Pour un procès en révision des tirailleurs « sénégalais » rescapés du massacre de Thiaroye
Armelle Mabon, historienne, Boubacar Boris Diop, écrivain, Ben Diogaye Beye, cinéaste, Dialo Diop, homme politique sénégalais, Louis-Georges Tin, président du Cran, Mehdi Lallaoui, réalisateur, et de nombreuses personnalités et descendants des victimes du massacre de Thiaroye (1944), demandent à la ministre de la Justice française « de prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre la révision du procès tendant à l’annulation des condamnations » des «tirailleurs sénégalais» et lancent une pétition à cet effet.
Le 5 novembre 1944, plus de 1 600 ex-prisonniers de guerre qui avaient passé, pour le plus grand nombre, quatre années de captivité dans les Frontstalags en France, après s’être battus contre l’ennemi allemand, ont quitté Morlaix pour rejoindre leur terre natale. C’était le premier contingent de tirailleurs dits «sénégalais» à rejoindre l’Afrique occidentale française (Aof) pour être démobilisés. Après s’être évadés, certains avaient rejoint les rangs de la Résistance (Forces françaises de l’intérieur).
Le 1er décembre 1944, à la caserne de Thiaroye au Sénégal, ces rapatriés qui avaient réclamé leur rappel de solde de captivité ont été rassemblés sur ordre des officiers devant les automitrailleuses qui ont tiré, faisant officiellement 35 morts alors qu’il manque, selon les sources, plus de trois cents ex-prisonniers de guerre, entre l’embarquement et le débarquement. Les enquêtes diligentées par les ministères de la Guerre et des Colonies ont conclu à l’époque à la nécessité de la riposte lourde suite à une rébellion armée et au caractère illégitime des revendications.
Le 5 mars 1945, à Dakar, trente-quatre « mutins » rescapés du massacre ont été condamnés à des peines pouvant aller jusqu’à dix années d’emprisonnement avec dégradation militaire, interdiction de territoire, amendes pour rébellion armée, refus d’obéissance, outrages à des supérieurs. II fallait faire taire ceux qui revendiquaient l’égalité des droits et pouvaient perturber un ordre colonial déjà chancelant à la sortie de la guerre.
Le travail des historiens a fini par révéler des documents falsifiés et montrer que le récit officiel est, en réalité, un mensonge d’État qui a permis de camoufler la spoliation des soldes de captivité, le massacre prémédité, le nombre exact de victimes et de faire condamner des innocents.
Il a fallu attendre soixante-dix ans avant qu’un président de la République n’évoque cet événement et ne se montre disposé à reconnaître la réalité des faits. Le président Hollande, dans son discours en hommage aux tirailleurs « sénégalais », prononcé le 30 novembre 2014 au cimetière de Thiaroye, a exprimé clairement « son refus de poursuivre un déni officiel de plusieurs décennies » et a salué « la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les Français avaient retourné leurs fusils. » Il a annoncé solennellement sa volonté de réparer une injustice sans pour autant évoquer la saisine de la commission permettant d’innocenter ces hommes condamnés pour un crime ou des infractions qu’ils n’ont pas commis.
Le procès du 5 mars 1945, entaché d’irrégularités, avec une instruction à charge pour accréditer la version de ceux qui donnèrent l’ordre d’ouvrir le feu, a lourdement contribué à produire une histoire falsifiée de cet événement. Ces prétendus « mutins » ont bénéficié des lois d’amnistie en 1946 et 1947 mais demeurent coupables.
Le doute sur leur culpabilité est désormais acquis et rien ne peut s’opposer à ce que ces hommes bénéficient à titre posthume de l’article 622 du code de procédure pénale prévoyant la révision du procès lorsqu’après une condamnation, vient à se produire un fait nouveau ou à se révéler un élément inconnu de la juridiction au jour du procès. La ministre de la Justice, doit, par souci d’équité, saisir la commission d’instruction pour que la formation de jugement de la cour de révision et de réexamen puisse annuler les condamnations qui lui paraissent non justifiées et décharger la mémoire des morts. Saluer la mémoire de ces hommes c’est veiller, à présent, à rétablir dans leurs droits ceux qui ont été injustement condamnés.
Ces tirailleurs ex-prisonniers de guerre doivent être réhabilités : Paul Niagne, Baraky Yoro, Ibou Senghor, Bakar Amat, Doudou Diallo, Antoine Abibou, Foromo Toubadolo, Gaston Ouerou, Sami Béavogui, Araba Koné, Foromo, Seydouba Camara, Ouli Keita, Tandaogo Belem, Koundiagne Keita, Karimou Sylla, N’Gor Diouf, Fasseri Coulibaly, Koyale Boyagui, Nyagha N’Gom, Foune Sissoko, Kotou Diakhité, Albert Nyacha, Kaba Kone, Gopou Kamara, Victor Donoule, Bouton Taraore, Samba Naoma, Timbela Belem, Tangara Dangeli, Kemisse Dembele, Soungalo Taraore, Tiedam Taraore, Amadou Diop.
Les familles ont droit à une réparation, nous avons tous besoin de cette justice exemplaire.
Nous, signataires de cette tribune, demandons à Madame la garde des Sceaux, ministre de la justice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre la révision du procès tendant à l’annulation des condamnations. Nous demandons également aux institutions compétentes de mettre tout en œuvre pour que les documents permettant de mettre un nom aux victimes soient accessibles et d’accorder les moyens d’investigation nécessaires pour s’approcher encore plus de la vérité.
