Le protocole des droits de la femme de l’Union africaine a 5 ans : regard en arrière et regard en avant
En cinq les acquis du Protocole de Maputo sont importants. Mais pour un texte qui a connu l’exploit d’être ratifié par 29 Etats membres de l’Union Africaine et d’entrer en vigueur en l’espace de cinq ans, les normes d’application laissent à désirer. Pour Mary Wanda, au moment de célébrer les cinq ans d’entrée en vigueur du Protocole, et profitant du lancement de la Décennie de la femme par l’Union africaine (2010-2020), «il est indispensable que les efforts jusqu’alors dédiés à la ratification se concentrent maintenant sur la promotion de l’application et de l’évaluation».
Le 25 novembre 2010, le Protocole de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples et pour les droits des femmes en Afrique a vu passer les cinq ans de son entrée en vigueur. A ce jour, la moitié des pays africains (29) l’ont ratifié. Célébrer ce 25 novembre est d’autant plus important qu’il marque le début des 16 jours de militantisme contre la violence à l’encontre des femmes. Le Protocole englobe la totalité des droits civils, politiques, économiques, culturels et sociaux, le droit au développement et à la paix et les droits sexuels et reproductifs. Il fournit un cadre légal pour aborder les questions d’inégalité des genres et les aspects qui sous-tendent la pérennisation de la subordination des femmes.
Pour la première fois, le droit international s’est montré explicitement favorable au droit des femmes pour un avortement sans danger lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste, ou si la poursuite de la grossesse met en danger la santé ou la vie de la mère. Par ailleurs, le Protocole demande des mesures légales contre la mutilation génitale, ce qui constitue une autre grande première. Il énonce des mesures de protection pour les droits des veuves, des filles, des femmes vivant avec le Vih/sida, les femmes âgées, les femmes invalides, réfugiées, déplacées, marginalisées ou pauvres, les femmes en détention ou enceintes ou allaitantes.
Cet article examine l’impact du Protocole sur les droits des femmes et la genèse d’un mouvement en Afrique, ainsi que les défis qui ont fait obstacle à la pleine jouissance par les femmes africaines des droits contenus dans le Protocole. Les stratégies pour garantir la réalisation future se trouveront dans la conclusion.
RETROSPECTIVEMENT
Le développement du Protocole pour les droits des femmes en Afrique trouve son origine dans la Conférence mondiale des droits humains qui s’est déroulée à Vienne, en Autriche, en 1993. Elle soulignait que’’ les droits humains de la femme et de l’enfant fille sont inaliénables et font partie intégrante et indivisible des droits humains universels.’’ D’où la naissance du slogan : ‘’les droits de la femmes sont des droits humains.’’
Prenant conscience que la Charte africaine pour les droits humains et des peuples, adoptée par l’OUA en 1981, n’abordait pas les droits humains des femmes de façon adéquate, les chefs d’Etat et de gouvernements, de ce qui était alors l’Organisation de l’Union africaine, ont mandaté, en juin 1985, ACHPR afin qu’elle élabore un protocole sur le droit des femmes en Afrique. La Commission africaine a publié un premier projet en 1997, qui a été discuté et amendé par les Etats et la société civile pendant sept ans, avant que d’être adopté en 2003
Il n’a fallu que 18 mois pour que le protocole entre en vigueur ce qui en fait l’instrument des droits de l’homme qui a mis le moins de temps dans l’histoire de l’OUA/Union africaine pour un tel processus, grâce aux efforts acharnés d’un groupement de la société civile, Solidarity for African Women’s Rights Coalition (SOAWR) qui travaillait en étroite collaboration avec les Etats membre de l’Union africaine et l’African Union Women Gender and development Directorate.
QUELLE DIFFERENCE LE PROTOCOLE A-T-IL FAIT AU COURS DES 5 DERNIERES ANNEES ?
Le protocole comble les lacunes relatives aux droits des femmes de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples. La Charte, comme de nombreux autres instruments légaux internationaux, définit des normes en relation avec l’expérience des hommes et en termes de violations discrètes dans la sphère publique, alors que la plupart des violations des droits humains de la femme ont lieu dans la sphère privée. Ses dispositions ne sont pas adéquates pour aborder le droit des femmes. Par exemple, l’article 18 interdit la discrimination seulement dans le cadre familial. Ces omissions sont aggravées du fait que la Charte met l’emphase sur les traditions et les valeurs africaines traditionnelles, sans considérer que de nombreuses pratiques coutumières, comme la mutilation génitale, le mariage forcé, le droit à l’héritage des femmes, peuvent être dommageables ou mettre en péril la vie des femmes.
