Repenser le développement du monde : Le Brésil se met en scène à RIO+20

Pour comprendre sous quels auspices géopolitiques s’ouvre la conférence de Rio+20, nous proposons de retracer la montée en puissance du Brésil sur la scène internationale, économique comme environnementale, puis comment il compte s’imposer comme chef de file pour repenser le développement mondial.

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Fotos Gov/Ba

Lors de la première conférence environnementale des Nations unies à Stockholm, la conférence sur l’environnement humain, en 1972, le Brésil et la plupart des pays en développement avaient considéré que cette rencontre était une façon de dévoyer les débats au sein de l’ONU, le seul débat légitime étant celui du développement. Soutenir le développement contre l'environnement à cette époque là, n'était pas seulement s'opposer au malthusianisme que les pays riches voulaient imposer aux pays pauvres. Le PIB du Brésil connaissait alors une croissance à deux chiffres, sous une dictature militaire, au plus fort d’une politique d’exploitation effrénée des ressources naturelles et d’ouverture de routes en Amazonie.

Quarante ans après, à la veille d’accueillir la conférence des Nations unies pour le développement durable, Rio+20, le Brésil, devenu un des grands pays émergents, sixième puissance économique mondiale et un leader dans les négociations des conventions internationales sur la biodiversité et le climat, dénonce toujours « l’esprit de Stockholm ».

Pour comprendre sous quels auspices géopolitiques s’ouvre la conférence de Rio+20, nous proposons de retracer la montée en puissance du Brésil sur la scène internationale, économique comme environnementale, puis comment il compte s’imposer comme chef de file pour repenser le développement mondial.

Les pays émergents bouleversent le jeu économique et politique déjà ébranlé par la crise que subissent les pays développés. Une conférence sur l’environnement, moins encadrée que les conférences économiques des grandes puissances comme le G20, leur offre une magnifique tribune. Le Brésil, fort de ses résultats économiques, compte bien s’imposer sur la scène internationale à cette occasion.

La superficie du Brésil le place comme le 5ème plus grand pays du monde, avec 60 % de forêts, 11 % d’eau douce et une des plus riches biodiversités de la planète. Sa population a exactement doublé depuis Stockholm, passant de 100 à 200 millions d’habitants entre 1972 et 2012, le plaçant en cinquième position des pays les plus peuplés.

La publication du World Economic League Table, classement économique des pays, par le Centre for Economics and Business Research (CERB) fin 2011 a projeté le Brésil dans l’euphorie. Le directeur exécutif du CERB, en déclarant que les pays asiatiques et les pays exportateurs de matières premières allaient prendre la tête du classement à l’horizon 2020,
devant les pays européens, (1) a donné le ton : « En football, le Brésil a dépassé depuis très longtemps les pays européens. Les battre en économie est un nouveau phénomène ». (2)

En termes de PIB, avec 2 500 milliards US$, le Brésil a en effet « dépassé » le Royaume Uni fin 2011, devenant la sixième puissance mondiale. L’Italie avait été dépassée l’année précédente. Le ministre des Finances, Guido Mantega, garantit que le Brésil dépassera d’ici peu la France et l’Allemagne, mais qu’il faudra encore une vingtaine d’années pour atteindre le niveau de vie européen. (3) Le pays se situait encore à la 76ème place pour le PIB par habitant en 2010 d’après la Banque mondiale, et à la 84éme place pour l’indice de développement humain (IDH) en 2011 d’après le PNUD.

Le Brésil est le plus grand producteur mondial de viande de boeuf, de canne à sucre, de café, de jus d’orange ; le deuxième producteur de soja (47 % des exportations de soja vont en Chine). Ses exportations d’éthanol sont proches du niveau des Etats-Unis. Il se distingue aussi pour le tabac, le coton, la noix de cajou. Il possède la sixième réserve d’uranium du monde et se situe parmi les 5 pays possédant les plus fortes réserves de fer. La découverte de pétrole en eau profonde en 2006 devrait rapidement le placer dans les 10 principaux pays producteurs (Bodman et al., 2011).

Ce succès a une double face. Les matières premières représentent 43 % des exportations brésiliennes. Elles n’y participaient que pour 23 %, il y a juste 10 ans. La Chine est la première destination des exportations brésiliennes. Ce sont pour 79 % des matières premières, alors que les importations brésiliennes en provenance de Chine sont pour 90 % des biens manufacturés. On voit bien la fragilité de cette structure qui rend sensible à la volatilité des prix et des taux de change. Avec l’exportation de matières premières agricoles, les commodities, ce sont des ressources en eau, en sols, en forêts, en carbone qui sont exportées. Ce sont aussi, localement, l’aggravation de problèmes sociaux et écologiques avec la marginalisation de la petite agriculture, l’avancée de la frontière agricole et la déforestation.

Sans doute, le phénomène le plus impressionnant de la croissance brésilienne réside-t-il dans l’émergence d’une classe moyenne, avec entre 30 et 40 millions de Brésiliens sortis de pauvreté, grâce à des programmes de transferts sociaux comme la Bourse Famille, « Faim zéro », la retraite agricole, l’augmentation du salaire minimum de 62 % en valeur réelle sous la présidence de Lula et réévalué de 13,6 % en janvier 2012. Tout en restant parmi les 10 pays les plus inégalitaires du monde, l’indice de Gini a atteint son niveau le plus bas au Brésil : passant de 0,595 en 2001 à 0,519 en janvier 2012 (Neri, 2012).

La croissance se ralentit cependant. Si, après avoir encaissé les répercussions de la crise avec une croissance nulle en 2009, le PIB a augmenté de 7,5 % en 2010, le taux de croissance 2011 a été revu à la baisse par l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE) à 2,7 % et avec des prévisions de 3,5 % pour 2012. L’inflation demeure une menace avec 5,8 % en 2010, 6,5 % en 2011 et un objectif de 4,7 % en 2012.

