Une diplomatie économique ne se décrète pas

La diplomatie qui, naguère, visait le rapprochement entre les peuples pour surtout favoriser la coopération et la coexistence pacifique, a fait sa mue en allant chercher, au-delà de ce cadre classique et traditionnel, de nouvelles opportunités d’échanges multiformes. De plus en plus, la plus grande partie du travail au niveau des appareils diplomatiques est consacrée à des thèmes autrefois identifiés comme relevant strictement de la compétence “nationale” ou intérieure.

L’humanisme de Léopold Sédar Senghor a certes ouvert le Sénégal au monde et lui a assuré un éclat diplomatique envié, mais le souci de rester sur une bonne entente avec la velléité paternaliste de la vision du monde occidentaliste avait partiellement plombé les ailes de sa vision propre. La diplomatie Senghor étant contemporaine d’une rivalité Est-ouest, celle-ci était basée sur le jeu des alliances et une présence affirmée partout dans le monde. Cette diplomatie de prestige était assise sur un pilier référentiel solide : la culture, qui a permis au Sénégal de rayonner un peu partout dans le monde. Peut-on dans le contexte de mondialisation que nous vivons continuer à faire la dichotomie entre une diplomatie politique et une diplomatie économique ?
La pensée, l’information, la politique, l’économie, sont devenues globalisées et elles façonnent les politiques économiques, fiscales et monétaires des Etats. Les hommes, les Etats et leurs entreprises sont devenues indépendants, mais pour ne pas être noyé dans le flot d’une compétition dissimulée, il faut s’ouvrir à différents horizons. L’environnement mondial connait dans le domaine politique, économique et social des évolutions significatives qui vont élargir et donner une dynamique et une orientation nouvelle à l’action des Etats sur la scène internationale. Parmi ces changements figurent la disparition de l’opposition Est/ouest due à la fin de la guerre froide et à l’éclatement de l’ex-Urss, l’indépendance de beaucoup de pays d’Afrique et de l’Europe de l’Est qui, avec la croissance exponentielle des organisations internationales et des Ong augmente et diversifie les acteurs de la société civile internationale, l’avènement de la diplomatie des conférences avec les nouvelles préoccupations, telles que la protection de l’environnement, le désarmement, les migrations, etc., la constitution d’ensembles économiques intégrés, régionaux et sous-régionaux, le rôle accru du secteur privé dans tous les pays, le pouvoir croissant des marchés financiers, l’émergence des investissements directs étrangers (Ide) parmi les stimulants les plus efficaces de la croissance économique.

La diplomatie qui, naguère, visait le rapprochement entre les peuples pour surtout favoriser la coopération et la coexistence pacifique, a fait sa mue en allant chercher, au-delà de ce cadre classique et traditionnel, de nouvelles opportunités d’échanges multiformes. De plus en plus, la plus grande partie du travail au niveau des appareils diplomatiques est consacrée à des thèmes autrefois identifiés comme relevant strictement de la compétence “nationale” ou intérieure : santé publique, lutte contre la criminalité, intégration etc. De fait, il est de plus en plus difficile de cloisonner les stratégies nationales à la seule dimension de politique intérieure. De ce fait, les diplomates sont de plus en plus amenés à collaborer avec des experts qui ne sont pas forcément des diplomates comme eux.

L’augmentation du nombre des acteurs et donc des partenaires potentiels, rend la tâche du diplomate plus complexe que jamais. La politique étrangère n`est plus dessinée par les seuls diplomates. L`internationalisation croissante des dossiers renforce également celles des autres ministères. Dans le cadre européen en particulier, les diplomates sont en concurrence réelle avec certains de leurs collègues, de plus en plus nombreux, issus des ministères de l`économie ou de l`agriculture. Certains instituts spécialisés disposent également de moyens et de chercheurs dont l`analyse des dossiers rivalise avec celle des hauts fonctionnaires des Affaires étrangères. Les ministères des Affaires étrangères ne sont plus les seuls à opérer aujourd’hui sur la scène internationale; la nature de leur travail est même plus que jamais interministérielle.

S’il est évident qu’une diplomatie économique ne se décrète pas, .faudrait-t-il retenir qu’à l’ère de la mondialisation, l’utilité des diplomates ne dépend plus (seulement) de la qualité de leurs contacts, voire de leurs compétences linguistiques et de leur présence active sur le terrain. Les nouveaux diplomates ont aussi bien des capacités à parler commerce et économie, à identifier des sources d’investissements, et à vendre les produits et services sénégalais tout aussi bien que nos politiques. Tout gouvernement responsable doit être obnubilé par l’image de son pays sur la scène internationale, car nous sommes dans une époque où quelles que soient la nature et la qualité du produit, sans un marketing efficace, il est dépourvu d’avenir.

