Cameroun : Une forme de violence sournoise en milieu scolaire

Dans la Région de l’Extrême-Nord du Cameroun, des pères privent leurs filles de leur droit à l’éducation. Aîssa Ngatansou Doumara décrit le combat quotidien pour changer les comportements qui transforment ces protecteurs en tyran et font des jeunes filles des éternelles inadaptées sociales

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Elin

Nous sommes vers la mi-février 2009. Je me suis rendue, comme d’habitude, sur le terrain pour élaborer le suivi des écolières ayant bénéficié de fonds pour payer les frais de dossiers afin qu’elles puissant participer à l’examen du certificat d’études primaires (CEP) et au Concours d’Entrée en Sixième. Ce sont des examens officiels auxquels doivent se soumettre tout élève en fin de cycle dans les écoles primaires du Cameroun. A peine la séance de travail débutée, le directeur d’école me confie que trois des filles identifiées pour recevoir la bourse ont été retirées de l’école parce que leur père ne voulait pas qu’elles aillent au collège. Ces filles ont 11 ans. D’autres dans la même situation en ont à peine 10.

Au départ, ce père de famille avait prétexté que ses filles ne disposaient pas de certificat de naissance, mais dès que l’argent a été disponible, il s’est précipité pour les retirer de l’école. Dans une autre école j’ai été confrontée à une autre tendance qui m’a inquiétée. C’était le cas d’une enfant qui avait été dans la même classe depuis trois années. Elle ne pouvait pas aller au Collège parce qu’elle n’avait pas d’acte de naissance et ses parents refusaient de payer les frais de dossiers pour les examens et concours de fin d’année. Ce sont là quelques clichés des réalités locales des fillettes de notre région.

Comment comprendre que des parents décident de priver leurs propres enfants d’éducation au seul motif qu’il s’agit de filles ? Et ce, en dépit des textes de lois depuis 1998 qui rendent l’enseignement primaire gratuit et obligatoire pour tous, et malgré l’existence des instruments juridiques nationaux et des conventions ratifiées par le Cameroun en 1988 et 1989, notamment celles relatives aux droits des enfants et à la lutte contre les discriminations et les violences basées sur le sexe ? Pour comprendre les agissements de ces parents, ces personnes supposées protéger leurs enfants, il n’est pas besoin de chercher bien loin. Il faut juste se poser deux questions simples: pourquoi les protecteurs se transforment-ils en tyrans? Et qui est à l’origine de cette évolution?

LES CAUSES DES VIOLENCES SCOLAIRES

L’Extrême-Nord est une région fortement peuplée, regorgeant d’une population de trois millions et demi d’habitants, dont la majorité sont des femmes. Ici le taux de filles sous-scolarisées est de 14,95% bien plus élevé que pour les garçons. Ce chiffre n’est pas surprenant quand on sait que populations sont pour la plupart ancrée dans la tradition, la culture et le respect des préceptes religieux. C’est également un milieu dans lequel le système familial fondé sur le patriarcat est le système dominant. A mon avis, les filles de cette région subissent diverses formes de violences aussi insidieuses que cruelles. Ainsi, les parents qui refusent de verser les frais d’examen - de sorte que leurs filles ne peuvent pas terminer leurs études primaires - et qui n’établissent pas d’acte de naissance, privent leurs filles du droit à l’éducation.

Il existe plusieurs explications qui peuvent justifier les violences faites aux filles en milieu scolaire, notamment les pressions culturelles telles que la préférence du garçon et l’idée que la fille est prédestinée au mariage et appartient au final à une autre famille. Dès la naissance, l’accueil qui lui est réservé est différent de celui accordé au bébé garçon. Très souvent, la petite fille est qualifiée de « future prostituée ». Dans l’imagerie populaire, lorsqu’une femme accouche d’une fille son mari peut annoncer aux visiteurs sans remords que sa femme vient de lui faire un « bordel ». Le système patriarcal encourage domination et contrôle par le sexe masculin, qu’il soit d’ordre sexuel ou bien d’ordre économique.

