Madagascar : Des « indignés » contestent les pratiques politiques

Le mouvement des «Indignés» qui balaie le monde commence à toucher Madagascar. Un manifeste se fait jour et des mouvements s’organisent. Patrick A rapporte deux manifestations organisées les 18 et 20 novembre, alors qu’Isabelle Gachie évoque les raisons qui poussent le peuple malgache à devoir s’indigner. Pambazuka News publie aussi les deux appels à la mobilisation et à l’action qui ont été lancés sur les réseaux sociaux.

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L M

Un sit-in de quelques 25 personnes s’est tenu le dimanche 20 novembre, dans l’après-midi sur l’avenue de l’Indépendance, devant l’IFM (ex-Centre culturel Albert Camus). L’échec cuisant des partis et mouvances politiques dans la résolution de la crise politique malgache semble provoquer un tollé grandissant chez les citoyens ; la grogne s’observe par exemple sur les réseaux sociaux et chez les jeunes bloggers qui, de plus en plus, contestent à visage découvert les aspects malsains de la pratique politique malgache.

Le réseau « Leo politika maloto », créé en juillet 2011, regroupe aujourd’hui plus de 600 sympathisants sur Facebook, avec l’objectif de dénoncer les exactions des hommes politiques malgaches : une classe politique « sans éducation citoyenne et sans souci de redevabilité envers les Malgaches », comme l’expliquent les « leo » sur leur page : http://www.facebook.com/profile.php..

Engagés sur les réseaux sociaux, ces « indignés » de la politique malgache commencent aussi à manifester leur agacement sur la place publique. Sous l’emblème de tee-shirts au slogan revendicateur, ils dénoncent les injustices sociales, la corruption politique et la pauvreté dominantes dans le pays, auxquelles s’ajoutent la mainmise des étrangers sur la souveraineté malgache.

Ces premières manifestations, qui ont eu lieu le vendredi 18 et le dimanche 20 novembre, à Analakely, se veulent devenir les premiers pas d’une révolution sociale à Madagascar. Bravant l’interdiction officielle des rassemblements à caractère politique, les membres du groupe soulignent que les réseaux sociaux ont déjà prouvé leurs forces dans le printemps arabe et pourraient bien s’affirmer avec autant de succès à Madagascar, compte tenu de l’échec de plus en plus flagrant de la classe politique malgache.

Par Patrick A.

L’APPEL QUI A ETE LANCE
Indignons-nous ! Action pacifique possible demain 20 Novembre 2011

Deux appels (séparés) à l'interpellation et l'indignation, dont une action pacifique dimanche 20 Novembre 2011 de 12h à 12h 15 mn : sortir dans la rue proche de chez soi, ne pas faire de bruit, juste se tenir debout, puis rentrer chez soi ensuite.

Bon courage à nous tous.

Eo anatrehan'ny zavamisy , dia te hiteny ny olona , fa matahotra , na tsy mahita itodihana , ka misy fihetsika miara atao ity hanehoana fa mbola rototra amin'ny firenena isika .
Izay mahatsapa alahelo sy fahasorenana eo anatrehan'ny fiainan'ny firenentsika , dia:

samia mivoaka eny amin'ny arabe ny alahady 20 / 11 / 11 @ 12 ora hatramin'ny 12 ora 15 mn. Tsy fidinanana an-dalambe fa fivoahana @ arabe . Izay arabe akaiky anao indrindra . Tsy mitabataba , tsy mitsoka sifflet , fa mijoro , dia mody avy eo .
Mazotoa dia ampitao .

«INDIGNONS-NOUS, INDIGNEZ-VOUS»

Nous paraphrasons volontairement Stéphane Hessel, auteur du pamphlet « Indignez-vous » qui rencontre un succès grandissant en France et ailleurs. Nous partageons entièrement son indignation et nous nous efforçons de l’appliquer dans notre conduite quotidienne.

Nous pensons qu’une attitude citoyenne devient urgente devant le grand nombre de sujets d’indignation à Madagascar. Une attitude de révolte, une attitude d’indignation, seule capable de créer un avenir plus serein pour les générations futures.

