Durban +10 : Les ennemis de la lutte contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance n’ont pas désarmé.
Durban+10 est passé dans une quasi indifférence de la part des médias internationaux. Pas étonnant quand on sait que les Etats qui régulent le monde et avaient voulu vider de tout son contenu, il y a dix, la Conférence contre le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’intolérance associée, continuent de s’enfoncer dans la même logique. Derrière leurs masques de vertu, le racisme, la xénophobie et l’intolérance continuent de les nourrir. «Certains, note Mireille Fanon-Mendès-France, n’hésitent pas à faire revenir à la surface la théorie de la suprématie de la ‘race’ blanche qui seule pourrait sauver l’humanité». Et des interventions comme celle menée par l’Otan en Libye ne se justifient pas autrement.
Dans la semaine du 20 au 24 septembre, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies, se sont tenus deux événements lourds de conséquences pour le monde entier. Le premier concerne le 10e anniversaire de la conférence de Durban sur le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’intolérance associée dont aucun média parlé. Le second, le monde entier l’a écouté, concerne la demande de la Palestine à être reconnu comme de l’État. Mais a-t-il entendu ?
Dans quel monde vivons-nous 10 ans après Durban en 2001 ? Il ne faut pas oublier que, juste deux jours après la fin de la conférence de Durban, le 11 septembre 2001 a plongé le monde face à une violence qui n’a d’égale que celle que porte en lui le système capitaliste. Le réveil fut brutal. Dix ans après, le fait le plus marquant reste la crise systémique qui ne cesse de montrer la faillite du système capitaliste libéral que les Etats se forcent à ne pas admettre. Ces Etats, ainsi que les institutions multilatérales internationales, ne sont pas dupes et savent parfaitement que pour assurer leur survie en l’état, ils doivent user du double langage et du double jeu.
D’un côté, maniant les bons sentiments et les trémolos dans la voix –à tel point que les peuples seraient presque enclins à les croire et à les suivre -, ils dénoncent le racisme, la xénophobie, la discrimination et l’intolérance associée. Pour y répondre « avec plus de détermination, d’humanité et d’efficacité », ils organisent des conférences internationales car ils ont bien « noté que malgré les efforts de la communauté internationale, les principaux objectifs des trois dernières décennies de lutte contre le racisme n’ont toujours pas été atteints ».
D’un autre côté, ces mêmes Etats, tentant de toutes leurs forces de passer pour des parangons de vertu, participent activement à la résurgence d’un racisme qui jusqu’alors avançait masqué, à la réapparition de la xénophobie en votant des lois excluant une partie de leur population sur des bases sociales et religieuses - se trouve ainsi particulièrement visée l’Islam avec un nombre invraisemblable d’erreurs, de méconnaissance et de mensonges sur cette religion - ou de leur origine, au prétexte du droit à la souveraineté compris dans toute son étroitesse et à lutter contre l’invasion des migrants. De plus, ils sont les premiers à faire le lit de l’intolérance en ne supportant pas l’altérité et en accusant l’Autre de tous les maux et de tous leurs errements politiques.
Pourtant, la non-discrimination, avec son corollaire qu’est l’égalité, devrait avoir une place particulière dans les dispositifs des droits humains. De plus, en tant que norme relevant du « jus cogens », elle ne peut, de ce fait, souffrir aucune dérogation. Cela engage les Etats à la respecter, la protéger et lui donner effet dans des mesures législatives, administratives ou juridiques.
Signalons que ce sont ces mêmes Etats qui ont décidé de boycotter le processus de la conférence de Durban+10 (Allemagne, Australie, Autriche, Bulgarie, Canada, Etats-Unis, France, Grande Bretagne, Israël, Italie, Nouvelle Zélande, Pays Bas, République tchèque). Certains n’hésitent pas à faire revenir à la surface la théorie de la suprématie de la ‘race’ blanche qui seule pourrait sauver l’humanité car elle a ‘fourni’ au monde un cadre de pensée ‘jamais égalé’.
C’est au nom de cette pensée hégémonique que la Libye a été envahie par les forces de l’OTAN, dans une totale illégalité sur le plan du droit international, que Khadafi est pourchassé par ces mêmes forces comme un bandit alors que les valeurs de la démocratie demanderait qu’il soit jugé selon les règles d’un procès juste et équitable ; ce qui ne s’est fait ni pour Saddam Hussein ni pour Ben Laden.