Le Protocole complète la Charte africaine et les conventions internationales des droits humains en se concentrant sur des actions concrètes et des objectifs pour accorder aux femmes leurs droits. Par ailleurs, il intègre la Convention des Nations Unies pour l’Elimination de toutes les Formes de Discrimination à l’encontre des Femmes (CEDAW) ainsi que la Déclaration de Beijing et la Platform for Action dans le contexte de l’Afrique. Par exemple, il demande explicitement la prohibition de la mutilation génitale. Il demande aussi la fin de toute forme de violence à l’encontre des femmes, y compris des relations sexuelles non désirées ou contraintes, que ce soit dans la sphère privée ou publique, et interdit l’exploitation des femmes dans la publicité ou dans la pornographie. Il a fourni un cadre légal et de défense pour que les femmes africaines puissent revendiquer la promotion et la protection des droits humains.
Le Protocole a fait progresser la jurisprudence dans les droits des femmes. En Zambie, une fille de 13 ans a été violée par un enseignant. Un avocat a porté une plainte civile contre l’enseignant, l’école, le procureur général et le ministère de l’Education pour n’avoir pas protégé la fille pendant qu’elle était à l’école. Au cours du procès, l’avocat a fait référence au Protocole, compte tenu que la Zambie est un Etat partie. Le juge, dans sa décision, mentionne la référence de l’avocat au Protocole et en cite l’article 4 qui dit ’’ que les Etats prendront toutes les mesures nécessaires pour appliquer la loi qui prohibe toute forme de violence à l’encontre des femmes, y compris des relations sexuelles non désirées ou contraintes, que cette violence s’exerce en public ou en privé (Article 2 (2) (a))
De plus, l’issue du procès a été favorable à la fille à qui il a été octroyé des dommages et intérêts. Le juge a ordonné au ministère de l’éducation d’instaurer des directives dans les écoles qui servent à protéger les élèves d’abus sexuels et au procureur d’arrêter et de traduire en justice l’enseignant. Ceci est un jugement de droit commun prononcé par une Cour suprême qui peut servir de précédent dans d’autres pays, lorsqu’on cite des gouvernements qui doivent répondre de leurs actes pour des violations des droits prévus dans le Protocole.
Le Protocole a étendu son emprise dans le domaine des droits de la femme en Afrique jusque dans des territoires qui, jusque-là, était marqué’’ interdits’’, établissant de nouvelles normes qui englobent les droits sexuels, la santé reproductive, la mutilation génitale et la polygamie. La campagne de SOAWR ainsi que les dispositions du Protocole ont fourni un cadre à la collaboration et aux actions conjointes avec la CEDEAO, la SADC et l’EAC, qui ont adopté les déclarations sur l’égalité des genres suite aux efforts des organisations féminines.
La lutte pour l’ébauche, l’adoption et l’entrée en vigueur a culminé par une formidable coalition au niveau régional : le Solidarity African Women’s Rights (SOAWR). SOAWR est un mouvement qui, depuis 2007, a été constamment engagé et qui estimait que les Etats membres de l’Union africaine avait à répondre de la ratification et de l’application du Protocole. La lutte, menée à cet effet, a généré de puissants mouvements féminins au niveau national. Par exemple la Women’s first coalition en Ouganda et le Gender Action Team en Gambie ont renforcé les voix des femmes en exigeant la ratification et l’application du Protocole au niveau national.
Bien que l’égalité des genres et l’autonomisation et la responsabilisation des femmes ne soient pas encore pleinement réalisées en Afrique, avec des mouvements féminins comme SOAWR et des coalitions nationales émergentes, les gouvernements n’auront plus d’échappatoires sur les questions des droits des femmes.
Le Protocole a fourni des normes pour les gouvernements à intégrer dans la planification des politiques nationales de développement, dans le domaine de l’égalité des genres. Le Rwanda est un cas de figure pour avoir appliqué le Protocole dans tous les secteurs gouvernementaux. Et la Gambie a adopté une ‘’Loi des femmes’’ pour appliquer ses engagements concernant les droits des femmes, engagements pris au niveau régional et international, y compris le Protocole.
