Pour la rédemption de l’âme de la nation kenyane
Qu’est-ce que le Kenya et qu’est-ce qui fait de vous un Kényan ? Est-ce votre carte d’identité ? Votre passeport bleu ? Le fait que vous soyez né ici ? Avez-vous le sentiment d’être connecté ? Un sentiment d’appartenance ? Etes-vous plus ou moins Luo, Kamba, Kipsigis, Mijikenda, Asiatique, Caucasien ou Arabe plutôt que Kényan ? Etes-vous plus ou moins homme ou femme plutôt que kényan ? Etes-vous plus ou moins chrétien, musulman ou hindou plutôt que kényan ? Comment ces multiples identités se fondent-elles dans votre psyché ? Avez-vous le sentiment de devoir vous défaire de l’une ou l’autre de ces identités afin de pouvoir épouser votre kényanitude ? En d’autres termes, quelle est votre identité et votre relation réelle avec le Kenya ? Qu’est-ce qui vous donne la fierté d’être Kenyan ? Si vous aviez le choix au milieu de ces multiples identités, voudriez-vous garder ou laisser tomber votre identité kényane ? Pourquoi ou pourquoi pas ?
Le lien qui attache
La génération de nos parents comptait 42 nationalités. Toutefois nos parents sont devenus Kényans lorsqu’ils ont combattu leur ennemi commun : la domination coloniale. Une fois l’ennemi commun défait, ils ont entrepris de définir un contrat social- à Lancaster House et au pays- ce qui représente une tentative louable de construire une nation. Ont-ils réussi ? Comment et en quoi ont-ils échoué ?
Et nous ? 45 ans plus tard, à quel ennemi commun devons-nous faire face ? Sur quelle base allons-nous négocier notre nouveau contrat social ? Est-ce que le ciment qui a assuré la cohésion de la génération de nos parents sera assez fort pour nous maintenir ensemble ?
La réponse est négative. Nous sommes en face de preuves déprimantes et alarmantes qui indiquent que le contrat social qui définissait le Kenya s’érode rapidement. Le démon du tribalisme politique révèle son visage hideux. Des politiciens déclarent que c’est leur tour de manger et forment toutes sortes d’alliances diaboliques afin de préparer le partage du butin. Les politiciens semblent prêts à lutter jusqu’au bout pour l’obtention du pouvoir sans se soucier de savoir si la nation va éclater.
La nécessité de renégocier le contrat social a été reconnue par tous, mais il semble qu’il n’y ait pas de dirigeants courageux et visionnaires pour diriger le bateau qui navigue sur des eaux inconnues. Nous errons sans but dans la jungle de notre désespoir, aspirant à notre terre promise, mais même le mirage de la cohésion social n’apparaît pas à l’horizon.
Et pourtant nous n’avons pas le choix. Nous devons initier un authentique dialogue national afin de définir une nouvelle distribution. Je ne veux pas dire qu’il s’agit de seulement discuter le partage du pouvoir, parce qu’une société est bien plus que la structure de pouvoir à laquelle elle a souscrit. Plus nous tergiversons au sujet de la nécessité d’un dialogue national, plus certaines parties de notre société s’enfoncent dans un monologue destructeur qui nous pousse un peu plus vers l’abîme.
Nous ne pouvons laisser les choses sur leur lancée. Le train de la liberté n’avance pas selon un mode prédestiné : il doit être parfois poussé, parfois tiré mais toujours maintenu sur les rails qui vont dans la direction de la justice sociale et d’un véritable développement de la personne humaine dans son entier.
La génération qui nous a précédée semble être à court d’idées quant à savoir comment atteindre ce but. Ce qui n’est guère surprenant, compte tenu que ceux qui ont donné le ton sont sur la scène depuis toujours et sont maintenant épuisés, vieux et n’ont plus de réel intérêt dans l’avenir de notre pays. C’est maintenant notre tour de prendre position et d’imposer un environnement ordonné qui élimine le chaos dans lequel nous nous trouvons. Ce faisant, nous déterminerons une nouvelle vision pour notre pays et avancerons avec détermination vers un futur commun et durable.
