«Il est urgent de changer les mentalités sur le statut des femmes rurales»

Depuis 2005, le Réseau d’Appui à la Citoyenneté des Femmes Rurales d’Afrique de l’Ouest et du Tchad (RESACIFROAT) s’active. Son objectif, «briser les stéréotypes quant à la capacité des femmes en milieu rural de parler pour eux-mêmes» et les amener à s’affirmer dans l’espace public et à s’investir dans les postes de décisions. A sa tête, Mme Rosalie Ouaba. Pour elle, une mutation décisive dans les sociétés implique des changements dans les rôles et statuts des femmes, en particulier des femmes rurales, là où vivent quelque 80%.

Pambazuka : Qu’est-ce qui est à l’origine de la création de votre réseau ouest-africain des femmes rurales ?

Beaucoup de formations ont été faites pour renforcer les capacités des femmes, en vue de leur permettre de s’investir dans les activités de développement. Aussi bien au niveau de leur communauté qu’au niveau national. Ces initiatives ont aussi conduit à des synergies. C’est ainsi qu’on a eu à mettre sur pied des structures permettant aux femmes rurales d’échanger et de partager leurs expériences, comme l’Union des femmes rurales ouest-africaines, créé en 2000. De là est aussi venue, chemin faisant, l’idée de mettre sur pied un Réseau d’Appui à la Citoyenneté des Femmes Rurales d’Afrique de l’Ouest et du Tchad (RESACIFROAT), fondé en 2005.

L’initiative coïncidait avec la l’instauration de politiques de décentralisation dans les différents pays africains. En profitant de cette évolution, il s’agissait d’aider les femmes rurales à prendre place dans les structures décentralisées, mais aussi dans les cercles de décision au niveau de leur pays. Et progressivement, au niveau de la sous-région ouest-africaine, on voulait aider à l’émergence de structures de femmes assez fortes pour se faire entendre par les politiques au moment des prises de décision sur des questions essentielles pour elles et pour la communauté.

Pambazuka : On sait que le chantier est vaste pour les femmes. Est-ce qu’il y a des domaines prioritaires ?

C’est vrai qu’il y a beaucoup de domaines où les femmes sont en marge de tout. Mais il faut engager les processus par étape, encore que tout tient au statut de la femme dans nos sociétés. Prenons le cas de la gestion des ressources naturelles. Les femmes en sont les premières utilisatrices, mais quand il s’agit de les gérer, on ne prend en compte ni leurs idées ni leurs besoins spécifiques. Cette mise à l’écart, les femmes la vivent en toute conscience de ce qu’il leur en coûte. Elles l’expriment au cours des réunions. C’est pour prendre en charge tous ces questionnements, unir les volontés, chercher des solutions, arriver à une expression commune des idées aux niveaux national et régional, mais aussi se positionner en force de proposition et d’influence sur les politiques et sur les agendas des gouvernants et autres décideurs, que notre réseau est né.

Pambazuka : Y a-t-il des voies pour y parvenir ?

On a vu, en milieu rural, que les femmes ne peuvent s’exprimer dans l’espace publique mixte que quand elles sont en nombre. Il suffit que l’une d’elle prenne la parole au nom des autres, pour que d’autres osent en profitant de cette ouverture. Malheureusement cela ne suffit pas toujours à briser leur silence. Il est encore fréquent de les voir entendre déléguer les hommes pour parler à leur place. L’exercice de prise de parole en leur nom, au nom de leur groupe et au nom de leur communauté est donc devenu une dimension essentielle dans la formation des femmes rurales.

On s’est rendu compte que la transformation commence dans le milieu même des femmes. C’est en commençant à maîtriser les ressorts de l’expression publique au milieu de leurs semblables, que les femmes se donnent les forces et les repères qui les pousseront à monter à la «tribune des hommes», à prendre la parole dans des cercles de décision plus élevés.

Pambazuka : Est-ce que vous avez noté le développement d’un leadership féminin en milieu rural ?

