Géopolitique de la francophonie: entre diversité et suicide culturel

L’idéal francophone c’est une sorte de “soft power” efficace pour pérenniser la domination.? Derrière une apparente unité et le discours sur les “idéaux en partage” se cache une réalité complexe et des différences marquées quant au degré d’implication et d’engagement des divers pays qui s’en réclament. ?

Pourquoi donc la Francophonie, ou la France pour être plus précis, malgré la rhétorique de la rupture, a t-elle choisi, pour tenir son quatorzième sommet un pays aussi manifestement anti-démocratique que le Congo, ravagé par la guerre et miné par l’instabilité politique et la ruée désordonnée vers des richesses presque féeriques? Cela, contre vents et marées et malgré les véhémentes protestations de l’opposition congolaise. La raison nous semble évidente : il s’agit avant tout d’affirmer et de cimenter l’influence de la France dans ce géant africain aux pieds d’argile face aux appétits chinois, américains et rwandais dans une moindre mesure.

L’idéal francophone c’est bien une sorte de “soft power”, mais combien efficace pour pérenniser la domination.
 Mieux encore et c’est cela l’essence de notre propos, la francophonie, derrière une apparente unité et le discours sur les “idéaux en partage”, cache une réalité complexe et des différences marquées quant au degré d’implication et d’engagement des divers pays qui s’en réclament. 


Si nous laissons de côté des pays tels que la France, la Belgique, le Canada, la Suisse ou le Luxembourg dont l’appartenance à la francophonie n’est que trop naturelle, le rôle de la langue française dans les pays membres de cette organisation est loin d’être uniforme.

Sur les trois seuls Etats asiatiques membres de la francophonie (Cambodge, Laos et Vietnam), par exemple, aucun d’entre eux n’a le français comme langue officielle et tous les trois ont leur propre monnaie.
 Les langues officielles de ces derniers pays sont respectivement le khmer, le lao et le vietnamien.

Parmi les 56 Etats membres de la Francophonie, aucun Etat arabophone (Maroc, Mauritanie, Egypte, Liban, Tunisie) n’a le français comme langue officielle, ceci malgré le taux de locuteurs du français supérieur aux autres pays africains. La Tunisie par exemple d’après les chiffres mêmes de l’organisation (www.francophonie.org) comptait, en 2010, quelque 6 millions 639 000 locuteurs du français sur une population de 10 374 000 habitants. Soit un taux de 63% contre, par exemple, 18% seulement de locuteurs au Niger et 24% au Sénégal ! 
Et pourtant dans ces deux derniers pays le français est la seule langue officielle à l’exclusion de toutes les langues nationales africaines ! Andorre compte de même 70% de locuteurs du français mais sa langue officielle est naturellement le catalan !

A l’opposé, pratiquement tous les pays d’Afrique noire qui forment le gros du contingent de la francophonie (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Guinée, Guinée équatoriale, Cameroun, Côte d’Ivoire, Djibouti, etc.) à l’exception notoire du Rwanda qui a éliminé le francais comme langue officielle après le génocide ont le français comme langue officielle. 
Mis à part le Burundi avec deux langues officielles (kirundi et français), la Centrafrique (sango, francais), la Guinée Bissau avec le portugais, Comores (arabe, français) tous les autres pays noirs africains ont exclusivement le français comme langue nationale et le Franc Cfa comme monnaie nationale !

Le comble du paradoxe c’est que lorsqu’on regarde de près le nombre de locuteurs du français dans ces pays on se rend compte qu’ils sont toujours une très petite minorité : Niger (18%), Burkina Faso (19%), Sénégal (24%), Côte d’Ivoire (34%)… Encore que ces pourcentages semblent loin de la réalité, car sont souvent considérés comme locuteurs des personnes dont la compétence en français ne va certainement pas au delà d’une conversation courante.

Il y a aussi une corrélation manifeste entre usage exclusif du français et du franc Cfa comme monnaie nationale : tous les pays dont le français et la seule langue officielle ont le franc Cfa comme monnaie nationale, tandis que les autres ont leur propre monnaie.
Il s’y ajoute qu’à l’exception du Gabon et du Congo (pays pétroliers) tous les pays d’Afrique noire francophone ont, d’après les chiffres du Pnud, un faible indice de développement humain et une durée moyenne de scolarisation très basse. En 2011 le Sénégal par exemple était classé 155e sur 187 pays pour son indice de développement humain, la République démocratique du Congo était dernière de la liste, le Niger avant-dernier, le Burkina 181e, etc. (cf. http://hdr.undp.org/)

C’est à la lumière de ces faits qu’il faut faire une évaluation de la Francophonie pour en changer l’orientation en élevant enfin dans ces pays, après un demi-siècle d’indépendance les langues nationales à la dignité de langues officielles, au moins à côté du français. Il est vrai qu’il s’agit là aussi d’une décision souveraine que la France ne peut mais n’a certainement pas non plus intérêt à prendre pour les pays africains francophones! Le développement ne s’octroie pas et l’histoire n’offre point d’exemple d’un développement qui se soit fait sur la base d’un paradigme culturel importé.

Aussi déprimant que cela puisse être, le constat de Cheikh Anta Diop à l’aube des “indépendances” est encore malheureusement toujours à l’ordre du jour : 
“C’est, disait-il, par goût de facilité, par paresse, manque de volonté, manque de décision, par goût morbide de l’asservissement intellectuel et moral que nous cherchons á nous satisfaire des langues européennes et non pas par un calcul pratique”.

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** Tamsir Anne ( [email][email protected])

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