Radioscopie de la presse sénégalaise

L’évolution de la presse sénégalaise de manière générale est passée en revue dans ce livre, de même que la construction de ses rapports avec les régimes politiques au fur et à mesure que ces derniers se démocratisent et qu’évolue la législation concernant les médias durant quarante ans de gouvernance.

Depuis 1856, médias et pouvoir au Sénégal ont connu des relations ambivalentes, plus ou moins conflictuelles. Trois temps forts ont marqué leurs rapports. De 1856 à 1960, le bouillonnement politique a favorisé l’émergence des médias, notamment la presse politique partisane. Malgré la volonté du pouvoir colonial de neutraliser les médias, ceux-ci ont tenté plus ou moins de jouer leur rôle, malgré la restriction des libertés et une économie médiatique morose.

A partir de 1960, la presse plurielle héritée de la colonisation a cédé la place à un monopole médiatique avec l’instauration du parti unique de fait malgré l’existence de quelques téméraires qui s’aventuraient à créer des journaux. Mais le tournant a été la deuxième moitié des années 1980 où la presse dite indépendante va émerger, avec parfois des conflits plus ou moins mesurés.

A partir de 2000, le nombre de médias s’est accru, avec l’avènement des télévisions privées. Les rapports entre médias et pouvoir ont été tendus, violents. D’où des interrogations sur l’éventualité de réformer le paysage médiatique avec des règles clairement définies et respectées par l’ensemble des acteurs. Dans cette perspective, une presse régionale peut être favorisée pour mieux accompagner la démocratie locale.

La presse sénégalaise date de 1856 avec la publication, pour la première fois, du journal Le Moniteur du Sénégal. Ce périodique hebdomadaire aurait eu, en 2012, 156 ans d’existence.

L’objectif du travail de Moustapha Barry, (1) docteur en information et en communication de l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, est d’analyser les rapports entre médias et pouvoir au Sénégal depuis l’accession du pays à l’indépendance, après un rappel historique. Dans cette perspective, le travail est divisé en trois parties. La première fait un état des lieux du paysage médiatique et s’intéresse à l’état de la presse sénégalaise à partir de 2000, une période qui coïncide avec l’avènement de l’alternance politique. Elle analyse les rapports des médias avec les acteurs politiques et les dignitaires religieux et essaie d’apporter des éléments de réponses aux conflits qui les opposent.

Cette première partie ausculte aussi la législation concernant la presse, l’économie des médias afin de mieux comprendre les difficultés qu’ils rencontrent au Sénégal. Cette période est riche en conflits entre médias et pouvoirs publics. Et c’est le président de la République, Abdoulaye Wade, lui-même, qui porte des attaques contre les médias. C’est pourquoi il serait intéressant de savoir pourquoi l’autorité suprême du pays se met parfois dans une colère noire contre les journalistes sans en mesurer les conséquences sur le climat politique et médiatique. Cela est d’autant plus intéressant à savoir qu’Abdoulaye Wade reconnaît le rôle important joué par la presse pour son ascension au pouvoir en 2000.

La deuxième partie retrace, dans une certaine mesure, l’histoire de la presse au Sénégal depuis 1856 jusqu’en 2000. On se situe ainsi entre l’année de la création du premier organe de presse au Sénégal et celle qui marque une évolution majeure dans l’histoire politique du pays avec l’arrivée du président Abdoulaye Wade après vingt-six ans d’opposition au régime socialiste. Dans cette partie, un chapitre est consacré à la période coloniale (1856-1960), un deuxième régime socialiste des présidents Léopold Sédar Senghor (1960-1980) et Abdou Diouf (1981-2000). Il s’agit de voir, à travers ces périodes, l’évolution de la presse sénégalaise de manière générale, et la construction de ses rapports avec les régimes politiques au fur et à mesure que ces derniers se démocratisent et qu’évolue la législation concernant les médias durant quarante ans de gouvernance.

Dans la troisième partie, il s’agit de s’interroger sur le paysage médiatique sénégalais à la lumière de ce que nous ont appris les deux premières parties de ce travail. La question est la suivante : quel paysage médiatique pour le Sénégal ? Faut-il maintenir la situation actuelle ou plutôt procéder à des réformes pour avoir un paysage médiatique différent et clarifié ? Ne faut-il pas une presse régionale pour répondre aux besoins d’informations des Sénégalais des régions ?

