Obama le non-African
La non venue d’Obama au Sommet de l'Union africaine prouve que la volonté de bâtir des liens d'empathie avec l'Afrique n'a pas été au cœur de l'action du premier président d'origine africaine que les États-Unis ont à leur tête. Là où les autres se plaisaient à se poser en ''Africains'', le descendant d'un père Kenyan est, à l'évidence, un non-Africain.
Un seul être vous manque et tout se dépeuple, dit un proverbe. L'absence du plus célèbre descendant de l'Afrique est le vrai événement par rapport à ce qui est déjà qualifié de Sommet historique de l'Union africaine en ce qu'il se tient cinquante ans après la création de l'ancêtre de cette organisation panafricaine - la défunte Organisation de l'Unité Africaine (OUA) qu'elle a remplacée en 2002.
En ne se rendant pas à Addis-Abeba pour marquer de sa présence ce moment historique, Barack Obama, 44e Président des États-Unis, fait l'événement par son éclipse. Sa présence aurait donné un relief particulier, plus prégnant que les milliers de personnes se pressant sur les hauteurs de la capitale éthiopienne pour vivre le moment qui sanctionne, aujourd'hui, cinquante ans d'efforts pour réaliser le rêve panafricaniste des pères-fondateurs du projet unitaire continental.
Que, de partout, chancelleries et partenaires au développement du continent, comprenant la portée de cet événement, le célébrant avec un puissant symbolisme, comme l'illustre la présence à Addis Abeba du président français, François Hollande, pour participer au Sommet éponyme de l'Ua, constituent un révélateur de la pauvreté de la politique étrangère du pays qui reste encore - pour combien de temps ? - la première puissance du monde.
En décidant de ne (re)venir en Afrique que dans un mois, le 26 juin, pour une tournée qui s'inscrit dans la suite du premier bref voyage qu'il a effectué ici en juillet 2009, Barack Obama rate le coche de s'adresser, d'un seul mouvement, à l'ensemble de l'Afrique. Son pays montre, surtout, qu'il ne sait plus sur quel pied danser ni n'a trouvé le tempo pour approcher cette région du monde en voie de devenir la nouvelle frontière du développement. En somme, ses choix malheureux, l'inconstance de son discours pour la bonne gouvernance et les yoyos pour s’accommoder des autocrates prêts a être ses alliés dans sa lutte centrale contre les forces, asymétriques, du terrorisme international, ont par ailleurs confirmé l'évidence : depuis la fin de la Guerre froide, depuis l'extinction du paradigme de la politique d'endiguement de la menace communiste, les États-Unis sont sans boussole pertinente pour traiter avec ce continent qu'ils avaient longtemps commis l'erreur de laisser en sous-traitance, d'abord à leurs alliés européens, puis à ceux, technocratiques, des institutions de Bretton Woods, Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI).
''CE 25 MAI…''
Or, ce 25 mai est un jour à marquer d'une pierre blanche dans la vie de l'Afrique. On peut, sans doute, avoir des perspectives différentes sur les réalisations concernant le chantier de l'unité africaine, ou celui de la marche économique et politique (démocratique) en son sein. La vérité est que Washington se laisse doubler par Paris, avec l'intervention opportuniste - dans le sens communicationnel du terme - de son chef de l’État, et, parce que le Sommet de l'Ua se tient dans un building financé par la Chine, se voit perdante dans le positionnement de sa marque face au grand rival géoéconomique des temps modernes.
Objectivement, la non venue d’Obama au Sommet de l'Union africaine prouve que là où, de Giscard d'Estaing à Bill Clinton ou encore Hu Jintao, la volonté de bâtir des liens d'empathie avec l'Afrique n'a pas été au cœur de l'action du premier président d'origine africaine que les États-Unis ont à leur tête. Là où les autres se plaisaient à se poser en ''Africains'', le descendant d'un père Kenyan est, à l'évidence, un non-Africain.
Est-ce parce qu'à l'intérieur de son pays, la polarisation du débat public, voire son morcellement en intérêts privés en tous genres, font du locataire de la Maison Blanche un homme sans vrai pouvoir, presque un lion édenté. Élu à un moment ou l'Amérique traversait la pire de ses crises économiques, Obama est, il est vrai, un désargenté qui n'a pas grand-chose à offrir à ses 'parents' africains. D'être soupçonné de ne pas être un vrai Américain par les plus radicaux de ses contempteurs ne contribue pas moins à réduire encore plus la maigre marge de manœuvre dont il dispose.
Ne faisons pas cependant la fine bouche : malgré ses handicaps actuels, son impécuniosité, et surtout sa trop forte tentation à mener une politique droitière en matière sécuritaire, il faudrait accueillir à bras ouverts le 44e président des Etats Unis. Parce que ses interlocuteurs africains doivent lui dire ce qu'ils ont sur le cœur, sur les faiblesses de la coopération avec Washington, sur les dégâts que continuent de causer les instances financières qu'ils chaperonnent ou l'inacceptable couverture que leurs structures financières ou privées accordent à des prédateurs africains, dirigeants publics en particulier, qui blanchissent les deniers publics détournés, avec la complicité de celles-là, sans que la voix de l'Amérique se fasse entendre.
OBAMA DOIT ECOUTER LE ''VRAI RECIT DE L’AFRIQUE''
On nous a déjà dit que le président américain ne se limitera pas à des rencontres avec les dirigeants des États africains. Attendons de voir ce qu'il en sera. Parce les maux africains, en ce début de siècle, portent la griffe des principaux responsables étatiques. Le temps est loin quand l'Afrique était dirigée non par des ''courtiers'', dealers aux fortunes inexplicables mais par d'emblématiques dirigeants ayant mené, souvent dans la pauvreté mais avec des vertus chevillées au corps, les combats pour l'indépendance, pour l'édification d'un projet d'éradication de l'apartheid ou de construction d'une unité continentale.
