Guinée Bissau : Le tribalisme, une fausse piste !

Aujourd’hui, toute tentative de forger une liaison entre l’ethnicité et l’instabilité politico-militaire en Guinée-Bissau relève de la pure légèreté sinon d’une méconnaissance criarde sur les rapports civilo-militaires dans ce petit Etat africain. Par contre, pour nombre d’observateurs, les réseaux de narcotrafiquants pourraient ne pas être étrangers à ces homicides.

Les derniers assassinats survenus en Guinée-Bissau début mars, le premier ayant emporté l’ex-chef d’Etat major des armées Tagme NA Wai (Ndlr : le 1er mars) et le second le président de la République, João Bernardo Vieira (Ndlr : le 2 mars), ont suscité divers commentaires. Certains analystes allant jusqu’au point de parler de tribalisme pour justifier ces deux incidents meurtriers. Selon eux, les Balante, l’ethnie majoritaire, et les Pepel, la quatrième ethnie du pays, seraient en train de se livrer une bataille pour le contrôle de l’Etat. D’autres ont mis l’accent sur les réseaux de narcotrafiquants dans ces homicides. Même si la seconde hypothèse ne peut d’emblée être écartée, la première quant à elle, nous semble infondée et fausse dans l’actuel contexte sociopolitique de la Guinée-Bissau et cela pour deux raisons fondamentales.
D’abord, avant d’avancer la thèse du tribalisme, il serait indispensable d’examiner les forces en présence dans l’échiquier politico-militaire en Guinée-Bissau. Incontestablement, les Balante constituent une domination numérique au sein de l’armée, mais cette majorité ne fait pas d’eux une machine tribale. Car, le retour de Nino au pays en 2005, après six ans d’exil au Portugal, a été avant tout l’œuvre de l’ex-homme fort de l’institution militaire bissau-guinéenne. Et pourtant Nino et Na Wai sont issus d’ethnies différentes.

Pourquoi les officiers Balante accepteraient-ils de coopérer plus avec un président non Balante alors qu’il y a autant d’hommes politiques appartenant à la même ethnie qu’eux, si l’on sait aussi que deux ans auparavant, Tagme et ses frères d’armes avaient renversé le chef d’Etat démocratiquement élu, en l’occurrence Koumba Yalá ? Logiquement, ce dernier ne pouvait pas être inquiété si le facteur ethnique était vraiment le critère clé d’alliances politico-militaires en Guinée-Bissau.

Cela étant, toute tentative de forger aujourd’hui une liaison entre l’ethnicité et l’instabilité politico-militaire en Guinée-Bissau relève de la pure légèreté sinon d’une méconnaissance criarde sur les rapports civilo-militaires dans ce petit Etat africain.

Les différents événements ayant secoué ce pays, depuis la rébellion armée de 1998 dirigée par le général Ansumane Mané, ont été plutôt motivés par des calculs politiciens des petits clans nés sous les cendres des institutions étatiques bafouées par la classe dirigeante. L’anarchie, le clientélisme et la corruption sont autant de vices qui ont mis à genoux le bon fonctionnement de l’Etat, porte ouverte ainsi aux réseaux criminels, notamment les trafiquants de drogue, même si la plaque tournante de cette activité illicite ne se résume pas seulement à la Guinée-Bissau.

Toutefois, l’instabilité régnant aujourd’hui dans la patrie de Cabral ne saurait être réduite au seul problème de trafic de cocaïne comme le prétendent certaines voix. En effet, les règlements de comptes entre les acteurs de l’indépendance trouvent leur fondement dans le choc entre la légitimité historique et celle démocratique.

Avant sa mort, Nino se voyait investi d’une légitimité épuisée dans les urnes contrairement à ses compagnons d’armes qui, quant à eux, continuent de s’affirmer comme des vrais architectes de la nation bissau-guinéenne.

Ensuite, les efforts déployés par Na Waié afin d’assurer la stabilité en Guinée-Bissau conformément à son engagement avec la communauté internationale démontrent combien les tendances ethnico-militaires étaient loin de justifier les récents massacres dans le pays. En décidant de respecter l’ordre démocratique, Na Wai savait que toute atteinte contre les institutions démocratiques risquait d’enfoncer le pays dans un cercle sans issue.

Enfin, son intransigeance le mettant souvent en conflit avec Nino, devenu un prince sans trône ces derniers temps, lui a coûté sa vie.

* Armando LONA est journaliste bissau-guinéen
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