Le Brésil fait partie des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui représentent un marché en forte croissance, 23 % de la richesse mondiale en 2010 et la perspective de dépasser les Etats-Unis avant la fin de la décennie. La crise que connaissent les Etats-Unis et les économies européennes les fortifie dans leurs revendications à assumer des responsabilités à l’échelle internationale, à la mesure de leur nouvelle puissance. La question de la gouvernance posée à Rio+20 est empreinte de la revendication de reformuler le modèle de développement mondial, de redéfinir la place de ses acteurs dans une nouvelle donne géopolitique. Se sentant marginalisés au sein des institutions de Bretton Woods, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, dont la direction reste confiée à un Européen pour le premier, à un Américain pour la seconde, les ministres des Finances des BRICS viennent de jeter les bases d’une nouvelle banque de financement international dont ils assureraient le contrôle. Pour mémoire, ces trois dernières années, la Banque nationale de développement brésilienne (BNDES), a effectué trois fois plus de versements au titre de ses prêts que la Banque mondiale sur l’ensemble du monde. Pour le Brésil, l’enjeu de toutes négociations est maintenant d’obtenir un siège au conseil de sécurité de l’ONU.

Accompagnant la montée en puissance économique, de plus en plus de personnalités brésiliennes occupent des postes de responsabilité. Ainsi, l’ancien ministre de la Sécurité alimentaire du président Lula, à l’origine du programme de lutte contre la faim « Fome Zero », a été élu en juin 2011 directeur général de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a nommé Directeur général en janvier 2012 Gabriel Jaramillo, suite à la démission du Français Michel Kazatchkine. Bráulio Ferreira de Souza Dias, secrétaire de la Biodiversité et des Forêts au ministère de l’Environnement brésilien a été choisi par le secrétaire général des Nations unies pour être le prochain secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Enfin, le Panel de haut niveau sur la croissance durable (Global sustainability development Panel), créé en août 2010 par le Secrétaire général de l'ONU pour élaborer un nouveau modèle de développement durable basé sur de faibles émissions de carbone et pour préparer les réformes et les mesures qui pourraient être décidées lors de Rio+20, compte parmi ses 22 membres la ministre de l’Environnement Izabella Teixeira.

Le fait que la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques se tiennent au Brésil en 2014 et en 2016 n’est en rien anecdotique. C’est un puissant facteur de fierté et de cohésion nationale qui donne aux dirigeants brésiliens en prise avec les instances internationales, toute leur légitimité pour faire entendre la voix du Brésil.

UNE POSTURE AMBIGUË SUR LES QUESTIONS D’ENVIRONNEMENT

La posture du Brésil est paradoxale. Il apparaît comme un défenseur et un excellent médiateur de la cause environnementale sur la scène internationale. Il possède des outils de conservation exemplaires (code forestier, système national des unités de conservation, veille satellitaire, etc.), alors que sa pratique est controversée quant à l’application de ces outils, les droits de ses populations indigènes et la violence entretenue par les propriétaires terriens -les fazendeiros réunis sous la bannière des « ruralistes ». Depuis l’arrivée à la Présidence de Dilma Rousseff, initiatrice du très productiviste Plan d’accélération de la croissance (PAC), on observe une nette remise en cause des acquis environnementaux.

LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE : L’AMAZONIE, RENTE ET ABCES DE FIXATION
Quatrième plus grand émetteur de gaz à effet de serre du fait de la déforestation, (4) le Brésil a présenté, fin décembre 2009, lors de la Conférence de Copenhague, un programme ambitieux de réduction de ses émissions au Secrétariat de la convention Climat (CNUCC) : entre 36,1 % à 38,9 % d’équivalent CO2 à l’horizon 2020. Y sont associés une réduction de 80 % du rythme de déforestation de l’Amazonie en 2020 par rapport à la période 1996-2005, une réduction de 40 % pour le biome Cerrado (5) par rapport à la période 1999-2005, un doublement des plantations forestières de 5,5 à 11 millions d’hectares en 2015, la récupération de 15 millions d’hectares de pâturages dégradés, etc. (6) Le Brésil place sa lutte contre la déforestation illégale au centre de sa stratégie de lutte contre le changement climatique. C’est le seul BRICS à avoir pris des engagements volontaires.

Bien sûr, ces engagements volontaires énoncés à Copenhague sont fonction des dates de référence choisies pour faciliter l’effort à fournir. Ainsi, l’estimation pour 2020 est-elle issue d’une moyenne de déforestation annuelle calculée pour l’Amazonie sur la période 1996-2005, soit 19.535 km2. Après un pic de 27 423 km2 en 2004, la tendance était à la baisse régulière. En 2009, le taux observé a été de 7 000 km2, ce qui relativise l’objectif 2020, fixé à 5 400 km2 (IBGE, 2010).

Aussi, en 2011, lors de la 17ème conférence des parties de la convention Climat à Durban (COP17), l’ambassadeur Luiz Alberto Figueiredo Machado, principal négociateur brésilien, et la ministre de l’Environnement, Izabella Teixeira, ont eu beau jeu de se féliciter en annonçant que le déboisement de l’Amazonie avait été réduit de 11 % en un an et que le taux de déforestation était le plus bas des 23 dernières années : 6 280 km² entre août 2010 et juillet 2011 d’après l’Institut national de recherche spatial (INPE), témoin de la détermination du Brésil à lutter contre la déforestation. (7)

Cette fixation sur les forêts est bien sûr due à l’immense et médiatique forêt amazonienne, source de multiples transferts financiers. (8) Elle est le reflet d’une matrice énergétique relativement « propre » qui semble dispenser le Brésil d’efforts de réduction d’émission de GES et de recherche d’efficacité énergétique dans d’autres secteurs. L’énergie provenant de ressources renouvelables du Brésil répond pour moitié à la demande. Les
dérivés de la canne à sucre interviennent pour 19 % (en éthanol pour le carburant, mais aussi en production d’énergie pour l’électrification rurale). Les barrages électriques, si décriés quand ils touchent aux terres indigènes, fournissent 75 % de l’électricité brésilienne.
Pour les autres secteurs industriels, qui représentent plus d’un tiers des émissions de GES (voir note 5), la mise en œuvre du Plan national sur le changement climatique semble difficile : aucun des 11 plans sectoriels (transport, énergie, santé, chimie, construction civile, etc.) devant présenter des objectifs de réduction des émissions à l’horizon 2020 n’a été publié à la date prévu du 15 décembre 2011. Seul un plan pour une agriculture à faible intensité de carbone a été promulgué. Fin 2011, le fonds national pour le changement climatique doté de 238 millions n’avait pas déboursé plus de 5 millions. La cause en serait le manque de volonté politique, les réticences du secteur industriel, le départs de plusieurs ministres dans des opérations de moralisation de la vie publique et un agenda climatique otage de la discussion sur la réforme du code forestier.