L’OTAN, qui a démontré ce que valent les résolutions de l’ONU, inaugure le nouveau rôle de « chevalier blanc » de la guerre mondiale pour l’or noir. Le message est d’une limpidité impitoyable : les amitiés de l’Occident ne durent que le temps de leurs intérêts. Le Guide de la Jamahiriya, habitué à ce que ses clients endurent ses foucades, doit en méditer l’amère leçon. Le pétrole qui a construit son régime inepte est précisément ce qui a précipité sa chute.
L’histoire montrera si la guerre humanitaire pour les hydrocarbures peut déboucher sur un régime viable et efficace pour le malheureux peuple libyen. Et si les dépenses assumées par les Occidentaux dans leur guerre contre Kadhafi seront compensées par les nouveaux dirigeants qui sont effectivement débiteurs. L’évolution de la situation en Libye montre que l’autocratie est devenue, derrière un discours révolutionnaire creux, une menace grave pour la souveraineté du pays et pour son unité. Même s’il ne faut pas taire les visées occidentales, il ne faut pas non plus occulter la responsabilité de ceux qui ont dirigé et dirigent encore la Libye. Sans le système Kadhafi, dont le caractère brutal et humiliant pour les Libyens n’a rien d’une propagande, il n’y aurait pas eu de prétexte à une intrusion militaire occidentale. Ce cas doit être lu comme une riposte du centre – qui réagit pour canaliser le mouvement et lui enlever toute dimension révolutionnaire - contre le printemps arabe et non un soutien, même si les Français et les Anglais ont justifié leur intervention sous le prétexte de la « responsabilité de protéger » adoptée contre les principes de la Charte de l’ONU –cette résolution déconstruit la norme fondamentale qu’est le droit à l’autodétermination.
On est dans la problématique fanonienne, des ébauches de mouvements issus de la société qui bousculent un ordre politique néocolonial.... et le centre qui réagit pour canaliser le mouvement afin de lui enlever toute dimension révolutionnaire. Les soulèvements populaires dans le monde arabe, appelés d’une manière générique « révolutions arabes » ou « printemps arabe », ont surpris l’Occident convaincu que la soumission des masses et leur soi-disant fatalisme était la garantie de la pérennité des régimes policiers. Cette surprise et cette incompréhension se sont clairement exprimées lors des différentes interventions des officiels occidentaux. L’exemple le plus éloquent étant celui de l’ancienne ministre des Affaires étrangères française, Mme Alliot-Marie, qui proposait au gouvernement tunisien l’envoi de gendarmes pour l’aider à maintenir l’ordre. Les insurrections populaires ont fait tomber des régimes qui, derrière des chefs différents, ont profondément affaibli la résistance populaire face aux visées expansionnistes et hégémoniques de l’impérialisme. L’évolution de ces pouvoirs antipopulaires, corrompus et brutaux a été parfaitement pressentie et décrite par Fanon dans les « Damnés de la terre [1] ».
Les composantes les plus réactionnaires des nouvelles bourgeoisies, en s’emparant du pouvoir, se sont employées à vider les indépendances de leur contenu politique, à orienter et à écraser toutes les revendications de droit, de justice et de développement. Dans le même temps, le droit à l’autodétermination –principe fondateur de la Charte des Nations Unies - est refusé à la Palestine qui le revendique, depuis 63 ans. La Cour internationale de Justice a précisé [2] à propos du Kosovo que sa déclaration unilatérale d’indépendance ne violait pas le droit international, ce qui devrait conforter la position des peuples revendiquant le droit à disposer d’eux-mêmes. Refuser à la Palestine son droit à l’autodétermination revient, ni plus ni moins, à faire preuve de discrimination à l’égard du peuple palestinien. Aucun argument de refus ne peut se justifier devant cette demande présentée, comme par hasard, le lendemain de l’anniversaire de Durban + 10.
Rappelons juste que c’est en partie sur la Palestine que certains, en 2001, ont justifié leur départ et ne cessent depuis de réclamer et d’oeuvrer pour l’abandon définitif du processus de Durban. L’autre point étant la question des réparations suite à l’esclavage et à la traite négrière. La Charte des Nations Unies comporte en elle le principe d’égalité et de non-discrimination entre les peuples, conforté par l’article 1 des deux Pactes internationaux [3] portant, l’un, sur les droits civils et politiques, l’autre, sur les droits économiques, sociaux et culturels, auxquels devraient être ajoutés les droits environnementaux.
