Guinée : Un coup d’Etat à double face

De la centaine de coups d’Etats militaires que l’Afrique a connus depuis 1960, deux sont jusqu’ici apparus comme des… coups de pouce à la démocratie. Le premier avait amené Amadou Toumani Touré au pouvoir, au Mali, en 1991. Le second a eu pour théâtre la Mauritanie, en 2005, avec une junte conduite par le Colonel Ely Ould Mohamed Vall. A Bamako comme à Nouakchott, l’ordre militaire fut une transition salutaire. Ce que les armes avaient confisqué, les urnes avaient été commises pour le remettre en les mains que le peuple avait désignées en toute souveraineté. Aujourd’hui, l’Afrique de l’Ouest fait de nouveau face à deux autres régimes militaires... aux perspectives démocratiques incertaines. Surtout en Guinée, ainsi qu’on peut le noter dans les nombreux commentaires de la presse.

Depuis le 6 août 2008, la Mauritanie a rebasculé sous l’ordre kaki. Le 23 décembre 2008, un capitaine de l’armée guinéenne a profité des cafouillages et incertitudes créés par la mort du président Lansana Conté, pour signer un coup de force. Les condamnations internationales et les sanctions ont fusé contre les putschistes de Nouakchott, comme elles planent sur ceux de Conakry. Sauf que le contexte du putsch en Guinée suscite des points de vue divergents, là où les condamnations sont souvent unanimes. Les commentaires et propos rapportés dans la presse africaine en attestent.

Dans une contribution reprise dans différents sites et journaux, le poète sénégalais Amadou Lamine Sall, Lauréat des Grands Prix de l’Académie française, défend qu’il ne saurait y avoir de «bon coup d’Etat», même nourris par les espoirs de transition démocratique pour mettre fin à des dictatures qui s’éternisent. Pour lui, «promettre des élections libres et démocratiques ne fait plus recette. Cela fait rire. Il faut continuer à être exigeant, sans concessions. Que peut-on négocier avec des putschistes sinon leur indiquer la porte de sortie ? C'est fini les sempiternelles libations du genre « si on les prive d'aide financière, c'est le peuple qui en pâtira le plus ».

«Combien d'années donc le pauvre peuple en pâtit avec l'aide financière en place ? Ce n'est plus là le débat. Le débat est qu'il est enfin temps, au 21ème siècle, que l'ONU s'outille, matériellement et juridiquement, pour que « l'ingérence internationale » soit un droit au service des peuples opprimés. C'est cela aussi les droits de l'homme, les droits à la vie tout court, à l'exercice d'un peuple à sauvegarder sa dignité, à conférer librement par les urnes le droit démocratique d'être bien gouverné pour manger, s'éduquer, travailler, jouir d'une justice indépendante et égalitaire.»

«(…) Nous ne pouvons plus être du côté des coups d'Etat militaires ou des coups d'Etat constitutionnels. Ceux qui tentent de les justifier ont tort. L'histoire les rattrape toujours quelque part, un jour, dans leur conscience.»

Il n’empêche que la confiscation illégale du pouvoir, sous le couvert d’un devoir de «redressement national» après un quart de siècle de pouvoir despotique, corrompu et destructeur, sous Lansana Conté, est considérée, ici ou là, comme la bienvenue.

Le quotidien ivoirien « Fraternité matin » rapporte ainsi le propos approbateurs du musicien Tiken Jah Fakoly. D’habitude critique dans ses chansons et ses prises de position contre les pouvoirs antidémocratiques, ce dernier déclare : «C'est un coup d'Etat salutaire, parce que les héritiers de Lansana Conté allaient faire du Conté sans Conté et le pays n'allait pas avancer. La Mauritanie et la Guinée, ce n'est pas la même chose. En Mauritanie, c'est un président qui a été élu démocratiquement qui a été renversé. En Guinée, il y avait un vide, et il ne fallait pas laisser les corrompus prendre le pouvoir. J'avoue que le discours de la junte me plaît. Ces jeunes parlent de rendre le pouvoir, de lutte contre la corruption. C'est un très bon début», a-t-il déclaré.
http://fr.allafrica.com/stories/200901020343.html