Le Protocole sert à éduquer au niveau national et local sur la question des droits des femmes. En Gambie, en Tanzanie et au Liberia, les membres du SOAWR ont traduit le Protocole en chants. D’autres membres du SOAWR ont publié des versions simplifiées du Protocole et/ou l’ont traduit dans les langues vernaculaires afin d’en faciliter l’accès aux femmes et au public en général. Un programme radiophonique- Crossroads Drama- a été développé en anglais et en français. Ceci a encouragé les citoyens à exiger l’application des dispositions du Protocole. Par exemple, le Protocole a été d’un grand apport dans la campagne contre les mutilations génitales en Tanzanie.
Malgré les progrès réalisés au cours des cinq dernières années grâce au Protocole, son potentiel libérateur de la femme africaine des entraves de la domination patriarcale reste à atteindre. La Ratification s’est accélérée pour passer de 15 pays en 2005 à 29 pays 2010. Cependant, rares sont les pays qui ont mis en œuvre le Protocole, ainsi que les lois, politiques, institutions et services qui doivent promouvoir, protéger les femmes et faire progresser leurs droits au niveau national.
Les Etats membres de l’Union Africaine ont failli à leur promesse ‘’de signer et ratifier le Protocole de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples et pour les droits des femmes en Afrique d’ici la fin 2004 et de soutenir le lancement de campagnes publiques dont l’objectif est de garantir son entrée en vigueur en 2005 et introduire ainsi l’ère de l’intégration et de l’application du Protocole ainsi que d’autres instruments légaux nationaux, régionaux, internationaux en faveur de l’égalité des genres par les Etats membres.
Par conséquent, la violation des droits des femmes se poursuit sans pause, en raison du manque de volonté politique d’appliquer les engagements pris en faveur des droits des femmes. La volonté politique est requise pour que les lois se traduisent en programmes d’action dotés de ressources permettant d’obtenir des résultats. Les institutions nationales pour le genre continuent de porter le fardeau, aussi bien pour la question de la parité que pour la responsabilisation des femmes avec des ressources minimales. La plupart des institutions nationales souffrent de ressources inadéquates et un grand pourcentage provient de donateurs étrangers.
L’absence de mécanismes nationaux qui garantissent une application large des droits des femmes, ainsi que le manque de surveillance et de responsabilité, reste un défi majeur pour la parité des genres. La plupart des rapports d’évaluation nationaux n’incluent pas d’indicateurs d’égalité des genres en raison de l’absence de données spécifiques, ce qui brouille la responsabilité. Ceci n’est pas le seul fait des Etats, mais cela se produit aussi au niveau régional où l’Union africaine n’a toujours pas élaboré les mécanismes qui permettent de demander des comptes quant à leurs engagements au niveau de l’Union.
LE REGARD EN AVANT.
Nous avons beaucoup appris des heurs et malheurs de ces cinq dernières années. Nous devons maintenant réfléchir à nos stratégies et trouver de nouveaux moyens pour que le Protocole soit appliqué pleinement. Le 5ème anniversaire du Protocole survient juste après le lancement de la Décennie de la femme de l’Union africaine (2010-2020) à Nairobi, où le président du Malawi, Honorable Dr Bingu wa Mutharika et actuel président de l’Union africaine, notait que ‘’de nombreux cadres ont été mis en place, de nombreux engagements ont été pris par le passé, mais les femmes n’ont toujours pas été entièrement émancipées. La Décennie africaine de la femme devrait voir de réelles améliorations dans la vie des femmes et celles-ci devraient être impliquées dans le processus décisionnel’’
Le président du Kenya, qui accueillait le lancement de la décennie, Honorable Mwai Kibaki a renchéri : ‘’La décennie de la femme africaine doit marquer le début de programmes effectifs, centrés et énergiques pour l’autonomisation et la responsabilisation des femmes’’.
Propos encourageants mais qui resteront vides de sens, à moins d’être suivis d’actions au cours de la Décennie de la femme africaine. Il est indispensable que les efforts jusqu’alors dédiés à la ratification se concentrent maintenant sur la promotion de l’application et de l’évaluation. Ceci va requérir l’éducation et la mobilisation des femmes sur le thème des engagements des gouvernements dans le domaine des droits des femmes tel que prévu par le Protocole. Il est nécessaire de générer une lame de fond qui rende impossible l’attitude des dirigeants de continuer à gouverner tout en violant les droits des femmes en toute impunité ; ceci ne doit plus être toléré. Nous devons construire du capital politique en nous appuyant sur le Protocole.
