples face à l’Union européenne, encore moins face à l’Amérique du nord. Une incapacité qui contraste avec ce qu’on note dans les pays résistants d’Amérique du Sud, dont le projet de coopération à travers l’ALBA (Accord Bolivarienne des Amériques) commence à faire contrepoids à la ZELA et aux ACP.
Nous soulignions récemment, par ailleurs, ceci : ’’Il ne faudrait pas chercher midi à quatorze heures pour trouver les causes de notre mal développement, sous tendu par la mal gouvernance. Les causes sont d’abord la corruption de l’essentiel de l’élite des indépendances au pouvoir, acquise à la vision, aux thèses politiques et économiques des anciens colonisateurs, pour perpétuer l’exploitation de notre continent. Cela, malgré une opposition farouche d’une autre catégorie d’élites de patriotes composés des Lumumba, Nkrumah, Sékou Touré, Modibo Keita, Mamadou Dia, Djibo Bakary, etc.
Le Dr. Assoa Adou, responsable du Front Populaire Ivoirien, au cours d’une conférence à Paris, en novembre 2006, a fait une révélation ahurissante qui a dû marquer les esprits de la jeune génération : « La Côte d’Ivoire, si elle a du pétrole, n’a pas le droit de le vendre au plus offrant, sur le marché international sans l’accord de la France. De même, elle ne peut pas en acheter sur le marché international sans l’accord de la France ». Le Dr Assoa ajoute : « La République de Côte d’ivoire en vue d’assurer la standardisation des armements s’adressera en priorité à la République française pour l’entretien et le renouvellement des matériels et équipements de ses forces armées ». (Alinéa 2 de l’article 5 et alinéa 1 de l’article 3 du chapitre 5 des accords secrets). Incroyable ! Nous ne nous lasserons jamais de rappeler cela, à chaque fois que l’occasion nous est donnée de le faire. Et mutandis-mutandis, on retrouvera ces mêmes dispositions au niveau des accords signés entre toutes les anciennes colonies francophones et l’ex-puissance colonisatrice, la France.
Curieusement, en dehors de notre compatriote Mamadou Diarra (1), des professeurs ivoiriens, Nicolas Agboahou, Séraphin et, dans une certaine mesure, l’économiste Mamadou Koulibaly, qui est rapidement rentré dans les rangs après le coup d’Etat français contre Gbagbo, beaucoup de nos ‘’économistes ‘’prêts à répéter’’ les recettes du FMI et de la BM restent très discrets, pour ne pas dire muets, sur les dossiers du ‘’Pacte colonial’’. Disons que même le Forum des Assisses nationales du Sénégal, qui a été fortement de médiatisé, n’échappe pas à cette critique. En tout cas, sur ce sujet, nous attendons ‘’au tournant’’ les potentiels candidats à l’élection présidentielle de 2012. Si toutefois ils accepteront d’en débattre sous le drapeau du patriotisme.
Voila, cher compatriote africain, les questions particulières que nous tenions à vous soumettre. Nous vous souhaitons un bon temps vous permettant de retrouver ce message parmi ceux, innombrables, qui vous parviennent sans doute tous les jours en ces temps de questionnements concernant notre continent.
NOTES
(1)-Voir, Les Etats africains et la garantie Monétaire de la France. Où va l’argent des français ? –NEA-Dakar-1972. Par Mamadou Diarra ancien Directeur de l’Office des changes du Sénégal.
* Ababacar Fall-Barros est le coordonnateur général au Sénégal du Groupe de Recherche et d'Initiative pour la Libération de l'Afrique .. (www.grila.org)
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