Madagascar : Contribution à la recherche de solutions de sortie de crise

Depuis dix-huit que Madagascar est empêtrée dans une crise, ses dimensions dépassent le querelles politique pour mettre en péril les fondements de l’Etat et les perspectives de développement. Pour Raymond Razafindrakoto les moyens du redressement passent par la réinstauration d’«une gouvernance qui s’appuie sur un processus participatif visant à rendre effective une réelle démocratie conduisant de façon efficiente au développement de l’homme et de tout homme».

(…) J’avais été chargé par le PNUD pour participer à la rédaction des documents de base ayant permis d’organiser la Table Ronde des Bailleurs de fonds en vue de financer la reconstruction du Rwanda (dans les années 1990). Les thèmes développés dans ces documents de base s’articulaient autour de la nécessité d’assurer la restauration de la paix civile et la réconciliation nationale ainsi que de mettre en place les soubassements d’une gouvernance démocratique et efficiente à travers une vision globale, systémique et à long terme de tous les facteurs du développement et une mobilisation efficace de l’ensemble des acteurs : leur créativité, leur esprit d’initiative, leur sens des responsabilités et d’obligation de résultats.

La mise en œuvre de nos recommandations a permis au Rwanda de sortir de la crise et d’assurer la relance de son développement économique et social. En effet, lors d’une autre mission que le PNUD m’avait confiée, au Burundi et dans ce pays en 1997, j’ai constaté que sa reconstruction était en très bonne voie et le taux de croissance de son PIB était aux environs de 14%.

Cet avant propos est nécessaire pour souligner le fait que Madagascar devrait pouvoir mieux faire que le Rwanda qui ne dispose pas d’autant de ressources humaines et matérielles que notre pays et dont la guerre civile avait occasionné des centaines de milliers de morts et détruit d’importants ouvrages d’infrastructure. Cela dépend cependant de l’effectivité d’une réelle volonté politique à mettre en œuvre des mesures appropriées de sortie de crise dont les orientations stratégiques sont présentées ci-après.

1 - Renforcer la mise en place des soubassements d’une gouvernance démocratique et efficiente qui passe d’abord par la restauration de l’Etat de droit et de la paix civile ainsi que la réconciliation nationale.

Tous les régimes qui se sont succédé à Madagascar ont méconnu la nécessité de renforcer la mise en place des soubassements d’une gouvernance démocratique et efficiente. C’est-à-dire, les soubassements d’une gouvernance qui s’appuie sur un processus participatif visant à rendre effective une réelle démocratie conduisant de façon efficiente au développement de l’homme et de tout homme (DHD). C’est un concept qui s’appuie sur trois thèmes lancés depuis les années 1990 par le PNUD et la Banque Mondiale, à savoir la Gouvernance, la Démocratie et le Développement qui sont inter reliés et ont pris de plus en plus de l’importance dans le monde et particulièrement à Madagascar où les événements sociopolitiques et la trajectoire économique qui ont prévalu, au cours de ces dernières années, ont montré dans quelle mesure les questions y relatives sont primordiales pour le développement du pays.

Il importe de souligner, en effet, qu’au cours des années 1990, Madagascar a choisi de s’engager dans la voie démocratique et a connu des avancées notoires par rapport à la situation qui prévalait jusqu’à la fin des années 1980. Le pays s’est progressivement doté du cadre et des mécanismes institutionnels d’une démocratie formelle. La situation dans le domaine de la liberté d’association, d’expression et des médias ou en matière de processus électoral, a été globalement enviable, relativement, par rapport à celle qui prévalait dans beaucoup de pays Africains. Madagascar a été, en effet, un des rares pays du continent à avoir effectué une triple transition électorale (1993, 1996 et 2002).

Toutefois, par la suite, si un certain nombre de principes semblent avoir été acquis en termes de démocratie et plus globalement de gouvernance, leur mise en application a été toujours loin d’être évidente. La phase de consolidation du processus de démocratisation est demeurée hésitante. Les germes qui ont été à la base de l’insatisfaction de la population relative à ses attentes, en termes de démocratie et de gouvernance et qui sont à l’origine des mouvements de contestation de grande ampleur en 1991 et en 2001, n’ont pas encore été totalement anéantis.

