L’armée guinéenne face aux défis démocratiques et au changement
L’armée guinéenne actuelle est perçue par les populations guinéennes comme une force de répression qui a été toujours à la solde du régime de Lansana Conté. Comment, dès lors, le Conseil National pour la Démocratie et le Développement pourra-t-il durablement inverser cette perception du citoyen guinéen. Une réconciliation entre l’armée et le peuple est-elle possible et par quels moyens ? Cette armée est aujourd’hui un véritable facteur d’insécurité.
L’armée actuelle, au lieu d’être un instrument de sécurisation du pays et des citoyens, est devenue au fil des ans un véritable facteur d’insécurité. La dégradation de la situation matérielle et morale des militaires guinéens a abouti à l’anarchie que l’on observe au sein de cette dernière. Partout on relève des manquements graves aux règles de discipline et de l’autorité hiérarchique d’où, un absentéisme généralisé, une négligence dans l’entretien des matériels, un port de la tenue militaire en tout lieu et en tout temps. Le militaire guinéen est devenue une véritable armurerie ambulante.
Une grande majorité des militaires guinéens ne dispose pas d’une formation et d’un déroulement de carrière liés à leurs compétences car le recrutement est fondé sur l’appartenance ethnique. Des pans entiers de cette armée sont laissés à l’abandon au profit des unités chargées de la sécurité présidentielle dont l’équipement et les conditions de rémunération sont nettement meilleures. Les militaires guinéens laissés à l’abandon, sans encadrement efficace se livrent à des opérations de racket de la société civile en se comportant en de véritables unités de prédateurs entraînant ainsi une véritable rupture entre l’armée et les citoyens. Cette armée est perçue par les populations comme une armée de façade et de parade et non une armée censée assurer des missions de défense nationale. L’esprit républicain qui devrait l’aimer est inexistant et le patriotisme, s’il existe, il faut dire qu’il a été plutôt ethnique. Car l’ennemi déclaré n’est pas aux frontières, mais bien à l’intérieur de l’espace national
Une armée privilégiée mais sous surveillance
Durant tout le règne de Lansana Conté, l’armée a été l’un des piliers central du régime. Malgré cette position centrale de l’armée dans la vie politique guinéenne, les relations entre l’armée et le feu général-président ont été très fluctuantes. Ces fluctuations sont essentiellement dues au malaise qui régnait et continue de régner en son sein. Ce malaise est consécutif à la confiscation, par les nombreux clans présidentiels et quelques officiers de l’ethnie du feu général président, des canaux d’enrichissement via l’Etat. Il est également dû à la discrimination envers les officiers formés à l’étranger qui ne sont pas de la mouvance présidentielle et qui voyait leur avancement bloqué de fait.
Ce malaise s’explique aussi par les nombreuses rumeurs de coups d’Etat qui ont ponctué le règne du défunt président. En effet, depuis la mutinerie de février 1996, l’armée était étroitement surveillée de l’intérieur par les officiers et sous-officiers originaires de la Basse-Guinée qui étaient toujours prêts à défendre coûte que coûte un régime dont ils profitaient des largesses. Dès lors, les militaires qui étaient tentés par un coup de force hésitaient à passer à l’acte. Une véritable atmosphère de méfiance et de suspicion régnait parmi les officiers de l’armée guinéenne. Cette méfiance avait conduit le feu général-président à renforcer sa garde par les fameux « bérets rouges » qui, en grande majorité soussou (l’ethnie du président) étaient particulièrement choyés.
Le feu Président Conté veillera durant tout son règne à faire de l’armée le corps le plus privilégié de l’Etat. Alors que les principales infrastructures du pays sont en pleine déliquescence, les forces de sécurité et de défense bénéficiaient, elles, d’efforts soutenus. Il a ainsi fait rénover le matériel militaire et intégré de nouvelles recrues, alors qu’aucun recrutement ne fut effectué dans la Fonction publique. L’armée était le seul corps qui bénéficiait de l’attention bienveillante de l’Etat. Cela n’assura pourtant pas une fidélité sans faille des militaires envers le général-président, mais elle contribua à la longévité du régime Conté.
