«Les pays du Sud ont les moyens de financer leur développement sans conditionnalités»

Claude Quemar est secrétaire général du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (CADTM). Prenant part à la 5e édition du Forum social africain qui se tient à Niamey (Niger), du 25 au 28 novembre, sur le thème «L’Afrique des peuples en marche contre la mondialisation néolibérale», il fait le point, avec Pambazuka News, sur la Campagne internationale contre la dette lancée depuis quelques années.

Pambazuka News : Votre organisation, la CADTM, lutte depuis plusieurs années pour l’annulation de la dette du Tiers monde. Où en êtes-vous aujourd’hui dans ce combat ?

Claude Quemar : Depuis 2001-2002, un certain nombre de pays, en particulier les pays émergents d’Asie et d’Amérique du Sud, mais aussi quelques pays sur le continent africain (je pense à l’Angola, au Nigeria et aux pays du Maghreb) ont été arrimés à la dynamique pour l’annulation de la dette. Grâce à l’augmentation du cours des matières premières qui avait basculé vers la hausse à partir de 2001, ces pays avaient atteint une situation où ils pouvaient envisager de rembourser par anticipation leur dette vis-à-vis des institutions financières internationales - et c’est ce qu’ils ont fait assez souvent d’ailleurs.

Mais avec la crise actuelle du système financier international, on peut craindre que les populations du Sud ne se retrouvent à nouveau sous le poids insupportable de nouveaux emprunts, en particulier à cause de la hausse des taux d’intérêt qui leur sont appliqués. Ces taux ont augmenté, entraînant une aggravation de la situation sociale. Comme on l’a vu un peu partout, les populations viennent de traverser deux années difficiles avec les émeutes de la faim qui se sont produites en début d’année sur tous les continents et qui sont en grande partie liées aux spéculations sur les matières premières agricoles. La situation est donc difficile.

Ce contexte peut-il mieux aider à faire avancer la campagne contre la dette ?

Les « campagnes dette » que nous avons lancées à travers le monde ont fait avancer la question, en particulier au Sud. Des audits de la dette ont été menées ici ou là. Je pense notamment au nouveau gouvernement équatorien qui a mis sur pied une commission d’audit intégral de la dette et qui vient de prendre un certain nombre de décisions, comme le fait de rompre avec le Fmi et la Banque mondiale, ou de ne pas rembourser un certain nombre de prêts acquis auprès de grandes sociétés transnationales d’Amérique du Sud, d’Argentine en particulier.

Sur quelle base la décision de ne pas rembourser a-t-elle été prise ?

La commission d’audit a jugé qu’il s’agissait de prêts odieux… Mais à ce niveau, un autre fait est à noter. Par en effet, nos campagnes internationales ont aussi fait bouger certains gouvernements du Nord comme celui de la Norvège qui a décidé d’annuler, de manière unilatérale, la dette qu’elle réclamait à cinq pays pour l’achat de bateaux de pêche. Le gouvernement norvégien a reconnu qu’il était en grande partie responsable de cet endettement, n’ayant pas cherché à savoir si ces cinq pays avaient besoin de ces bateaux au moment où les emprunts étaient faits. A partir du moment où la Construction navale norvégienne avait besoin de ces marchés, ces cinq pays avaient été poussés à emprunter pour les acquérir. Sans vérification de la pertinence de cette décision, de leur part.
Donc les «campagnes dette» avancent lentement, mais à travers ces victoires on voit que c’est une question qui devient centrale et qui pourrait, avec l’irruption de la crise actuelle, redevenir un point central dans le financement du développement dans les pays du Sud.

Les institutions financières internationales ont mis en place un mécanisme d’allègement de la dette, notamment l’initiative Pays pauvres très endettés (Ppte). Que pensez-vous de cette option ?

L’initiative Ppte nous paraît à la fois un pas en avant et une arnaque intellectuelle. Un pas en avant parce que cette décision a été prise sous la pression des mouvements sociaux du Nord et du Sud pour dire qu’il n’était pas possible de laisser ces dizaines de pays les plus endettés et les plus pauvres s’enferrer dans ce mécanisme infernal de paiement de la dette. Mais nous pensons qu’il s’agit aussi d’une arnaque. Lorsqu’on regarde l’initiative Ppte, on voit quil ne s’agit en aucun cas d’annuler la dette des 41 pays concernés. Il s’agit plutôt de rendre cette dette soutenable, c'est-à-dire payable.

La logique des institutions financières est la suivante : ces pays sont très endettés et très pauvres pour pouvoir rembourser ce qu’ils ont emprunté, donc on va les aider un peu pour les remettre en situation de pouvoir rembourser leur dette. L’objectif n’est pas d’annuler la dette pour permettre à ces pays de financer leur développement et répondre aux besoins de leurs populations, mais de les remettre en situation de payer au maximum leur dette et les remettre dans le système internationale qui permet de les maintenir sous domination. Pour, ensuite, accéder à bas prix à leurs ressources naturelles et humaines à travers les privatisations.

Quelles alternatives préconisez-vous à la place de la politique d’endettement en vigueur ?

Les alternatives que nous préconisons partent du constat que nous pouvons entretenir des rapports de force à partir des avancées que les mouvements sociaux et les « campagnes dette » ont pu connaître dernières années.

La première alternative est simple : que les pays du Sud décident souverainement et de manière unilatérale de ne plus rembourser leurs dettes. Si on veut le remboursement de cette dette, il faut d’abord qu’on fasse son audit. Voir à quoi elle a servi, comment elle a été contracté, est-ce qu’elle a été véritablement utilisée pour le bien-être des populations ?

Une fois cet audit réalisé, on peut s’engager à rembourser ce qu’on doit réellement, en déflaquant ce qui a été déjà remboursé depuis des décennies. Partout où ces audits ont été faits, on s’est rendu compte que ce sont les créanciers du Nord qui sont largement débiteurs des pays du Sud endettés.

Il faut aussi travailler à mettre en place des alternatives de financement du développement au travers de l’annulation de la dette, pour que les richesses produites dans les pays puissent servir au bien-être des populations. Il faut également remettre dans le giron social de l’Etat tout ce qui a été privatisé, en particulier les secteurs fondamentaux que sont les ressources naturelles, l’eau, l’énergie. Ceci doit se faire sous le contrôle des mouvements sociaux, des syndicats, puisqu’on est dans le domaine des besoins de première nécessité pour les populations.

Pour la deuxième alternative, nous pensons qu’il faut remplacer les institutions financières internationales qui ont mis en place, depuis des décennies maintenant, ce mécanisme de pillage des pays du Sud, par d’autres institutions financières. On a un exemple qui se met en place depuis quelques années en Amérique latine, avec la Banque du Sud qui remplit les mêmes fonctions que la Banque mondiale, mais sans les conditionnalités qu’impose cette dernière pour accorder ses prêts. Cela montre que les gouvernements du Sud, avec les ressources naturelles dont ils disposent, ont les moyens aujourd’hui de financer leur développement sans conditionnalités.

* Claude Quemar est secrétaire général du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde

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