L’agression militaire occidentale pour la reconquête de la manne financière et pétrolière libyenne

Qui a intérêt à liquider un Khadafi craint et courtisé surtout au moment où il entreprenait le renouvellement de son armement archaïque et dépassé acheté à la défunte Union soviétique ? Cette guerre projetée sans commandement militaire préalable n’est-elle pas une guerre de mainmise sur la manne financière et pétrolière d’un dirigeant africain ténébreux ? Quelles en sont les preuves ?

Article Image Caption | Source
US Army

L’abattage médiatique se déchaîne et tente de présenter la situation en Libye comme une révolte populaire d’une ampleur jamais égalée et qui devait mettre hors d’état de nuire «un dictateur» sanguinaire, avant qu’il ne décime son peuple par des frappes aériennes. Cette image d’Epinal, d’une folie meurtrière, est servie avec un art consumé de l’exagération, par un bilan mortuaire plus virtuel que réel dont les estimations varient, selon des sources occidentales, entre 20 000 et 10 000 morts.

Toutefois, dans ce montage macabre, il manque terriblement des preuves intangibles comme le serait le filmage ou l’exhumation des cadavres ou du trop plein des hôpitaux. On n’a vu nulle part, dans le cas libyen, ces vagues populaires déferlantes comme en Tunisie, en Egypte, au Bahreïn et dans les autres capitales arabes en ébullition. Dans toutes ces révolutions, les peuples aux mains nues ont bravé et vaincu la soldatesque des dictateurs. En Libye, on montre une rébellion et des insurgés : le peuple et les victimes sont encore dans les belles bouches des journalistes et des diplomates occidentaux.

Ce matraquage médiatique rappelle, en tous points, la situation de pré-guerre en Irak, ou profitant du déficit de communication de Saddam Hussein, toute la presse occidentale s’était épandue sur la fameuse troisième armée du monde, dangereuse pour la paix universelle puisque détentrice «d’armes de destruction massive». Comme écrit Afrique Asie : Béni soit celui qui y croit.

Auparavant, les laboratoires d’idées, les «thinks tanks» néo-conservateurs, avaient préparé le terrain, en élaborant deux stratégies de rappel de la fameuse «pax americana», conception permanente de la classe dirigeante consistant à étendre à toute la planète la doctrine de Monroe (1945) qui tourne, comme le souligne Samir Amin, autour de cinq objectifs à savoir :

- neutraliser et asservir les autres partenaires de la triade (l'Europe et le Japon) et minimiser la capacité de ces Etats d'agir à l'extérieur du giron américain ;
- établir le contrôle militaire de l'Otan et "latino-américaniser" les anciens morceaux du monde soviétique ;
- contrôler sans partage le Moyen Orient et ses ressources pétrolières :
- démanteler la Chine, s'assurer la subordination des autres grands Etats (Inde, Brésil) et empêcher la constitution de blocs régionaux qui pourraient négocier les termes de la globalisation ;
- marginaliser les régions du Sud qui ne représentent pas d'intérêt stratégique.

Les deux stratégies néo-conservatrices peuvent être résumées comme suit :
- D’abord, l’élaboration de plans, projets et organigrammes de la domination militaire de l’Eurasie et de la région géostratégique du Golfe persique en gommant de la carte les "pays parias" (les fameux «Etats voyous» de George Bush) en vue d’une mainmise sans partage sur tous les foyers stratégiques de l’énergie mondiale : fameux contrat pétrole contre sécurité ;
- et ensuite l’imposition, par tous les moyens, des valeurs de l’Occident capitaliste comme l’idéologie judéo-chrétienne (la fameuse croisade de G. Bush après le 11 septembre), les droits de l’homme et la démocratie.

