Ces coups d’Etat répétitifs qui martyrisent la République Centrafricaine
Cher Patriarche Barthélémy, votre Oubangui-Chari est entrain de tarir ; au pied de votre tombe, je vous le dirais, ce soir : ??« Rien ne s’accomplit de grand sans de grands hommes. » ?Charles De Gaulle
Cher Patriarche Barthélémy Boganda, vous fûtes un grand homme ! Vous appartenez sans aucun doute à la communauté des Africains du siècle, ces Africains qui méritent éternellement reconnaissance. Vous faites parti de ces braves combattants, pères de notre (nos) indépendance(s), témoins des jours heureux et des deuils partagés.
Votre pays fut jadis une terre bienheureuse. La Centrafrique, ancien Oubangui-Chari (du nom des ces deux grands fleuves qui cernent ce territoire) est un beau pays au beau paysage, aux ressources abondantes. Mais, quel gâchis !
En ce dimanche saint, ce dimanche des Rameaux, l’information a fini de faire le tour du monde : les rebelles de la coalition Seleka sont entrés à Bangui, obligeant le Général François Bozizé à plier bagages, à céder le trône, trône qu’il avait lui-même conquis par les mêmes procédés. Si le dimanche des Rameaux commémore l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, l’entrée des rebelles dans la capitale centrafricaine en cette veille du dernier dimanche avant Pâques ne saurait être glorieuse. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… Triste !
Cela me choque, cela me rend triste le fait que ce pays que vous avez tant aimé, vous le grand panafricaniste, soit suspendu de l’Union africaine par son Conseil de paix et sécurité. La mesure est juridiquement et politiquement juste mais le fait que la Centrafrique l’ait méritée est lamentablement regrettable. Le comportement de ses élites est inacceptable (coups d’Etat, complots, putsch, subversions, rebellions…).
A tout point de vue, Barthélémy Boganda a été un patriote sincère, un panafricaniste convaincu. Député de l’Oubangui-Chari de 1946 à 1958, il se distingua par ses prises de positions courageuses et son sens aigu des responsabilités. Rien d’étonnant pour ce géant dont le nom (Boganda) signifie dans une des langues locales : « Je suis ailleurs, je ne suis nulle part ». Rien d’étonnant pour ce chrétien qui avait très tôt exprimé sa volonté de devenir prêtre.
C’est en 1946 que Mgr Grandi, évêque de Bangui l’incite à compléter son œuvre humanitaire et sociale par une action politique. Il est donc clair que Boganda est entré en politique au nom des plus hautes vertus, au nom d’un devoir sacré. En est- il de même pour ses successeurs ? Excepté Abel Goumba et dans une moindre mesure David Dacko, tous ses successeurs n’ont jamais eu ce sens élevé des devoirs et cet absolu désintéressement.
Boganda a été un grand panafricaniste. Pendant la période de l’autonomie interne des territoires, le patriarche Boganda avança l’idée d’une grande République Centrafricaine élargie à quatre territoires (l’Oubangui Chari, le Tchad, le Congo Brazzaville et le Gabon). Il avait fait de son mieux, malheureusement ! Selon Abel Goumba, compagnon de Boganda et ancien vice-président de la Centrafrique, interrogé par France 5, lorsque le patriarche envoya une délégation à Libreville pour présenter ce projet de fédération, ils (les membres de la délégation) n’ont même pas été autorisés à fouler le sol gabonais. C’est ainsi que la délégation n’a même pas pu s’entretenir avec ceux qui tenaient uniquement à leur « petit Gabon ».
Comme Houphouët Boigny de la Cote d’Ivoire, Léon Mba ne voulait pas que « son petit Gabon » devienne la « vache laitière » pour d’autres Etats. Triste ! Et pourtant, Boganda ne comptait pas s’arrêter là, car il voyait l’unité africaine en trois étapes : la République Centrafricaine d’abord, l’Union des ex-colonies des pays de langue latine ensuite et enfin la Grande union africaine. Dommage !
C’est cette grande icône de l’engagement politique, ce membre du cercle des vrais leaders africains qui a disparu un dimanche de Pâques 1959, dans un accident d’avion dont les causes ne sont toujours pas élucidées.
Cher patriarche, votre disparition a plongé vos militants et votre pays dans un grand désarroi. La Centrafrique pleurera toujours son digne fils ! C’est votre cousin David DACKO, un instituteur, qui vous succéda mais il fut renversé fin 1965 par son cousin Jean Bedel Bokassa, chef des armés qui a réussi à retourner la situation en sa faveur en neutralisant la gendarmerie. Et le calvaire commença ! C’est comme qui dirait que les deux grands fleuves de votre beau pays : l’Oubangui et le Chari commençaient à tarir, à ne plus être cette source à la grande eau.
Bokassa se fait couronner empereur en 1977. Bokassa 1er, Empereur de Centrafrique, s’appelait-il. Celui qui pendant quatorze ans régna sur la Centrafrique, mérite assurément de figurer au panthéon de la bouffonnerie. Sous l’hermine, se cachait un dictateur aux méthodes impitoyables. Comme un tigre en papier ne peut jamais tenir longtemps, Bokassa est renversé le 21 septembre 1979 alors qu’il se trouvait en Libye, avec l’opération Barracuda, sur ordre du président Français Giscard D’Estaing. Un transall français dépose sur l’aéroport de Bangui son successeur (et prédécesseur) David Dacko, encore étonné du rôle qu’on lui a fait jouer.
Vous avez toujours su que la France ne fait jamais les choses gratuitement. Les événements suivants vous donneront raison parce qu’il fut chassé du pouvoir le 1er Septembre 1981 par le Général André Kolingba qui instaura un régime militaire. Il régna jusqu’à 1993, année où, suivant le courant de la démocratisation lancé par le sommet de La Baule, les premières élections multipartites ont lieu et Ange-Félix Patassé est élu président de la République.
