Libéralisation des produits agricole et injustice sociale

La libéralisation des échanges des produits agricoles a comme fondement une profonde injustice car elle compromet la sécurité mondiale, estime Babacar Ndao. Les inégalités des rapports de force dans le commerce mondial des produits agricoles ne manquent pas en effet de détériorer davantage la situation économique et sociale des paysans africains. L’auteur prône pour une mobilisation plus accrue à l’échelle mondiale pour venir en aide aux laissés-pour-compte de ce système que sont les paysans africains.

La mal gouvernance mondiale qui est la résultante des rapports de forces inégales devrait être régulée par les institutions mises en place à cet effet. Ceci n’est pas le cas. Les conséquences en sont terrifiantes car les bouleversements se sont produits à tous les niveaux.

• Au niveau international,
o la technostructure payée par ceux qui possèdent le capital s’est emparée du monde au détriment du politique qui est élu.
o Les transnationales et les institutions financières internationales font la marche du monde, elles qui ne son élues par personne ;

• Au niveau national,
o nombre d’institutions publiques qui devraient réguler ses rapports de forces inégales ont été progressivement affaiblies et/ou supprimées sur proposition de la technostructure ;

• Au plan local,
o les impératifs de marché et de la mondialisation sont entrain de détruire les familles et les communautés.

Il faut retrouver la souveraineté de nos Etats pour réguler le commerce afin de sauver le monde

Les pays riches ont mis l’agenda de développement de côté pour poursuivre un autre qui leur est propre à savoir le maintien de lourdes subventions et de tarifs douaniers élevés pour les grosses multinationales agroalimentaires et très peu pour leurs propres producteurs. Le dumping des surplus de production qui en découlent en faisant pression sur les pays en développement pour qu’ils ouvrent leurs marchés, sans le moindre égard par rapport aux coûts en terme de développement. Le maintien des subventions et l’obligation de l’ouverture des marches sont fondamentalement incompatibles et injustes voire dramatiques pour nos pays Africains.

La perte de souveraineté des Etats Africains qui ne peut pas dire non à tout ceci constitue la principale cause de la crise agricole de l’Afrique. Les politiques d’ajustement des institutions de Bretton Woods (Banque Mondiale, Fonds Monétaire internationale – FMI), les règles commerciales internationales (OMC) ainsi que les accords ACP/UE (futurs APE) constituent les aspects les plus significatifs de cette situation. En dépit des changements intervenus, deux constantes ont marqué l’histoire de l’agriculture ouest-africaine :

• un déficit de souveraineté pour plusieurs pays qui ont du mal à définir des politiques de développement aptes à améliorer la situation ;
• une détérioration continue des termes de l’échange au détriment des économies africaines.

En effet, sous le prétexte d’une certaine assistance technique dans le cadre de l’aide bilatérale et les conditionnalités liées à l’aide dans la cadre multilatéral les décideurs africains ont souvent été dépossédés de leurs prérogatives de définition libre des politiques et programmes auxquels aspirent leurs populations.

L’Afrique est le seul continent au monde où le volume de production agricole et alimentaire baisse alors que sa population croît. Si les tendances actuelles se maintiennent, elle n’atteindra pas les objectifs de réduction de la faim et de la pauvreté de moitié en 2015, objectifs fixés par le Sommet du millénaire pour le développement (OMD). Elle peut même voir sa situation empirer.

Tout le monde reconnaît aujourd’hui qu’en Afrique, la souveraineté alimentaire et la lutte contre la pauvreté passent inévitablement par le développement substantiel de l’agriculture qui emploie 70 % de la population et représente 30 % du produit intérieur brut (PIB).

En plus d’être une source importante de devises étrangères pour les Etats, l’agriculture assure pour les populations des fonctions essentielles comme :

• le droit à une alimentation saine, en qualité et en quantité suffisante ;
• le droit à un revenu décent ;
• le droit à un environnement saint.

Pourtant, malgré son importance, l’agriculture traverse depuis quelques décennies une crise dont la cause principale est les mesures injustices de l’Accord sur l’Agriculture (AsA) au sein de l’OMC. L'amplification de la pauvreté et sa complexité combinée à une croissance démographique exponentielle (3% par an) fait fléchir l’indice de la pauvreté qui varie entre 72 % et 88 % en milieu rural et de 44 % à 59 % en milieu urbain. Compte tenu de la faiblesse des revenus agricoles, très peu de ménages ruraux arrivent à couvrir leurs besoins alimentaires 7 mois sur 12 et nombreux sont ceux qui n’atteignent même pas les 4 mois de couverture.

Des conséquences sur le plan économique et social

Les politiques d’ajustement notamment celles portant sur la libéralisation du commerce des produits agricoles sont sources d’importants dégâts en Afrique. Depuis leur instauration on note une progression de la faim, de la pauvreté, des inégalités, du chômage et la dégradation des ressources naturelles. Hormis de timides progrès en matière de démocratisation fragilisée par l’absence de souveraineté et la paupérisation grandissante qui vide progressivement la démocratie de son sens, les résultats ont été partout en-dessous des espoirs. Elles ont entraîné l’agriculture, toutes filières confondues, dans un processus avancé de déclin.