Une armée divisée
Malgré les privilèges accordés à l’armée, cette dernière a connu et continue de connaître des divisions internes, car tous les militaires guinéens ne profitèrent point des largesses du pouvoir de Conté. Une véritable stratification existe aujourd’hui au sein de l’institution militaire guinéenne. Quand on observe cette armée, on constate que les officiers se divisaient en trois principaux groupes :
- Le premier groupe comprenait les officiers supérieurs (généraux, colonels et lieutenants-colonels) les plus âgés dont certains ont commencé leur carrière dans l’armée coloniale puis sous l’ère du dictateur Sékou Touré. Si ces officiers appartenaient à la même génération et ont échappé aux purges de la tyrannie de ce dernier, ils étaient en revanche issus de groupes ethniques différents, ce qui, ajouté à leurs rivalités personnelles, empêcha toute unité du commandement militaire en cas de mobilisation.
- Le deuxième groupe était constitué d’officiers subalternes dont la promotion s’est effectuée à l’arrivée du régime de Lansana Conté. En grande majorité membres de l’ethnie du défunt président, ces officiers étaient les piliers du régime à qui ils doivent leur ascension sociale. Ils étaient perçus par les autres militaires et par la population comme « d’injustes bénéficiaires » des largesses du pouvoir Conté, car depuis 1984, l’uniforme et les grades sont en effet en Guinée, un accès privilégié à l’enrichissement personnel d’autant que cette armée est un acteur économique important. Des marchés d’Etat lui sont régulièrement attribués.
Le professionnalisme de ce groupe d’officiers a été mis en doute, pour autant ils ont occupé des postes de sous-préfets, préfets et gouverneurs. Certains ont appartenu à l’entourage direct du défunt président. Cependant, les officiers supérieurs du premier groupe leurs firent obstacle. Ils rencontrèrent une franche hostilité de la part des jeunes officiers, ceux du troisième groupe.
- Le troisième groupe est quant à lui constitué de jeunes officiers qui n’ont pas profité des largesses du pouvoir Conté. Une grande majorité d’entre eux a été formée dans les grandes écoles militaires françaises, américaines, marocaines. Issus des autres ethnies du pays, ils n’ont pas appartenu au deuxième groupe d’officiers. Du fait de la suspicion du pouvoir, ils furent nombreux à être bloqués dans l’avancement en grade. Ils ont cultivé un réel ressentiment à l’égard du régime défunt. Certains parmi eux ont envisagé de renverser le régime Conté. Ce groupe fut l’objet de surveillance étroite de la part de leurs collègues du deuxième groupe. Les vagues d’arrestations de nombre 2003 ont essentiellement concerné cette catégorie.
La longévité du régime de Conté s’explique par ces divisions internes de l’armée guinéenne. La possibilité d’affrontement entre plusieurs groupes au sein de cette armée n’était pas exclue. La question est de savoir aujourd’hui si cette armée au pouvoir saura taire ses différends internes pour une quiétude sociale.
De la nécessaire réorganisation de l’armée guinéenne
C’est au regard de cette situation de l’armée guinéenne et des forces de défense et de sécurité qu’il est temps de dessiner de nouvelles perspectives de défense nationale pour la Guinée de demain. Le prochain pouvoir en Guinée devra envisager une refonte complète du dispositif de défense par la réorganisation des structures des forces armées. Cette réforme de l’armée guinéenne s’imposera pour permettre à cette dernière de remplir ses missions traditionnelles de défense nationale. En effet dans sa phase de reconstruction politique, la Guinée ne pourra point faire l’économie sur la nécessaire réorganisation de son outil de défense. Cette réorganisation est devenue indispensable pour assurer un environnement sécurisé d’autant, que les conflits armés prolifèrent sur le continent.