IMPUNITE, RECULS LEGISLATIFS ET VIOLENCE
A l’échelle nationale, la situation est nettement plus nuancée. La réforme du code forestier, les arbitrages en faveur des grands travaux d’infrastructure, les violences contre le « peuple de la forêt », Amérindiens, petits paysans et militants environnementalistes, nourrissent les conflits environnementaux, avec de forts relais à l’international.

Depuis 2009, une grande bataille juridique et idéologique a lieu concernant la réforme du code forestier de 1965. Celui-ci, amendé de nombreuses fois, impose une « réserve légale », soit la conservation de 80 % de la végétation originelle d’une propriété en forêt amazonienne, de 35 % dans les terres de cerrados situées en Amazonie légale et de 20 % partout ailleurs. Doivent s’y ajouter, des aires de protection permanentes (APP) le long des rivières, sur les lignes de crêtes et sur les espaces à forte déclivité. Dans un contexte où les titres de propriétés sont approximatifs et où l’impunité est fréquente, le code a été peu respecté et 130 millions d’ha auraient été ainsi illégalement défrichés. Il est malgré tout un peu simple d’opposer les environnementalistes aux ruralistes, les premiers ne voulant pas voir disparaître un outil de conservation, les seconds refusant de perdre des surfaces productives et de supporter le coût de la restauration des surfaces défrichées. (9)

Le Brésil est ainsi déchiré par les discussions autour des différentes versions du texte de loi. Les très respectables Société brésilienne pour le progrès de la science et Académie brésilienne des Sciences se sont lancées dans l’action, réclamant une gouvernance scientifique de la question, s’opposant aux ruralistes (SBPC, ABC, 2011). S’ensuit une bataille de chiffres qui porte sur une amnistie dont bénéficieraient les propriétaires qui auraient défriché avant 2008, (10) sur le fait que les petites propriétés de moins de 4 modules légaux (20 à 440 ha selon les régions) seraient exemptées de l’obligation de restauration, voire de conserver une réserve
légale (11), sur le passage de 80 % à 50 % de réserves légales dans les Etats ou municipes amazoniens où les aires protégées et les réserves indigènes dépassent 65 %. Certains présentent ce programme comme une prime donnée à la déforestation et prévoient une recrudescence des brûlis, par exemple sur les 400 000 km2 de zones inondables si le niveau des rivières à protéger est calculée en période de basses eaux ou en période de crues et si les mangroves sont déclassées du statut de zones préservées à celui de zones productives; les autres, au contraire expliquent que l’exigence de restauration des aires défrichées permettraient à la fois d’enregistrer enfin les propriétés dans un cadastre général et de récupérer plus de 30 millions d’hectare de végétation native. De beaux jours sont offerts à des systèmes de compensations.

Dans ce climat d’incertitude, les sanctions sont suspendues tant que le code n’est pas approuvé. Une reprise de la déforestation s’observe, liée à de nouvelles pratiques de dégradation (pour échapper aux satellites de surveillance, les coupes se font plus éparses, sur des surfaces inférieures à 5 ha) et d’anticipations de la réforme du code forestier.

Le gouvernement brésilien est très inquiet d’une possible collision entre le vote de cette réforme et de la tenue de Rio+20 où celle-ci sera fatalement dénoncée. La promulgation du texte est sans cesse reportée en fonction de nouveaux amendements. La présidente, qui a annoncé exercer son droit de veto si des mesures conduisaient à davantage de déforestation, est mise en grande difficulté, le débat n’étant pas exempt de stratégies partisanes au sein de son gouvernement.

La violence exercée contre les petits paysans, syndicalistes et militants environnementalistes en Amazonie est toujours aussi extrême, souvent médiatisée à l’international. Le meurtre annoncé d’un couple de travailleurs de l’extractivisme qui dénonçait l’exploitation illégale de bois et les rachats de terre dans une forêt consacrée aux activités extractives au Sud du Para s’est produit le jour même d’une séance de discussion sur le code forestier à la chambre des députés, le 24 mai 2011. Le pays a été choqué d’entendre les ruralistes huer la nouvelle de leur assassinat. José Claudio da Silva et Maria do Espirito Santo ont reçu à titre posthume en février 2012 le prix de l’ONU « Héros de la forêt », titre également décerné au directeur de Greenpeace-Brésil, Paulo Adario.

Les menaces sur les systèmes de protection de l’environnement en place ne touchent pas que le code forestier. Il concerne aussi le Système national d’unités de conservation (SNUC). En comptant les terres de l’Union, celles des Etats et des municipes, le Brésil possède près 521 000 km2 d’unités de conservation intégrale et 993 000 km2 d’unités d’usage durable (CNUC/MMA, 2012), auxquelles il faut ajouter 1 100 000 km2 de terres indigènes. Ainsi, 50 % de la superficie de l’Amazonie est classée en aires protégées (ISA, 2011).

