Les vérités sur le combat de Sékou Touré
La Guinée a célébré le cinquantenaire de son indépendance acquise le 28 septembre 1958. A cette occasion, Hadja André Touré, veuve du président Sékou Touré s’est confiée pour revenir sur les premières heures de la jeune République et sur les combats menés par son mari pour défendre son pays contre les agressions impérialistes. Mais aussi sur ce qui devrait rester de l’héritage de Sékou Touré, près de vingt-cinq ans près sa mort, en 1984.
La célébration de l’An 50 de l’indépendance de la Guinée, le 28 septembre 1958, a une grande signification. Malheureusement, beaucoup de ceux qui se sont battus pour que l’acquisition de cette indépendance soit une réalité, dont mon défunt mari, ne sont pas parmi nous (…) Cette indépendance a été acquise de haute lutte par nos dirigeants d’alors ; parce qu’il fallait d’abord préparer et motiver le peuple qui était prêt à aller à l’indépendance.
Le président Sékou Touré a déclaré, à l’époque : « L’histoire ne retiendra pas un jour que la France généreuse a offert l’indépendance sur un plateau d’argent et tous les pays colonisés ont dit : ‘’non, nous préférons être des colonies françaises au lieu d’être indépendants’’. Moi, je prends l’indépendance au nom de la Guinée et de l’Afrique ». C’est ainsi que nous sommes allés à l’indépendance.
(…) Cela a été très amèrement ressenti par l’impérialisme français. Le général Charles De Gaulle aurait dit : « Sékou Touré, je le veux à plat ventre. Et il faut tout faire pour dévaliser ce jeune Etat ». On a commencé par M. Messmer. Il était un Haut commissaire de la France à Dakar. Il a fait parvenir un bateau et des parachutistes français par avion pour, le jour du référendum pour l’indépendance, le 28 septembre 1958, pendant que le peuple allait voter dans l’ordre et la discipline (car l’ordre leur avait été donné d’éviter tout débordement, donc chacun devait voter et rentrer chez soi), ivider les caisses de la Banque centrale de Guinée, les mettre dans le bateau et les faire rapatrier sur Dakar.
Voyez un État qui débute avec zéro franc.
Ainsi les complots ont commencé le jour même du référendum. Cette lutte, nous l’avons vécue tous les temps. Et même jusqu’aujourd’hui, elle continue sous une autre forme. (…) Messmer a écrit que le premier complot ourdi a permis à Jacques Focart de s’appuyer sur l’ethnie peulh, dont certains ont toujours été en désaccord avec le président Sékou Touré. Mais ce dernier en a eu vent et le complot n’a pas marché.
Il faut reconnaître que ce n’est pas toute l’ethnie peulh qui était contre Sékou Touré. Le meilleur ami de mon mari, Saïfoulaye Diallo, était un Peulh. Ils se sont connus très tôt lorsqu’ils travaillaient ensemble au Trésor. Ils avaient le même idéal. Saïfoulaye était un homme extraordinaire, plein de convictions, fidèle à son idéal. Ils ont passé toute leur vie ensemble. Saïfoulaye était un militant sincère du PDG-RDA (Ndlr : le parti qui a mené la Guinée à l’indépendance) depuis sa création. Il était tellement engagé qu’il fut muté au Niger où on affectait tous les fonctionnaires engagés de l’époque. Arrivé là-bas, il a intégré la section locale du PDG-RDA qui était un parti panafricain. Il y a milité également. Il fut encore muté en Haute-Volta (l’actuel Burkina Faso), mais il est resté sur ses positions et a encore milité pour le parti dans ce pays. Quelques années après, il est rentré en Guinée à cause de problèmes de santé. C’est lui Saïfoulaye, mon mari, et Lansana Béavogui, qui ont été présentés par le PDG-RDA pour être les trois députés guinéens à l’Assemblée nationale française.
Nous avons toujours vécu avec ces complots. Mais ils disaient : « Oh ! Sékou Touré est devenu fou. Il invente des complots dès qu’il y a des difficultés. Il ne veut pas de cadres, de directeurs, il est contre tout le monde. Il assassine tous ceux qui peuvent nuire son prestige ». Mais la réalité est que nous avons vécu dans le complot permanant. Et je vous dirai même que quelque temps avant sa mort, en 1984, pendant qu’on préparait le sommet de l’OUA (Ndlr : le sommet n’a finalement pas eu lieu en Guinée), il y a eu des mercenaires qui ont été introduits en Guinée. Certains sont passés par la Haute Guinée, d’autres par Boké. Certains ont été arrêtés et emprisonnés. C’est à l’avènement des militaires (Ndlr : après la mort de Sékou Touré) qu’ils ont été libérés.
En définitive, l’impérialisme français qui voulait coûte que coûte abattre Sékou Touré et échouait toujours, a eu le projet d’assassiner un chef d’Etat africain pendant le sommet et accuser Sékou Touré. Ce dernier en était conscient et c’est pourquoi la Cité des Nations a été construite pour recevoir les chefs d’Etat. En plus, il a fait construire quelques villas où certains chefs d’Etat qui étaient visés devaient habiter avec une sécurité renforcée.