Le cœur du pays ou l’âme de la nation
Les politiciens prétendent avoir à cœur l’élaboration d’une nouvelle Constitution, mais nous savons tous que ceci n’est rien d’autre que des jeux de pouvoirs glorifiés. Bien que la Constitution soit le cœur du pays dont dérive tout le système légal, seul un petit nombre de personnes vont dominer le processus au bout du compte. De plus, même s’il produisait le meilleur document au monde, ceci ne serait toujours rien de plus qu’un travail à moitié fait.
L’autre aspect, plus fondamental, est la reconstruction de l’âme de notre pays. Ceci est la responsabilité de chaque citoyen qui ne peut être laissée dans les mains des politiciens et de leurs sbires. C’est un exercice qui définit l’essence même de la kényanitude. Qu’est-ce que l’âme de notre nation ? Quels sont les liens qui nous attachent ? Quels sont les critères pour appartenir cette nation ? En d’autres termes, quelles sont les valeurs essentielles qui font de nous ce que nous sommes, au-delà de nos diverses appartenances ethniques mais en raison de notre appartenance à la famille humaine ? Comme nous le rappelle notre fils préféré, le président Barak Obama, la Constitution n’est pas juste la source des droits individuels mais aussi un moyen d’organiser une discussion démocratique autour d’un futur en commun.
Ainsi il est vital de trouver un consensus au sujet des valeurs auxquels nous adhérons en tant que Kényanq parce que nous ne pouvons pas progresser en tant que nation aussi longtemps que nous ne savons pas et que nous n’avons pas intériorisé ce que l’appartenance à la nation implique, aussi longtemps qu’individuellement et volontairement nous n’aurons pas souscrit à quelques valeurs fondamentales en lesquelles nous croyons. Une fois ce consensus atteint, nous pourrons condamner ceux qui transgressent notre contrat au moyen d’un système de coercition agréé. Ceci est l’essence d’une société gouvernée par la loi plutôt que par des hommes.
Actuellement, nous sommes Kényans principalement en raison du hasard de la naissance. Notre identité est largement définie par la coercition : le policier nous dit ce que nous avons à faire sous peine de punition, en accord avec un code légal que nous n’avons pas contribué à établir. Nous sommes aussi Kényans en raison de la date du 30 juin quand nous avons rendez-vous avec l’autorité fiscale kényane qui vient s’enquérir de nos gains au cours de l’année précédente et s’assurer que nous avons rendu à César ce qui est à César. Nous pensons aussi appartenir au Kenya parce que nous revendiquons des droits à peine reconnus et des services que le gouvernement ne veut ou ne peut pas fournir
Nous comprenons le fonctionnement du gouvernement mieux aujourd’hui qu’il y a dix ans. Néanmoins, ceci n’a pas amélioré nos vies, parce qu’en dépit d’une transparence accrue, ni le gouvernement, ni nous-même, en tant que citoyen, croyons devoir rendre des comptes. Nous vivons à une époque d’impunité où il n’y a pas de respect de la loi. Les citoyens ne se sentent pas obligés de respecter des lois que le législateur lui-même ne respecte pas. Il n’y a pas d’intérêt personnel à faire fonctionner le système ou à contribuer au bien public. De surcroît il n’y a pas de modèle qu’on pourrait promouvoir, parce que les politiciens qui dominent notre espace public empuantissent perpétuellement notre air avec leurs mauvaises manières.
Par conséquent, nous devons trouver des choses positives qui nous attirent dans notre kényanitude, des choses qui nous permettrons d’affirmer avec confiance ‘’ nous avons choisi d’être kényans’’. Nous devons trouver un nouveau point focal auquel les citoyens kényans puissent faire allégeance.
Qu’est-ce que le Kenya et qui sont les Kényans ?