Obama doit écouter le vrai récit du continent. Pas celui que serinent tant d'acteurs extérieurs à l'Afrique - universitaires, think-tanks, chefs d'Entreprise - qui, en réalité, trouvent des complices dans la forme de néo-colonisation sur les ressources naturelles, les grandes entreprises et, pour tout dire, les États, qui est en œuvre.
Le vrai récit de l'Afrique, il peut l'entendre de la bouche des damnés de la terre qui fuient encore l'Afrique pour braver les océans au péril de leur vie, vers des terres de plus en plus inhospitalières du fait de la crise économique qui les a pris de court. C'est celui des chômeurs dans les pays du continent. Ou de la bouche qui parle des pénuries d'électricité ou de nourriture. Des victimes du népotisme triomphant. De la privatisation des biens tangibles et intangibles de nos pays, si bien qu'un petit employé de banque, promu par son père, s'est retrouvé à la tête d'une fortune estimée à plus d'un milliard d'euros ou que, pauvrissimes hier, des politiciens sont devenus des crésus modernes.
L'Afrique, soyons clair, a un potentiel si important que son développement, j'allais dire son décollage, n'a jamais été autant possible. Si Barack Obama vient pour tenir le langage de vérité, écouter nos vues, y compris celles critiques contre l'action des partenaires extérieurs au développement de l'Afrique, même sans donner de l'argent aux Africains, il aura fait œuvre utile. Le pire, c'est qu'il vienne donner des leçons de morale ou de bonne gouvernance.
Depuis les fameuses élections américaines truquées en l'an 2000, son pays n'est plus un modèle exempt de reproches. Les interventions publiques pour sauver, voire presque renationaliser certaines des entreprises ou banques américaines, n'autorisent plus, non plus, le président ou quelque dignitaire américain à prêcher la bible libérale sous nos cieux. Enfin, les errements en matière de Droits de l'homme, incarnés par la prison hors normes légales de Guantanamo, rendent dérisoires les discours américains sur les valeurs humaines. Pendant ce temps, la complicité pour couvrir des détourneurs de deniers publics africains montre bien que l'ambivalence de l'Amérique sur la bonne gouvernance n'a pas été enterrée avec l'extinction de certains alliés encombrants qu'elle avait cultivés pendant la guerre froide, à l'exemple d'un Mobutu Sese-Seko.
''FAUX-ENFANT DE CHŒUR''
Il faut donc admettre que l'homme qui visite avec sa famille l'Afrique dans un mois n'est pas un enfant de chœur. Les drones qu'il envoie ici et là pour éliminer les ennemis de son pays le prouvent à suffisance. Autant les Etats Unis, sous Ronald Reagan en particulier, ont été des adversaires du continent, notamment dans la lutte contre l'apartheid au milieu des années 1980, autant son aide, liée à la géopolitique, reste encore loin des attentes africaines, malgré l'effort louable pour lancer des projets comme le Pepfar (contre certaines pandémies), l'Agoa (pour la promotion des échanges commerciaux, sans grand succès cependant) ou le Millenium Challenge Account (Mca) pour accompagner la construction d'infrastructures.
Ne nous leurrons donc pas : ayant déjà fait ''pivoter'' sa politique étrangère vers l'Asie ou elle se coltine avec des alliés comme l'Inde, l'Indonésie ou le Vietnam, pour contenir la Chine, l'Amérique de Obama est un partenaire sentimental tout au plus, pour l'heure, vis-à-vis du continent africain.
Cette dimension est encore plus incarnée par les Africains-Américains dont l'action, malgré les ''shows'' du révérend Sullivan ou de Jessie Jackson, n'a pas fait vraiment avancer le dialogue Atlantique entre les Etats Unis et l'Afrique qui traîne derrière l'autre relation transatlantique liant Washington à l'Europe.
C'est dire que tout en saluant sa venue sur nos terres, il importe qu'Obama, et au-delà de sa personne, les forces, dont certaines isolationnistes voire racistes, qui y sont à l'œuvre, comprennent qu'il est tant que soit forgé un rapport stratégique entre leur pays et cette Afrique. Car, désormais, il s'agit ici d'un espace attractif. Et les absences d'Obama à des moments essentiels de l'évolution de ce continent desservent plus qu'elles ne contribuent à permettre un vrai retour de leur pays ici. Sauf à vouloir maintenir le mode des shows et du folklore sur fond de business juteux pour les lobbyistes qui ont compris le parti qu'ils peuvent tirer de l'émergence africaine.
Il faut surtout espérer que Barack Obama ne viendra pas nous servir un discours condescendant et vide comme celui de son ancienne secrétaire d'Etat Hillary Clinton, il y a quelques mois ici même à Dakar. Mieux vaut qu'il soit un non-Africain parlant vrai et juste aux peuples africains que de jouer la carte des sentiments. L'Amérique a-t-elle encore des ressorts pour donner un souffle à sa diplomatie africaine : c'est le test qui attend son président sur la terre de ses ancêtres africains.
De grâce, pas trop de ''high-five'' et autres familiarités : un État des lieux sérieux est de mise, notamment pas le secours à des autocrates ou des prédateurs prêts à se mettre au service des Etats-Unis, quitte à jouer contre les intérêts du continent...
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
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*Adama Gaye est journaliste et consultant sénégalais. Il participe sur la télévision Japonaise -NHK- à un grand débat sur l'Afrique à côté du célèbre universitaire d'Oxford Paul Collier.
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