La dernière partie du travail s’intéresse aussi à l’importance des producteurs indépendants qui pourront alimenter les médias audiovisuels en contenus médiatiques.

C’est un ensemble de facteurs qui explique la transparence et la régularité des élections de 2000. Ce qui a permis d’éviter des troubles électoraux au lendemain du scrutin du premier et du deuxième tour. Même si les médias ont joué leur partition qui n’a pas été, certes, négligeable. Internet y a apporté son concours de manière effacée. En plus d’Internet, les télévisions privées sont venues s’ajouter au paysage médiatique sénégalais dominé par la presse écrite, les radios publiques et privées et la télévision nationale.

Une incompréhension du rôle des médias dans l’alternance politique en 2000 est née. La liberté de la presse est malmenée par le pouvoir libéral. De 2000 à nos jours, les critiques les plus virulentes formulées contre les journalistes sénégalais ont trait à la qualité de leur formation. On accuse certains d’entre eux de n’avoir aucun diplôme ou d’avoir subi une formation au rabais. Le président fait parti des plus virulents. L’aide à la presse paraît poser plus de problèmes qu’elle n’en résout. D’où l’importance de revoir ses modalités et ses critères de répartition.

L’auteur traite de la tension entre chefs religieux et médias. Ce qui est quelque chose de nouveau dans les rapports entre la presse et les dignitaires religieux. Si face aux religieux, les médias et leurs syndicats ont opté pour la justice, face au pouvoir, leur riposte a été beaucoup plus virulente. Dans certaines circonstances, ils ont saisi la justice, mais dans la plupart des cas ils ont riposté par des manifestations et des grèves. Le premier grand bras de fer entre la presse et le pouvoir post-alternance, c’est l’arrestation du directeur de publication du journal Le Quotidien.

C’est avec l’arrivée, sur le paysage médiatique sénégalais, des médias privés d’informations générales, au milieu des années 1980 que la presse d’opinion a progressivement disparu Car les leaders politiques, notamment de l’opposition, trouvaient en Wal Fadjiri, Sud Quotidien, Le Témoin, Le Politicien, Le Cafard Libéré, etc. des médiums pour s’exprimer. Et leurs propos dans ces journaux, considérés comme n'étant d’aucune obédience politique, avaient beaucoup de crédit aux yeux des lecteurs que ceux reproduits par leurs propres journaux de propagande.

La deuxième partie du livre est consacrée à l’examen d’un tableau médiatique sénégalais de 1960 à 2000. Moustapha Barry donne des informations précises sur la presse sénégalaise de l’époque coloniale à l’indépendance. L’on constate le lien entre pouvoir et presse. Ce qui suggère que ces deux semblent consubstantiellement liés, malgré le conflit qui existe souvent entre eux. Dans tous les cas, il s’agit, pour le pouvoir colonial, d’utiliser la presse comme vecteur de son pouvoir et de son influence, à travers la sensibilisation, l’information, l’éducation et le divertissement.

La publication de deux organes d’information « Le Réveil du Sénégal » et « Petit sénégalais » est la première tentative de création de journaux au Sénégal (1885-1900). « Le Réveil du Sénégal » paraît en juillet 1885 à Saint-Louis, capitale politique et administrative du Sénégal et dépendances. Il est sous-titré Journal politique, littéraire, commercial et financier. Hebdomadaire, il ne rate jamais le député du Sénégal au Palais Bourbon, Alfred Gasconi. Ce dernier est accusé de ne s’intéresser aux Noirs que pour obtenir leurs voix et d’être vendu aux intérêts du grand négoce bordelais.

« Le Petit sénégalais » s’inscrit dans la même lignée que son aîné, « Le Réveil », mais en étant beaucoup plus virulent dans ses critiques. Il devient une sorte de journal de faits divers. Ce ne sont pas seulement ces faits divers qui agacent les autorités coloniales. Elles jugent également inacceptables les critiques formulées contre la politique coloniale française.

« Le Moniteur du Sénégal » a monopolisé le paysage médiatique et son marché. Il faut attendre dix ans après pour voir apparaître d’autres journaux. Il s’agit de l’ « Indépendant », de « l’Afrique occidentale » et de « l’Union africaine ». La parution de ces journaux coïncide avec la création de l’Afrique occidentale française.

Au moment où la presse politique bat son plein, celle des corporations se met en place pour défendre les intérêts matériels et moraux de ses membres. C’est ainsi que se multiplient les journaux à caractère économique, syndical, religieux et même scientifique.

