La crise mondiale et l’Afrique
La crise actuelle est la première mondiale : elle est globale, monétaire, financière, économique, environnementale et sociale. Elle montre les limites de la financiarisation du capitalisme, du mode de développement des pays industriels. Elle traduit également le déplacement du centre de gravité du capitalisme et la montée en puissance du second émergent.
Le Tiers Monde n’a pas été épargné par la crise mondiale. Les crises africaines sont toutefois nombreuses, alimentaires, environnementales, économiques, sociales ou sécuritaires. Les pays africains sont impactés par cette crise mondiale même s’ils le sont selon des intensités différentes du fait de leurs dynamiques plus ou moins extravertie, de leurs structures et politiques.
Notre intervention présente l’impact de la crise en Afrique, différencie les économies africaines et dégage certaines perspectives.
L’impact de la crise mondiale en Afrique
Les trajectoires passées de l’Afrique ont été marquées par une relative marginalisation et une stagnation en longue période de l’Afrique. On avait toutefois noté une reprise économique, un assainissement financier et une forte différenciation des partenaires au tournant du XXIème siècle.
La crise mondiale infléchit les trajectoires de l’Afrique par :
- le canal commercial et productif : La chute de la demande de la part des pays industriels et émergents et la montée du protectionnisme ont réduit les exportations africaines en volume et en valeur. La baisse en valeur des exportations s’est répercutée en termes de devises et de recettes budgétaires.
- le canal financier : Les économies africaines ont été à court terme relativement déconnectées de la crise financière exception faite des pays intégrés au système financier (exemple de l’Afrique du Sud). Il y a eu toutefois baisse des IDE (investissements directs extérieurs), des transferts des migrants, de l’APD (Aide publique au développement), des prêts bancaires, des crédits commerciaux.
- Les risques et l’incertitude et les instabilités des prix et des flux : Largement dépendantes des prix pétroliers, agricoles et alimentaires, les économies africaines subissent les effets de l’extrême volatilité des prix rendant impossible toute prévision et privilégiant ainsi des comportements courts termistes.
L’ensemble de ces facteurs a conduit à une chute de l’ordre de plus de 3 points du taux de croissance en 2009. Celui-ci s’est situé à 2,5 % contre 5,7 % en 2007. Une chute de 1 point de la croissance mondiale (pondérée en fonction des échanges par partenaires commerciaux se traduit en moyenne par un recul entre 0,3 et 0,5 points de la croissance africaine ; Hugon 2009). Dans l’ensemble, les pays africains ont relativement maintenu leur taux d’investissement (23 %) et leur taux d’importation (38 %), alors que le taux d’épargne est passé de 24,5 à 17,6 % et le taux d’exportation de 40,8 a 32,1 %. On a noté une aggravation des trois déficits de la balance interne, de la balance courante et du budget.
Il importe également de ne pas se limiter à la partie visible de l’iceberg, mais de prendre en compte l’économie « informelle » et les dynamiques endogènes. Les Africains ne disposent pas de mécanisme de protection sociale jouant un rôle d’amortisseur de la crise. Moins de 10 % de la population africaine est bancarisée et la population active employée dans le secteur moderne représente moins de 10 % en moyenne des actifs. La population africaine en deça du seuil de pauvreté a cru de 10 % pour se situer à 550 millions en 2009. Le nombre de mal nourris a fortement progressé.
Les effets différenciés selon les économies africaines.
Selon la Banque Africaine de Développement (BAD, juillet 2009), les taux de croissance prévisibles pour 2009 seraient de 0,2 % en Afrique australe, de 2,8 % en Afrique centrale, de 3,3 % en Afrique du Nord, de 4,2 % en Afrique de l’Ouest et de 5,5 % en Afrique de l’Est. Les pays exportateurs de pétrole (+2,8 %) seraient plus touches que les pays importateurs. Les pays a revenu moyen élevé (exemple de l’Afrique du Sud), les pays miniers et pétroliers sont plus touchés que les pays les moins avancés. Les pays en conflits et à forte défaillance institutionnelle connaissent des crises déconnectées de la crise mondiale.
Des capacités différentes de résilience des Etats
Les effets de la crise diffèrent selon trois déterminants :
- Les régimes de développement : Structurellement, les régimes rentiers, liés aux exportations de produits primaires, notamment d’hydrocarbures et miniers (malédiction pétrolière, croissance extravertie, enclaves minières ou pétrolières, importations alimentaires), divergent des régimes d’accumulation extensive ou intensive.
