«Eh e Africa O Lipanda?» - Eh! l'Afrique, Où est ton indépendance?

C’était dans les années 1970. Les dix ans de l’Afrique des indépendances venaient de sonner. Quand on était né avec l’année de la proclamation des «souverainetés nationales» acquises en 1960 et environs, dont on fête actuellement les cinquante ans, on chantonnait et on dansait sur les airs d’un des meilleurs tubes africains de l’époque. Sur les ondes des radios, « Le Bûcheron » du musicien congolais Franklin Boukaka passait en boucle, dans une langue d’ailleurs pour tous ceux qui n’étaient pas Congolais. Quarante ans plus tard, on a eu le temps d’apprendre, de comprendre le chant d’un révolté des indépendances trahies. Un révolté que son engagement a conduit à la mort.

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C’était dans les années 1970. Les dix ans de l’Afrique des indépendances venaient de sonner. Quand on était né avec l’année de la proclamation des «souverainetés nationales» acquises en 1960 et environs, dont on fête actuellement les cinquante ans, on chantonnait et on dansait sur les airs d’un des meilleurs tubes africains de l’époque. Sur les ondes des radios, « Le Bûcheron » du musicien congolais Franklin Boukaka passait en boucle, dans une langue d’ailleurs pour tous ceux qui n’étaient pas Congolais. Quarante ans plus tard, on a eu le temps d’apprendre, de comprendre le chant d’un révolté des indépendances trahies. Un révolté que son engagement a conduit à la mort.

Boukaka disait :

Ah e e Africa (Ah ! l'Afrique)
Eh e Africa (Eh ! l'Afrique)
O Lipanda (Où est ton indépendance ?)

Ah e e Africa (Ah ! l'Afrique)
Eh e Africa (Eh ! l'Afrique)
O Liberté (Où est ta liberté ?)

Kokata koni pasi (Couper du bois de feu est un dur labeur)
Soki na kati koteka pasi (Vendre ce bois en est un autre)
Na pasi oyo ya boye (Avec ce lot de malheurs et les enfants)
Ngai na bana mawa (Je suis loin de m'en sortir)

Nakoka te

Basusu oyo naponaka (Certains à qui j'ai donné ma voix)
Bawela bokonnzi (Ont développé la boulimie du pouvoir et des)
Pe na ba-voitures (Voitures)

Bavoti tango ekomaka (Quand arrivent les échéances électorales)
Ngai nakomaka moto (Je deviens alors important)
Pona bango (devant eux)

Nakomi tuna : Mondele akende (Je me demande : le colonisateur s'en est allé)
Lipanda tozuwaka o ya nani e? (Pour qui avons-nous obtenu l'indépendance ?)
Africa e (Oh ! l'Afrique

Ah e e Africa (Ah ! l'Afrique)
Eh e Africa (Eh ! l'Afrique)
O Lipanda (Où est ton indépendance ?)

Quarante ans après, au moment se célèbrent les cinquante ans des indépendances, la question demeure : « Eh e Africa O Lipanda ? »

Franklin Boukaka a été assassiné en 1972, dans la répression qui a suivi un coup d’Etat manqué contre feu le président Marien Ngouabi. Recensé parmi les ennemis du régime, il payait pour avoir chanté, entre autres, « Inua ya ngombè . Tala munwa u dia ngombe, wa meno wayuku bikola e mama... », qui se traduit ainsi : «Regardez la bouche qui se nourrit de viande et de bonne chair pendant que la mienne se contente de petites légumes ». Pour les tenants du régime l’allusion était claire.

Boukaka est mort à 32 ans. Le fils qu’il a laissé s’appelait Malcolm, comme Malcolm x. Il a aussi laissé une chanson à la gloire des Lumumba, Guevara, Ben Barka, Luthuli, Um Nyobé, etc., «Les immortels». Ses dernières paroles tombent ainsi : « Un vieux, que je considère toujours jeune, m'a dit un jour : " Mon petit, tout homme doit mourir un jour; mais toutes les morts n'ont pas la même signification ". »

Rappeler Boukaka au moment où le rappeur sénégalais Didier Awadi reprend le même refrain dans «Président d’Afrique», avec un rap féroce qui immortalise encore plus cette lignée continuée par Thomas Sankara, c’est ne pas désespérer de l’Afrique. Car quand la révolte est dans l’art, le souffle n’en meurt plus.

Ces rappels sonnent au moment où une Afrique qui a raté le rendez-vous avec les espérances du continent va sa célébrer ses complicités coupables nouées en cinquante ans de Françafrique. Les 31 mai et 1er juin 2010, Nicolas Sarkozy accueille les chefs d’Etat africains pour le sommet France-Afrique à Nice ; le 14 juillet 2010 ce sont les armées africaines qui sont appelées à défiler sur les Champs Elysées. Cela ne fera pas oublier qu’en 1945, quand les troupes qui ont libéré la France ont descendu cette avenue, on a tout fait pour qu’un seul «tirailleur sénégalais » n’y figure. Or, si le prix du sang versé sur cette terre de France n’offre pas cet honneur, toute autre forme de reconnaissance relève de l’hypocrisie.

Les cinquante ans d’indépendance sur le continent brillent d’un pâle « soleil ». De l’asservissement de la politique coloniale puis néocoloniale, on est passé au servage qu’impose la mondialisation. Qu’importe ce que diront les discours du sommet de Nice, la réalité est comme un soleil de midi.

A travers les textes rassemblés pour cette édition spéciale de Pambazuka News, on se rend compte combien les « indépendances » ont été des rêves manqués. Mais aussi combien les espoirs sont vivaces d’une aube nouvelle !

* Tidiane Kassé est le rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News

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