Etat des lieux des Droits des migrants en Afrique en 2011

La révolution en Tunisie, la guerre qui a entrainé la chute et l’assassinat de Khadafi n’ont pas été que sources de bouleversements politiques. L’embellie arabe a aussi sonné le cauchemar des migrants, notamment africains. Avec l’affaiblissement de l’Union africaine dans cette zone, notamment en Libye, les pays européens ont profité de la situation pour trouver des bras armés encore plus serviles dans l’externalisation de leurs politiques anti-immigration. C’est là une des conséquences du «printemps arabe» dont on a peu parlé.

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O C R

Les révolutions au Maghreb – Machrek ont fait l’objet d’exaltation et de nombreux commentaires ces derniers mois de par le monde. L’Afrique du Nord s’est vue ainsi propulsée au premier rang de l’actualité et a montré la voie à suivre aux mouvements sociaux pour se dégager de toute oppression politique et économique. Mais les révolutions en Afrique du Nord n’ont pas été que politiques. Comme toute action de libération, une révolution sociale a une incidence sur l’être, ses valeurs et sa projection dans le futur.

Ainsi le départ de Ben Ali et la fin du régime policier soutenu par l’UE a vu renouveler la soif de mobilité des jeunes Tunisiens. Aux 20 000 tunisiens débarqués sur l’île de Lampedusa au premier semestre de cette année (Ndlr : en 2011), l’Europe a répondu avec frayeur par un lynchage médiatique continu de ces nouveaux Hérauts de la liberté. Les jeunes migrant-e-s tunisien-ne-s ont ainsi démontré aux yeux du monde qu’il ne pouvait y avoir de liberté individuelle et de démocratie sans une liberté de circulation. Ce droit humain fondamental est refusé à tant de citoyen-ne-s de par le monde et particulièrement ceux d’Afrique.

Au lendemain de la révolution, peu de cas a été fait des conséquences du printemps maghrébin sur la situation des migrant-e-s d’Afrique subsaharienne en transit dans la région. En effet, dernière étape avant « l’Eldorado » européen, l’Afrique du Nord n’a cessé d’accueillir ces dix dernières années des migrant-e-s venu-e-s d’Afrique de l’ouest et du centre. Pour répondre à ce phénomène, l’Union européenne, à force de chantage et de compensation financière, fait un deal avec les dictateurs pour contenir la migration dans la région. Pire, elle parvient à externaliser ses frontières avec des contrôles avancés de la migration dans les pays du Maghreb grâce à sa politique du Frontex. Elle va fournir également les moyens nécessaires aux États maghrébins pour la répression des migrant-e-s d’Afrique subsaharienne et fermer les yeux sur les violences des dirigeants contre leur population dans le Sahara occidental, à Sidi Ifni au Maroc , à Gafsa en Tunisie, en Libye, en Egypte et sur le coup d’État en Mauritanie. Ce fut le prix à payer pour garantir aux yeux de l’opinion publique européenne des chiffres en baisse de la migration clandestine et la fin des images spectaculaires des « boat people » en mer méditerranée. Les migrant-e-s pour qui la traversée de la mer était devenue impossible se consolaient de l’impasse et évitaient la honte d’un retour bredouille à la terre natale en restant aux alentours de la méditerranée à l’affût d’une possible occasion de départ.

Le printemps maghrébin, et la nouvelle quête de mobilité qu’il a engendré, a eu une incidence limitée sur l’afflux de nouveaux candidat-e-s au départ d’Afrique subsaharienne vers l’Europe, mais les effets ont été plus sensibles sur les migrant-e-s déjà installés dans les pays. En attendant la Constitution tunisienne, la nouvelle Constitution marocaine a laissé entrouverte la possibilité d’une participation citoyenne pour les migrant-e-s d’Afrique subsaharienne installés au Maroc. Dans son article 30, cette constitution reconnaît le droit aux étrangers installés au Maroc de participer aux élections locales, ceci en respect des conventions et traités internationaux que le Maroc a signés. Il faut noter qu’en dehors de la Tunisie, tous les pays d’Afrique du Nord ont ratifié la convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrant-e-s puisqu’avant de devenir pays d’accueil de migrants, les pays d’Afrique du Nord ont toujours été de grands pourvoyeurs de migrant-e-s.