C’est cela que nous avons vécu durant la Première République. Le peuple en était toujours informé, car on ne vivait pas dans l’opacité. A chaque fois qu’il yse passait quelque chose, et comme le parti était bien structuré, le président convoquait des meetings pour expliquer à tout le monde depuis la base jusqu’au sommet.
(…) Le 22 novembre 1970, une nuit du mois de ramadan, à 2 heures du matin, des mercenaires avaient débarqué. Il y a eu plus de 360 tués à Conakry. On ne parle jamais de ceux-là. Des cadavres sont restés (dans les rues) pendant deux jours, qu’on ne pouvait pas ramasser à cause de la lutte. Le camp Boiro qui, a été pris par les mercenaires, a été délivré par la milice de l'université de Conakry qui s'est mobilisée, les armes à la main, pour délivrer ce camp de la Garde républicaine. Le jeune soldat qui était à la porte ce jour là, les mercenaires l’ont éventré. Ils étaient composés d’Européens, d’autres Africains et de Guinéens. Certains ont été arrêtés et ont fait des dépositions.
On est allé jusqu’à dire que l’agression n’a pas eu lieu ; que c’était de l’imaginaire. Mais le président Sékou Touré a dit : « Le mensonge a beau être grand, il finira par se détruire et la vérité finira toujours par triompher un jour ». Alors, il est très important que les jeunes qui n’ont pas vécu ces temps sachent ce qui s’est réellement passé.
L’association des enfants victimes du camp Boiro (Ndlr : où on enfermait les adversaires au régime de Sékou Touré) a raison de réclamer la vérité et la justice. Même nous, nous souhaitons que la vérité soit entièrement dite ; parce qu'il s'est passé des choses très graves dans ce pays. Ceux qui se disent victimes doivent savoir qu'un enfant n'est pas responsable des actes de son père. On subit, on n’en est pas responsable. Il y a eu beaucoup de victimes dans ce pays. Pendant l'agression de 1970, il y a eu plus de 360 morts qui sont restés deux jours dans la rue parce qu'on ne pouvait pas les ramasser à cause des mercenaires. Ce sont des victimes dont les enfants sont vivants. Mais on ne parle jamais de ça. On parle de ceux dont les parents ont eu une certaine participation à tous ces événements. Les faits ont été reconnus par leurs parents et les sanctions ont été prises.
Je pense que les enfants doivent comprendre qu'ils ne sont pas responsables des actes de leurs pères. C'est douloureux d'avoir une telle charge à supporter. Je comprends cela. S'ils veulent la justice, c’est tout à fait normal. Mais la vérité se dira et tout va éclater. Peut-être qu'il y a des choses qu'ils ignorent et qu’ils pourront apprendre ce jour. Et cela est très souhaitable pour le peuple de Guinée.
Je pense que c'est ce peuple de Guinée qui a été victime à cause du choix historique qu'elle a eu à faire en prenant l'indépendance. (…) Je respecte la douleur des uns et des autres. Nous aussi, nous avons subi beaucoup de pertes sur tous les plans. Mais il faut que nous soyons tous réalistes. Il s'est passé des choses tragiques dans ce pays, et il fallait vraiment que les autorités prennent leurs responsabilités pour éviter le chaos. S'il y avait eu ce chaos souhaité par des ennemis, il n'y aurait pas eu d'indépendance ; notre indépendance n'aurait même pas été reconnue.
Après le décès de mon mari, nous avions été mis en prison à Kindia. Mon fils Mohamed et moi avons fait quatre ans ; ma fille Aminata n’a fait qu’une année. Ce qui m’a fait beaucoup de peine, c'est de m'emprisonner après le décès du président Sékou Touré. Mon mari est décédé un vendredi, le vendredi suivant, il a été enterré. La semaine suivante, le samedi précisément, toute la famille a été emprisonnée, c’est-à-dire mes belles-sœurs, mes beaux-frères, mes frères, mes enfants et moi, sans oublier les membres du gouvernement, nous avions été arrêtés et emprisonnés. Donc, je n’ai pas eu le temps d’aller voir la tombe de mon mari. Je suis restée quatre ans en prison à Kindia. Mais quand nous sommes sortis de la prison, nous étions en résidence surveillée.
Moi, j’étais assignée à Macenta dans ma famille maternelle. Je n’avais pas le droit de me déplacer sans autorisation. Mon fils Mohamed était assigné à Faranah dans sa famille paternelle. Il n’avait pas non plus le droit de se mouvoir sans autorisation. Donc, nous n’avions même pas de contact entre nous, parce qu’à l’époque il n’y avait pas de téléphone portable comme aujourd’hui. Lorsque ma fille Aminata a appris cela, elle a vu le roi Hassan II pour lui dire ma mère est sortie de la prison, mais elle est toujours en résidence surveillée avec mon frère. C’est ainsi que le roi a fait des démarches pour nous faire sortir de la Guinée. On nous a libérés le 1er janvier 1988. Le 14 mars de la même année, nous avons pris l’avion pour le Maroc où j’ai été invitée par le roi Hassan II pour me faire soigner. Avant notre voyage, je n’ai eu la chance de voir la tombe de mon mari qu’une seule fois.