L’expansion des unités de conservation (UC) a été de plus de 83 % entre 2001 et 2010. Depuis la présidence de Dilma Rousseff, qui a été l’instigatrice du plan d’accélération de la croissance (PAC), aucune nouvelle UC n’a été créée alors que l’obtention de licences environnementales pour soutenir le modèle de développement énergétique fondé sur des usines hydroélectrique a été facilitée. La Mesure provisoire 558 présentée à la chambre des
députés en janvier 2012 permet, sur décision de la Présidente, de réduire la superficie des UC. 86 000 ha vont ainsi être déclassés pour permettre la construction de trois usines hydroélectriques dans le Rondônia. Après de nombreux conflits avec la Ministre de l’environnement, Rômulo Mello, directeur de l’ICMBio, l’Institut Chico Mendes de la conservation de la biodiversité, organisme en charge des Unités de conservation, a finalement été démis de ses fonctions en février 2012.

La question indigène reste toujours d’actualité. Des violences contre les Amérindiens, liées à des conflits de terres, se multiplient dans le Mato Grosso du sud où 27 Indiens ont été assassinés en 2011. La construction du barrage hydroélectrique de Belo Monte, troisième plus grand barrage du monde, dont la mise en eau impliquerait le déplacement de 16 000 personnes de source officielle, mais pourrait concerner plus de 250 000 Amérindiens selon des organisations militantes indigénistes, a entraîné la démission en 2010 et 2011 de deux Présidents successifs de l’IBAMA, Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables, organisme qui accorde les licences environnementales. Le ministère public fédéral avait condamné le projet pour faute de concertation avec les populations. L’Organisation internationale du travail (OIT) considère que la construction de Belo Monte viole la convention 169 sur les peuples indigènes (ratifiée par le Brésil en 2004), imposant la consultation préalable de ceux-ci quant à l’exploitation de leurs ressources L’opinion internationale s’est mobilisée. Vingt ans après leur première rencontre, le chef Kayapo Raoni et le chanteur anglais Sting, ont dénoncé le projet, et la métaphore du film Avatar a été largement servie. En partie pour sa participation à ce projet, la Vale, premier producteur mondial de minerai de fer, fleuron de l’industrie brésilienne a reçu en janvier 2012 l’« Oscar de la honte et de l’irresponsabilité » décerné à chaque Sommet de Davos par les environnementalistes de Greenpeace et de la déclaration de Berne. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie s’est associé à cette condamnation.

Parallèlement, une proposition de modification des procédures de prises de décision pour la démarcation des terres indigènes figurant dans la Constitution est à l’étude. Le Congrès aurait alors compétence exclusive pour approuver la démarcation de terres et ratifier les homologations, ces procédures étant auparavant dirigées par la Fondation nationale de l’Indien (Funai). Si cet amendement est approuvé, il semble que peu de terres indigènes nouvelles puissent être créées, les ruralistes du Congrès dénonçant régulièrement le fait que 16 % du territoire est occupé par moins de 1 % de la population. Le président de la Funai, Marcio Meira, critiqué à la fois par les Amérindiens pour ne pas pouvoir s’opposer à la construction d’usines hydroélectriques sur leurs territoires et par les ruralistes qui s’opposent à la démarcation des terres indigènes, a présenté sa démission fin 2011.

RIO+20 NE SERA PAS UNE CONFERENCE SUR LE CLIMAT ET LA BIODIVERSITE
Les dernières conférences des conventions sur la diversité biologique (Nagoya) et Climat (Durban) ont connu des fins relativement consensuelles pour lesquelles le Brésil a beaucoup oeuvré.

Les bons chiffres concernant la déforestation en Amazonie, ainsi que les résultats jugés positifs de Durban pour lesquels le Brésil a joué un rôle très actif -survie du protocole de Kyoto avec un engagement de l’UE sur la deuxième période et lancement dès 2012 de négociations sur un futur accord de toutes les parties-permet d’éviter que Rio+20 ne soit le prétexte à rejouer une conférence de la convention Climat.

Concernant la biodiversité, le Brésil a également su s’imposer sur la scène internationale des négociations tout en menant une politique ambiguë, voire conflictuelle, sur le sol national. Le Brésil est l’un des fondateurs du groupe des mégadivers, groupe de pression issu de la déclaration de Cancun en 2002 en vue de la COP6 pour défendre les intérêts des pays riches en biodiversité. (12) Il a été élu président du groupe et a mené à ce titre les négociations de Bonn (COP9) et de Nagoya (COP10). Les mégadivers ont été à l’origine de la création du groupe de travail de la CDB sur la question de l’accès aux ressources génétiques et du partage de avantages (ABS) en 2004 qui a débouché sur le Protocole de Nagoya en 2010 (Aubertin, Filoche, 2011) que le Brésil a été un des premiers à signer avec l’Algérie, la Colombie et le Yémen.

Localement la situation est complexe et les procédures d’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées ont fait l’objet d’une législation très restrictive. Dans le but de lutter contre la biopiraterie, la législation pénalise fortement la bioprospection commerciale, mais également la recherche scientifique, y compris brésilienne. L’accès aux ressources génétiques est régi par une Mesure provisoire promulguée en 2001 et qui ne parvient toujours pas à être remplacée par une loi tant les propositions issues, d’une part du ministère de l’Agriculture demandant une législation très souple facilitant l’innovation, et de l’autre, des ministères de l’Environnement et du Développement agraire défendant la conservation de la biodiversité et les intérêts des populations locales, s’opposent. Un conseil de gestion du patrimoine génétique, le CGEN, créé par la Mesure provisoire est habilité à donner les autorisations d’accès. En 9 ans d’existence, celui-ci n’avait autorisé que 25 contrats de bioprospection. Ce n’est que depuis 2011 qu’un timide assouplissement est noté pour la recherche scientifique.

Bráulio Ferreira Dias, désormais secrétaire exécutif de la CDB, avait été un des grands négociateurs de Nagoya. Il prépare la prochaine conférence en octobre 2012 en Inde. Il vise à faire de la CDB un modèle pour le partage des biens produit par la nature en précisant les droits et obligations des pays fournisseurs et utilisateurs de ressources génétiques. Il ne compte pas restreindre le Protocole à son aspect environnemental.

