La crise en Côte d’Ivoire: quel impact pour les femmes ?

La Côte d’Ivoire est dans une impasse politique depuis l’annonce des résultats contestés du deuxième tour des élections présidentielles qui se sont déroulées en novembre 2010. Afin de comprendre l’impact de cette situation pour les femmes et les organisations des droit de la femme, l’Association for women rights in development (AWID) s’est entretenue avec deux femmes qui défendent les droits de la femme. Il s’agit de Mata Coulibaly, présidente de SOS Exclusion et de Honorine Sadia Vehi Toure, présidente de Générations femmes du troisième millénaire (GFM3) ainsi qu’avec une politicienne ivoirienne qui préfère garder l’anonymat et à laquelle nous avons donné le pseudonyme de Sophie.

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UN Photo

Le 28 novembre 2010 a eu lieu, en Côte d’Ivoire, le second tour de l’élection présidentielle qui faisait suite au premier tour qui avait eu lieu en octobre 2010, après plusieurs reports. Quatorze candidats [1] ont pris part au premier tour, parmi lesquels Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, les deux candidats qui ont obtenu le plus de voix et sont arrivés jusqu’au deuxième tour. Gbagbo est l’actuel président. Après les élections, la Commission Electorale Indépendante a déclaré Ouattara vainqueur. Mais ce résultat a été invalidé par la Cour constitutionnelle ivoirienne qui a déclaré son rival, Gbagbo, président élu de Côte d’Ivoire. Ceci a précipité une crise en Côte d’Ivoire. Gbagbo a refusé de plier et de se retirer sous la pression internationale [2] en faveur de Ouattara qui a été reconnu par l’entière communauté internationale.

Mata Coulibaly et Honorine Sadia Vehi Toure, deux femmes qui défendent les droits des femmes, que j’ai interviewées, ont expliqué comment la population vivait cette situation : ’’Nous traversons une crise et c’est très difficile. Il y a des tensions dans le pays. Nos journées sont remplies d’incertitudes’’, confie Coulibaly. Et Touré d’ajouter : ‘’Ceci est une véritable crise et nous sommes soumises à un stress considérable. Nous ne savons pas de quoi demain sera fait. La situation sociale se dégrade de jour en jour. C’est très stressant et frustrant.’’

La crise politique en Côte d’Ivoire a des répercussions diplomatiques, financières, économiques et sociales importantes sur la population, y compris sur les femmes et les organisations qui défendent leurs droits.

Le refus de Gbagbo de renoncer au pouvoir a généré de la part de plusieurs organisations internationales, y compris les Nations Unies, l’Union européenne, l’Union africaine et la Communauté économiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEEAO), des mesures punitives à son encontre, à l’encontre de sa famille, de ses amis proches et de l’Etat.

L’IMPACT DE LA CRISE SUR LE QUOTIDIEN DES IVOIRIENS

Le coût économique du conflit en Côte d’Ivoire entre 2002 et 2007 a été considérable : le Produit National Brut (PNB) per capita a chuté de 15% entre 2000 et 2006 et par conséquent la pauvreté a augmenté. La position de la Côte d’Ivoire dans le Human Development Index (HDI) est passé du 154ème rang au 166ème [3] pour remonter au 144ème en 2010 [4]. Avant la crise post-électorale, les perspectives économiques de la Côte d’Ivoire semblaient s’être améliorées avec un taux de croissance de 3,8% en 2009 et des prévisions pour une augmentation des revenus du cacao et de l’exportation du pétrole.

La crise actuelle aggrave une situation plutôt précaire et a accentué la paupérisation de la population. Elle a un impact certain sur le quotidien des ménages ivoiriens, en raison de la flambée des prix et parce qu’elle encourage la spéculation. [5]. Comme l’a souligné Touré , ‘’ le marché a flambé au point qu’il est difficile d’obtenir des produits essentiels comme l’huile, le sucre, la viande et les oignons. Ceci est une réelle épreuve pour les ménages. Avant la crise, les ménages qui avaient à leur tête une femme ne parvenaient à s’offrir qu’un seul repas par jour et donc on ne peut qu’imaginer les difficultés dans lesquels se trouvent maintenant ces familles. Tout le monde souffre.’’

Coulibaly ajoute : ‘’La vie semble se dérouler au ralenti. Les prix ont flambé. Par exemple, il y a parfois des pénuries de gaz naturel. Une certaine quantité de charbon qui coûtait auparavant 100 F coûte aujourd’hui 200 F. Le kilo ‘’d’oignons durs’’ est passé de 450 F le kilo a 1000 F, cependant que les oignons de Niamey ont augmenté de 600 F à 1500 F et le kilo de betteraves qui coûtait 1900 F coûte maintenant 3000 F. Ces exemples illustrent l’impact de la crise sur le panier de la ménagère et l’augmentation des prix a un impact tangible sur les conditions de vie des Ivoiriens.