La trajectoire de l’économie qui commençait à être ascendante au moment de ces événements, n’a pas suffi pour cautionner le pouvoir en place. La population a dénoncé les inégalités et l’injustice, en particulier la corruption (à grande échelle), et a exigé une meilleure prise en compte de ses aspirations ainsi que de ses « choix». La crise politique de 2001-2002, comme celle de 1991, a eu des effets très néfastes du point de vue économique.

Si le renversement du pouvoir en place et le règlement de la crise en 2002 ont engendré un immense espoir du côté de la population, la majorité de cette population a attendu de la part des Autorités des réponses fermes et sans faille, à renforcer leurs capacités pour opérer de réels changements en termes de gouvernance afin d’inscrire le développement dans un rythme rapide et durable, susceptible d’améliorer significativement les conditions de vie de la population et réduire l’incidence de la pauvreté qui reste très élevée.

La majorité des citoyens aspire, en effet, à ce que les changements rapides en termes de gouvernance se traduisent par la satisfaction de leurs besoins vitaux, lesquels, pour plus des trois quarts d’entre eux, consistent à avoir un logement (en tant que locataire ou propriétaire), prendre trois repas par jour, pouvoir se soigner quand on est malade, avoir un travail stable et durable, pouvoir envoyer les enfants à l'école, avoir accès à l'eau et à l’électricité.

Une réelle démocratie répondrait également aux attentes de la majorité des citoyens. Cette soif de démocratie ne peut cependant être satisfaite sans la mise en place des soubassements d’une gouvernance démocratique et efficiente, sans lesquels, le pays restera toujours en équilibre instable du fait du manque de solidité des différents piliers qui le portent, situation favorable à la récurrence de crise.

Dans le livre « Développement rapide et durable de Madagascar. Est-ce une utopie ? », que j’ai écrit en 2006, j’ai insisté sur la nécessité de mettre en œuvre des mesures drastiques et d’adopter une attitude prospective faite de préactivité et de proactivité ainsi que de vision globale, systémique et à long terme pour extirper les racines du mal qui sont à l’origine de la récurrence des crises cycliques à Madagascar et de l’impossibilité d’assurer le développement rapide et durable de notre pays.

Hélas ! Voilà encore que nous sommes plongés dans la crise et les affres de la division avec ses graves conséquences : déception et désespoir d’une large couche de la population dont les conditions de vie ne cessent de se détériorer. D’après les calculs qui ont été faits par des experts malgaches assistés de ceux de la Banque Mondiale dans le cadre de la rédaction du Mémorandum Economique sur le Pays, publié en décembre 2008, il ressort que si Madagascar avait pu croître à un taux moyen annuel de 5% au cours de ces 40 dernières années, on aurait atteint un revenu par habitant de l’ordre de 3000 dollars, c’est-à dire assez proche de celui du Pérou, de la Thaïlande et de la Tunisie. Mais à cause du temps perdu suite à ces crises cycliques, notre revenu par habitant se situe actuellement aux environs de 300 dollars, nous classant parmi les dix derniers pays les plus pauvres de la planète.

Il faut alors que tous les responsables de la vie politique, sociale et économique fassent taire leurs ambitions personnelles et montrent qu’ils sont vraiment animés par le sens du patriotisme et le souci de promouvoir la fierté nationale afin de sortir notre pays des gouffres de la pauvreté et de la honte dans lesquels il est plongé maintenant. Et ce, en s’engageant à mettre en œuvre cette orientation stratégique.

1. Initier, dans les plus brefs délais, de façon inclusive et consensuelle, le déclenchement d’un processus itératif visant la mise en place des fondamentaux d’un Etat fort et juste.
Cette orientation stratégique est complémentaire de celle évoquée supra et s’inspire d’un extrait des pensées de Blaise Pascal à savoir « La Justice sans la force est impuissante, mais la force sans la justice est tyrannique ». Elle s’inscrit aussi dans ce qu’a déjà souligné le Professeur Raymond Ranjeva dans l’une de ses interventions. Il importe, en effet, de souligner que les actions à mettre en œuvre pour asseoir les soubassements d’une gouvernance démocratique et efficiente doivent s’inscrire dans le cadre d’un processus participatif et dans la durée pour leur conférer la pertinence et la pérennité des résultats positifs acquis. Et pour cela, il faut des moyens forts, justes et efficaces.