Malheureusement, cette parenthèse démocratique sera de courte durée. En 2001, une tentative de coup d’Etat provoque de violents affrontements à Bangui. Malgré l’intervention de la communauté internationale (Minurca), le 15 mars 2003, le Général François Bozizé réussit, avec l’aide de militaires français et de miliciens tchadiens un nouveau coup d’Etat et renversa le Président Patassé. Et le samedi 23 mars, les rebelles de la coalition Seleka ont annoncé leur entrée dans Bangui, demandant aux Forces armées centrafricaines (Faca) de ne pas combattre et au président François Bozizé de quitter le pouvoir ; quelques heures plus tard, ils prennent le palais présidentiel.
Voilà cher patriarche, l’histoire de votre patrie depuis que vous êtes partis rejoindre les cieux.
D’outre-tombe, vous ne devez vraiment pas être fier de cette nation, je le présume. La vie (ou la mort) ne vous a même pas donné la chance de voir votre pays accéder à l’indépendance totale (en 1960) mais vous vous êtes acquitté de votre tache avec abnégation. Pendant l’autonomie interne (à partir de 1958), votre pays étant devenu une République, vous l’avez dirigé en tant que chef charismatique, soucieux des préoccupations de son peuple.
Hommage doit vous être rendu, comme du reste il doit l’être à tous ces patriotes africains, héros combattants, à qui nous devons l’indépendance dont certains sont hélas souvent mal connus. Sur ce registre, nous rendons un vibrant hommage à Kenneth Kaunda, premier président de la Zambie indépendante (ex-Rhodésie du Nord), quoique l’on puisse dire. Surnommé le « Gandhi africain», il a été inspiré dans son action politique et son comportement de tous les jours par les préceptes que Gandhi a enseigné aux communautés indiennes : non violence, désobéissance civile, résistance passive.
Hommage et reconnaissance doivent être aussi rendu au camerounais Ruben Um Nyobe, surnommé « Mpodol » (le sauveur). C’est à lui que l’on doit la réunification du Cameroun par un discours mémorable à la tribune des Nations unies. Il est l’une des figures emblématique de la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Um Nyobé est mort assassiné par l’armée française le 13 septembre 1958. Il partagea cette fin tragique avec ses compagnons Félix-Roland Moumié et Ernest Ouadie. Il est vrai que Um Nyobe est proclamé héros national du Cameroun en juin 1991, cependant, il mérite d’être mieux connu et toute son œuvre ressuscitée.
Que dire de Patrice Lumumba, leader du Mouvement national congolais qui refusa le paternalisme belge ? Lumumba est un héros, un martyr, sacrifié par les plans sordides des belges combinés aux tactiques de la Cia, avec la complicité de certains de ses compatriotes, des figures affreuses qui ne voyaient pas au-delà du bout de leur nez. Quant à Lumumba, lui et deux de ses compagnons moururent atrocement, torturés, assassinés et leurs corps jetés dans une cuve d’acide sulfurique. Tout cela parce qu’il défendait la dignité de son peuple et l’unité de son pays (empêcher à tout prix les velléités sécessionnistes du Katanga et du Kassaï).
Au Sénégal, le temps est venu de redonner à Mamadou Dia et à Valdiodio Ndiaye toute la place que méritent ces vieux lions, artisans de notre indépendance. Parlant d’eux je pense naturellement à au Mali avec la grand Modibo Keita… La lise est longue !
Assurément, les coups d’Etat en Afrique constituent un frein pour la démocratie, un véritable cancer. Les bruits de botte et des armes sont de plus en plus assourdissants sur le continent. Il est temps de mettre un terme à ce cycle infernal, ce cycle peu honorable. Il s’agira d’accepter courageusement de mettre un terme aux « tutelles » et au « parrainage ». Collaborer avec l’ancien colonisateur sur des bases claires empreintes de respect réciproque et de sincérité. Il est impératif d’arrêter de convoiter les trônes rien que pour les lambris dorés du pouvoir, pour des intérêts égoïstes ou pour se venger de frustrations exclusivement personnelles.
L’Afrique doit avancer, donc les africains doivent changer. Les informations reçues du continent périodiquement sont inquiétantes. Il appartient à la jeunesse africaine d’exiger un changement de comportement des élites en vue d’envisager l’avenir avec beaucoup plus de sérénité et d’espoir. Ce continent regorge de ressources innombrables, de talents connus ou cachés, une histoire, des leaders qui ont combattu pour l’indépendance et qui nous ont légué un héritage inestimable.
Il est temps que nous apprenions à noyer les passions particulières dans un bain de volonté générale, apprendre à nous surpasser pour sauver l’Afrique.
Boganda, vous aviez œuvré pour la cohésion, pour une Afrique prospère, c’était votre cri de cœur qui exaltait les vertus de l’unité, de la dignité et de la grandeur africaine. Votre projet de la grande République Centrafricaine avait commencé à inquiéter les milieux colonialistes, aidés par d’autres dirigeants africains qui n’avaient pas la même clairvoyance que la votre, c’est pourquoi vous vous êtes contentés d’une République Centrafricaine épousant les seules limites de l’Oubangui-Chari.
Nonobstant ces tourbillons, ces coups d’Etat, ces complots, ces reniements, il est encore possible de remettre ce pays sur les rails du progrès. Et j’ose espérer que la prochaine fois, je vous rendrais compte des choses moins tristes. Pourquoi pas, assez glorieuses ?
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** Amadou Tidiane Fall est administrateur civil, Doctorant en Philosophie politique
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