Ainsi les organisateurs de la conférence n’ont pas intérêt à faire de Rio+20 une conférence sur l’environnement, domaine où, malgré l’excellente réputation de ses négociateurs dans les milieux diplomatiques, il est très contesté auprès de sa société civile (militants environnementalistes, scientifiques) fortement connectée à l’international, avec un bilan environnemental somme toute très mitigé. La question de la réforme du code forestier, le barrage de Belo Monte, empoisonnent la préparation de Rio+20. Le Brésil n’est pas un bloc monolithique. Comme tous les pays, il est tiraillé entre différents intérêts, dans ses arbitrages entre développement et conservation.

Toute la communication du Brésil s’appuie alors son refus de préparer une conférence sur l’environnement. Son objectif est de préparer une conférence où, tirant profit de sa posture de pays émergent qui a fondé sa politique sur la croissance et la lutte contre la pauvreté, il proposera un nouveau modèle de développement durable au monde et en particulier aux pays développés enfoncés dans la crise. La devise du Brésil, depuis l’avènement de Dilma Rousseff est : « Un pays riche est un pays sans pauvreté ».

REPENSER LE DEVELOPPEMENT MONDIAL A RIO

Comme lors du sommet de Rio de 1992, le Brésil va d’abord recevoir la journée mondiale de l’environnement le 5 juin 2012, juste avant la tenue de la conférence des 20-22 juin. Le thème en est Economie verte : en faites-vous partie ? L’organisation de Rio+20 et de ses manifestations annexes est complexe : 120 chefs d’Etats et 50 000 personnes sont attendus. Le système de sécurité sera à la hauteur : hélicoptères, frégates, mobilisation des forces armées et de la police. La ville devra également recevoir la contre-conférence, le Sommet des peuples. La capacité hôtelière de Rio est saturée. La dispersion des évènements entre plusieurs sites risque de rendre les communications difficiles.

UNE CONFERENCE SUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE
C’est sur le terrain politique que les choses se jouent et que l’unité du pays s’affirme. Le Brésil entend bien rappeler aux pays développés que la donne a changé, qu’il ne faut toujours pas, comme à Stockholm, utiliser l’environnement pour nier le droit au développement des pays en voie de développement. Il n’est pas acceptable de répéter que, si le Brésil, la Chine et l’Inde copient le style de vie des pays riches, il serait nécessaire pour l’humanité de disposer de 5 planètes, sans demander des engagements forts et des actions concrètes aux pays riches. Est ainsi dénoncée la volonté des pays développés de transférer sur les pays émergents la part de leur responsabilité, en particulier en termes de mobilisation de ressources en faveur des plus pauvres. Alors qu’à Durban le principe des « responsabilités communes mais différenciées », issu de la déclaration de Rio de 1992, avait été écorné par l’adoption d’une Plateforme pour une action renforcée qui réclame à tous les pays signataires de la convention Climat des efforts de réduction des émissions (à partir d’un accord qui serait adopté en 2015, à la COP21, pour une mise en oeuvre avant 2020), le Brésil et surtout la Chine en font un point non négociable.

Le consensus national porte alors sur la décision de ne pas restreindre la conférence aux questions environnementales, mais de conduire une conférence sur le développement durable où doit se construire un nouveau paradigme pour repenser le développement du monde, à l’initiative du Brésil.

UNE POSTURE POLITIQUE : UN AUTRE MONDE EST POSSIBLE A RIO+20
Un discours collectif se met en place, repris aussi bien par le président du comité brésilien du PNUE, Haroldo Mattos Lemos, que par le responsable du département environnement du ministère des Affaires étrangères, André Corrêa do Lago, (13) par le secrétaire exécutif de la commission nationale Rio+20, Fernando Lyrio, ou encore par l’actuelle et l’ancienne Ministres de l’environnement, Izabella Teixeira et Marina Silva : non à une « économie verte » qui ne serait pas du « développement durable ». La distinction que le Brésil fait entre ces deux concepts, tout aussi flous et facilement interchangeables, vient d’une volonté de se démarquer des propositions des pays développés. Jouant sur sa situation de pays émergent, critiquant les pays riches, il se pose en donneur de leçons.

Le message, portée par la Présidente Dilma Rousseff, a été particulièrement explicite en janvier 2012, quand elle s’est rendue avec sept de ses ministres au Forum social thématique de Porto Alegre, sommet des altermondialistes, et non au Forum économique mondial de
Davos, sommet des grandes puissances, qui se tenait au même moment. Seul, le Ministre des relations extérieures, Antonio Patriota, représentait le Brésil à Davos ; ni le Ministre de l’économie, ni le Directeur de la Banque centrale, n’étaient présents.

Son discours a été fermement « anti-néolibéral » et développementaliste. Evoquant le sommet du G20 de Cannes, elle a identifié dans les remèdes anti-crise européens, le modèle conservateur qui avait conduit le Brésil, alors sous la coupe du FMI dans les années 1980¬1990, à la stagnation, à la perte d’espace démocratique et de souveraineté, aggravant la pauvreté, le chômage et l’exclusion. Le Brésil est vacciné contre le néolibéralisme.

Dilma Rousseff a souligné que la politique européenne de sortie de crise repose sur la perte des droits sociaux, alors que la politique brésilienne vise au contraire à financer les « droits fondamentaux » par une combinaison de programmes de redistribution de revenus et d’amélioration des services publics comme la santé et l’éducation. Elle a rappelé que 40 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté dans les dernières neuf années grâce à un modèle de développement durable qui combine forte croissance économique avec distribution de revenus. La Présidente en a profité pour donner une leçon de démocratie en affirmant que les agences de notation ne peuvent être plus importantes que les peuples qui ont élu leur gouvernement. Chaque pays doit rester souverain.

La communication du Brésil insiste sur le fait que la récession qui touche les pays européens ne doit pas empêcher de prendre des mesures : il faudra bien discuter de la crise de la dette à Rio et de la stratégie de l’Union européenne pour l’affronter.

On a compris que le modèle de développement que le Brésil se propose de promouvoir est son propre modèle de développement et que son but à Rio est d’apparaître comme le champion du développement durable. Comme hôte de la conférence, et de par sa position de pays émergent qui semble lui conférer un rôle indiscutable de médiateur entre pays riches et pays pauvres, le Brésil compte bien diriger les débats et affirmer son rôle de grande puissance.