Au niveau le plus élémentaire, le Kenya est un fait juridique dans le droit international. Le pays est aussi un territoire de 583 000 hectares occupés par 37 millions de personnes, aussi diverses que possible dans leur affiliation ethnique et religieuse, leur occupation, leur origine raciale et leur statut social.
Dans ce mélange dynamique, y a-t-il une valeur ajoutée à être kényan ? Il y en a certainement, j’en suis convaincu. Mais nous ne l’avons pas encore entièrement reconnue et c’est la raison pour laquelle nous continuons à nous retirer dans notre cocon ethnique lorsque la crise menace. Nous devons commencer à clarifier cette valeur et définir ce que le Kenya, en tant que pays, et tant que peuple ajoute au monde qui nous entoure.
Ceci ne peut être accompli rapidement, parce que la quête et la création d’une nation constituent un projet sur le long terme. C’est une conversation sans fin que nous devons avoir avec nous-même sur ce qui constitue le Kenya et les Kényans et qui continuera d’évoluer pendant que le monde autour de nous change. Néanmoins, alors que la globalisation rend le monde toujours plus homogène, nous devons identifier et prendre soins de nos valeurs essentielles, celles qui nous rendent spécifiquement kényans.
Cet exercice ne doit pas être le privilège exclusif d’une personne ou d’un groupe, quelle que soit sa définition. L’effort de définir ces valeurs doit être un exercice national impliquant tout ceux qui revendiquent l’appellation de ‘’Kenyan’’ et toucher toutes les strates de la société. Il ne sera pas facile d’arriver à un consensus. Cependant nous devons fidèlement poursuivre ce chemin, jusqu’à ce que nous soyons capable de nous définir nous-mêmes, jusqu’à ce que nous sachions et ayons intériorisé qui nous sommes.
Aussi longtemps que nous permettrons à d’autres de nous définir - des politiciens, des chefs tribaux, des intérêts hégémonique et géopolitiques occidentaux, la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire Internationale et des myriades d’autres intérêts non définis - nous serons guidés par des vents de changement, nous poussant un jour ici, un jour là. Au lieu d’être les maîtres de notre destinée, nous serons toujours en réaction aux initiatives des autres, nous serons toujours à attendre qu’on nous dise qui nous sommes et ce que nous devons faire pour éteindre le feu de l’autodestruction qui brûle dans nos maisons.
En d’autres termes, nous serons les esclaves des caprices des autres. Nous serons poussés de-ci, de-là par le torrent des oppressions et les vagues de désespoir cependant que nos voisins, proches et lointains, se gausseront de nous et nous serons le sujet des conversations après le dîner, de la Corée du Sud à l’Afrique du Sud, où l’on murmurera qu’il y avait un peuple qui autrefois savait où il allait et qui est maintenant naufragé quelque part sur la haute mer de la cupidité, de l’effondrement économique, de la confusion socioéconomique et du déclin moral.
Si les choses nous apparaissent désespérantes aujourd’hui, c’est parce qu’elles le sont. Le chemin vers notre terre promise a été long et éprouvant et il n’y a pas de fin en vue. Le cœur saigne lorsqu’il examine notre pays. Des petites guerres et des conflits violents perturbent régulièrement la vie d’innocents Kényans en zones rurales aussi bien qu’en zones urbaines. Mungiki, et d’autres associations de criminels, terrorisent les foules en toute impunité et avec l’approbation tacite de la classe politique. Des policiers à la détente facile usent de leur arme pour éliminer ceux qu’ils perçoivent comme des criminels, sans que personne ne leur demande de compte.
Pauvreté, inégalité et sous-développement sont les caractéristiques de notre époque. La famine est une réalité persistante dans de nombreuses communautés et la faim une compagne constante d’enfants dans tout le pays. Le VIH/sida continue de ravager notre économie, sans discrimination aucune, générant des orphelins livrés à eux-mêmes cependant que de frêles grand’mère s’escriment à s’occuper de petits enfants vulnérables. Le crime et la corruption continuent de dévorer l’âme de la nation et le concept d’un leadership politique responsable nous a échappé. Nous avons atteint le fond du désespoir et les ténèbres se sont abattues sur notre pays.
