Pollution : la véritable « malédiction des ressources » de l’Afrique ?

Les ressources minières du continent sont aujourd’hui perçues comme sources de malédiction, avec les confits dramatiques que suscite leur exploitation. Il y a tout aussi grave, toujours liées à ces exploitations, la pollution.

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L’Afrique constitue depuis toujours l’illustration par excellence de la « malédiction des ressources ». On estime que les flux financiers illicites, au moyen de pratiques comme la corruption ou la manipulation des prix, feraient perdre au continent 200 milliards de dollars chaque année. Et ce qui en découle, ce sont les achats d’armements destinés à consolider les régimes autocratiques. Le coût « externalisé » ou caché des conflits ainsi générés a été évalué à plus de 300 milliards de dollars pour les deux dernières décennies. Malgré les revenus des ressources naturelles qui alimentent le PIB des pays africains, la croissance ne se traduit pas en développement, en raison des politiques prédatrices orchestrées par les ressources « humaines » à la tête des industries extractives du continent.

Mais cette « malédiction » va en fait bien au-delà des seuls « minerais de sang », et inclut une autre forme encore d’externalisation de coûts, bien plus répandue et qui concerne aussi bien des pays, comme la Tanzanie ou la Zambie, gouvernés par des démocraties électorales : la pollution.

Prenez la Tanzanie. Le troisième plus important producteur d’or d’Afrique recèle 45 millions d’onces d’or (environ 1 300 tonnes), dont la valeur économique est estimée à 39 milliards de dollars, hors coûts d’extraction. Depuis 1998, la production a augmenté de 1 à 2 tonnes annuellement à 50 tonnes, pour une valeur de 876 dollars l’once (2008). Or, pour chaque once d’or extraite, on crée plus de 78 tonnes de déchets miniers.

Comme l’argent ou le cuivre, l’or se trouve dans des roches contenant des minerais sulfurés, lesquels dégagent de l’acide sulfurique lorsqu’ils sont broyés et exposés à l’air et à l’eau. Cette eau acide dissout d’autres métaux toxiques dont recèle le minerai, comme le mercure, le plomb et le cadmium. S’il n’est pas contenu, le drainage minier acide (DMA) – un processus qui continue aussi longtemps que les minerais sulfurés des déchets miniers, des carrières et des résidus interagissent avec l’eau et l’air – dégage des toxines dans l’écosystème qui détruisent toute trace de vie dans leur sillage.

Ce problème est venu occuper le devant de la scène en 2009, lorsqu’un bassin de décantation de résidus miniers lié à la mine de Mara-Nord, propriété de la firme Barrick Gold, entraîna une fuite de DMA dans la rivière Tigithe. Affluent de la rivière Mara, laquelle se jette dans le plus grand bassin tropical du monde – le lac Victoria. Cette fuite se poursuivit durant 3 mois, de mai à août, jusqu’à ce le revêtement défectueux soit remplacé. Quelque 90% de la production tanzanienne est basée dans la « ceinture de l’or » qui entoure le lac Victoria.

Bien que le gouvernement ait interdit d’utiliser l’eau de la Tigithe pour la consommation humaine (les échantillons mesurés ayant révélé des concentrations toxiques de nickel et de plomb respectivement 260 et 168 fois supérieures à ce qui avait été mesuré lors de tests similaires en 2002), aucune autre forme de suite ne fut donnée à l’incident. Il n’y a pas à s’en étonner au vu du contexte : au cours de la décennie qui vient de s’écouler, le régime rentier de la Tanzanie a perdu 400 millions de dollars de revenus issus de l’or, du fait de l’évasion fiscale et de royalties trop bas. Les contrats relatifs à l’exploitation des mines d’or signés par la Tanzanie, contenant le détail des prescriptions financières et environnementales, n’ont pas été portés à la connaissance du parlement avant 2009 : c’est le secret comme arme de destruction massive.

