Bob Marley, symbole d’une Afrique émancipée
Dans un monde en dérèglement dominé de plus en plus par le rythme précipité et la profondeur des transformations de tous ordres, ne laissant aucune place à l’Afrique, j’ai décidé d’apporter ma modeste contribution par une lecture, si superficielle soit elle, de l’œuvre d’un artiste, d’un musicien, d’un parolier, d’un visionnaire dont certains commémorent, samedi 11 mai, la disparition et non la mort. Car comme disait Birago Diop, «les morts ne sont pas morts… ils sont parmi nous».
Certainement d’aucuns me diront de quoi je me mêle. A quoi sert un texte ou une contribution sur une musique «réservée aux déviants». Peut-être en me lisant, à travers ces lignes, ils comprendront pourquoi j’ai choisi d’écrire ou de parler du Roi du Reggae.
En effet, au collège, mon professeur de musique me faisait réciter «la musique est l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille». Quelques années plus tard, mon professeur de philosophie, me fera découvrir, à travers Descartes, que la musique est une catégorie d’art dont la seule finalité n’est pas de plaire à l’oreille, mais elle peut exciter en nous diverses passions. Finalement, j’ai compris que l’artiste fabrique des mots mais aussi des sentiments, des idées, des choses.
En écoutant la musique de Bob dont je suis finalement devenu un amoureux, j’ai été obligé de pénétrer le personnage et son œuvre pour comprendre pourquoi il est devenu star mais combattu ou ignoré par les élites politiques occidentales et africaines.
BOB ET L’AFRIQUE NOIRE
Né en pleine seconde guerre mondiale, d’une jeune mère noire jamaïcaine et d’un père britannique âgé qu’il connaîtra très peu, Robert Nesta Marley dit Bob Marley, qui n’a vécu que trente six brèves années, a passé sa jeunesse dans un milieu pauvre et est resté attaché à la Jamaïque et à l’Afrique toute sa vie.
Le rastafarisme, initié dans les années 1930 en Jamaïque, prône un retour vers l’Afrique, la «Terre-Mère» des anciens esclaves. Pour les rastafaris, l’empereur d’Ethiopie Sélassié est l’envoyé de Jah (Dieu), même si ma foi ne me permet pas d’accepter une telle assertion. Son couronnement en 1930 est considéré comme l’accomplissement d’une prophétie prononcée, en 1927, par Marcus «Mosiah» Garvey, ancien journaliste et prêtre évangéliste jamaïcain, fervent défenseur de la «black supremacy» : «Regardez vers l’Afrique où un roi noir doit être couronné. Il sera le Rédempteu.» Trois ans plus tard, Haïlé Selassié «la Puissance de la Trinité», chef tribal méconnu, accédait au trône d’Ethiopie en se proclamant «l’Élu du Seigneur, le Roi des Rois et le Lion conquérant de la Tribu de Juda».
Ainsi, en 1966, suite à la visite d’Haïlé Sélassié Ier (de son vrai nom Ras Tafari Makonnen) sur l’île jamaïcaine, Bob Marley se déclare rasta, bien qu’il soit aux Etats-Unis à ce moment-là. Le ratafarisme, dans une Jamaïque chrétienne, est sévèrement réprimé parce que jugé blasphématoire par l’occupant colonial britannique. Dans un tel contexte, la venue de Sélassié suscite une ferveur immense chez la population. D’autant plus qu’en 1948, l’empereur a offert Shashamane, une terre d’Ethiopie, à tous les Noirs d’Amérique du Nord et des Caraïbes désirant «rentrer en Terre-Mère».
Dès lors, Bob mûrit son projet d’aller en Afrique et l’exprime en 1974 : «Je sens l’Afrique, je veux aller là-bas écrire un peu de musique. Au lieu d’aller à New York, pourquoi ne pas aller au Ghana, au Nigeria, rencontrer le peuple noir, apprendre de nouvelles langues ?»
En 1978, Bob réalise son projet en se rendant à Shashamane, en Ethiopie, après la mort du Négus Sélassié, un pays ravagé par la révolution. Marqué par cette expérience, Marley rend hommage à l’Afrique et soutient les mouvements de libération. A ce titre, il écrit et chante :
- Slave Driver, Music Lesson, Révolution expriment l’affirmation de la dignité et la valorisation d’une identité noire pour son peuple bafoué par des siècles d’esclavage, de colonialisme et d’oppression économique.
- War (album Rastaman Vibration, 1976) reprend un extrait du discours de Hailé Sélassié, prononcé en 1963 devant les Nations unies, où il dénonçait l’oppression dont l’Afrique était victime. Alpha Blondy en fait une version en français sous le titre Guerre ;
- Exodus invite au retour à la Terre-mère, l’Afrique, au «mouvement du peuple de Jah» ;
- Africa Unite prône l’unité des peuples noirs de la diaspora et du continent : «Afrique tu es la pierre angulaire de mes ancêtres / Unis-toi pour les Africains étrangers / Unis-toi pour les Africains du pays» ;
- Zimbabwe fait le tour de l’Afrique et le propulse superstar sur le continent. Les paroles appellent à la libération : «Investissez le Zimbabwe / Détruisez tout au Zimbabwe / Africains, libérez le Zimbabwe / On va libérer le Zimbabwe!»
MARLEY, ICONE DE LA JEUNESSE AFRICAINE
Issu d’un milieu très pauvre, rejeté par une famille paternelle raciste, Bob Marley fait sien ce proverbe africain, «un jour éloigné existe mais celui qui ne viendra pas n’existe pas». Il mène le combat de la survie avec persévérance afin de se hisser au sommet.
Bob reste d’abord un symbole d’émancipation et de liberté. Dans Redemption Song, il annonce les couleurs : «Emancipate yourself from the mental slavery. None but ourselves can free our minds» (Emancipez-vous de l’esclavage mental. Personne d’autre que nous-mêmes ne peut libérer nos esprits).
Il est aussi devenu l’un des symboles universels de la contestation (Soul Rebel), voire de la légitime défense (I Shot the Sheriff), supplantant souvent dans l’inconscient collectif des politiciens comme Sékou Touré, Kwamé Nkrumah, Jomo Kenyatta, Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Nelson Mandela, Abdoulaye Wade, Che Guevara, le Jamaïcain Marcus Garvey, Malcolm X, Léon Trotsky, entre autres.
Il est donc à saluer que chaque année, le 11 mai, de nombreux Africains rendent hommage à Bob Marley dont le lien avec l’Afrique est très fort, d’un point de vue politique, mais aussi sur le plan spirituel et intellectuel à travers les idées rastas.
Cependant, au-delà de cette adhésion de certains à ces festivités musicales, des colloques, des symposiums, des cérémonies officielles devraient être organisés et parrainés par nos dirigeants afin de perpétuer, propager l’héritage de Robert Nesta Marley. Un héritage pour une Afrique renaissante.
Parce que, dans une Afrique, en gestation sociale, culturelle et politique, traversée par des manipulations idéologiques et des manœuvres politiciennes, n’offrant aucune perspective positive à sa jeunesse, une relecture propagandiste de la pensée «bobiste» demeure plus qu’actuelle quand bien même que je ne partage pas sa position pour légaliser le «ganja».
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** Mamadou Kébé dit Bass est Doctorant en Etudes africaines - Ecole doctorale Arts, Cultures et Civilisations (Flsh/Ucad)
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