UNE ECONOMIE VERTE ET JAUNE
Les contributions brésiliennes au texte préliminaire de la conférence, Le futur que nous voulons (Draft Zero), sont issues d’une large consultation publique et ont été largement intégrées. Le Brésil entend tirer profit de cette légitimité pour appeler au dialogue la société civile et les gouvernements. Un de ses objectifs est également de faire participer les entreprises privées au développement durable en les encourageant à évaluer leurs impacts sur l’environnement et à certifier leur offre de biens et services.

Les contributions brésiliennes reformulent les deux thèmes de la conférence : l’économie verte, la gouvernance mondiale de l’environnement. L’économie verte se confond alors avec le développement durable que le Brésil a mis en œuvre : forte croissance économique et répartition des revenus pour lutter contre la pauvreté, une croissance verte et jaune (aux couleurs du Brésil) ou une croissance « inclusive », c’est-à-dire qui réaffirme l’intégration des trois piliers du développement supposés provenir du rapport Brundtland ¬économie, social et environnement-, et avant tout la lutte contre la pauvreté. L’économie verte n’est pas un dogme, mais un outil que chaque pays doit adapter pour atteindre le développement durable. La gouvernance quant à elle ne peut être strictement environnementale, elle doit concerner le développement durable, dans le cadre des institutions des Nations unies.

Refusant des négociations complexes pour l’établissement d’objectifs contraignants, le Brésil a pris l’initiative de proposer 10 objectifs de développement durable (ODD) afin de guider l’action des Etats à la fois vers des actions concrètes et dans une logique de développement durable : éradication de l’extrême pauvreté ; sécurité alimentaire et nutritionnelle ; accès à un emploi socialement juste et environnementalement correct ; accès à des sources d’énergie appropriées ; équité, intra et intergénérationnelle, entre pays et au sein de chaque pays ; genre et renforcement des capacités des femmes ; micro-entreprises et micro-crédit ; innovations durables ; accès à des ressources en eau appropriées ; adéquation de l’empreinte écologique à la capacité de régénération de la planète.

Ces objectifs ne substituent pas aux objectifs du millénaire (OMD) qui arrivent à échéance de 2015 et ne traitaient que peu du développement durable. Sans doute les Brésiliens estiment-ils aussi avoir déjà atteints leurs OMD. Le but est de créer une nouvelle dynamique internationale avec des objectifs qui devraient inspirer les politiques de développement durable de tous les pays, avec des applications territoriales et sectorielles concrètes. L’idée de ces Objectifs de développement durable a largement été reprise dans le Draft Zero et par divers pays, qui y adjoignent des indicateurs de suivi de progrès de leur mise en œuvre, alternatives au PIB. L’Europe a été sensible à la question de l’eau qui sera discutée au Forum mondial de l’eau à Marseille en mars 2012, à l’adoption d’un indice de développement durable qui donnera un prix au capital naturel et à un objectif d’accès universel à l’énergie d’ici 2030.

La définition de ces objectifs de développement durable a été présentée d’ores et déjà comme un résultat attendu de Rio+20. Les tables rondes, les dialogues sur la durabilité, qui précédent la conférence devraient porter sur 9 thèmes reprenant une bonne partie des propositions brésiliennes.

Les points d’achoppement cependant sont importants. Nous avons vu que le projet brésilien insiste sur la lutte contre la pauvreté et la faim, les Objectifs du développement durable, les relations Sud-Sud, la crise économique européenne, la transparence de l’information… Les pays développés regrettent que ces thèmes ne soient pas en relation directe avec l’environnement et que la multiplication des points à aborder ne soit un prétexte pour ne pas affronter plus précisément l’urgente question environnementale. La métaphore des trois piliers distincts est à la base des dissensions. Les uns voulant traiter des trois piliers ensemble sous couvert de développement durable, les autres voulant traiter d’abord de l’environnement. Cette représentation schématique du développement durable risque de figer les débats en freinant les imaginations.

Les points d’achoppement portent également sur ce qui est attendu d’une économie verte. Ce n’est bien sûr pas par négligence qu’aucune définition de l’économie verte n’est donnée dans le texte (14). La façon dont a été accueilli le Draft Zero témoigne des débats en cours dans la société sur la tendance à confier aux mécanismes de marché et à la technologie la régulation des « biens et services » de la nature. Les conflits de représentations du monde sont déjà largement ouverts dans la préparation du Sommet des peuples ; ils s’exprimeront également dans l’enceinte de la conférence entre groupes de pression, pays du G77 (les plus pauvres), petits pays insulaires, Etats-Unis, Union européenne, etc. selon un modèle d’opposition Nord-Sud déjà éprouvé dans les négociations des conventions Climat et Biodiversité.

Le thème de l’économie verte permet en effet d’opposer de manière schématique plusieurs visions du monde. Certains analysent l’économie verte comme un nouveau cycle de croissance du capitalisme fondé sur l’écologisation de l’économie passant par la valorisation de la nature, succédant aux technologies de l’information et aux biotechnologies, et se présentant comme une solution à tous les problèmes –emploi, sécurité alimentaire, etc.-, un peu sur le modèle win-win consensuel du développement durable. Cette vision a son pendant négatif où l’économie verte est dénoncée comme un simple verdissement d’une politique keynésienne de relance budgétaire, le soutien aux technologies vertes dispensant de réformes sociales. Pour le Brésil, l’économie verte et la révolution technologique de bas carbone qui lui est liée, sont perçues comme la poursuite d’une dépendance technologique et financière vis-à¬vis des pays riches. Cette économie verte masque un protectionnisme vert sous le prétexte d’adoption de nouvelles normes environnementales pour le commerce aux frontières, la conditionnalité de l’aide et l’aggravation des inégalités à l’origine de la dimension libérale de la crise. On retrouve ici l’esprit de Stockholm : sous couvert d’environnement, les pays riches brident le développement des pays pauvres.

