L’Africain et son histoire
Madame Ségolène Royal, la candidate malheureuse à la dernière élection présidentielle française est donc allée à Dakar nous demander pardon, à nous les Africains, pour les propos qu’avait tenus dans cette ville le président Nicolas Sarkozy en 2007. Propos, qui, tout le monde le sait, nous étaient restés en travers de la gorge. Elle nous a donc dit que ce n’est pas vrai que nous passons nos journées à regarder le soleil se lever et se coucher, que ce n’est pas vrai que nous ne sommes pas entrés dans l’histoire, qu’au contraire c’est nous qui avons fait l’histoire et continuerons de la faire, et qu’en gros sans nous le monde n’existerait pas ou ne tournerait pas rond.
Bien évidemment nous avons applaudi à tout rompre à ces propos qui sont exactement ce que nous aimons entendre. Sarkozy n’avait pas compris que nous sommes des grands sentimentaux à qui il faut dire tous les jours « je t’aime », « tu es mon meilleur ami », « sans toi je ne suis rien ». Sarkozy avait certes dit au début de son discours la phrase rituelle que doit dire tout homme politique français en Afrique, à savoir « j’aime l’Afrique, je respecte et j’aime les Africains », mais il a ajouté des phrases très choquantes du genre : « je ne suis pas venu pour pleurer avec vous sur les malheurs de l’Afrique », « je ne suis pas venu m’apitoyer sur votre sort », « je suis venu vous proposer non de ressasser ensemble le passé mais d’en tirer ensemble des leçons afin de regarder ensemble l’avenir » ou « l’Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur ».
Non, non, ce n’était pas des choses à nous dire, comme ça, droit dans les yeux. Parce que nous aimons qu’on pleure sur nos malheurs, qu’on s’apitoie sur nous et nous n’aimons rien autant que ressasser le passé qui était forcément paradisiaque avant l’arrivée des Blancs. Nous n’avons pas encore fini de pleurer la fin des empires du Manding et de Chaka. Et puis surtout, il est évident que nous n’avons aucune responsabilité dans nos malheurs. Tous nos problèmes viennent uniquement, et tout le monde le sait, de l’esclavage et de la colonisation.
Il est vrai qu’avant la colonisation nous vivions dans l’obscurité, nous ne connaissions pas l’électricité, ni la poudre à canon, ni aucune autre énergie que nos muscles, n’avions aucune idée de ce à quoi pouvaient servir les richesses minières de notre sous-sol, que nous étions dévorés par toutes sortes de maladies, mais c’était forcément mieux que maintenant.
Madame Royal, elle, a compris tout cela et nous a donc réhabilités. C’est quand même nous qui avons inventé le…la…euh… En cherchant bien on finira par trouver. Il n’est pas possible que nous n’ayons rien inventé d’autre que la sorcellerie, les arcs et les flèches. Bravo madame Royal. Vous nous aimez sincèrement, et nous vous aimons aussi ; et si un jour vous devenez présidente de votre pays, nous aimerions venir avec nos femmes, enfants, cousins et neveux continuer de faire l’histoire avec vous dans votre pays où il fait moins chaud qu’ici et où il y a moins de poussière. En attendant, vous êtes quand même venue avec quelques cadeaux parce que vous savez que nous adorons aussi cela.
Sarkozy avait dit « l’Afrique ne veut pas de la charité. L’Afrique ne veut pas d’aide. L’Afrique ne veut pas de passe-droit. » Mais, qui lui a dit tout ça ? Même si le reste du monde ne peut pas se passer de nous, ce que nous aimons par-dessus tout est que ce reste du monde s’occupe de nous. Pour tout. Qu’il nous donne à manger, à boire, à nous soigner, à nous habiller, à nous loger, à nous défendre, à nous endetter et à alléger cette dette et même à aller aux chiottes. Si vous allez au Bénin en venant du Togo, vous verrez au bord du lac Ahémé trois belles chiottes sur lesquelles il est écrit « don de la Coopération française. »
Tout ce dont nous avons besoin pourrait être obtenu par nous-mêmes en travaillant plus et mieux, mais c’est bien un chanteur français qui a dit que « travailler c’est trop dur ».
Quelqu’un avait dit un jour que si l’Afrique venait à disparaître, le reste du monde n’en serait pas très affecté sur le plan économique, vu que nous représentons à peine 1% des échanges commerciaux. Pour être vexés, je peux vous dire que nous avions été vexés. Et celui qui a tenu ces propos a entendu ce qu’il devait entendre. Parce que nous sommes convaincus que nous sommes les seuls à produire les matières premières dont le reste du monde a besoin, et que sans elles, le reste du monde ne pourrait survivre. Nous sommes convaincus que le reste du monde ne peut vivre sans nous, alors que c’est nous qui démontrons au reste du monde que nous ne pouvons pas nous nourrir, ni même aller aux chiottes sans son aide.
Mais Madame Royal a su trouver les mots pour apaiser nos cœurs. Et elle nous a même demandé pardon. Nous sommes satisfaits et nous pouvons renvoyer Sarkozy à ses cours d’histoire. N’a-t-il jamais entendu parler des pharaons noirs ? Oui, nous avons aussi bâti des monuments. Pas beaucoup, c’est vrai, et c’est sans doute pour cela que nos chefs actuels veulent se rattraper en construisant des palais dès qu’ils arrivent au pouvoir. A-t-il entendu parler de Chaka, de Soudjata Kéïta ? Nous aussi, nous avons bâti des empires. Pas beaucoup, il est vrai, et ils n’ont pas beaucoup duré.