Tous les journaux qui ont paru jusqu’en 1937 étaient des hebdomadaires, des mensuels, bimensuels, des trimestriels, des bi-trimestriels, etc. A cette date, il n’y a pas encore de quotidiens. Même « Paris-Dakar » qui sera le premier quotidien du Sénégal. Avant la création de ce journal, qui fut lui-même un hebdomadaire, des journaux paraissaient une ou deux fois par semaine. Il y avait cinq principaux : « Afrique Nouvelle », « l’Unité africaine », « Le Moniteur africain du commerce et de l’industrie », l’hebdomadaire de synthèse de la présidence de la République. A ces cinq hebdomadaires, il faut ajouter le « Journal officiel du Sénégals et les deux hebdomadaires gratuits que sont « Dakar-Hebdo » et « La semaine ».

L’auteur s’est intéressé à l’étude de cinq mensuels comme « Bingo », « L’Observateur africain », « Sénégal d’aujourd’hui », « Le Mois en Afrique « et « L’Afrique mon pays ».

La presse étrangère vient au Sénégal combler les lacunes de la presse locale. Elle est quotidienne, hebdomadaire et mensuelle. La presse française est présente avec huit titres.

Moustapha Barry dresse le tableau médiatique du Sénégal indépendant (1960-2000). Il analyse les limites de la liberté de presse sous le régime socialiste et examine les problèmes de la liberté de la presse sous le régime du président Léopold Sédar Senghor (1960-1980) et du président Abdou Diouf (1981-2000).
Peut-on parler de la liberté de la presse sous le régime du président Senghor ? Difficile est la réponse à cette question d’autant plus qu’il n’existe pas de travail académique critique sur cette période. Mais quand on observe ses rapports avec le monde de la presse de cette époque, l’on peut dire que même si la liberté de la presse existait, elle était souvent remise en cause. Du temps de Jean Collin, le puissant ministre de l’Intérieur, Abdou Diouf a eu des moments tendus avec Sud Communication. Boubacar Diop, directeur de Promotion, a été mis en prison sous son régime. Il y a eu quelques crises avec « Wal Fadjiri ».

Abdoulaye Wade va hériter des médias très influents à cause de leur rôle indiscutable dans l’avènement de l’alternance. Conscient de cela, le nouveau pouvoir va faire des promesses pour renforcer les capacités des entreprises de presse. Sous le régime socialiste (1960-2000), le paysage médiatique a été ambivalent. Aux débuts des indépendances, sous Senghor, le monopole médiatique a régné en même temps que l’instauration du parti unique. Il faut attendre la mise en place des quatre courants politiques pour un retour au pluralisme médiatique même si les médias d’Etat occupaient quasiment l’espace médiatique.

La seconde moitié des années 1980 va voir l’éclosion de journaux d’informations générales qui mettent fin au monopole du Soleil. L’apparition des radios privées dans les années 1990 va, à son tour, mettre fin au monopole de la radio d’Etat. Il ne reste plus la télévision.

Dans la troisième partie du livre, Moustapha Barry s’interroge sur le type de paysage médiatique qu’il faudrait pour le Sénégal. Il traite de la viabilité des entreprises de presse au Sénégal. Mais les données statistiques manquent. Recueillir quelques éléments économiques des médias auprès des responsables est une entreprise vaine. On lui a opposé la confidentialité de certains chiffres à cause de la concurrence. Même le nombre de numéros diffusés reste tabou. Pourtant la loi sur la presse fait obligation de les publier à chaque parution. Mais peu d’organes se conforment à la loi.

Les difficultés économiques n’expliquent pas, à elles seules, les problèmes rencontrés par les médias. Il se pose aussi un problème de lectorat. Tous les journaux sont diffusés en français. Pour acheter un journal, il faut savoir lire le français.

Moustapha Barry aborde beaucoup de questions comme l’aide à la presse, le pluralisme dans les médias d’Etat, le statut du journaliste sénégalais, la carte de presse sénégalaise. Il examine aussi la définition des critères retenus pour l’attribution des fréquences audiovisuelles qui sont en définitive sous tutelle politique. A la fin de son ouvrage, il encourage la multiplication des médias régionaux.

NOTE
1) Histoire des médias au Sénégal de la colonisation à jours – Par Moustapha Barry – L’harmattan 2013 – 351 pages

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** Amady Aly Dieng est économique, critique littéraire

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