Liberia : La peur de la vérité sur les horreurs de la guerre
La Commission Vérité et Réconciliation au Libéria (TRC) a commencé ses travaux depuis janvier 2008. Composée de neuf membres dont la plupart sont des avocats, la TRC a pour mission d’écouter les témoignages sur les atrocités commises pendant les années de guerre, puis de trouver un terrain d’entente entre les victimes et les auteurs de ces atrocités. Au cas où la victime refuse le compromis, l’affaire est transférée à la justice. Pour les cas de viols et de massacres, les auteurs seront immédiatement poursuivis. Pour cela, la TRC a le plein pouvoir d’inculper les auteurs de crimes impardonnables. C’est donc l’exemple de l’Afrique du sud qui a été suivi au Libéria. Mais contrairement aux Sud-Africains, les Libériens doutent de la réussite de cette mission. Ils pensent que la TRC est entrain de diviser encore plus le pays.
Dès le début des audiences publiques de TRC, le doute a commencé à s’installer au sein de la population. Avec les premiers témoignages, des familles de victimes ont commencé à mettre des visages sur les bourreaux de leurs proches tués pendant la guerre. Ce qui a été source de haine et de colère. Sans compter les scènes insoutenables. Dorithee Myers s’est effondrée, en larmes, au troisième jour des audiences publiques, quand un redoutable ancien combattant a raconté comment il a égorgé une fillette de 8 ans et utilisé son sang pour des sacrifices rituels qui le rendaient puissant au combat.
Aujourd’hui, la jeune dame de 32 ans regrette d’être allée ce jour assister aux audiences. « Je n’aurais pas dû y aller. Mais quand je me suis levée ce matin, quelque chose me poussait vers l’Executive Pavillion (où se déroulent les audiences). Je suis allée parce que c’est Butt Naked (le redoutable ex-combattant en question) qui devait parler. Comme vous le savez, il est devenu évangéliste après la guerre. Il prêche dans la rue et j’étais parmi les gens qui aimaient l’écouter. Mais c’est de ma fille qu’il a parlée dans son témoignage. J’avoue que je ne m’en suis pas encore remise depuis. J’aurais préféré ne pas entendre ce qu’il a dit. Je ne peux pas lui pardonner ça et je ne veux pas non plus le poursuivre. Les révélations à la TRC pour moi, sont nuisibles à la réconciliation», déclare-t-elle.
Dans la famille de l’ancien président Samuel Doe, assassiné en 1990, on nie également toute raison d’être à la TRC. « A quoi cela sert-t-il de revenir sur les circonstances qui ont entouré la mort de mon frère ? », s’interroge Jackson Doe, frère aîné de Samuel, qui refuse de comparaître devant la Commission. « Un chef d’état qu’on tue dans la rue comme une souris et on me demande d’aller parler de ça… Nous nous sommes déjà réconciliés avec celui qui l’a tué. Alors qu’on ne me demande pas d’aller revenir sur ça. Nous avons assez souffert de la mort de notre frère. Que la TRC n’en rajoute pas. Ce sont des choses qui ne vont pas dans le sens de la réconciliation»,lâche-t-il.
Dans les rangs des ex-combattants, on dénonce aussi une TRC qu’on juge engagée dans une chasse aux sorcières. Tous les anciens chefs de factions sont unanimes sur ce point. A leur tête, Prince Johnson, accusé d’avoir assassiné Samuel Doe. Au cours d’une conférence de presse qu’il a organisée, il s’est dit en possession d’un document secret dans lequel la TRC l’inculpe pour avoir tué l’ancien président, mais aussi pour avoir commis un massacre à Bong Mines, une localité au centre du pays qui était sous son contrôle pendant la guerre civile.