Le mouvement reste à renforcer et à consolider, mais un leadership féminin commence à se développer en milieu rural. Il s’exprime dans les structures décentralisées et les administrations territoriales. Des femmes se positionnent dans les élections. Les exemples sont certes rares, mais l’intention est de plus en plus forte et des prises de décision positives s’opèrent ici ou là. Ces femmes ont besoin d’appui. Nous cherchons à les repérer et à les appuyer en les aidant à former des coalitions autour d’elles.

La démarche consiste à mobiliser les associations de femmes évoluant dans leur entourage pour les impliquer dans une cause commune. Une telle force aide à franchir le pas pour aller vers une candidature, pour battre campagne et peut-être pour acquérir des postes de décision. Le cas échéant, on continue à soutenir ces élues. Car il faut les former à la gestion de leurs nouvelles responsabilités en tant que forces de propositions et de changements, pour faire avancer la société à travers la prise en compte de tous les enjeux liés à l’affirmation des femmes.

Pambazuka : Ne pensez-vous pas que cette évolution pourrait être freinée par la faiblesse du pouvoir économique des femmes ?

Le processus d’implication, de responsabilisation et d’accès à des postes de décision a longtemps été lié au pouvoir économique. Il est parfois nécessaire, mais pas toujours indispensable. On se rend bien sûr compte que le statut de la femme, aussi bien dans son environnement familial que dans la communauté, change en fonction de son pouvoir économique, de sa capacité à contribuer à la gestion financière du ménage, voire à sa prise en charge. Mais ces moyens prennent souvent du temps à se mettre en place. Quand ils existent, on voit également que le changement des mentalités pour aller vers plus de responsabilités se heurte encore à des pesanteurs liées à la société et aux femmes elles-mêmes.

C’est ce qui conduit à la nécessité de mener le combat pour l’affirmation d’un leadership féminin naturel. Non pas basé a priori sur les capacités économiques et financières, mais sur une affirmation de soi à travers des idées, à travers une attitude. Les plus important est que les femmes connaissent et comprennent le sens de leurs droits à côté de leurs devoirs, qu’elles maîtrisent les stratégies à mettre en place pour une affirmation de ces droits et leur acceptation par les autres.

Pambazuka : On voit un début de changement en milieu urbain par rapport au statut des femmes. En quoi cela est profitable dans vos actions en direction des femmes rurales ?

Pour une mutation décisive dans la société, il faut que les changements chez les femmes et vis-à-vis des femmes s’opèrent en milieu rural, là où vivent quelque 80% des Africaines. De même, partant du fait que les économies de nos pays sont essentiellement rurales et que les femmes sont fortement impliquées dans les circuits de production et de commercialisation, c’est à ce niveau que les mutations porteuses peuvent s’opérer. Elles doivent cependant être appuyées par les réflexions des élites intellectuelles féminines, dans une dynamique de convergence. Les réseaux de mobilisation ne doivent plus être parallèles entre «femmes des villes» et «femmes des champs». Nous cherchons aujourd’hui à mettre ensemble les compétences en matière de réflexion et d’action pour aller de l’avant. Il s’agit d’un combat commun qui appelle des synergies positives.

Pambazuka : Comment jugez-vous les réactions des hommes devant les mutations que vous cherchez à promouvoir en milieu rural ?

Dans cette approche, les hommes sont à considérer comme des alliés. Il faut leur faire comprendre et voir que ces changements les concernent et leur sont bénéfiques. Il ne s’agit pas d’adopter à leur endroit une démarche conflictuelle, mais d’entrer dans une logique d’harmonie et de complémentarité pour faire évoluer la société. Renforcer les capacités des femmes signifie aussi leur donner des éléments leur permettant d’avoir les discours et les arguments qu’il faut en direction des hommes. L’action que les Ong mènent dans ce sens doit être ouverte. Il ne s’agit pas de se cacher des hommes, mais de leur ouvrir la discussion, de chercher à les impliquer, surtout quand nous sommes en communauté.

La stratégie fonctionne. Quand elles doivent participer à des rencontres dans le cadre du réseau, les femmes harmonisent souvent leurs positions avec les associations d’hommes qui leur sont proches pour mieux défendre les intérêts de leur collectivité. En fait, nous ne visons pas une société de rupture, mais une société de dialogue et de communauté d’actions. Ceci à tous les niveaux.