Il y a lieu de mettre en exergue, aussi, le fait qu’il s’agit, dans ce domaine, d’un travail de longue haleine qui ne concerne pas seulement la refonte de textes de lois (Constitution ; Code électoral ; Code de la Communication ; Statut des partis politiques…) pour les rendre plus appropriés, facilement opératoires, applicables et objectivement vérifiables, mais aussi et surtout de changement de mentalité et de comportements. Des actions d’éducation civique et de culture de la participation citoyenne et de l’Intégrité, impliquant tous les acteurs de la vie politique, économique et sociale et d’une manière générale, tous les citoyens sont, à cet effet, indispensables.

Il est donc d’autant plus urgent, dans l’intérêt supérieur de la Nation, de mettre en œuvre un processus impliquant toutes les parties des diverses tendances, ainsi que les Forces Armées et les Organisations de la Société Civile afin de gérer de façon réellement consensuelle et négociée la Transition. C’est la condition sine qua non pour que règne la paix sociale indispensable à la relance rapide des activités économiques et le fonctionnement efficace de l’ensemble de l’appareil administratif civile et militaire dont tous les membres doivent être astreints à des obligations de résultats et d’intégrité, ainsi qu’au respect de la discipline et des règles strictes en matière de déontologie.

2. Mettre en place les mécanismes et les structures nécessaires pour assurer le management rationnel de la coopération technique et financière Internationale
Cette troisième orientation stratégique revêt également une importance primordiale eu égard au fait que pour assurer la relance, à un rythme rapide et durable, de notre développement, d’importants moyens financiers sont indispensables. Pour cela, nous avons besoin la coopération technique et financière internationale, contrairement à ce qu’affirment certains politiciens. Il faut, en effet, souligner que le fonctionnement rationnel de l’appareil administratif civile et militaire ainsi que la réalisation des infrastructures nécessaires pour booster et rendre compétitif l’ensemble des activités de production et de service nécessitent, chaque année, la disponibilité d’au minimum quelques milliards de dollars que notre épargne nationale est très loin de pouvoir dégager.

Certes, nous dépendons trop des ressources extérieures qui représentent actuellement de l’ordre de 70% de notre Programme d’Investissement Public. Il importe donc absolument d’y remédier grâce à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une stratégie appropriée qui doit nous permettre de diminuer progressivement cette trop grande dépendance. C’est ce qu’un groupe d’experts malgaches dont je faisais partie avait toujours recommandé au cours des années 1990. Mais c’était une bouteille jetée à la mer.

Certes aussi, les résultats et les impacts de l’apport technique et financier de nos partenaires ne sont pas toujours à la mesure des attentes, eu égard à l’importance de cet apport. Mais là aussi, l’initiation au cours des années 1990 du processus UNDAF par le PNUD, auquel j’ai pris une part importante, aurait dû permettre la mise en place de structures et mécanismes efficaces devant permettre d’assurer la rationalisation du management de la coopération technique internationale. C’est ce à quoi, il importe maintenant et de façon urgente, de s’atteler en renforçant les démarches qui ont été engagées de façon hésitante.

Pour rattraper le temps perdu, il faudra alors, en fonction de ce qui précède, renégocier, avec nos partenaires techniques et financiers, le financement d’un programme d’urgence articulé sur la nécessité de réformer les finances publiques, de stimuler l’investissement privé, de mettre en place les ingrédients de la « Révolution Verte », de restaurer la sécurité publique, d’augmenter les ressources en faveur de la santé et de l’education et d’améliorer le fonctionnement de la justice.

* Raymond Razafindrakoto, Ingénieur Statisticien Economiste, est ancien Economiste Principal du PNUD

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