Pour les courants plus extrêmes représentés par la Bolivie et par de nombreuses ONG, l’économie verte est perçue comme l’ennemie technologique, ouvrant la porte à la techno¬science avec manipulation du vivant par les biotechnologies et du système terrestre par la géo¬ingénierie. La tribune de la conférence sera utilisée pour dénoncer la financiarisation de la nature, un mode de consommation des riches insoutenable et le choix du marché comme principal acteur de la transition vers le développement durable. (15)

Le Brésil aura fort à faire pour défendre sa conception originale d’émergent et pour orchestrer les débats.

UNE INSTANCE ONUSIENNE POUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE
Le Brésil ne veut pas que la nouvelle gouvernance qui sera discutée à Rio soit une gouvernance de l’environnement. Il vise, on l’a compris, une gouvernance du développement durable, où l’environnement serait ancré dans l’économique et le social. Il milite pour un nouveau conseil du développement durable (qui remplacerait la commission pour le développement durable) sous l’égide de l’ONU, ou un conseil économique et social (Ecosoc) élargi à l’environnement. Cet organisme consacré à la promotion du développement durable ne serait pas intrusif dans les stratégies des pays qui doivent rester souverains, mais faciliterait la mise en oeuvre des conventions et des objectifs de développement durable discutés à Rio+20.

Le Brésil s’oppose ainsi à la volonté de l’Union européenne et de l’Union africaine qui appuient l’initiative de la France pour concentrer les négociations internationales de Rio+20 sur la création d’une Organisation mondiale de l’environnement (OME). Cette opposition lui fait rejoindre la position des Etats-Unis qui refusent la création d’une seizième agence de l’ONU, situation paradoxale car le Brésil, contrairement à celui-ci, est un défenseur inconditionnel des instances multilatérales des Nations unies.

Tous s’accordent pourtant sur les limitations du programme des Nations unies (PNUE) créé en 1972 et de la commission du développement durable des Nations unies (CDD), créée à la suite de Rio 92. Il n’existe pas d’organisation pour l’environnement du même statut que la FAO pour l’agriculture ou l’OMS pour la santé. Le statut de programme est insuffisant. Le PNUE regroupe seulement 58 pays membres qui assurent des contributions volontaires. Il faut imaginer une structure qui concentre la totalité des membres de l’ONU, avec une instance de règlement des différends et des fonds conséquents. Cette structure doit pouvoir s’articuler avec les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale), s’imposer devant l’OMC et avoir recours à la cour internationale de justice et au conseil de sécurité de l’ONU. Il faut que les questions d’environnement soient mieux prises en compte dans l’architecture onusienne.

Ces blocages sont assez difficilement compréhensibles et témoignent surtout de positions de principe. On a compris que le Brésil ne veut pas d’une régulation internationale centrée sur l’environnement. On comprend moins bien les ressorts de l’engagement de la France depuis la présidence de Jacques Chirac à conduire la bataille pour une OME. On peut espérer que les débats sur la gouvernance internationale de l’environnement ne se réduiront pas à des passes d’armes entre l’Union européenne et le Brésil sur la création d’une nouvelle agence de l’ONU.

CONCLUSION

Le Brésil dispose de nombreux atouts pour accueillir la conférence. Le pays est fort de sa réussite économique au sein des BRICS, il a su s’imposer sur la scène internationale comme leader pour les deux principales conventions -climat et biodiversité-; il est le seul pays en développement à avoir pris des engagements volontaires et assumé ses objectifs de réduction de CO2, il est riche de forêts et de biodiversité. Il lui sera difficile de faire l’impasse sur la faiblesse de ses résultats en matière d’environnement, mais ces controverses déborderont sans doute peu du Sommet des peuples qui se tiendra à 20 km du lieu de la conférence officielle.

Le choix de ne pas préparer une convention sur l’environnement mais sur le développement durable répond à l’intitulé de la conférence, mais surtout, nous l’avons vu, à un positionnement fort et consensuel, malgré d’importants tiraillements internes, des Brésiliens. Le modèle proposé ne s’inscrit pas dans une remise en cause de la croissance économique qui permettrait de penser une transition écologique. La prétention des pays riches à vouloir infléchir la croissance des pays pauvres est dénoncée pratiquement dans les mêmes termes qu’à Stockholm, il y a 40 ans. C’est bien le partage des droits au développement qui sera posé à Rio et les pays développés seront interpellés sur leurs politiques anti crise.

La conférence de Stockholm a été le premier pas pour inscrire l’environnement à l’agenda des négociations internationales. Le Sommet de la Terre a permis la signature de conventions d’environnement global. Johannesburg aura été un tournant vers la généralisation des solutions marchandes et des intérêts privés -que l’on se souvienne des Initiatives de type II, accords entre entreprises, organisations internationales, ONG et collectivités censées pallier le manque d’engagement des Etats et donner une valeur marchandes aux biens et services de l’environnement. Rio+20 prend acte à la fois de la crise financière et du retour en force des Etats, ainsi que de la force des pays émergents. Ce sont maintenant des accords politiques susceptibles de redessiner l’équilibre géopolitique de la planète qui devraient sortir de Rio+20.

Il importe de rappeler que la conférence s’inscrit dans une crise économique mondiale qui repousse l’environnement à la marge des préoccupations, aussi bien de l’Europe que du Brésil. 2012 est également l’année où plusieurs pays (dont les Etats-Unis, la Chine, La Russie, l’Inde, la France…) vont changer de gouvernement. De nouvelles options géopolitiques sont attendues, susceptibles de modifier les engagements des uns et des autres vis-vis du développement durable de la planète, en particulier en matière d’efforts à accomplir et de solidarités à construire. Ces incertitudes pèseront sans doute lourd sur la liberté d’action des négociateurs.

Quelle que soit l’issue de la conférence, le Brésil en sortira grandi : comme médiateur d’un nouveau consensus international si celui-ci est obtenu, ou comme leader des pays du sud et promoteur de nouvelles conceptions du développement, si les divergences persistent.