La crise et la pauvreté qu’elle génère façonnent un cadre de vie continuellement dégradé et précaire. Elles entraînent l’effritement des valeurs et remettent en cause le modèle sociétal. D’autre part, la perturbation des repères éthiques et culturels provoque de nouvelles stratégies d’organisation et de survie. En effet, tandis que certains sont déjà victimes de déviation, d’autres sont exposés à de graves risques sociaux bien connus : vols, agressions et crimes, mendicité et travail précoce, risques éducatifs et sanitaires, exode et émigration. Autant de phénomènes dont l’explication se trouve pour une bonne part dans l’accroissement de la pauvreté et la dégradation des conditions de vie.

Des conséquences sur le genre.

Le plus grave danger est surtout lié à l’exclusion plus prononcée encore dont la femme fait l’objet dans le secteur de la production agricole. En effet, c’est elle, la femme, qui est le dernier refuge et le dernier rempart pour ne pas tomber dans l’insécurité alimentaire totale. Le fait de rendre le secteur totalement marchand a réduit celle-ci à ne plus avoir la plus petite parcelle de sécurité. Un fait illustratif est la culture du riz pratiquée uniquement par les femmes dans le Sud du Sénégal en Casamance et où un processus de paix vient d’être enclenché dans une Région qui était en guerre depuis plus de 25 ans.

Avant, 1970, ces familles n’ont jamais connu la faim et faisaient de cet état de fait une fierté. Avec la libéralisation du secteur du riz, ces familles n’arrivaient plus à s’en sortir. Il n’y avait plus aucune mesure incitative pour la culture du riz pluvial. L’insécurité alimentaire et les conflits fonciers sont une des raisons probables d’un mécontentement généralisé au niveau de cette région Sud.

Des conséquences sur le plan commercial

La situation n’est point plus reluisante car la part de l’Afrique dans les échanges mondiaux est passée de 4 à 1 %. Cette situation trouve ses causes dans plusieurs phénomènes : l’étroitesse des marchés nationaux ; les entraves au commerce intr régional (déficit d’infrastructures, barrières douanières, etc.) ; et les difficultés d’accès aux marchés des pays développés.

A cela s’ajoutent la chute vertigineuse des prix des produits agricoles et agroalimentaires et l’accroissement des difficultés dans l’écoulement des produits locaux sur les marchés domestiques compte tenu de l’ouverture des marchés africains et la forte concurrence déloyale des produits importés.

Les solutions et les moyens de mise en œuvre des instruments et des mécanismes pour s’en sortir

Lutter contre la pauvreté commence par arrêter de la générer.
il est indispensable d’investir massivement en milieu rural, alors que l’aide internationale pour le développement agricole a chuté d’un tiers par rapport aux chiffres de 1984 et que l’agriculture à perdu la faveur des pays donateurs.

La nécessité d’une mobilisation internationale

Ces éléments qui agitent la base fondamentale de l’agriculture mondiale et qui constituent le terreau de la fracture agricole mondiale expliquent que les solutions à la mondialisation de l’agriculture passent inévitablement par la réforme du système libéral à l’origine de cette situation. Ils justifient également la nécessaire mobilisation à l’échelle internationale pour trouver les moyens de solutions viables à la crise.

Pour un commerce mondial, solidaire et complémentaire par des mécanismes de contrôle et de régulation

Cet enjeu est réel car un prix rémunérateur ne peut être assuré par des marchés entièrement libéralisés, dépouillés de toutes possibilités de régulation.

Pour une protection externe et une ouverture interne

L’orientation du commerce doit plutôt favoriser l’émergence et le développement de tels marchés en leur assurant la pleine possibilité d’une protection en externe et une ouverture en interne. Il est nécessaire pour nos pays qui ont le même niveau de développement d’avoir des espaces protégés.

Réinventer une nouvelle façon de vivre ensemble dans l’intérêt de la planète
En Afrique, tout particulièrement, les conditionnalités de l’aide internationale à travers certaines institutions comme le FMI et la Banque Mondiale, les Accords de Partenariat Economique (APE) et les accords de préférence commerciale comme l’AGOA, de même que la plupart des coopérations bilatérales constituent pour les agricultures des entraves aussi graves sinon plus que celles de l’OMC.La recherche d’un monde apaisé épris de justice doit conduire à l’instauration d’éthique dans les rapports internationaux particulièrement au sein des grandes institutions (assurer une meilleure gouvernance mondiale .

Un soutien au développement rural

Il est urgent que le développement rural se concrétise. Plus de 80% des pauvres de la planète vivent dans des zones rurales et la promotion de la croissance agricole est un élément essentiel de toute stratégie qui vise à les faire sortir de la pauvreté. Des investissements devraient être bien plus importants dans l’infrastructure et les marchés ruraux sont plus que nécessaires, afin de promouvoir la croissance agricole.

*Babacar Ndao est le responsable de l’Appui Technique pour le Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA). Le réseau regroupe les Organisations paysannes de 12 pays de l’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Gambie, Guinée conakry, Guinée Bissau, Sierra léone, Mali, Togo, Bénin, Ghana, Burkina faso, Côte d’ivoire, Niger).

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