D’autres parents utilisent le manque de ressources financières comme prétexte pour justifier le non-paiement des frais de dossier ou le non-établissement de l’acte de naissance. Or, les frais sont quasi-gratuits si les délais de la procédure sont bien respectés. L’établissement de l’acte de naissance est gratuit s’il est établi moins d’un mois après la naissance de l’enfant, et le total des frais de dossiers scolaires coûte environ 11 000 F CFA (25 dollars). L’ignorance de l’importance de l’école et des droits de la fille est une autre excuse qui est couramment invoquée. Certains parents pensent que la fille est avant tout destinée à se marier et à être sous la responsabilité et la dépendance d’une autre personne. En ce sens, aller à l’école ne servirait à rien et deviendrait un investissement inutile.

Les médias peuvent être également mis en cause car ils relayent certains clichés péjoratifs diffusés à l’encontre de la jeune fille qui est allée au collège, en critiquent par exemple l’accoutrement des filles ou bien en diffusant des vidéos dans lesquelles apparaissent des filles affranchies des traditions. Il est souvent arrivé que des émissions entières soient consacrées au type d’accoutrement que les jeunes filles affectionnent, comme les mini-jupes et le port de pantalon. De telles émissions véhiculent une conception erronée parmi les gens de l’extrême-Nord selon laquelle les filles qui ont fait des études, et surtout celles qui sont allées au collège, abandonnent les coutumes, refusent de se marier et désobéissent aux parents.

Le taux élevé du chômage des jeunes diplômés est un autre alibi, et certains vont jusqu’à établir un rapport entre jeunes diplômés chômeurs et éducation des filles. Pour eux, aller à l’école et ne pas trouver un travail à la hauteur des connaissances académiques est peine perdue et revient à gaspiller une chance de marier sa fille convenablement.

Les conséquences de cette violence scolaire se font ressentir aussi bien sur les filles que sur la communauté, voire le pays entier. Les conséquences sont, entre autres, l’arrêt des études, la pérennisation des mariages précoces et forcés des filles et un important retard dans l’atteinte des objectifs des millénaires pour le développement (OMD). À long terme, les filles sont privées de la chance d’avoir un travail rémunéré et de qualité et réduites à un état de dépendance complète où l’analphabétisme est la norme. L’impact de cette violence se situe également au niveau psychologique, physique et social. Ces trois niveaux de conséquences font de la jeune fille une éternelle inadaptée sociale.

SOLUTIONS ENVISAGEES

Le principal enjeu consiste à développer des stratégies adéquates pour permettre aux filles de jouir pleinement de leur droit à l’éducation. L’Etat a pris de nombreuses mesures pour rehausser le taux de scolarisation de la fille : quatre régions sur les dix que compte le Cameroun ont été érigées en Zones d’Education Prioritaires (ZEP), parmi lesquelles la Région de l’Extrême-Nord, et le projet «école amie des filles» a récemment été exécuté dans des écoles pilotes. Dans ce cadre, des associations de mères d’élèves ont été mises sur pied et mobilisées afin de participer à la scolarisation des filles. Par ailleurs, dans certaines régions, des sacs de céréales ont été remis aux parents pour les inciter à envoyer leurs filles à l’école. La révision des curricula d’enseignement est également en cours pour l’année scolaire qui vient de démarrer; l’éducation à la sexualité a été intégrée dans le programme de l’éducation pour la première fois.

A côté des mesures prises par l’Etat, les associations comme l’Association de Lutte contre les Violences faites aux Filles et aux Femmes (ALVF) œuvrent tous les jours pour renverser la tendance. A cet effet, des brigades de dénonciation, des clubs de filles, des centres d’écoute ainsi que des fonds de soutien d’urgence ont été déployés. A ce jour, il existe douze brigades de dénonciation réparties dans les localités de la Région de l’Extrême-Nord. Chaque brigade a pour rôle d’éduquer les parents, les filles, les garçons, les enseignants, les leaders d’opinions, les hommes et les femmes sur les droits des écolières: le droit à l’éducation et le droit à une vie sans violence.

