Rwanda-France : Peut-on seulement oublier ?

Pendant 17 ans, la France, malgré les dénis, a porté la charge de ses responsabilités dans le génocide rwandais de 1994. Mais en septembre dernier, Kagamé est allé en visite officielle à Paris pour déclarer qu’il fallait désormais regarder vers «l’avenir» et ne «pas se laisser piéger par le passé». Ainsi en est-il quand la realpolitik et les intérêts économiques commencent à violer l’histoire, constate Bertold du Ryon.

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Haji

Ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler une amitié chaleureuse. Les 12 et 13 septembre 2011 a eu lieu une première historique : la première visite d’un président rwandais sur le sol français, alors que la France porte une responsabilité historique majeure dans les événements qui ont conduit au génocide d’avril à juin 1994. Paul Kagamé, chef de l’Etat rwandais depuis avril 2000, rencontra son homologue Nicolas Sarkozy pour déjeuner. Mais aucune conférence de presse, aucune apparition commune n’a été programmée. Seul un communiqué laconique de l’Elysée annonça que cette visite officielle constituait « une nouvelle étape dans le processus de rapprochement entre les deux pays ».

Au moment du génocide, en 1994, la France officielle avait pris fait et cause pour les tueurs. Ceux du « Hutu Power », mouvement raciste alors au pouvoir, qui ont exterminé 80 % de la minorité Tutsi vivant à l’époque au Rwanda. Le «Gouvernement intérimaire rwandais» (GIR) - la junte des tueurs formée sous le contrôle du sinistre colonel Théoneste Bagosora, « cerveau » du génocide – fut formé le 9 avril 1994 dans les locaux de l’ambassade de France à Kigali. Pendant des années, la France officielle a choisi la négation du crime, sa banalisation, sa négation. Parlant, par exemple, de « deux génocides » (un contre les Tutsi, un autre commis par ceux-ci contre la majorité Hutu), qui feraient que les responsabilités se neutralisent.

Or, le nouveau président Nicolas Sarkozy comprit qu’une telle situation était dangereuse, à long terme, pour les intérêts français en Afrique. Telle une bombe à retardement, la vérité sur le rôle français au Rwanda risquait de ressurgir et d’éclater au grand jour, à un moment ou un autre. Animé par un pragmatisme stratégique sur ce point, Sarkozy décida de renouer avec le pouvoir rwandais actuel et rencontra le président Kagamé lors du sommet euro-africain de Lisbonne en décembre 2007. Puis Sarkozy se rendit lui-même au Rwanda en février 2010, n’y séjournant que pendant trois heures, mais évoquant quand même des « erreurs » et un « aveuglement » de la part de la France au moment du génocide.

C’est ainsi qu’en répondant à la visite de Sarkozy, Paul Kagamé vint en France, en septembre 2011. Dans une interview parue dans « Libération » (15 septembre), il déclara qu’il s’était entretenu avec les officiels français « sur l’avenir » et qu’il ne fallait « pas se laisser piéger par le passé ». Autrement dit, toutes les questions portant sur la responsabilité historique de cette France-là avaient été laissées de côté. Ce qui intéressait le pouvoir rwandais actuel au moment de cette visite, c’était d’ailleurs surtout les questions économiques : le pays cherche à attirer des investissements, notamment dans le secteur énergétique.

A nous, internationalistes, progressistes et révolutionnaires en France, de nous saisir de la question des responsabilités des complices français du dernier génocide en date. Certains protagonistes de ce génocide ont été condamnés à Arusha (Tanzanie), siège du Tribunal pénale internationale pour le Rwanda, TPIR. Aucun politique ou militaire français n’a été inculpé ou condamné à ce jour. Pourtant, ceux qui – à Paris ou ailleurs en France -portent des responsabilités écrasantes, derrière cet assassinat systématique et planifié d’un million de personnes, ne doivent pas échapper à jamais à leur juste sanction.

* Bertold du Ryon a publié cet éditorial dans l’édition de septembre/octobre du Bulletin d'information du groupe de travail « Afriques » du Nouveau Parti Anticapitaliste

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