Commémoration de l'esclavage : Le mot race n’a pas sa place dans la Constitution française

Dès que l’on affirme l’existence de race humaine, le racisme est là car on affirme forcément, du même coup, la supériorité de la «race» à laquelle on prétend appartenir. Dès que l’idée de race humaine apparaît, on a beau affirmer que les races sont égales, l’affirmation implicite que certaines races sont plus égales que d’autres est sous-jacente.

Commémorer, cela veut dire se souvenir ensemble. Aujourd’hui, ensemble, nous nous souvenons de l’esclavage qui, du 15e au 19e siècle, a dévasté deux continents - l’Afrique et l’Amérique - pour enrichir un troisième : l’Europe.

Ce n’est pas seulement l’abolition que nous célébrons aujourd’hui mais c’est surtout la reconnaissance par la nation (Ndlr : la nation française) d’un crime contre l’humanité perpétré au nom de l’idée de race contre le continent d’où l’humanité est issue. C’est pourquoi il importe que ce mot de race soit retiré de notre constitution où il n’a absolument pas sa place.

Le retrait du mot ne fera évidemment pas disparaître le préjugé, mais cette décision montrera que la nation ne le partage pas. Et ce sera un grand pas en avant. Les plus racistes d’entre les Français, les plus aveuglés, soutiendront que si la Constitution ne précise pas que tous les citoyens sont égaux «sans distinction de race», alors de telles distinctions auront force légale. Et beaucoup de nos concitoyens pensent que les races humaines existent mais que cette réalité ne doit pas entraîner de différence dans l’application de la loi.

Malheureusement, le préjugé n’est pas seulement dans l’affirmation que des races sont supérieures à d’autres, mais dans la simple affirmation qu’il existe différentes races d’hommes. Car l’idée de race n’a de sens que pour les animaux. C’est pour justifier la pratique de l’esclavage que cette idée, au 17e siècle, a été étendue aux hommes, en plaçant les Africains subsahariens au plus bas degré de l’échelle humaine, c'est-à-dire près des animaux.

La race a été d’emblée confondue avec l’apparence. Les Européens esclavagistes se sont désignés «blancs» et ont appelé «noirs» leur victimes potentielles. Car dès lors tout «noir» était par nature un esclave. Cette monstrueuse simplification a permis quatre siècles d’esclavage et un siècle de colonialisme.

Renforcée par les élucubrations de scientifiques plus soucieux de justifier leurs préjugés que de faire avancer la connaissance, elle a été assez efficace pour qu’aujourd’hui encore, sous prétexte de lutter contre les discriminations, certains non seulement se désignent comme noirs, mais tentent de parler au nom d’une communauté qui n’existe que dans les fantasmes des racistes.

Les racistes de toutes couleurs ont tort de se réclamer de la négritude, citant Césaire ou Senghor. L’idée de négritude est une formule littéraire des années trente inventée à une époque où tout le monde était convaincu de la réalité scientifique des races humaines. Elle n’a jamais permis de faire reculer le préjugé de race. Tel n’était pas d’ailleurs son propos.

On a voulu réduire Césaire à la négritude, comme s’il était le chantre de l’idée de race, ce qui est un contresens. Se servir de Césaire pour justifier le racisme est la pire manière de salir sa mémoire.

Dès que l’on affirme l’existence de race humaine, le racisme est là car on affirme forcément, du même coup, la supériorité de la «race» à laquelle on prétend appartenir. Dès que l’idée de race humaine apparaît, on a beau affirmer que les races sont égales, l’affirmation implicite que certaines races sont plus égales que d’autres est sous-jacente.

C’est pourquoi, affirmer l’égalité de tous devant la loi sans distinction de race est une manière insidieuse de sous-entendre que l’égalité devant la loi peut coexister avec l’inégalité dans les faits. Cette situation, nous la connaissons bien, et, pour ma part, je la combats. L’égalité de tous devant la loi sera suffisamment garantie en affirmant que tous les citoyens sont égaux sans distinction d’origine, réelle ou supposée.

C’est pour ces raisons que le retrait du mot race de la Constitution française sera une avancée historique à laquelle devront contribuer les élus de toutes opinions qui partagent les valeurs de la République française.

Le combat contre le racisme, dont le retrait du mot race de la Constitution est un épisode majeur, est l’un des moyens pour la Nation - l’un des moyens mais pas le seul - de réparer le préjudice subi par les victimes du crime dont nous honorons aujourd’hui la mémoire.

La question de la réparation pour l’esclavage, au lieu de servir de faire-valoir à des associations fondées justement sur l’idée de race, devrait pouvoir trouver sa place dans le cadre des institutions consacrées à l’histoire et à la mémoire de l’esclavage auxquelles la loi a confié le soin de faire toutes propositions au gouvernement.

Ce n’est pas en intentant des procès perdus d’avance à l’État, ce n’est pas en multipliant les « happenings » que l’on avancera. La commémoration de l’esclavage (Ndlr : le 10 mai de chaque année, en France) n’est pas une journée de carnaval. Elle ne doit pas non plus se confondre avec d’autres combats pour l’égalité qui n’ont rien à voir.

La commémoration de l’esclavage n’est pas une journée de haine. C’est un moment de fraternité républicaine pour rappeler à tous les Français qu’ils ont en commun une même vision du monde qui va bien au-delà de l’apparence et de la couleur de la peau.

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** Claude Ribbe est un écrivain, historien, philosophe et réalisateur français originaire de la Guadeloupe

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