Pour ces pays, la ratification de la Convention était importante pour protéger leurs citoyens résidents à l’étranger. Mais étant devenus maintenant des pays de transit et de destination de migrant-e-s, ces pays ont des responsabilités à l’égard de ces migrants au titre de la convention. L’évolution future des pays maghrébins où la Constitution est en cours d’élaboration sera donc à suivre de près notamment en Libye où la guerre a détérioré la perception des migrant-e-s d’Afrique subsaharienne. Enrôlés de gré ou de force par le régime agonisant de Khadafi, des milliers de migrant-e-s d’Afrique subsaharienne ont lutté aux côtés des forces armées libyennes contre les rebelles d’hier et libérateurs d’aujourd’hui de la Libye. Pour ceux qui ne voulaient pas s’associer à cette guerre, la seule option a été le refuge en Tunisie ou en Egypte.

Malgré une situation économique et sociale fragilisée par les soulèvements, le départ des dictateurs et de leurs alliés capitalistes, la Tunisie et l’Egypte ont du accueillir à leurs frontières plus de 300 000 réfugiés venant de Libye et pour l’essentiel des travailleurs migrants d’Afrique subsaharienne, de Palestine et du Bangladesh. La coexistence difficile avec les populations a entraîné des drames tel l’incendie du camp de Choucha, à la frontière tunisienne, en mai 2011. La multiplication des actes xénophobes et racistes à l’endroit des migrant-e-s d’Afrique subsaharienne depuis la fin de la guerre en Libye ont amené l’Union Africaine, pourtant peu regardante sur les questions des droits des migrant-e-s, à réclamer des nouvelles autorités libyennes le respect des chartes et conventions africaines relatives aux droits des migrant-e-s.

Un des effets malheureux de la guerre en Libye est d’avoir définitivement affaibli l’influence de l’Union Africaine sur cette zone au profit de l’Union Européenne et des Etats Unis. Victimes de leur soutien au dictateur libyen, dont ils dépendaient financièrement pour la plupart, les pays de l’Union Africaine ont perdu toute marge de manœuvre sur la question migratoire en Afrique du Nord. A l’heure actuelle, l’Union Européenne profitant plus que jamais de la peur inspirée par la démonstration de sa puissance militaire en Libye, procède par des discussions bilatérales avec les pays du Maghreb sur la question de la migration qui est pourtant un sujet d’ordre multilatéral. Il ne fait donc pas de doute que l’avenir de l’intégration africaine se jouera sur la question migratoire.

Divisé à la conférence de Berlin par les puissances coloniales d’alors, le gâteau africain, cinquante ans après les indépendances, demeure. De sommet en sommet, la politique de l’autruche prend le pas sur une réelle volonté de souveraineté panafricaniste par une mutualisation de la gestion des ressources et la fin de frontières héritées des colons. Ces derniers, comme toujours, profitant de la situation, ne cessent de vendre des accords de partenariats économiques et des traités à leur avantage en semant toujours plus la division entre Africains et en perpétuant des pouvoirs dictatoriaux corrompus à leur solde.

Les récentes guerres en Côte d’ivoire et en Libye font de 2011 l’année de faillite de l’Union africaine et de ses mécanismes. Et pourtant bien des instruments ont été créés par des élites africaines ayant une vision panafricaniste pour faciliter la mobilité et l’intégration africaine. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples est un de ses instruments qui garantit, entre autres, le droit à la liberté de circulation des peuples africains, le droit d’asile, et interdit toute expulsion collective de migrant-e-s. Malheureusement il n’est pas rare de croiser à l’aéroport d’Addis Abeba des dizaines de Burkinabès ou de Togolais en transit, expulsés de Guinée Equatoriale, d’Angola ou du Gabon, ayant pour seuls bagages des sacs en plastique, qui ne peuvent prendre ni leurs biens ni leur argent gagné lors de leur séjour.

Et pourtant, ces pays voient affluer des travailleurs chinois sur les nombreux chantiers que le prix élevé du pétrole permet d’entreprendre. Au niveau sous régional, l’étude des mécanismes juridiques en faveur du droit à la libre circulation donne la palme d’or à la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

En effet, la CEDEAO garantit une libre circulation des personnes et des biens dans son espace depuis 1979. Les divers instruments adoptés en ce sens sont malheureusement peu respectés par la faute d’autorités politiques et administratives corrompues. Malgré une relative liberté de circulation dont on peut certes se réjouir, il faut noter une corruption flagrante aux postes frontières qui ne cesse d’être décriée par les populations sans que leurs cris ne fassent écho lors des réunions des chefs d’Etats de la CEDEAO. C’est à ce niveau que se manifeste le plus clairement le manque réel de volonté politique de mettre fin à tout obstacle au droit humain de libre circulation. Une politique ferme de la part des chefs d’Etats ouest africains mettrait fin à tout jamais à la corruption aux frontières. Ils en sont incapables, corrompus qu’ils sont eux mêmes.

