De la renaissance africaine
Les renaissances nationales africaines ont vu la naissance de l’Ivoirien, du Camerounais, du Sénégalais. Elles ne cherchaient pas à faire renaître Lucy à jamais enfouie. Dès lors la renaissance précède le panafricanisme et d’avoir choisi le processus inverse s’avère un non-sens.
« Lorsque les Romains considéraient l’Afrique, ils la voyaient comme un réservoir de main-d’œuvre gratuite ou comme le ressort de leurs jeux de cirque. Ils accueillaient aussi des caravanes qui leur apportaient de la poudre d’or ». Cette phrase tirée du livre d’un illustre Africain de la diaspora m’a interpellé.
Qu’est-ce donc qui aurait changé depuis les Romains ? Mieux, qu’est-ce qui aurait changé depuis Cham ? On nous dit – vous avez le droit d’en rire – que s’étant moqué de la nudité de son père Noé ivre, il aurait été condamné, par la malédiction de ce dernier, à devenir à jamais l’esclave de ses frères. Voilà comment un authentique Sémite – blanc, bien sûr – est devenu noir pour la paix des consciences chrétiennes. Quelle place occupent les trouées civilisationnelles, les pyramides égyptiennes, les fastes localisés et ponctuels des grands empires, dans ce tableau sombre de servitude, qui semble être admis par tous comme portrait de l’esse du Noir ?
Ce préambule ne nous détourne nullement de notre propos qui est la renaissance. Mais nous posons ici les bases d’une réflexion dont nous souhaiterions qu’elle fasse l’objet d’un débat plus général sur le destin de la négrité. Les ethnologues et autres anthropologues noirs – Dieu merci, je n’en fais pas partie - se rendent-ils compte à quel point leur tâche est ardue ? Espérons que tel est le cas.
Pour le moment, la mienne de tâche me ramène au concept de renaissance, nouveau point de ralliement, sinon d’achoppement de toutes les passions contradictoires – le gentil pléonasme – qui secouent le landerneau intellectuel africain. Où est donc passé l’autre concept fondateur de la pensée africaine contemporaine, je veux parler du panafricanisme ? Qu’importe ! Si j’en parle, c’est parce que je compte bien y revenir dans une autre tribune.
L’un des problèmes de la pensée africaine réside dans la propension à manipuler avec légèreté des concepts que personne ne juge nécessaire de définir au préalable. Le concept souche lui-même – Afrique – n’a aucune définition consensuelle, qui serve de base au débat. Pour certains – Anta Diop en tête -, Africanité rime avec négrité. C’est-à-dire la terre au-dessous du Sahara, sans toutefois être sûr que l’Afrique du Sud en fasse partie. Pour d’autres, l’Afrique est la terra continens qui va du Cap au Caire. Dans mon livre « Les hirondelles du printemps africain » (Lattès), j’ai écrit : « L’Afrique n’existe pas et c’est pour cela que je crois en elle ». Volée de bois vert, vous pouvez aisément l’imaginer.
Reprenant une de mes récentes contributions, je définirai ainsi la renaissance : « Le temps où un groupe — clan, tribu, ethnie, nation, continent — en se fondant sur son histoire, se tourne résolument vers le futur pour bâtir un monde nouveau ». Pour une tribu, il faut plusieurs clans, pour une ethnie plusieurs tribus, pour une nation plusieurs ethnies et pour un continent plusieurs nations. S’il est communément admis que les trois premières entités découlent globalement d’une même souche, d’un même ancêtre, à partir de la nation, les choses ne sont plus soumises à cette logique. La même ethnie peut se retrouver dans des nations différentes et plusieurs ethnies dans la même nation. Que dire alors du continent !