Nous sommes devenus des exilés et des réfugiés dans notre propre pays. Des déplacés internes continuent d’endurer la vie dans des camps de transit désolés, nos enfants trouvent du réconfort dans la rue où les drogues les aident à accepter la morbidité de leur vie quotidienne. Nos hommes se sont réfugiés dans des bars où ils consomment de grandes quantité d’alcool pour atténuer les attaques silencieuses de leur désespoir et la douleur de l’impuissance qui les ronge, cependant que nos femmes s’abritent derrière des croisades où elles sont nourries de douces promesses de lendemain qui chantent et leur permettent d’endurer l’ici et maintenant.
Le reste d’entre nous sont tellement appauvris et tellement dépourvus d’idées et de moralité et tellement égarés que nous sommes nous-mêmes devenus prédateurs. Nous n’avons pas de scrupules à dépouiller les pauvres et à exploiter les faibles parmi nous. En tous regrets, nous avons donné corps à la prophétie de Mwalimu Nyerere qui prédisait que, dans la société kényane, l’homme serait un loup pour l’homme
Au milieu de toute cette confusion, nous avons mis la politique au centre de nos existences. Nous sommes continuellement engagés dans une étrange conversation lors de laquelle tout le monde parle et personne n’écoute vraiment. Nous conspirons contre les pauvres lorsqu’ils appellent de leurs cris des solutions réelles à des problèmes réels. En formant des commissions à tour de bras, qui ne font que créer des emplois pour nous-mêmes, les pauvres sont contraints de nous payer des salaires et des avantages astronomiques.
Notre politique est celle du ventre, de la cupidité et de l’exploitation. Ayant présidé au démantèlement de notre espoir collectif, la classe politique peut maintenant dicté les termes. Lesquels ont trait à l’argent, à de l’argent volé en fait. En conséquence de quoi le cycle de la pauvreté se perpétue. Je vole de l’argent aujourd’hui afin de pouvoir obtenir de vous que demain vous m’envoyez au Parlement ou au Conseil local. Je fais ça uniquement dans le but de voler davantage d’argent pour acheter mon siège la prochaine fois et faire un confortable profit au passage.
Quand est-ce que ce cycle de folie va-t-il prendre fin ?
Je dis MAINTENANT ! L’heure est venue de tracer une ligne dans le sable ! C’est l’heure de dire à ceux qui souscrivent à cette folie ‘’ Assez !’’ C’est l’heure de prendre position contre ces prédateurs. C’est l’heure de revendiquer notre dignité humaine ! C’est l’heure d’entreprendre la longue marche vers les vraies promesses de notre pays.
Ce que nous allons entreprendre maintenant déterminera le pays dont nos enfants vont hériter. Ne vous laissez pas tromper par le sentiment que ce que nous faisons n’a pas d’importance. Les choix que nous ferons aujourd’hui auront des conséquences irréversibles pour les générations à venir. Nous sommes ceux qui vont sauver ou perdre le Kenya. Nous ne sommes pas parfaits et nous commettrons des erreurs, mais la plus grande des erreurs serait de ne rien faire. Donc faites quelque chose !
D’abord nous devons renoncer à rechercher un Messie qui viendrait tout arranger. Le Messie que nous cherchons se trouve à l’intérieur de chacun de nous. Chacun de nous doit prendre ses responsabilités en définissant et en appliquant notre nouveau contrat social. Nous devons dire ‘’non’’ à tous ceux qui veulent nous exploiter ou nous utiliser comme marchepied vers le pouvoir. Nous devons trouver le courage de croire en nous-mêmes et refuser les faveurs destructrices et le patronage humiliant pour lesquels nous avons, jusque là, vendu le droit qui est le nôtre à la naissance. Il est temps d’imposer de nouvelles règles : un paradigme qui mette le pays au-dessus du confort personnel et l’héritage de nos enfants et la sécurité collective au-dessus des gains individuels.