Nous nous indignons devant les injustices et inégalités quotidiennes :

Les pauvres et surtout les enfants qui n’ont accès à rien ; leur nombre grandit chaque jour car aucune action d’envergure n’est faite pour les insérer et les respecter ; nous passons à côté d’eux chaque jour et nous ne les regardons plus, comme s’ils n’existaient pas ou comme s’ils étaient dénués d’humanité ; leurs regards perdus devraient nous inciter à nous battre pour plus de justice tous les jours.

- Les inégalités dans le monde professionnel : entre hommes et femmes, entre vazaha et Malgaches, entre classes sociales et/ou groupes régionaux ; les salaires et les positions sont souvent moins liés à la compétence qu’à l’appartenance à tel clan ou telle classe sociale ; à quand un véritable ascenseur social récompensant la compétence et le mérite ? A quand une place respectée pour tous les métiers et notamment les métiers manuels (artisans, paysans, ouvriers) ?

- Le racisme ambiant : quand cesserons-nous de nous voir à travers l’unique prisme de la couleur ou de l’appartenance clanique ou régionale ; le plus important est l’être humain et le respect de chaque personne et non le fait d’être né mérina, andriana, côtier, vazaha, karana, hova, noir, andevo, etc., les qualificatifs d’ordre social et ethnique ne manquant pas ! à quand un plus grand respect de l’individu et des chances égales pour tous?

- Les inégalités d’accès aux ressources : une bourgeoisie économique en très petit nombre détient l’accès aux ressources foncières, minières et immobilières ; au lieu de développer le capital et investir, cette bourgeoisie peu entreprenante se contente de monnayer sa position dominante, ou s’alliant avec un très petit groupe d’entrepreneurs souvent étrangers, in fine ne souhaitant pas l’émergence de véritables entrepreneurs ; l’Etat (que ce soit au niveau national, régional ou communal) monnaye le sol, les forêts, les ressources minières et halieutiques au plus offrant, se contentant d’encaisser des commissions au lieu de négocier de véritables contrats de partenariat et de développement.

- Une relation complexée entre Malgache et vazaha : alors que les compétences existent de part et d’autre, on assiste souvent à des relations négatives : combien de vazaha (notamment français) passent leur temps à se plaindre des employés, des cadres, de l’administration, certains allant jusqu’à regretter le bon vieux temps des colonies ; combien de Malgaches ont intériorisés le fait qu’ils ne sont pas capables, combien préfèrent se taire plutôt que de répondre en face et rappeler au respect ? fort heureusement, certains arrivent à bâtir des relations d’égal à égal mais ils doivent être encouragés, les plus négatifs et les moins respectueux devant être rappelés à l’ordre, sinon sanctionnés.

- Une administration ne connaissant plus le sens du mot « service public» : par manque d’exemple et de rigueur, par manque de renouvellement, le personnel de l’Etat ne sait pas être au service de ses concitoyens et ne contribue pas à l’émergence de personnes éduquées, responsables et capables de rêve pour leur pays.

- Une classe politique devenue autiste et veule : il y a longtemps que les politiciens ont perdu toute dignité, ne montrant intérêt que pour l’argent que procure l’accès à un poste politique, considérant que leur poste leur confère tous les droits y compris celui de bafouer les règles ; ils sont devenus un exemple négatif pour les jeunes générations. Il nous faut favoriser l’émergence de personnalités politiques capables d’avoir une vision pour leur pays.

Nous sommes tous les jours confrontés à ces injustices et ces inégalités ; nous constatons qu’elles augmentent avec le temps, que de nouvelles apparaissent, laissant à nos enfants de moins en moins de chance de pouvoir s’épanouir dans une société plus juste.

Que devons-nous faire pour ralentir cette tendance ? Individuellement, en parler, ne pas accepter et dénoncer les inégalités et injustices, apprendre à respecter chaque personne quelque soit sa naissance, rappeler à chacun le respect. Collectivement, rapporter les injustices, les porter sur la place publique, organiser des débats publics à la radio, à la télévision, dans les universités, partout où la parole peut être entendue. C’est grâce à cela qu’émergera une société plus consciente de ses droits et devoirs, une société citoyenne qui n’acceptera plus des politiciens sans foi ni loi à la tête des affaires publiques et qui n’acceptera pas des inégalités flagrantes de traitement en raison de la naissance.

En tant qu’être responsable, nous devons nous indigner et nous engager.

* Isabelle Gachie a publié cette contribution dans le forum-magnum ([email protected])

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