« Il n’y a eu aucun massacre à Bong Mines quand j’y étais, s’est-il défendu. Dans le document que j’ai, il y a au moins 200 anciens chefs de guerre et chefs de factions qui sont inculpés pour crime de guerre. Je me suis entretenu avec tous les autres anciens chefs de factions. C’est vrai que nous voulons la paix dans ce pays mais si on essaie d’arrêter une seule personne parmi nous il y aura des problèmes. Nous, anciens chefs de guerre, nous révolutionnaires, nous voulons la paix. Mais que personne ne mène une chasse aux sorcières contre nous. Toute personne qui tentera de m’arrêter va se heurter à une résistance. Nous ne voulons plus de conflit dans ce pays, mais qu’on nous laisse tranquille. Au peuple libérien, je vous demande d’agir maintenant avant qu’il ne soit trop tard. La TRC ne veut pas la paix dans ce pays», a-t-il martelé.
Sékou Damateh Konneh, chef du LURD (Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie), estime également que la TRC cherche à mettre le feu au pays. « C’est dangereux de vouloir nous arrêter. Ces gens oublient vite. Pour chasser Charles Taylor du pouvoir, ils ont eu besoin de nous. Ils nous ont réclamés. Aujourd’hui c’est la chasse aux sorcières contre nous. Non, il faut être prudent », a-t-il averti.
Pourtant le président de la Commission Vérité et réconciliation, Jerome Verdier, reste serein. Pour lui, Prince Johnson ne peut pas effrayer la TRC et « n’a pas le monopole de la violence. Ses menaces ne nous effraient pas. S’il est en possession d’un document confidentiel de la TRC comme il le dit, c’est qu’il a violé la loi. Mais une chose est sûre, c’est qu’au mois de juin nous allons donner la liste de personnes qui seront inculpées».
Ces déclarations des anciens chefs de guerre ont eu pour effet d’accentuer l’appréhension des populations vis-à-vis des activités de la TRC. « Ce qui se passe est de plus en plus inquiétant. La TRC va nous conduire à d’autres problèmes qui peuvent être plus graves que ce qu’on a vécu jusqu’ici. Même les victimes sont maintenant très réticentes de venir témoigner. Elles préfèrent ne pas revenir sur les épreuves qu’elles ont subies parce que la présidente elle-même refuse de comparaître», confie Nathaniel Guedens, un Libérien de 52 ans.
En effet, le président Ellen Johnson Sirleaf n’a pas encore accepté de comparaître devant la TRC. Accusée par un témoin d’avoir pris activement part à la guerre civile, elle a refusé de déferrer à trois convocations de la TRC. Et pourtant, au moment de la mise en place de la Commission, en février 2006, elle avait déclaré qu’« aucun Libérien y compris moi-même, ne doit refuser de comparaître quand la TRC va le lui demander.»
Un autre motif d’inquiétude de la population reste la mésentente qui règne au sein même des membres de la Commission. Deux mois déjà après le début des audiences publiques, les rumeurs de mésentente au sein de la TRC avaient commencé à circuler. En mars 2007, lors d’une session à l’intérieur du pays, deux de ses membres en sont venus aux mains en pleine audience. Le 17 janvier 2009, quatre d’entre eux ont envoyé une lettre au Parlement pour protester contre le premier volume du rapport final remis aux parlementaires deux jours auparavant, par son président Jerome Verdier, au nom de toute la commission. « Nous n’avons aucune connaissance du rapport qui vous a été remis. Il vous a été secrètement remis et nous vous demandons de ne pas l’accepter», dénoncent les dissidents.
La TRC au Liberia va vers l’expiration de son mandat (1), mais elle est loin de connaître la même réussite que celle mise en place en Afrique du Sud, au lendemain de l’arrivée de l’ANC au pouvoir.
NOTES
1 - La Commission a été créée pour deux ans, avec trois mois supplémentaires à la fin de son mandat pour terminer ses activités et écrire le rapport final. Si besoin est, la Commission pourrait demander à l’Assemblée Nationale d’étendre son mandat pour trois mois. Cette demande nécessite d’être invoquée pour une bonne raison et ne saurait être répétée plus de quatre fois de suite. Si la Commission utilise toutes ses possibilités d’extension, elle devrait être dissoute en septembre 2009 au plus tard (http://www.trial-ch.org/fr)
* Zoom Dosso est le correspondant de Radio France International au Liberia
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