La situation se complique de plus en plus avec les accords de gestion concertée des flux migratoires que la France ne cesse de vouloir faire signer à certains pays africains. La France a réussi à le faire signer au Burkina Faso qui a durci sa politique migratoire pour éviter que les migrant-e-s africains ne passent par ce pays pour atteindre le Maghreb. Cette attitude de la France en Afrique démontre encore une fois l’impérialisme des pays du Nord sur la question migratoire.

Bien que les touristes et les investisseurs français aient toujours un accès facile aux pays ouest africains, les procédures d’obtention de visa pour la France et les autres pays de l’espace Schengen restent un chemin de croix pour les Africains. Les longues files d’attente aux consulats et les nombreuses humiliations subies par les demandeurs de visas sont plus que légion. La délivrance de visa renforce les inégalités sociales car les politiques de visa des pays du Nord favorisent les riches, les personnes au pouvoir et les élites soit « 1% » de la population. Les « 99% » restant qui pourtant n’aspirent qu’à un droit humain, se voient donc obligés de faire la fortune de passeurs et autres vendeurs d’illusions pour pouvoir avoir la chance eux aussi de faire du tourisme dans les « paradis » d’Outre-mer tel qu’ils leur sont présentés chaque jour à la télé.

Dans la quête des visas, les plus grandes victimes de l’arbitraire des agent-e-s consulaires restent les jeunes, plus enclins à la mobilité. Dès le dépôt d’un dossier de demande de visa, ils sont présumés coupables de « risque migratoire », un nouveau délit inventé par les politiques migratoires européennes. Le dossier de demande de visa permet une intrusion dans la vie privée de tout demandeur. Son salaire, son compte bancaire, son logement, sa situation matrimoniale sont passés au peigne fin. L’un des motifs les plus souvent évoqués pour refuser le visa, quand les autorités consulaires prennent la peine de le justifier, est le fait d’être « JEUNE ET CELIBATAIRE ». Trop jeune pour se marier et trop jeune pour voyager. Et pourtant Voltaire, écrivain français du siècle dit « des Lumières », écrivait dans son traité d’éducation : « Les voyages forment la jeunesse ». Autre nouveau problème qui rend essentielle la question du droit humain à la libre circulation en Afrique est le changement climatique.

La crise climatique qui s’accentue en Afrique comme dans d’autres pays du sud, pose à nouveau la question de la migration environnementale. Les populations peules, éleveurs nomades d’Afrique de l’ouest et du centre, sont obligées, face à la sécheresse, d’aller vers les côtes pour trouver des pâturages. Cela crée des conflits avec les agriculteurs, qui eux, voient leurs récoltes détruites par les troupeaux. Des mécanismes d’adaptation doivent être rapidement trouvés pour que ces conflits ne viennent pas accentuer les différentes guerres déjà existantes en Afrique. En outre, les pressions sur les ressources minières et l’accaparement des terres africaines par les possesseurs du capital augmentent le flux des candidat-e-s au départ dans des zones où les populations n’ont plus le droit de mettre en valeur leur terre ancestrale et où le droit de propriété privée - imposé partout par la Banque Mondiale et le FMI - remplace le droit de propriété collective.

Pour faire face aux éternelles crises alimentaires, sanitaires, économiques, climatiques et malgré les promesses répétées d’augmentation de l’aide publique au développement, c’est toujours sa diaspora que l’Afrique remercie pour ses envois de fonds. Sans cette solidarité efficace des millions d’Africains de l’extérieur, la situation de quasi esclavagisme dans laquelle demeure l’Afrique livrée aux multinationales, aux IFI (institutions financières internationales) et aux dictatures corrompues, serait insoutenable. Pourtant, les populations africaines ont plus que jamais compris d’où vient leur malheur. Le résultat de ce réveil apparait dans les révoltes et les mouvements sociaux actuels pour chasser des dictateurs qui ont transformé les citoyen-ne-s africains opposé-e-s à l’oppression en demandeurs d’asile. La nuit est encore longue certes, mais le jour arrive bientôt où les africains pourront migrer librement sans contrainte ni répression.

* Ce texte est une intervention de Samir Abi à la cérémonie d’ouverture du People Global Action on Migration 2011 à Genève, en Suisse (http://www.cadtm.org/Migration-Etat...)

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