Les salaires restent les mêmes bien que les prix explosent. La situation contraint les femmes à économiser davantage. Que le chef de famille soit un homme ou une femme, tout le monde fait l’expérience des mêmes difficultés.

La situation n’est pas différente dans d’autres villes du pays. Coulibaly déclare :’’ La crise actuelle a affecté tout le territoire ivoirien. A Korhogo au nord, Bouaké au centre du pays et à Man et Duokoué à l’ouest, les prix des denrées alimentaires ont presque doublé. La population est fatiguée et s’appauvrit de jour en jour. Nous venons d’apprendre que suite à la fermeture du port d’Abidjan et San Pedro nous nous trouverons à court de gaz dans quelques jours. La Côte d’Ivoire importe presque tous ses produits. Une autre préoccupation concerne les patients séropositifs dont le traitement avec les médicament anti-rétroviraux ont été interrompus, entraînant une prolifération de la maladie et l’aggravation des cas existants.’’

Touré dépeint une situation similaire, notant que ‘’ la paupérisation affecte tout le monde sur tout le territoire. Avant les élections, le pays n’avait pas été réuni et par conséquent dans les régions occidentales centrales et au nord les conditions de vie ont toujours été celles de la pauvreté. Le sud n’a pas été épargnée, mais a souffert dans une moindre mesure. Aujourd’hui, je puis vous assurer qu’aucune région n’est meilleure que l’autre. Que ce soit dans les villes ou les villages, en milieu rural ou urbain, la situation est partout pareillement insupportable..’’

VIOLENCE, DROITS ET SECURITE : LES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS DES DEFENSEURS

Après le premier tour de scrutin, relativement paisible, de la fin octobre 2010, des allégations de violence et d’abus dans différentes régions du pays ont commencé à émerger. Ces incidents sont indicatifs d’une sérieuse détérioration de la situation générale des droits humains et rappellent les atrocités commises au cours de la dernière décennie. Des organisations des Droits de l’Homme africaines, européennes et américaines, en particulier Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International, ont tiré la sonnette d’alarme de façon répétée.

Le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève a tenu une session spéciale le 23 décembre 2010, au cours de laquelle la Secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton a fait un discours et le Haut Commissaire pour les Droits de l’Homme, Navi Pillay a condamné les violations des Droits de l’Homme commises en Côte d’Ivoire. Le bureau du procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) a aussi fait part de sa préoccupation quant à cette situation.

La plupart de la violence rapportée à ce jour a cours pendant la nuit, sous forme de raids conduits par des forces de sécurité et d’autres groupes dans les quartiers d’Abidjan considérés comme étant peuplés majoritairement par les supporters de Ouattara. Des organisations des Droits de l’Homme ont aussi relevé des prises d’otage dans des conditions similaires. Les victimes de ces prises d’otage sont déclarées ‘’ disparues’’ ou retrouvées mortes. [6]. Coulibaly confirme cette déclaration :’’ Certaines de nos connaissances ont été prises en otage.’’ Selon Sophie, ‘’ ces raids sont violents, fondés sur l’ethnie et politiquement motivés et prennent pour cible des individus ou des groupes de personnes dénoncés par des voisins. Les auteurs de ces méfaits sont des mercenaires payés pour commettre ces meurtres.’’

Selon des sources indépendantes, les défenseurs des Droits de l’Homme et du droit des femmes vivent dans l’angoisse permanente à propos de leur sécurité. Un défenseur chevronné de la société civile, qui a demandé l’anonymat, a dit à IRIN : ‘’ Je vis caché depuis que j’ai été menacé, il y a deux semaines. Il semble parfois que la situation tend à se calmer. C’est souvent l’impression que l’on a pendant le jour, mais on ne sait jamais ce qui va se passer dès la nuit tombée.’’ [7] Touré confirme :’’ Nous travaillons dans un contexte de peur. Nous sommes vraiment tristes de voir ce qui se passe dans notre pays. Nous ne pouvons poursuivre notre travail ouvertement par crainte des représailles. Malgré cela nous travaillons, espérant en Dieu et avec l’espoir que notre pays va rapidement surmonter cette situation.’’ Coulibaly avoue :’’ Comme représentante de Democracy and Human Rights Fund (FDDH) je ne me sens pas en sécurité.’’