‘’La seule façon de résoudre le problème de la subordination des femmes est de changer la mentalité des gens et de planter dans tous les esprits la nouvelle idée de l’égalité des genres’’ (Quinrong Ma).
Dans nos relations avec les membres de l’Union africaine sur la question de l’application, nous devons exiger la transformation des structures d’application au niveau national. L’inégalité des genres qui déresponsabilise les femmes est transversale et touche à tous les secteurs : santé, économie, emploi, agriculture et sécurité alimentaire, éducation, sécurité et justice. La promotion de la réalisation des droits et de la responsabilisation des femmes est un objectif national en soi, mais également en raison de son importance dans d’autres priorités nationales, y compris la croissance économique et la réduction de la pauvreté.
Nous ne pouvons plus dépendre des institutions préposées à l’égalité des genres et leur laisser toute la responsabilité pour réaliser les engagements ayant trait aux droits des femmes qui affectent tous les secteurs du gouvernement. Ce qui est requis est une approche multisectorielle où chaque secteur du gouvernement doit rendre compte des progrès réalisés dans l’application des dispositions du Protocole, relatives à son mandat. La même approche doit être adoptée par l’Union africaine en ce qui concerne l’application des dispositions dans tous les départements, bureau régionaux et mécanismes comme le Peace and Security Council, le parlement panafricain, etc.
Dans les pays qui ont ratifié le Protocole, nous devons créer des alliances avec les associations d’avocats et de juges afin de promouvoir la reconnaissance du Protocole. Ceci afin de les encourager de se référer au Protocole dans les procédures et les jugements et augmenter les procès publics afin d’enrichir la jurisprudence régionale dans le domaine du droit des femmes. Communiquer à la Commission africaine des droits humains et des peuples et présenter des cas de violations graves et massives à la Cour Africaine des Droits Humains et des Peuples devrait être une priorité pour améliorer l’application. Il est impératif de choisir les cas sur la base de leur valeur de précédents, au niveau régional et international.
La Commission africaine a publié des directives pour les Etats qui doivent rendre compte deux fois par an des progrès réalisés sur le chemin de la réalisation du Protocole au niveau national, selon les termes de l’article 62 de la Charte africaine. Ces directives devraient être largement diffusées en particulier auprès des Etats parties au Protocole. Nous devons aussi identifier les rapports à l’avance et insister pour qu’ils comprennent une section concernant le Protocole. Par ailleurs il est important pour le processus que des partenariats stratégiques soient établis avec le Rapporteur Spécial des droits des femmes de la Commission africaine et des organisations des droits de la femme. Le bureau du Rapporteur Spécial est une ressource que nous devons mieux utiliser.
CONCLUSION
Ces cinq dernières années ont vu un progrès des cadres légaux et du discours en faveur des droits des femmes. Toutefois, ils n’ont pas contribué de façon significative à la situation des femmes en Afrique. Le Protocole nous offre le moyen de transformer la relation de pouvoir inégale entre les hommes et les femmes qui est au cœur de l’inégalité des genres et de l’oppression des femmes. Nous devons nous concentrer sur son application. Nous n’avons pas besoins de davantage de protocoles, politiques et déclarations sur les droits des femmes. Mais nous avons besoin d’un agenda qui exige des dirigeants africains qu’ils soient fidèles à leurs engagements à l’égard du Protocole et d’autres instruments de l’Union africaine. Ceci n’est pas pour le seul profit des femmes mais bénéficiera à tous les citoyens africains, hommes et femmes.
L’inégalité des genres reste insidieux dans toutes les parties du monde et tend à diminuer la productivité, la distribution du travail domestique et l’économie, aggravant l’inégalité de la distribution des ressources. Elle contribue également aux aspects non monétaires de la pauvreté - le manque de sécurité, d’opportunité, de responsabilité ce qui diminue la qualité de vie aussi bien des hommes que des femmes, Alors que les femmes et les filles paient le prix le plus élevé pour ces inégalités, le coût en est partagé par la société entière par les retards accumulés dans le développement et la réduction de la pauvreté (Groupe du développement des questions de genre, Banque Mondiale du rapport ‘’Gender equality et les Millenum development goals (2003).
* Mary Wandia travaille pour le programme Pan Africa d’Oxfam. Elle est co-fondatrice de SOAWR qui défend la réalisation du Protocole de l’Union africaine sur les droits des femmes en Afrique. Elle est membre de l’African Feminist Forum. Contact : [email][email protected]
Elle remercie Anne Mitaru pour sa contribution au présent article
Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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