Dans chaque brigade de dénonciation est présent un Centre d’écoute qui est un espace où la jeune fille victime ou survivante de violence est reçue par une personne qui maîtrise la technique de Counseling, laquelle lui porte secours avant de la référer à un service compétent de prise en charge. Le Centre d’écoute a pour rôle de permettre à la fille victime ou survivante de violence de sortir de sa situation difficile et de trouver des solutions adéquates à son problème. Il aide les filles à surmonter des difficultés d’ordre juridique, scolaire, sanitaire ou bien social.

En 2010, 183 filles de certaines écoles pilotes de Mokolo, Mora, Kousseri et Yagoua ont bénéficié de bourses scolaires qui leur ont permis de passer l’examen et le concours de fin de cycle primaire et de passer au niveau supérieur. Par ailleurs, d’autres associations, telles l’Amicale des Femmes de l’Extrême-Nord, les Communes, l’Association des Jeunes de Maroua, Association des élites du Diamaré, et Comité de Développement du Mayo Sava, apportent des aides en matière de fournitures scolaires (livres, cahiers).

Plusieurs activités ont aussi été mises en place afin de faire aboutir des actions de plaidoyer : des ateliers de conscientisation et de sensibilisation des leaders d’opinions, des séances de travail avec des juristes et des députés résidants dans la ville de Maroua, ainsi que des séances de travail avec le Délégué Régional de la Promotion de la Femme et de la Famille dans la Région de l’Extrême-Nord.

Cependant tous ces efforts ne sont pas satisfaisants en raison du refus général d’appliquer la loi. C’est pourquoi L’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes et Filles en collaboration avec certains de ses partenaires a mené des actions de plaidoyers pour exiger du Gouverneur de la Région de l’Extrême-Nord qu’il signe et fasse publier un Circulaire Régionale interdisant la pratique des mariages précoces et forcés, et obligeant les parents à maintenir leurs enfants, et en particulier leurs filles, a l’école. La circulaire est un document administratif bâtit autour de trois idées maitresses à savoir qu’« Aucun mariage ne doit être célébré sans le consentement plein et libre des futurs époux » ; qu’ « Aucun mariage ne doit être célébré sans observer la publicité et la forme exigées par la loi » et que «l’inscription des enfants à l’école doit être systématique». La Circulaire Régionale s’adresse surtout aux autorités religieuses et traditionnelles ainsi qu’aux parents et éventuels “prétendants de mineures”.

Cette circulaire sera un support indispensable pour l’ALVF et les membres des brigades de dénonciation dans le cadre des activités de sensibilisation des communautés et d’encadrement des filles. La publication de cette circulaire va également rappeler à l’ordre les parents irresponsables et les personnes qui célèbrent les mariages des enfants aux mépris de la législation de notre pays. Plus encore, ce sera le début d’un changement de comportement qui devra, à terme, modifier la perception que les gens ont des jeunes filles et des femmes. On nous a dit que le Gouverneur était sur le point de signer : nous allons maintenir la pression jusqu’à la fin !

Les jeunes filles de notre région sont encore victimes des violences les plus insidieuses qui ont des répercussions qui les hantent tout au long de leur vie. Le Cameron applique le monisme juridique qui consacre la supériorité des traitées aux lois internes. Ainsi il est impératif que l’Etat respecte les déclarations des responsables politiques et la mise en œuvre effective des conventions et textes que ce dernier a ratifiés. Il doit rendre opérationnel le plus rapidement possible les principes inscrits dans notre loi : à savoir que l’école est gratuite et obligatoire pour tous, et sanctionner les violations de ce droit. Il est également nécessaire de voter une nouvelle loi réprimant les violences faites aux jeunes filles en milieu scolaire et faites aux femmes. Cette question reste un sujet tabou, mais elle est aussi un problème fondamental que nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer.

* Aîssa Doumara Ngatansou est engagées dans des activités de promotion des femmes depuis 15 ans Elle est experte en genre et lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles. Cet article a été traduit en français par Jennifer Allsopp à partir de l’article original anglais. – Source : www.opendemocracy.net

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