Cette restructuration de l’outil de défense est essentielle car l’armée actuelle est techniquement faible, pas du tout performante et politiquement dangereuse. Véritable facteur d’insécurité dans son fonctionnement actuel, elle hypothèque toute possibilité de démocratisation du pays. Aucun développement durable n’est envisageable en Guinée sans un environnement politique, économique et social sécurisé.
La réorganisation de l’outil de défense se fera par la redéfinition et la mise en œuvre de nouvelles missions de l’armée. Un accent particulier devra être entrepris pour la formation et un nouveau statut du militaire guinéen devra être mis en place pour éviter toute dérive clanique de l’armée. Il faudra aussi instaurer un environnement institutionnel démocratique qui puisse empêcher l’instrumentalisation de l’ethnicité au profit des intérêts sociaux et politiques d’un clan. Le recrutement au sein de l’armée devra être anonyme et axé sur des critères de diplômes, de qualifications professionnelles. Il devra aussi permettre le pluralisme de l’armée dans toutes ses composantes afin de refléter de manière fiable les diverses couches de la société guinéenne.
Les missions de l’armée guinéenne devront être modifiées dans le sens d’une sécurité effective des populations au sein d’un Etat respectueux de la démocratie et des Droits de l’homme. Cette évolution des missions de l’armée devra se faire dans un cadre où les militaires guinéens auront fait un serment de fidélité non pas à un homme ou à un clan, mais aux institutions et à la Constitution. Une véritable reconversion des mentalités des militaires guinéens orientée vers la défense de l’intérêt général et du bien collectif devra être opérer.
La formation de l’armée au service de l’Etat de droit devra être accentuée pour permettre au militaire guinéen d’acquérir une mentalité nouvelle, de nouvelles pratiques. C’est au regard d’une telle situation qu’il est nécessaire de renforcer le lien entre l’armée et la nation par la mise en place d’un véritable enseignement sur le respect des organes de l’Etat, sur le droit humanitaire, sur le droit des conflits armés, sur l’éducation civique, sur les droits humains et la place du militaire dans la société.
Des armées coupées des populations, isolées dans leurs quartiers courent le risque de se refermer sur elles-mêmes avec une chance d’inadaptation à la société moderne et à ses enjeux. Il est évident qu’une armée cantonnée dans ses bases aura des tentations extrémistes en se considérant comme la seule gardienne des valeurs républicaines et de l’intérêt national.
De la coopération militaire
Dans le cadre de la réorganisation de l’armée guinéenne, de nouveaux objectifs en matière de coopération militaire devront être posés. Ces objectifs devront permettre :
- de renforcer les capacités de prévention et de gestion des crises de l’armée guinéenne à l’échelon national et régional ;
- d’aider à la restructuration de l’armée par une réduction des effectifs pour une évolution vers la professionnalisation ;
- d’aider l’armée à remplir ses missions de protection de l’Etat et des Institutions.
Sur le plan régional, une véritable politique de concertation intra-africaine sur la défense doit être mise en place afin d’harmoniser les politiques de défense et de coopération militaire. Africaniser via l’Union Africaine, l’Onu et les partenaires bilatéraux (Etats Unis, Union Européenne, Russie) la sécurité par l’édification, l’organisation et la mise en œuvre d’une force interafricaine de maintien de la paix et d’interposition, car la défense extérieure s’organisera dans le cadre sous régional par la prise en compte collective des besoins de sécurité des Etats (ONU/UA/CEDEAO).
Je suis conscient que ce travail de restructuration de l’armée guinéenne sera long et difficile. Mais c’est le prix à payer pour l’émergence et la consolidation d’un système politique démocratique en Guinée.
* Mamadou Alou Barry est spécialiste des questions de défense et sécurité en Afrique
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