L’IMPACT DE LA CRISE SUR LES DROITS DES FEMMES

Les sanctions punitives imposées à la Côte d’Ivoire ont un impact très négatif sur les organisations non gouvernementales qui dépendent principalement du financement international. Touré explique que la plupart de leurs partenaires financiers aux Nations Unies et à la Banque Mondiale ont fermé leurs bureaux, ce qui a forcé les ONG à suspendre la plus grande partie de leurs activités. De plus, en raison de l’instabilité politique il est de plus en plus difficile d’opérer normalement. Coulibaly note : ’’Rien n’est certain. Nous devons adapter nos plans à l’évolution de la situation. Nous avons peur d’aller travailler et parfois nous recevons des informations ou nous entendons des rumeurs qui nous tiennent éloignées du travail.’’

AUTRES CONSEQUENCES DE LA CRISE : LE FOSSE SE CREUSE

Les émeutes qui ont éclaté en septembre 2002 en Côte d’Ivoire ont divisé le pays entre le sud, dominé par le gouvernement de Gbagbo et le nord contrôlé par les forces rebelles menées par Guillaume Soro, l’actuel Premier ministre dans l’administration de Ouattara. Toutefois, suite à la signature des accords de Ouagadougou en 2008, le pays a entrepris un processus de réunification qui a conduit à l’organisation consensuelle de récentes élections présidentielles.

Toutefois, nombre de personnes craignent que l’alliance entre Soro et Ouattara ne ravive les divisions et introduise une dimension religieuse à la division. Néanmoins, il est nécessaire de souligner que les opinions diffèrent sur ce point comme le souligne Touré.’’ Peu importe ce qui se dit. Les gens de Côte d’Ivoire ne promeuvent pas la division’’, défend-elle. ‘’ Ce sont les politiciens qui nous ont mis dans cette situation en raison de leurs intérêts personnels. Au sud, il y a des chrétiens et des musulmans et il y a des gens du nord ; nous vivons ensemble dans l’harmonie. Tout au moins ceux qui ont compris que la division ne nous convient pas, ce qui est le cas pour la plupart d’entre nous. La même chose est vraie dans le nord. Il s’ensuit qu’il n’y a pas de réelles divisions en Côte d’Ivoire, même si c’est ce qu’ils veulent vous faire croire. Les Ivoiriens ont suffisamment souffert au cours des dix ans de crises. A la fin, tout le monde est fatigué de cela. Notre volonté de dépasser la crise a été démontrée par la participation massive aux élections : 83% lors au premier tour et plus de 70% lors du second tour.’’

Toutefois Coulibaly n’est pas d’accord, disant que ’’la division est inévitable. Les politiciens accusent les gens du nord d’être des rebelles. Les femmes au marché sont partagées. Les pro Gbagbo disent aux femmes pro Ouattara de demander à leur chef de leur construire leur propre marché.’’

La situation actuelle est préoccupante. La population ivoirienne, qui a subi presque une décennie de crises, désire une solution pacifique rapide qui bénéficie à tout le monde. Les organisations des droits humains et des droits de la femme sont particulièrement affectées parce que le financement pour leur travail commence à manquer. De plus, la crainte croissante pour leur sécurité réduit leur capacité d’engagement et rares sont ceux qui osent exprimer ouvertement leur analyse de la situation.

Coulibaly a confié à AWID que, pour ce qu’elle savait, aucune action publique n’a été entreprise par des organisations de droits humains et seule la Civil Society Agreement de Côte d’Ivoire (CSCI), qui est une organisation importante dans le pays a proposé des solutions. D’autres organisations préfèrent s’abstenir parce qu’elles ne partagent pas le point de vue ou l’analyse de la situation. Toutefois, Touré a déclaré qu’il y avait de discrètes initiatives provenant d’une vingtaine d’organisation et de réseaux de femmes afin d’encourager les deux protagonistes à protéger la vie des femmes et des enfants et rechercher une solution pacifique

NOTES
[1] RFI, http://www.rfi.fr/afrique/20101028-cote-ivoire-trois-favoris-passent-attaque
[2] IRIN, Côte d’Ivoire: La pression de l’économie – Compte rendu, http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportID=91589
[3] Ibid.
[4] PNUD, http://hdr.undp.org/en/media/HDR_2010_FR_Tables_reprint.pdf
[5] France 24, http://www.france24.com/fr/
[6] IRIN, Côte d’Ivoire: Violations des droits de l’homme – Compte rendu, http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportID=91604
[7] Ibid.

* Massan d’Almeida - Cet article a initialement été publié par Association for Women's Rights in Development. Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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