PREMIERS SIGNATAIRES
- Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique (Afaspa)
- Association pour la réhabilitation des condamnés de Thiaroye (Art 44)
- Parti communiste français (Pcf)
- Yves Abibou, fils d’Antoine Abibou, condamné à Thiaroye ;
- Idrissou Alioum, chercheur, Cameroun ;
- Daniel Attala, maître de conférences, France ;
- Raphaël Baldos, journaliste, France ;
- Vincent Bathily, cameraman, France ;
- Farès Ben Mena, enseignant, France ;
- Sophie Bernard, dessinatrice, France ;
- Jean-Jacob Bicep, ancien député européen ;
- Mona Bras, conseillère régionale de Bretagne (UDB), France ;
- Patrick Cabouat, cinéaste, France ;
- Roland Colin, écrivain anthropologue, ancien directeur de cabinet de Mamadou Dia ;
- Catherine Coquery-Vidrovitch, professeur des universités, France ;
- Anne Cousin, journaliste, France ;
- Françoise Croset, agrégée d’histoire, France ;
- Didier Daeninckx, écrivain, France ;
- Violaine Dejoie-Robin, cinéaste, plasticienne, France ;
- Joël Delhom, maître de conférences, France ;
- Maty Diakhate, maître de conférences, France ;
- Maïté Diallo-Renan, fille de Doudou Diallo, condamné à Thiaroye ;
- Babacar Diallo, enseignant, Sénégal ;
- Ben Diogaye Bèye, cinéaste, Sénégal ;
- Babacar Diop Buuba, professeur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal ;
- Boubacar Boris Diop, écrivain, Sénégal ; Dialo Diop, secrétaire général du RND, Sénégal ;
- Mati Diop, réalisatrice, France ;
- Pape Samba Diop, proviseur de lycée, Sénégal ;
- Sette Diop, PIT-Sénégal (Parti de l’indépendance et du travail) ;
- Gilbert Doho, Associate Professor, Case Western Reserve University, USA ;
- Raphaël Doridant, enseignant, France ; Marc Décimo, maître de conférences, France ;
- Myron Echenberg, professeur émérite, université McGill, Canada ;
- Charles Forsdick, professeur de francais, université de Liverpool, Royaume-Uni ;
- Jean-Claude Fournier, auteur de bandes dessinées, France ;
- William Gallois, enseignant-chercheur, université d’Exeter, Royaume-Uni ;
- Florence Gourlay, maître de conférences, France ;
- Philippe Grand, archiviste, France ;
- Odile Hanquez Passavant, enseignante-doctorante en anthropologie, France ;
- Marianne Jaouen, dirigeante d’une agence communication, France ;
- Mansour Kébé, cinéaste, Sénégal ;
- Hosni Kitouni, chercheur, Algérie ; Kris, scénariste, France ; Charlotte Lacoste, maître de conférences, France ;
- Mehdi Lallaoui, réalisateur et président d’Au Nom de la Mémoire, France ;
- Sylvain Lazarus, professeur émérite à l’université de Paris 8, France ;
- Jean-Michel Le Boulanger, vice-président du conseil régional de Bretagne, France ;
- Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire, France ;
- Roger Little, professeur émérite, Trinity College Dublin, Irlande ;
- Amaury Lorin, enseignant-chercheur en histoire contemporaine, Birmanie ;
- Elikia M’Bokolo, professeur EHESS, France ;
- Armelle Mabon, maître de conférences, université de Bretagne Sud, France ;
- Véronique Mercier, chargée d’études documentaires, France ;
- Gérard Mordillat, écrivain et cinéate, France ;
- Marie Mouchel-Blaisot, productrice, France ; Yann Mouton, agrégé de philosophie, France ;
- David Murphy, professeur à l’université de Stirling, Royaume-Uni ;
- Franck Mérat, petit-fils du secrétaire général au Ministère de la FOM, Louis Mérat ;
- Djibril Ndiaye, ingénieur, France ;
- Pascal Ndjock, enseignant-chercheur, Université de Douala, Cameroun ;
- Sabrina Parent, chercheuse, université libre de Bruxelles, Belgique ;
- Sandra Persuy Décimo, responsable formation journalisme, France ;
- Yves Pham Van, fils de prisonnier de guerre indochinois ;
- Magali Rosier, membre fondatrice de l’association Afrique Femme Avenir, France/Burkina-Faso ;
- Patrice Salomon, travailleur social, France ; Cheikh Sow, cinéaste, France ;
- Mamadou Sy Tounkara, enseignant à l’UCAD, Sénégal ;
- Christelle Taraud, historienne du Maghreb contemporain, France ;
- Emmanuel Tchumtchoua, enseignant-chercheur, Université de Douala, Cameroun ;
- Magatte Thiam, PIT-Sénégal ; Régis Thiébaud, psychologue, France ;
- Dominique Thébaud, photographe, assistante sociale, France ;
- Louis-Georges Tin, président du CRAN, maître de conférences, France ;
- Odile Tobner, auteur, France ;
- Amadou Traoré, ancien fonctionnaire européen, Mali ;
- Caroline Troin, coordinatrice association Rhizomes, France ;
- Fabio Viti, anthropologue, Italie ;
- Hervé de Williencourt, reporter-photographe, France.
Signer la pétition ici : http://chn.ge/1DAamab