Manifestement, les événements de Libye s’insèrent parfaitement dans ce schéma et se présentent, sur le terrain, comme une guerre entre la Cyrénaïque, province de l'est composée de tribus et la bourgeoisie de Benghazi historiquement hostile à la Jamahiriya, la Tripolitaine des tribus bédouines qui est à l’origine de la révolution de la Jamahiriya et le Fezzan dépositaire des principaux gisements d'hydrocarbures qui rapportent annuellement 100 milliards de dollars pour un pays quasi désertique. Les contradictions innées de cette configuration ethno-tribaliste ont été exploitées par l’Occident qui, profitant des révolutions populaires arabes, s’est lancé dans une entreprise de liquidation du régime libyen qui a accumulé une fortune financière colossale dans les banques, les fonds souverains et certaines entreprises occidentales.

Qui a intérêt à liquider ce Colonel craint et courtisé surtout au moment où il entreprenait le renouvellement de son armement archaïque et dépassé acheté à la défunte Union soviétique ? Cette guerre projetée sans commandement militaire préalable n’est-elle pas une guerre de mainmise sur la manne financière et pétrolière d’un dirigeant africain ténébreux ? Quelles en sont les preuves ?

Contrairement aux révoltes des pays arabes, le mouvement libyen du 17 février 2011 est parti de Benghazi via un appel des réseaux sociaux pour commémorer le massacre de prisonniers appartenant aux principales tribus de la Cyrénaïque, dans la prison d’Abu Sélim, en 2005. Les manifestations ont été transformées assez rapidement en rébellion armée par des milices tribales hostiles et les cellules dormantes des services secrets occidentaux et celles du Groupe islamique combattant libyen (Gicl), antenne d’Al Qaida, qui a été, par le passé, durement combattu par la Jamahiriya. Ces forces hétéroclites rebelles, constituées en Conseil national de la transition sont rapidement reconnues comme les représentants légitimes de la nouvelle Libye.

Commence alors une stratégie programmée de liquidation définitive du régime du Colonel Kadhafi : menace d’une intervention militaire, gel des avoirs, instrumentalisation de la Cour internationale de justice, vaste exode entretenu des travailleurs migrants dont personne ne pouvait soupçonner le nombre.

Quatre éléments de preuve : d’abord, les plans d’une intervention précipitée, ensuite, la légitimité supposée du Conseil national de transition, une rébellion autoproclamée «représentant du peuple libyen», les peurs fomentées dans la population immigrée et, enfin, la rapidité et la radicalité des sanctions brandies par la Cour pénale internationale de La Haye. Gbagbo qui opère en Côte d’Ivoire de véritables pogroms, ne fait encore l’objet d’aucune poursuite ; pourtant, il y a effectivement plus de morts, bien constatés et comptabilisés par des instances habilitées de l’Onu, en Côte d’Ivoire qu’en Libye. Cela porte à croire que la manne financière et pétrolière libyenne pèse plus lourd que celle du café-cacao de la Côte d’Ivoire.

LES PLANS MILITAIRES PREMEDITES D’INTERVENTION MILITAIRE POUR LIQUIDER LA JAMAHIRIYA

Aux premiers jours des appels en rébellion surgit avec une rapidité déconcertante le soutien des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne pour soit disant mettre un terme à la «répression sanglante» de l'insurrection. Plans militaires et déclarations de casus belli se succèdent avec la même instantanéité : Kadhafi a perdu toute légitimité ; il doit partir par tous les moyens. Les Etats-Unis, selon le président Obama, envisagent toutes les options possibles et positionnent une armada militaire capable de décimer la Libye en moins de 72 heures avec deux navires amphibies, l’Uss Kearsage et l’Uss Ponce, ayant à leur bord plusieurs milliers de marines et des flottes d’hélicoptères de combat. Il est envisagé, avec toutefois beaucoup de circonspection, une zone de non-vol au-dessus du territoire libyen. Tout cela constitue des actes de guerre non cautionnée par la communauté internationale et les institutions de la gouvernance mondiale comme le Conseil de sécurité des Nations Unies et les communautés régionales que sont la Ligue arabe et l’Union africaine.