- Les vulnérabilités : On peut différencier les indicateurs de vulnérabilité et de contrainte extérieures (déficits courants, poids de la dette extérieure en % du PIB, réserves de change en moins d’importation, indice de diversification) et les indicateurs de contrainte interne (déficits publics, dette publique, solde global en % du PIB…).
- Les politiques : Il faut intégrer les effets des politiques internationales, (rôles de l’aide, de la gestion de la dette extérieure, des conditionnalités), des politiques régionales (programme de relance des banques régionales, effets d’entraînements des pôles régionaux…) et les politiques nationales de relance qui peuvent être de nature différentes.
Tableau : Diversité des vulnerabilites des pays africains à la crise mondiale
Régimes d’accumulation / contraintes financières Economies agro exportatrices Régimes rentiers miniers et pétroliers extravertis Régimes mixtes accumulation
Déficits extérieurs. Contrainte extérieure forte Ethiopie, Cote d’Ivoire.
Economies sous perfusion Congo Brazzaville, RDC, Zambie Afrique du Sud
Déficits publics
Poids élevé de la dette publique Burundi, Ghana, Kenya, Burkina Faso, Madagascar, Mali, Senegal Mauritanie, Congo Brazzaville, Tchad
Pas de contrainte financière forte
Quelles perspectives ?
La crise traduit des ruptures. Elle peut également être une opportunité pour réaliser des réformes. L’Afrique doit répondre à un certain nombre de défis majeurs démographiques, sécuritaires, alimentaires, d’urbanisation, de changement de place dans la division internationale, de sortie de relations post coloniales, d’amélioration des jeux de contrepouvoirs et de séparation des pouvoirs permettant une démocratisation.
Les enjeux sont internationaux
- Un rôle de relais en Afrique des pays émergents ?
- La voix de l’Afrique dans la nouvelle architecture internationale. La stabilisation de l’environnement des marchés internationaux
- La régulation d’un monde sans loi
Les enjeux sont également internes à l’Afrique. Nous listerons quelques pistes de reformes :
- La valorisation du capital naturel et l’économie verte
- La sécurité alimentaire
- Les mesures contra-cycliques : la transition fiscale, la déconnexion des budgets des fluctuations internationales, affectation des capitaux à des fins contra-cycliques,
- Les montées en gamme de produits dans les chaines de valeur internationale
- Un rôle accru de la Gouvernance régionale.
Bibliographie
- Afrique contemporaine Comment l’Afrique sub-saharienne s’adapte-t-elle à la crise ? N° 232 4-2009 (articles de Pierre Jacquemot, Phillipe Hugon, Marc Raffinot).
- BAD (2009) Rapport sur l’impact de la crise sur l’économie africaine, Tunis, Avril
- BAD (2009), Les perspectives économiques de l’Afrique, Juillet
- Banque mondiale (2008), Les perspectives pour l’économie mondiale, Washington, déc.
- H. Ben Hammouda, M Sadni-Jallab, H Bahir (2009) La crise va-t-elle emporter le sud ? L’effet d’esquive de la crise, à paraître ; Ellipses
- H. Bourguinat, E Briyis (2009), L’arrogance de la finance aux sources du krach : errements des marches, myopie de la théorie et carences de la régulation, Paris Ed. La découverte
- FMI (2009), Perspectives de l’économie mondiale, avril, Washington
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- Ph Hugon, Charles Albert Michalet (eds), Les nouvelles régulations de l’économie mondiale, Paris, Karthala, 2007
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- Ph Hugon, P Salama (eds), Les Suds dans la crise, Paris A Collin, Tiers Monde, 2010
- Nosakwe, P. (2009) « L’Afrique sub-saharienne et la crise financière mondiale », note EPCDM, Vol 7, N10, Déc. 2008 – Janv. 2009
- OFCE (2008), Retour de flamme. Perspectives 2008 – 2009, rapport, Paris
* Philippe Hugon est économiste, expert à l'IRIS et professeur à Paris X-Nanterre - Ce texte est une communication présentée au colloqué organisé par la Fondation Gabriel Peri et le Parti de l’indépendance et du travail-Sénégal, organisé à Dakar les les 18 et 19 mai 2010
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