Pambazuka : Pensez-vous que cette mutation puisse se faire de manière naturelle ?

Certainement. Beaucoup de choses ont évolué dans les rapports hommes-femmes parce que les temps changent. Certaines images commencent à dater d’une autre époque, qui montraient par exemple le couple revenir des champs avec l’homme devant, les bras ballants, la femme derrière portant sur la tête la fagot de bois et au dos son enfant. Aujourd’hui on voit plutôt l’enfant ou le fagot de bois sur le vélo, poussé par le père. Le changement est bien sûr dans la possession de moyens de locomotion, mais aussi dans les mentalités.

Il faut cependant aller plus loin, plus vite, pousser la révolution des mentalités. Le fardeau domestique qui pèse sur les femmes à partir du partage des taches qui fonde les relations domestiques les empêche d’exprimer tout le potentiel qu’elles ont en elles. Il ne s’agit pas de transférer le fagot de bois sur la tête des hommes, mais d’amener ces derniers à développer des attitudes positives dans la compréhension et la gestion de leurs rapports avec les femmes, à valoriser le travail et les apports de ces dernières.

Pambazuka : Comment arriver donc à ces changements fondamentaux et pérennes dont vous parlez ?

Quand des mutations s’opèrent d’elles-mêmes, il faut en faire des acquis consolidés. D’où l’importance de la dimension juridique dans le travail que nous faisons. Il faut aussi revoir les textes pour changer un environnement souvent bâti sur l’exclusion des femmes. L’Association des femmes juristes opère un travail important dans ce sens. Leur appui nous est constant dans le travail d’information pour une meilleure connaissance de leurs droits par les femmes et pour une plus grande sensibilisation sur les enjeux en vue de les mobiliser. L’Association offre aussi un recours quand il s’agit de faire face à des situations conflictuelles qui nécessitent une prise en charge. Car les textes ont beau exister, la dimension genre a beau figurer dans les discours, l’application laisse à désirer. Pour schématiser, on peut dire que la veuve et l’orphelin continent de souffrir dans nos sociétés.

L’éducation joue aussi un rôle important pour l’émergence d’une autre femme demain. Que ce soit avec la scolarisation et le maintien des filles à l’école, ou avec les nouvelles valeurs qui se développent dans le cadre familial en vue de briser les stéréotypes qui font grandir les garçons et les filles différemment, avec une mentalité de domination d’une part et de soumission d’autre part. En somme tout ce qui fait qu’au moment où le garçon regarde la télé, la fille lave le linge. Dans ce domaine, il appartient surtout aux femmes d’opérer les ruptures qu’il faut, d’autant plus qu’elles jouent un rôle fondamental dans l’éducation des enfants.

Pambazuka : Où intervient votre réseau ?

Nous intervenons dans les pays où les femmes sont constituées en associations nationales et ont intégré le réseau sous-régional. A savoir, le Bénin, Burkina, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Tchad et le Togo. Le RESACIFROAT appuie aussi l’association régionale des femmes rurales. Au niveau des différents pays il y a des associations fort actives, reste à structurer le niveau régional pour que le réseau puisse s’asseoir à la table de Cedeao et de l’Uemoa pour plaider la cause des femmes. En mars 2007, lors de notre assemblée à Bamako, nous avons profité de l’occasion pour parler des Accords de partenariat économiques. Les femmes rurales n’étaient pas informées. Aujourd’hui elles ont relayé l’information et les organisations à la base cherchent à en savoir plus.

* Ces propos ont été recueillis par Tidiane Kassé, rédacteur en chef de l'édition française de Pambazuka News

* Rosalie Ouoba dirige le Réseau d’Appui à la Citoyenneté des Femmes Rurales d’Afrique de l’Ouest et du Tchad (RESACIFROAT). Elle a été directrice du Centre d’études économiques et social pour l’Afrique de l’ouest (Bobo Dioulasso, Burkina)

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