NOTES

1) Les résultats de l’étude donnent à l’horizon 2020 le Brésil toujours en 6ème place, avec un PIB de 4 260 milliards US$, derrière les Etats-Unis (21 830 milliards), la Chine (17 880 milliards), le Japon (7 630 milliards), la Russie (4 580 milliards) et l’Inde (4 500 milliards), puis Allemagne, France, Royaume Uni, Italie.

2) http://www.cebr.com/?p=729

3) http://www.cartamaior.com.br/templates/materiaMostrar.cfm?materia_id=19261

4) En 2005, les changements dans l’usage des sols et des forêts représentaient au Brésil 77 % des émissions de CO2. Si l’on utilise comme indicateur la part du changement d’usage des sols et des forêts par rapport aux émissions de tous les gaz à effet de serre du Brésil exprimées en équivalent CO2, le pourcentage est de 67 % ou 57 % selon la méthode de conversion employée (Ministério da Ciência e Tecnologia, 2010).

5) Si cet objectif vis-à-vis de l’Amazonie était en quelque sorte « à l’agenda », l’engagement volontaire vis-à-vis du Cerrado, les savanes du centre du Brésil, a surpris. Ce supplément d’engagement a été l’occasion de découvrir la situation critique du Cerrado, hot spot de biodiversité. L’Amazonie légale couvre un peu plus de 4 millions de km2, dont 15 % (14,54 % en 2009, soit 739 928 km2) sont déjà déforestés. Le Cerrado occupe une superficie de 2 millions de km2, soit la moitié de celle de l’Amazonie légale. En 2008, 986 247 km2, soit 48,37 % de sa couverture originelle avait déjà été défrichée (IBGE, 2010).

6) Ces engagements prennent la forme d’une loi qui institue la politique nationale sur le changement climatique du 29 décembre 2009 et d’un décret d’application du 9 décembre 2010 précisant les calculs (Presidência da Republica, 2010).

7 Entre 2008-2009, le Cerrado a été le biome le plus déforesté (7.637 km²), suivi de l’Amazonie (7.464 km²), la Caatinga (1.921 km²), la Pampa (331 km²), la Mata Atlântica (248 km²) et le Pantanal (118 km²). MMA, 2012.

8) Citons par exemple, le Programme pilote pour la conservation des forêts de l’Amazonie brésilienne (PPG7) à l’initiative des pays européens et du gouvernement brésilien, le don d’un milliard US$ de la Norvège au Fonds amazonien, les dons de la KFW allemande, ceux du Global Environment Facility (GEF) en appui au programme des aires protégées d’Amazonie (ARPA), etc.

9) La réforme du code forestier renvoie à l’histoire de l’appropriation des terres au Brésil. On peut s’interroger sur l’intérêt de réserves, îlots non connectés, qui ne seraient pas conservées pour leur intérêt écologique. La question fondamentale reste celle de l’élevage. Selon Soares et al. (2012), une intensification de la productivité de l’élevage qui occupe les 2/3 des surfaces agricoles disponibles aujourd’hui au Brésil, passant de 1,1 tête/ha actuellement, à 1,5 tête/ha, permettrait de libérer 60 millions d’hectares pour l’agriculture, ce qui doublerait la surface agricole actuelle et freinerait la pression sur les forêts.

10) La majorité des amendes pour déboisement illégal ont été délivrées par l’Institut brésilien de l’environnement (IBAMA) entre 2006 et 2008. Aucune n’a été payée jusqu’à aujourd’hui. 75 % des amendes de plus d’un million de reais (environ 600 000 US$) seraient ainsi amnistiées (Folha de Sao Paulo, 05/03/2012).

11) Les batailles de chiffres vont bon train. La disparition de la réserve légale serait ainsi estimée à 47 millions d’ha, provocant un déstockage de 17 milliards de tonnes de CO2, si l’on utilise les données sur les tailles des propriétés de l’Institut national de reforme agraire INCRA (IPEA, 2011). Si l’on utilise les données de l’IBGE, la perte serait de 2, 6 millions d’ha, avec un déstockage de 200 millions de tonnes de CO2 (Soares et al. 2012).

12) Les mégadivers - Afrique du Sud, Bolivie, Brésil, Chine, Colombie, Costa Rica, Équateur, Inde, Indonésie, Kenya, Madagascar, Malaisie, Mexique, Pérou, Philippines, République Démocratique du Congo, Venezuela -disent représenter 70 % de la biodiversité mondiale.

13) Voir par exemple l’interview donnée à Daniela Chiaretti de la revue Valor, le 16/02/2012

14) Le PNUE a élaboré une définition lénifiante du concept : une économie verte entraîne une amélioration du bien-être et de l'équité sociale, tout en réduisant considérablement les risques de pénuries écologiques. Plus simplement, une économie verte peut être définie comme une économie possédant les caractéristiques suivantes: de faibles émissions de CO2, une gestion durable des ressources, et qui est socialement inclusive.
Dans la pratique, une économie verte doit entraîner une croissance du revenu et de l'emploi grâce à des investissements publics et privés qui ciblent une réduction des émissions de carbone et de la pollution, une amélioration de l'efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles, et une réduction de la perte de la biodiversité. Ces investissements doivent être soutenus par des dépenses publiques, des réformes politiques et des changements de réglementation. (http://www.unep.org/french/wed/theme/, consulté le 2 mars 2012).

15) Voir par exemple dans des registres différents, l’Appel de Via Campesina Prenons en main notre futur (http://viacampesina.org); l’interview d’Ivo Lesbaupin de l’Association brésilienne des organisations non gouvernementales-Abong (http://www.iserassessoria.org.br); Who Will Control the Green Economy? d’ETC Group (www.etcgroup.org).

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** Catherine Aubertin est économiste, directrice de recherche de l’IRD, UMR GRED 220, IESA -Universidade Federal de Goias - Texte à paraître dans la revue Mouvements, n° 70, spécial Rio+20, avril 2012. www.mouvements.info

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