Mener le bon combat
Le Kenya est en guerre. Ceci est un fait, qu’il soit reconnu ou non. Il n’y a peut-être pas de tanks et de troupes dans les rues et les bruits de fusillade ne résonnent peut-être pas dans nos oreilles, lorsque nous allons nous coucher, néanmoins nous sommes en guerre. L’ennemi que nous devons confronter est plus dangereux qu’une armée conventionnelle. Il ne détruit peut-être pas les infrastructures ni ne tue nos corps mortels, mais, subrepticement, il s’introduit, traverse nos défenses et, lentement, consume l’âme de notre nation. Nous revendiquons une forme de civilisation, mais ce n’est qu’une coquille vide et ce n’est qu’une question de temps avant que l’édifice ne s’effondre. Le coût de cette éventualité est horrible à contempler.
A la différence des politiciens, je ne vous fais pas entrevoir je ne sais quel cataclysme afin de figer les Kényans dans l’immobilisme, mais plutôt afin de galvaniser la population afin qu’elle agisse. Nous devons, de toute urgence, reprendre le contrôle de notre destinée et de celle de notre pays pour reconstruire un mur autour de notre Etat. Il n’est pas trop tard pour reconstruire l’âme de notre pays, mais le travail doit commencer maintenant. Chaque retard nous pousse un peu plus vers l’abîme.
Ceci est donc un appel aux armes ! Il est demandé à chaque homme et chaque femme du Kenya de s’enrôler dans ‘’ l’armée des gens ordinaires’’. Notre seul objectif est de défendre notre héritage des ennemis intérieurs et extérieurs, de reconstruire l’âme de notre nation et de poser des fondations solides pour une nouvelle République. Et voici les règles pour l’engagement. Le principal théâtre d’opération sera en nous-mêmes, parce qu’ ’’l n’y a qu’un petit coin du monde que nous puissions véritablement changer et celui-ci est en nous’’. Nous ne pouvons imposer à d’autres des règles auxquels nous n’adhérons pas nous-mêmes. Nous devons commencer par changer notre propre comportement, notre attitude et notre mentalité. Nous devons devenir le changement que nous recherchons.
Le prochain théâtre d’opération est le monde autour de nous, nos foyers, notre école et notre université, notre lieu de travail, notre communauté et sur la route sur laquelle nous circulons. Nous devons faire remarquer, poliment mais fermement, les atteintes à la dignité humaine des autres et de nous-mêmes. Néanmoins, nous devons être attentifs à ne pas exiger plus des autres que ce à quoi nous souscrivons nous-mêmes. Nous devons nous efforcer de fidèlement influencer nos collègues en vue des meilleurs intérêts du Kenya. Dans chacune de nos entreprises, nous devons nous demander si elle va contribuer à la reconstruction de l’âme de la nation.
Quelles armes notre armée va-t-elle brandir ? Notre conviction, nos esprits et nos corps. Nous escaladerons les citadelles de l’oppression afin de proclamer notre humanité à l’intention de tous ceux qui ont oublié ce que c’est que d’être humain. Nous nous tiendrons à l’écart de la violence sous toutes ses formes, de la violence des pensées aussi bien que de la violence verbale et physique. Afin de générer un changement positif, nous nous engagerons dans des actions non violentes directes chaque fois qu’il sera nécessaire d’attirer l’attention sur nos préoccupations. Tous nos engagements se dérouleront dans les sphères supérieures de l’intégrité et de l’honneur. Le but n’est pas de conquérir nos opposants, mais de s’opposer à l’injustice et à l’oppression, de s‘élever contre l’atteinte à la dignité.
L’évaluation du coût : quels risques prenons-nous ?