Mais ce n’est pas le plus important. Sarkozy avait dit à Dakar : « le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu. » Quel est son problème ? En quoi ça le dérange que nous soyons nostalgiques de notre glorieux passé ? Et il a ajouté « le problème de l’Afrique, ce n’est pas de s’inventer un passé plus ou moins mythique pour s’aider à supporter le présent mais de s’inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres. » Il n’a pas compris que notre avenir, beaucoup d’Africains le voient dans son pays où il fait quand même moins chaud qu’ici et où on crève moins de faim.
Nous sommes entrés de plain-pied dans l’histoire, que cela soit su une bonne fois pour toutes. Nous faisons l’histoire et nous sommes tout à fait modernes, contrairement à ce que Sarkozy a dit. Il n’empêche qu’aucun de nos brillants ingénieurs n’a encore trouvé le moyen de débarrasser nos femmes de cette tâche pénible qui consiste à piler nos repas. Albert Londres avait écrit dans son livre « Terre d’ébène » au début du siècle dernier qu’un ingénieur français avait inventé une machine qui évitait aux femmes de passer leurs journées à piler le mil ou le foutou. Mais les hommes s’y étaient catégoriquement opposés au motif qu’avec cette machine, leurs femmes passeraient désormais leur temps à ne rien faire.
Un jour où j’ai rapporté cette histoire dans un article, un Ivoirien vivant aux Etats-Unis m’a répondu le plus sérieusement du monde que le fait de piler ensemble permettait aux femmes de se « socialiser » et de faire de l’exercice physique. Il ne fallait donc rien faire pour leur éviter cette tâche. C’est sans doute pour cela aussi que nos pêcheurs continuent de pagayer à la force de leurs muscles malgré l’invention multimillénaire de la voile.
Nous sommes parfaitement en phase avec le reste du monde. Il n’empêche qu’aucun gouvernement africain n’a encore mis en place une politique qui doterait nos paysans de moyens de travail un peu plus modernes que la daba et la machette. Cela n’a jamais été la préoccupation d’aucun ingénieur. Tant qu’on arrive à produire de quoi survivre avec la machette et la daba, pourquoi se casser la tête ?
Sarkozy avait dit à Dakar : « Cherchez l’autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. L’Afrique a besoin de produire pour se nourrir. » Où est-il allé chercher tout ça ? Ne sait-il donc pas qu’avec l’exportation du café et du cacao nos dirigeants peuvent se construire de gros palais, s’acheter de grands chapeaux, des avions de guerre et offrir de grosses voitures à leurs maîtresses grâce aux commissions touchées sur l’achat des avions ? Ne sait-il pas aussi que le devoir sacré de tous ceux qui disent nous aimer est d’abord de nous nourrir ?
Au Swaziland, le roi épouse chaque année une nouvelle femme à qui il offre des voitures de luxe, des palais, il fête chaque année son anniversaire à coups de millions de dollars, pendant que le reste de la population ne survit que grâce à la nourriture que lui apporte la communauté internationale. C’est comme ça et Sarkozy n’avait rien compris.
L’essentiel est que Madame Royal nous a réhabilités, et nous pouvons passer à autre chose. Gare à Sarkozy s’il revient nous tenir des propos comme ceux qu’il a tenus à Dakar. Mais je crois qu’il a bien compris la leçon. Il a bien surveillé son langage lors de son dernier séjour sur notre continent. C’est le pape qui n’a pas su surveiller le sien en condamnant l’usage des préservatifs pour lutter contre le sida et qui s’est pris une bonne volée de bois vert, mais ça, c’est une histoire entre Européens.
Le pape a déclaré en se rendant au Cameroun qu’il ne sert à rien de mettre des capotes pour lutter contre le sida et qu’au contraire on aggravait la situation avec elles. Tollé général dans le monde entier, sauf chez nous bien entendu. Ce n’est pas que nous soyons plus chrétiens ou plus respectueux du pape que les autres. Non, en fait, c’est parce que ce qu’il a dit, on s’en fout complètement.
N’est-ce pas sur notre continent, dans le pays le plus développé, qu’une ministre a dit le plus sérieusement du monde qu’il faut manger des betteraves et des carottes pour soigner le sida ? Qui s’en est offusqué ? A-t-elle été virée par son président ? Non ! Ce président avait lui-même dit qu’il n’y avait aucun lien entre le VIH et le sida. N’est-ce pas dans ce même pays que le futur président a reconnu avoir couché sans capote avec une femme qu’il savait séropositive ? Qui l’a blâmé ? Au contraire il vient d’être plébiscité. N’est-ce pas toujours dans ce même pays que des soi-disant guérisseurs traditionnels préconisent de coucher avec des jeunes filles vierges pour guérir du sida ? Qui les a foutus en taule ?
N’est-ce pas toujours sur ce continent, dans l’un des pays les plus peuplés, le Nigeria qu’un gouverneur s’est opposé à la vaccination des enfants contre la poliomyélite, au motif que cela les rendrait stériles, réduisant ainsi à néant tous les efforts entrepris pour éradiquer la polio du continent ? Qui a viré ce gouverneur ? Qui avez-vous entendu protester sur ce continent ? Alors, les propos du pape, on s’en fout complètement.
On ne meurt pas de sida, ni d’autre chose sur ce continent, à part de sorcellerie et de bêtise.
* Venance Konan est un écrivain ivoirien. Email : [email][email protected]
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