Les Etats sont dans l’obligation [4] de respecter les principes de la Charte des Nations Unies car ils établissent la loi internationale. En utilisant le droit de veto –dans ce cas précis où la Palestine subit de la puissance occupante « l’usage de la force » et la « menace de l’usage de la force » alors que cela est interdit dans les relations internationales au regard de l’article 2§4 de la Charte -, les Etats violent leurs obligations à l’égard des principes de la Charte et de la Palestine qui revendique son droit à l’autodétermination.
Devant cette incurie du Conseil de Sécurité qui ne répond pas à son obligation de garantir à l’ensemble des peuples la paix et la sécurité internationales, l’Assemblée générale de l’ONU se doit de pallier cet état de fait et d’admettre la Palestine en tant qu’Etat au regard de la Résolution 377, plus communément appelée « United for Peace ». Le fera-t-elle ? Reprendra-t-elle à son compte les éléments de la Déclaration et le Programme d’action de Durban 2001 qui réaffirme « le principe d’égalité de droits et de l’autodétermination des peuples… » ?
Le rapport de forces ne semble, pour l’heure, pas s’inscrire dans une indépendance de pensée ; il faut aussi déplorer que des peuples, qui ont subi la colonisation et ses nombreux méfaits, aient la mémoire si courte sur la lutte qu’ils ont menée pour gagner leur droit à l’autodétermination en refusant de reconnaître ce droit à la Palestine. La colonisation a pris des formes plus subtiles mais elle est toujours là. Une question se pose : les Palestiniens devaient-ils faire appel à l’ONU ? Rappelons juste ce que Fanon disait à propos de l’assassinat de Lumumba qui avait sollicité l’intervention de l’ONU : « L’ONU n’a jamais été capable de régler valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’homme par le colonialisme et chaque fois qu’elle est intervenue, c’était pour venir concrètement au secours de la puissance colonialiste du pays oppresseur ».
Mais en l’état des rapports de force, les Palestiniens ont-ils d’autre choix face aux Occidentaux qui, entretenant la fable d’Israël « seule démocratie au Proche-Orient », craignent comme la peste une démocratisation des pays arabes et connaissent parfaitement, entre autres, le sentiment de l’écrasante majorité des Egyptiens à l’égard de l’état d’Israël et de la politique américaine dans la région ?
Une démocratisation contraindrait les responsables de ce pays à tenir compte de ce sentiment majoritaire et à cesser de complaire aux Américains et à l’Etat d’Israël. On en a eu un exemple peu glorieux après les élections palestiniennes. On peut imaginer leurs réactions si un grand pays comme l’Egypte basculait dans la démocratie et bousculait de ce fait l’ordre oppressif que l’empire impose dans la région. Deux événements dont on aurait pu attendre des changements. Il n’en sera rien. Le vieux monde se meurt avec une lenteur impitoyable pour les peuples opprimés. Si les sociétés arabes ne parviennent pas à imposer elles-mêmes un vrai changement de systèmes, le rapport de domination entretenu par le centre sera reproduit avec quelques aménagements… Et quand elle le pourra, ce sera l’Otan qui décidera du futur de ces pays.
Devant l’ampleur des enjeux stratégiques, il reste à ceux qui détiennent encore les commandes dans nos pays de comprendre que la menace est pressante. Et que seules les nations formées de citoyens libres peuvent se défendre, d’abord en ôtant toute substance à la propagande d’un Otan « libérateur », ensuite par le droit et l’effectivité des libertés.
La marche des peuples arabes vers la modernité politique est un mouvement naturel de l’histoire dont la portée reste encore à évaluer. Mais émancipation, Etat de droit et libertés, pour essentiels qu’ils soient, ne constituent pas le seul agenda des peuples qui se dressent contre la tyrannie. Ce que nul ne conteste dans le continuum arabe est que ce mouvement est également porté par une revendication puissante de justice pour un peuple spolié par le dernier Etat colonial de la planète. Le printemps arabe n’a de sens que parce qu’il intègre le grand hiver palestinien. Le reste n’est que – mauvaise - littérature.
* Mireille Fanon Mendès-France est présidente de la Fondation Frantz Fanon,
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NOTE
[1] Les Damnés de la terre, chapitre 3, Frantz Fanon, Ed. François Maspéro. Paris. 1961
[2] avis du 22 juillet 2010, rôle général n° 141
[3] 1966
[4] Article 24.2, Charte des Nations Unies