Il est bien évident que ces projets soutenus par la France et la Grande-Bretagne sont voués à l’échec, comme l’intervention antérieure en Irak qui avait fait 1,5 million de morts, dont 100 000 enfants : on retiendra que c’est le pire génocide de l’Histoire et constitue un contentieux non encore réglé. Annoncés dans la précipitation et de façon unilatérale, ces projets sont décriés sauf par Nicolas Sarkozy dont la diplomatie prétentieuse, de Bernard Kouchner à Michelle Alliot Marie, manque de vision et de substance. Jacques Borde dira qu’elle a «l’incommensurable étroitesse de vue géopolitique du dossier». La meilleure preuve est le rejet unanime des propositions belliqueuses du locataire de l’Elysée : zone d’exclusion, frappes ciblées, reconnaissance diplomatique du Conseil national de la transition.

Pourquoi cet acharnement de la France ? Ce n’est certainement pas du fait d’une quelconque urgence humanitaire, car elle est plus flagrante en Côte d’Ivoire où un président ayant perdu, pour la communauté internationale entière, toute légitimité démocratique s’attaque quotidiennement et impunément à d’innocentes populations. Tout cela se passe sous les yeux de la force de l’Onuci et du détachement français de la force «Licorne» qui ont reçu des mandats plus que précis du Conseil de sécurité à travers plusieurs résolutions. Le Conseil de sécurité demande expressément au «Secrétaire général et au Gouvernement français de lui signaler immédiatement, par l'intermédiaire du Comité, tout sérieux obstacle à la liberté de circulation de l'Onuci, des forces françaises qui la soutiennent, y compris le nom de ceux qui en seraient responsables, et demande également au Représentant spécial du Secrétaire général, au Facilitateur ou à son Représentant spécial en Côte d'Ivoire de lui signaler immédiatement, toute atteinte ou entrave à leurs actions». La différence des postures sur ces deux cas traduit, sans aucun doute, un jeu d’intérêt trop criard.

UN CONSEIL NATIONAL DE LA TRANSITION SORTI DE NULLE PART EST IMPOSE COMME REPRESENTANT LEGAL DE LA LIBYE

De fait, toutes les révolutions arabes se sont opérées dans les rues sans direction politique structurée, ce qui n’est pas le cas en Libye. On est donc en droit de s’interroger sur ce CNT sensé être les représentants «légitimes» du peuple libyen. On dispose de très peu d’information sur ces représentants autoproclamés et qui, selon Bordes, ont «certaines motivations, beaucoup d’agitation, d’opportunisme, très peu de professionnalisme et de résultat…. font beaucoup de bruits, mais s’accrochent assez peu au terrain». Pour Mohamed Hassan, spécialiste de la géopolitique et du monde arabe, «on ne sait d’ailleurs pas grand-chose sur ce mouvement d’opposition. Qui sont-ils ? Quel est leur programme ? S’ils voulaient vraiment mener une révolution démocratique, pourquoi ont-ils ressorti les drapeaux du roi Idriss, symboles d’un temps où la Cyrénaïque était la province dominante du pays ? Ont-ils demandé leur avis aux autres Libyens ? Peut-on parler de mouvement démocratique lorsque ces opposants massacrent les Noirs de la région ?»

Tout semble indiquer que le CNT est un élément de la nouvelle stratégie américaine qui, pour des raisons de politique intérieure, a exploité les erreurs du Guide libyen ainsi que les caractéristiques sociologiques du pays pour mettre aux avant-postes une «coalition franco-britannique». (A suivre)

DES SANCTIONS IMPOSEES SANS ELEMENTS DE PREUVE ET AVEC UNE RAPIDITE DECONCERTANTE

Le troisième élément de preuve est la rapidité de la réunion des instances onusiennes et la prise d’une série de sanctions dont le premier volet, l’exclusion de la Libye des instances des Droits de l’homme, ressemble fort à une reprise de mise des pays (des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, d’Israël) qui s’étaient opposés à l’élection de la Libye dans cette organisation.