Ma fille Aminata est sortie de la prison avant nous parce qu’elle n’y a fait qu’une année avant qu’on ne la libère. Après, elle est allée au Maroc où le roi Hassan II l’a reçue dans sa famille. Elle y vit toujours. Lorsque mon fils Mohamed et moi sommes sortis de prison, nous avons été reçus par sa majesté. Après, le président Houphouët Boigny nous a invités en Côte-d’ivoire où j’ai vécu longtemps. Un jour, je lui ai dit que ma préoccupation était que mon fils aille faire son troisième cycle si c’était possible. Car mon souci était d’éloigner Mohamed de ce contexte. C’est ainsi qu’il lui a donné une bourse d’étude pour les Etats-Unis où il vit toujours avec sa famille qu’il a fondée là-bas. De temps en temps, ils viennent tous en Guinée. Donc, le pont n’est pas du tout coupé entre nous. Même l’année dernière, deux de mes petits-enfants étaient venus passer leurs vacances auprès de moi. Je vous affirme qu’ils ont aimé la Guinée, car ils se sont beaucoup plu ici.
(…) Aujourd’hui, j'écoute la radio et je vois tellement de contestations, de passion et de haine, mais Dieu merci, le président Sékou Touré a beaucoup parlé et il a fait également beaucoup d'écrits. Son héritage politique, c'est ce qu'il a laissé à ce peuple. Nous savions qu'il ne laissait rien, parce qu'il n'a rien voulu pour lui ni pour sa famille. Mais cela ne nous dérange pas du tout. Je crois que , comme on le dit, le temps est le juge de l'histoire. Tout sera éclairci un jour. Et le peuple de Guinée fera la part des choses.
(…) Parfois, quand j’entends certaines choses, je me demande si je ne suis pas en train de rêver. L’histoire de l’indépendance est tellement falsifiée qu’on se retrouve dans une situation terrible. C’est vraiment dommage ! Car c’est la nouvelle génération qu’on est en train de tromper. Parmi ceux qui ont participé à cette histoire, beaucoup vivent encore. Qu’ils racontent à leurs enfants ce qui s’est réellement passé. Les jeunes veulent savoir et comprendre leur histoire. Je reçois pas mal de jeunes qui viennent me demander beaucoup de choses. Quand on leur raconte certaines histoires, ils n’en reviennent pas. Cela retarde un pays. Assumons notre histoire, car nous avons une histoire glorieuse parce qu’étant les pionniers de l’indépendance africaine.
(…) Nous avons eu notre héroïne, M’Balia Camara (tuée en 1955 durant les affrontements politiques d’avant l’indépendance), qui a été assassinée par un chef-tyran qui lui a donné un coup de poignard pendant qu’elle était en grossesse avancée de huit mois. Même l’enfant a reçu le coup de poignard dans le ventre de sa mère. Et il est mort-né à cause de la blessure. C’est ainsi que la Première République avait retenu cette date de sa mort comme Fête nationale des femmes pour rendre hommage à M’Balia Camara. On se réunissait chaque année pour faire le bilan de toutes les activités de l’année et entreprendre d’autres projets. Aujourd’hui, M’Balia est complètement ignorée. Elle a des descendants qui viennent souvent me voir à la maison.
Ne falsifions pas notre histoire ; il y va de notre intérêt. Je salue la création du Club Ahmed Sékou Touré, car il est en train de faire un travail scientifique. Je trouve cela très important pour la compréhension de l’histoire guinéenne par la nouvelle génération. Nous, nous racontons parce que nous avions vécu ; eux ils disposent de documents scientifiques. Bientôt ce club va encore organiser des conférences-débats à partir du mois d’octobre jusqu’au mois de novembre.
Le président Sékou Touré se disait être devant le peuple, au milieu du peuple et derrière le peuple. Ceux qui ont vécu cette époque savent comment le peuple était traité. Quand on lui demandait s’il avait peur, il répondait ainsi : « J’ai peur de deux choses : Dieu et mon peuple. » Il a eu à dire aussi quand il y avait des manifestations : « Le peuple est là joyeux, les gens dansent, chantent, rient, mais moi j’ai peur ».
Donc, je voudrais que ce peuple connaisse la joie dans la liberté. Que ce pays qui est immensément riche, que les richesses reviennent à ceux qui en ont droit, c’est-à-dire le peuple de Guinée, car c’est notre propriété. Mais nous assistons aujourd’hui au pillage systématique de ces richesses. Je souhaite que cela cesse pour que le peuple connaisse maintenant la paix et la liberté.
* Hadja Andrée Touré est la veuve du premier président de la Guinée, feu Ahmed Sékou Touré. Ce texte est tiré d’une nterview réalisée par Boua Kouyaté, pour Guineenews
* Veuillez envoyer vos commentaires à ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org