Si le coup d’Etat conduit par Moussa Dadis Camara est accueilli avec bienveillance dans certains milieux, c’est parce qu’il est perçu comme un moindre mal devant des lendemains incertains. Certains parlent même, avec le putsch du 23 décembre 2008, d’un scénario qui se dessinait devant la fragilité de l’ordre institutionnel laissé par Lansana Conté. Le quotidien burkinabé «L’Observateur Paalga» peut alors écrire :

«En fait, excepté l’extrême rapidité de l’exécution, cette intrusion de la grande muette sur un échiquier politique qu’elle n’a jamais quitté depuis un quart de siècle est une demi-surprise. Théoriquement, tout était, on le sait, réglé : en cas de vacance du pouvoir, le président de l’Assemblée nationale assurerait l’intérim et organiserait une présidentielle dans un délai n’excédant pas 60 jours. Ça, c’était sur le papier. Mais dans nos démocraties bananières, où les premiers magistrats sont souvent les premiers à violer la constitution, peut-on s’étonner de ce qu’elle ne soit pas sacrée et que les autres aussi puissent la fouler aux pieds impunément ? »

« Il suffisait d’ailleurs de voir les trois personnalités principales de l’interrègne annoncer ensemble le décès, comme si elles se marquaient à la culotte, pour se rendre compte que la solution constitutionnelle, quoique la plus souhaitable, n’était pas la plus évidente : côte à côte en effet, Aboubacar Somparé, président de l’Assemblée nationale, et, à ce titre, dauphin constitutionnel ; Ahmed Tidiane Souaré, Premier ministre, qui tient l’Exécutif ; et le troisième larron, le général Diarra Camara, chef d’état-major général des armées ; chacun, croyant in petto son heure venue, tenait à marquer sa présence et son territoire, de sorte que c’était peut-être à qui ferait le premier le croche-pied aux autres. »

« Autant dire que le jeune capitaine, qui était jusque-là le chef de la section carburant à l’Intendance militaire, vient de les mettre tous d’accord».

Il n’empêche que dans un commentaire paru dans un autre quotidien sénégalais, «Wal Fadjri», on parle de signes annonciateurs d’une « chasse aux sorcières ».

L’auteur note : « Avec les menaces qui planent sur la tête de ceux qui étaient, hier, au pouvoir et traités par le capitaine Dadis Camara de « corrompus », nul doute que les signes d'un régime de terreur sont là. A cela s'ajoute la révolution faite au niveau du commandement territorial où tous les leviers sont, aujourd'hui, détenus par des gradés de l'armée. Une manière pour le Cndd de permettre à tous de prendre part au partage du gâteau mais, aussi, de sécuriser son pouvoir. Autrement dit, excepté le poste de Premier ministre attribué à un civil technocrate, comme pour leurrer la communauté internationale, tout le pouvoir est, actuellement, du ressort de l'armée.»

La conclusion peut revenir à ce commentaire prémonitoire de l’International Crisis Group. Gareth Evans et Mike McGovern écrivaient, le 22 mars 2006, alors que la grave maladie de Lansana Conté laissait entrevoir des lendemains politiques difficiles :

« Les Guinéens méritent une succession légale et démocratique. Certains Guinéens, aussi bien des militaires que des figures politiques qui doutent de leurs chances dans une compétition réellement démocratique, aimeraient se voir offrir le pouvoir sur un plateau. Aucun de ces groupes ne parle au nom de la masse des Guinéens. Ceux-ci ont montré dans les dernières semaines (Ndlr : avec les grèves générales et les émeutes contre la vie chère) leur volonté de prendre des risques pour pouvoir contrôler leur propre destinée.»
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