Le deuxième volet concerne le gel des avoirs que l’on peut considérer comme une sorte de main basse sur des ressources financières occultes, dont des participations d’Etat à des entreprises ou à des fonds souverains. L’hypocrisie et l’opacité caractérisent cette sanction : comment a-t-on pu laisser s’amonceler ces fortunes colossales (les 80 milliards de dollars des Moubarak, les 40 de Ben Ali et la centaine des Kadhafi) ? En la matière, c’est l’obscurité totale concernant les montants des avoirs, leur nature et les transactions qui s’y rapportent, notamment leur mode de gestion et leur restitution éventuelle aux peuples qui en ont été spoliés. Dès l’annonce des sanctions, les pays receveurs prennent les devants et révèlent des avoirs à la fois faramineux et insoupçonnés, mais sans aucune autre information.

Le troisième volet concerne la Cour pénale internationale : sitôt cité sitôt condamné avec des explications nébuleuses de l’arrogant président de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, qui annonce, dès le 3 mars, qu’il a pris bonne note du cas Kadhafi et de ses fils et qu’il ouvrait d’ores et déjà une information judiciaire sur les violations des Droits de l’homme. Depuis des mois, il attend de le faire en Côte d’Ivoire. On est bel et bien en présence d’une justice à géométrie plus que variable, fantaisiste et partisane. Comme Saddam Hussein, aucune issue n’est offerte au Colonel Kadhafi : mourir ou aller pour l’éternité dans une geôle de la CPI. Même l’offre de négociation proposée par le président du Venezuela, Hugo Chavez, était rejetée avec arrogance. A la limite, pouvait-on accepter comme l’annonçait le ministre britannique William Hague, en marge d'une réunion à Bruxelles, que le colonel Kadhafi «pourrait avoir fui son pays et être en route vers le Venezuela».

Ce sont là des preuves palpables d’une guerre préméditée depuis belle lurette et qui attendait un moment propice pour être livrée. L’unilatéralisme américano-européen a fonctionné à merveille pour mener à bon port cette entreprise aventureuse et probablement sans issue. A ces preuves peuvent s’ajouter au moins deux autres : les mercenaires et l’instrumentalisation du départ des travailleurs émigrés.

Avec une bonne teinte de racisme, il est clamé par toutes les ondes que les dirigeants libyens utilisent les services de 20 000 mercenaires venant principalement du Tchad, du Mali, du Niger qui constituent les chairs à canon de l’armée régulière supposée en déroute. Malgré les multiples démentis des Etats africains incriminés et même de celle de l’Organisation de la diaspora touarègue en Europe (Odte/Tanat), la presse occidentale continue d’agiter cette question sans apporter la moindre preuve. D’une pierre, elle réalise plusieurs coups, en livrant à la vindicte populaire «les Noirs» présentés comme les tueurs à gage de Kadhafi.

L’autre élément de preuve de cette guerre de reconquête est l’organisation des rapatriements massifs des travailleurs expatriés au nom d’un énorme chaos, conséquence, supposée désastreuse, d’une guerre civile en passe d’être remportée par la rébellion.

Tous ces éléments montrent, à souhait, que l’agression contre la Libye se fera effectivement, en violation flagrante du droit international : la résolution 1973 autorisant l’imposition «d’une zone d’exclusion aérienne» sera complètement dévoyée de son objectif. Comme en Irak, en Afghanistan et jadis au Viêt-Nam, cette politique impériale agressive fondée sur le déni du réel se soldera toujours par un échec cuisant et les forces populaires l’emporteront.

En désarticulant la Libye, on ouvre la boîte de pandore des tensions et de la déstabilisation. En effet, les groupes armés incontrôlés qui sévissent dans la vaste bande saharienne, disposeront désormais de points focaux de fixation et pourront alors déstabiliser tous les pays riverains que sont l’Algérie, la Mauritanie, le Mali, le Niger.

* Moustapha Kassé est professeur d’économie, Doyen honoraire de la Faculté des Sciences juridiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org