La nation est une construction aux frontières souvent conquises, parfois imposées. Mais cet héritage sera respecté vaille que vaille et au fil du temps, la cohabitation rapprochera les groupes vivant à l’intérieur des mêmes frontières, dirigés par le même Etat, assujettis aux mêmes règles et aux mêmes attributs culturels, dont la langue – généralement une seule, parfois deux, à peine plus - qui en est le symbole le plus fort. La nation est une construction et cet acte s’appelle Renaissance. Dans certains cas, l’ethnie obéira aussi à cette logique de construction. On assistera parfois à un combat lexical. Certains parleront de nation et d’autres d’ethnie. Le compromis courant est la notion de peuple – peuple corse, antillais, basque, bassa, baoulé. Pour ma part, je pense, à la lumière des illustrations qui vont suivre, que l’on ne saurait parler de nation, une caractéristique essentielle de la nation étant l’Etat central, même si dans le cas des fédérations, il peut y avoir des Etats intermédiaires. Les exégètes peuvent se faire plaisir et disserter sur les notions de confédération, fédération et régionalisme. Mais une fois les ego plus ou moins sécessionnistes satisfaits, un fait reste, têtu et inébranlable : la suprématie d’un Etat central. Nous allons maintenant illustrer notre propos par trois types de renaissances : ethnique, nationale, continentale.
L’ethnie, avons-nous suggéré, se fonde sur le biologique : ancêtre commun. L’indisponibilité d’une telle référence conduira à l’acceptation d’une référence subjective. Les renaissances des Antilles et de Harlem ont obéi à un critère subjectif, la couleur de la peau, renforcé par un destin partagé, la servitude. Des femmes et des hommes venus d’horizons divers – bambara, congo et aussi différents qu’un Viking peut l’être d’un Grec -, mais unis par la couleur et la condition d’esclave, ont décidé, une fois libres, de construire un groupe homogénéisé. Une langue est née aux Antillais. Ce qui était possible pour eux, du fait qu’ils étaient majoritaires, ne l’a pas été pour les Noirs étatsuniens, minoritaires sur le territoire. Ensuite, pour les uns et les autres, il y a eu naissance d’une culture : habit, gastronomie, musique, littérature, arts plastiques. Cependant, la couleur de la peau et la condition d’esclave n’étaient pas suffisantes pour qu’Antillais et Américains édifiassent une même ethnie. Il fallait aussi le territoire partagé.
La renaissance est donc historielle certes, tournée – un peu - vers le passé, mais bien moins qu’elle n’est perspective et construction à partir de groupes divers, axée sur un destin nouveau. Seules des postures afrocentristes, mythologisantes, naïvement nostalgisantes ont voulu trouver dans le blues et le jazz, plus de références africaines que judéo-chrétiennes ou irlandaises. Le mythe de l’Afrique mère a fait le reste. La renaissance de Harlem, ce n’est pas le réveil d’un Africain, mais la création d’un Américain.
La nation étant construction, elle passe par le processus de renaissance. La France est un cas d’école : plusieurs ethnies – Celtes, Phocéens, Italiens, Basques, Antillais… - ; une langue initialement dialectale sinon barbare, imposée par un prince, François 1er à Villers-Cotterêts, codifiée par des intellectuels nationalistes comme Du Bellay ; une culture partagée et enfin un Etat. Il en va de même pour les nations africaines, conglomérats d’ethnies hier indifférentes les unes envers les autres ou même antagonistes. La renaissance française n’avait pas pour but de réveiller le Gaulois, mais de créer le Français. Il en va de même des renaissances nationales africaines qui ont vu la naissance de l’Ivoirien, du Camerounais, du Sénégalais, et non la résurgence d’une Lucy à jamais enfouie.
Que dire de la renaissance que nous qualifierons de «continentale» - africaine, européenne – faute de mieux ; le travail accompli pour la renaissance européenne : ouverture des frontières avec voyages, créations musicales, picturales, architecturales, scientifiques ; travail qui a commencé longtemps avant l’acte toujours inachevé de l’Europe des nations !
Il découle de cette analyse que la renaissance précède le panafricanisme ou paneuropéanisme. La renaissance est construction intellectuelle d’une unité culturelle. D’avoir placé le panafricanisme avant la renaissance, est un non-sens – issu d’une recherche mythologique noire américaine - dans lequel beaucoup d’esprits africains se sont engouffrés.
Pour que l’Afrique cesse d’être ce qu’en pensaient le Romain, le Chamisant, l’esclavagiste, le colonialiste, le Noir Américain, qu’elle devienne ce qu’en feront les Africains. Les choses sont bien engagées. Il suffit de sortir des fantasmes et de définir, avant tout, de quoi on parle.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Gaston Kelman est écrivain franco-camerounais, auteur du best-seller « Je suis noir et je n’aime pas le manioc » - Ex-conseiller chargé de l’identité nationale du ministre français Eric Besson. Cet article a été publié dans le journal Fraternité matin.
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