Les forces contre lesquelles nous nous insurgeons sont nombreuses, variés et vicieuses. Avant que de nous engager, nous devons évaluer le coût. Ceci nous coûtera, à nous tous, nos vies. La cause pour laquelle nous allons combattre perdurera au-delà de nous-mêmes et sera reprise par une nouvelle génération. Certains devront s’en aller avant d’autres, parce que les forces retranchées que nous avons à combattre ne sont pas bénignes. En conséquence de quoi, comme dans chaque armée, l’armée des gens ordinaires peut requérir le sacrifice suprême pour ses convictions. Vous et moi pourrions mourir. Ceci est une réalité que nous devons envisager et accepter avant que de nous enrôler
Si nous menons notre combat honorablement et avec discipline et mettons notre cause au-dessus de nous-mêmes, même si nous mourrons au combat, la mort sera rédemptrice. Des centaines et des milliers se lèveront pour prendre notre place, notre sang arrosera l’arbre de la liberté et donnera vigueur à la nation. Bientôt notre nation sera véritablement libre.
Nous pourrions finir en prison. Mais ceci ne devrait pas nous perturber indûment parce qu’innombrables sont ceux qui vivent dans des bidonvilles, dans l’insécurité urbaine ou la pauvreté rurale et pour qui le pays est une vaste prison. Si nous devions finir derrières des barreaux, nous devrons prendre courage dans le fait que, dans ces prisons mêmes, des hommes et des femmes, des geôliers aussi bien que des détenus, ont besoin d’entendre notre message d’espoir. Nous irons en prison de bon cœur et ‘’transformerons les lieux de détention de donjon du désespoir en foyer de liberté’’. Et bientôt, les prisonniers et les gardiens de prisons seront libres.
Nous pourrions souffrir de blessures physiques, mais ceci n’a rien de nouveau. Déjà nous avons mille blessures qui saignent. Nous souffrons l’humiliation quotidienne de la faim, de l’oppression et de la maladie. Nous devons considérer chaque coup sur nos corps désarmés comme le coup du marteau sur le ciseau qui façonne la pierre qui nous transforme en un peuple. Ce faisant, nous pouvons libérer aussi bien l’opprimé que l’oppresseur, rejetant pour toujours les fers de la peur et de la brutalité qui étranglent notre pays. Bientôt les oppresseurs et les opprimés seront libres.
Et qu’avons-nous à gagner ?
Je ne puis vous promettre que des épreuves et la persécution. Ce sont les seules garanties. Notre pays n’est pas devenu ce lieu de ténèbres en une nuit et il n’échappera pas à cette réalité du jour au lendemain. La situation va empirer avant qu’elle ne s’améliore. Mais je vous promets aussi un destin. Nous sommes nés pour cette époque. Les générations futures seront redevables à l’armée des gens ordinaires, aux jeunes gens et jeunes femmes qui ont eu le courage de leurs convictions.
Je fais appel à vous pour qu’aujourd’hui vous abandonniez votre confort matériel au profit de la nation de demain. Notre défi est de passer la ligne du familier pour entrer dans l’inconnu en quête de la vision d’un autre pays, d’une patrie meilleure. Notre défi c’est de semer la graine de l’arbre sous lequel nous ne nous assiérons peut-être jamais, mais dont une autre génération cueillera les fruits de dignité, de sécurité et de prospérité pour tous. Je fais appel à vous afin que nous investissions dans un futur que nous ne verrons peut-être jamais, afin que vos enfants et les miens ne puissent jamais plus être considérés comme appartenant à une moindre divinité.
Et puis-je vous rappeler, mes frères et mes sœurs, que le Kenya a été le premier pays d’Afrique noire où le maître colonial n’a pas juste été invité à quitter, mais a été poussé hors du pays par des jeunes gens et des jeunes femmes qui ont tout risqué afin d’arracher notre pays à ceux qui avaient volé notre terre ?
Une génération a passé depuis lors. Nos parents peuvent au moins revendiquer le fait d’avoir atteint cette indépendance formelle. Et nous ? Voulons-nous laisser en héritage un pays que nous avons laissé se désintégrer alors que nous en étions les gardiens ?
Amkeni ndugu zetu !
* Njonjo Mue est un avocat des Droits de l’Homme. Il dirige le département Plaidoyer de la Commission Nationale Kenyane pour les Droits Humains. Le blog de M. Mue peut être trouvé à
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