En France, deux administrations sont précisément chargées de coordonner et de mettre en œuvre la politique d’accueil et de promotion de la France à l’égard de l’investissement international : la délégation aux investissements internationaux (Dii) du ministère de l’Economie et des Finances et de l’Industrie, et la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) qui relevait à l’époque du ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement. C’est toujours dans le cadre de cette diplomatie économique que le poste d’ambassadeur aux investissements a été créé en 1992 avec la nomination de Jean Daniel Tordjman. Il exerce une mission d’analyse, de prospection, de promotion et de coordination des grands projets d’investissement. En 1998, il avait effectué 120 missions à l’étranger. Il travaille en étroite collaboration avec les ambassadeurs français, les bureaux d’expansion économiques, les bureaux de la Datar, etc. Il en est ainsi parce que lorsque un pays est mal côté sur le plan international, sa vie politique ainsi que sa vitalité économique en pâtissent.

Des pays dont le dynamisme économique, est tout à fait exceptionnel, sont simplement handicapés parce qu’ils souffrent d’une mauvaise image. Au Sénégal, les voyages présidentiels doivent être exploités au maximum et chaque voyage doit être l’occasion d’annoncer des contrats, parfois de les signer en grande pompe en présence des personnalités officielles qui accomplissent ainsi leurs devoirs de parrains. Les lettres et les coups de téléphone donnés pour appuyer une proposition ne doivent plus se compter. Mais il existe des contraintes techniques à lever pour une bonne diplomatie économique, car pour vendre la « destination économique du Sénégal », il faut disposer d’informations à jour.

Les données économiques n’étant pas figées dans le temps, seule la mise en place d’un système performant d’échanges d’information utilisant la technologie nouvelle pourrait apporter aux agents la flexibilité nécessaire. La disponibilité d’un budget significatif est aussi une contrainte à la réalisation des objectifs de la diplomatie économique, car la promotion se fait au moyen de journées, de participation à des foires, de contacts directs avec les prospects, par le biais des Chambres de commerce, ou des associations professionnelles. Et dans la mesure où le développement d’un pays est tributaire de la configuration de l’économie mondiale et de l’adresse de ce pays en matière de calcul des opportunités politico-économiques qu’offre la géopolitique mondiale, le multilatéralisme décomplexé doit être de rigueur.

A cela s’ajoute les contraintes d’ordre culturels et comme le disait l’homme politique et diplomate américain Henry Kissinger, secrétaire d’Etat sous les administrations Richard Nixon puis Gérald Ford, la politique extérieure n’est pas un séminaire de logique abstraite ; négliger les réalités culturelles et psychologiques, c’est construire sur du sable. Ce qui est vrai hors des frontières nationales l’est aussi à l’intérieur. Dans des pays francophones, s’impose plus que jamais, la révision de la formation des diplomates pour y inclure l`accès à une maîtrise parfaite de la langue anglaise devenue un critère indispensable de performance dans les relations extérieures.

Dans un contexte de négociations internationales ou dans le cadre de la prévention et de la gestion des conflits, il est indispensable de pouvoir recourir à des personnes, qui évoluent hors du giron de la diplomatie, mais qui ont la capacité de jeter des ponts entre les cultures. La compétence interculturelle reste un atout majeur dans l’action diplomatique. Si l’on veut défendre les intérêts nationaux de manière efficace et entretenir un réseau de relations fiables, la connaissance de l’échelle des valeurs et de la structure sociale du pays en question est indispensable. Pour négocier avec un Etat étranger, par exemple, il faut savoir comment sa société fonctionne et communique. Des aspects que les diplomates dits professionnels ne sont pas seuls à maîtriser.

C’est connu, il est des cultures dans lesquelles l’utilisation du « non » est inhabituelle. Si on l’ignore, on a peu de chances d’interpréter correctement la réponse de son interlocuteur. Le diplomate doit savoir interpréter les cultures et les mentalités des différents échiquiers et politiques, économiques, ce qui requiert une formation adéquate. Or la formation dispensée actuellement au niveau de l’Ena est en totale déphasage avec les réalités de la nouvelle géo-économie.

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** Pape Sadio Thiam est journaliste (Cabinet Enjeux Communication Stratégies)

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