Une autre de ces armes, spécifique à l’exploitation de l’or, est le cyanure, un réactif vital utilisé pour extraire l’or du minerai, dans le cadre d’un processus chimique qui divise celui-ci en composés toxiques et libère des métaux mortels comme le mercure.

La mine à ciel ouvert Zortman-Landusky, dans le Montana, fut l’une des premières à utiliser la technique consistant à déverser du cyanure sur des amas de minerai pour dissoudre l’or. « La dépollution de l’eau devra se poursuivre durant des centaines d’années, probablement pour toujours. », indique Wayne Jepson, de l’agence de régulation de cet État. Bien que le cyanure soit largement utilisé par l’industrie, ses risques ont encouragé le Montana à en interdire l’usage dans les nouvelles mines à ciel ouvert, tandis que les parlementaires européens ont adopté une résolution visant l’interdiction du cyanure à l’échelle de toute l’Union européenne d’ici la fin 2011. Ce vote a été provoqué par des accidents comme la fuite de cyanure qu’a connu la Roumanie en 2000, lorsque 130 000 mètres cubes d’eau toxique se sont écoulés sur une distance de 150 kilomètres dans le bassin fluvial Tisza-Danube.

Mais 70% de l’or du monde est extrait dans des nations en développement comme l’Afrique du Sud, le Ghana ou la Tanzanie. Des pays dépendants des investissements étrangers sont-ils en position, individuellement ou collectivement, de fixer des standards dans ce domaine ? L’objectif devrait sans doute être d’obtenir un haut niveau de récupération du cyanure utilisé, de meilleures concentrations pour le cyanure qui n’est pas récupéré, une réglementation drastique des bassins de décantage miniers et des standards plus élevés de traitement des effluents à l’aide de technologies existantes dont l’efficacité est avérée. », déclare Muna Lakhani, coordinateur de l’Institut Zéro Déchets en Afrique (Institute for Zero Waste in Africa, IZWA).

À l’heure actuelle, les entreprises adhèrent toutes aux standards volontaires du Code international relatif à la gestion du cyanure. Mais ce code laisse largement de côté un aspect crucial de la question : qu’advient-il après la fermeture des mines ? C’est une leçon que Kabwe, en Zambie, une ville minière de plus de 300 000 habitants, a appris de la manière la plus dure qui soit. Deuxième ville de Zambie, elle a le douteux honneur d’être classée la ville la plus polluée d’Afrique et quatrième site le plus pollué du monde en raison des activités non régulées d’extraction et de raffinage du plomb (800 000 tonnes) et du zinc (1 800 000 tonnes) qu’elle a abritées entre 1906 et 1994.

Le township de Katondo, par exemple, s’illustre par des taux de plomb (un neurotoxique) de pas moins de 10 000 parts par million, dispersés dans les eaux de drainage et dans la poussière portée par le vent. Le gouvernement zambien, à travers le Zambian Consolidated Copper Mine Investment (ZCCM), a assumé la responsabilité de décommissionner et dépolluer les sites affectés par les activités minières, sites qualifiés de toxiques par la Kabwe Scoping and Design Study (KSDS). La réhabilitation de Kwame est l’une des composantes du Copperbelt Environment Project (CEP), financé principalement par la Banque mondiale.

Qualifiant le Conseil de l’environnement de Zambie de « très faible », le CEP révèle : « Les régulations existantes sont rarement mises en œuvre. Les dispositions relatives au secteur minier sont si faibles qu’elles ne dissuadent pas les pollueurs… L’identification et le suivi des risques environnementaux résultant des activités minières sont souvent inadéquats. »

Les entreprises minières opérant en Zambie depuis 1994 ont été autorisées à adhérer à des « Plans de gestion environnementale » qui ont la préséance par rapport aux législations nationales et ne comportent que peu de possibilités de sanction, mis à part des amendes « sur le fait » de 17 livres sterling et des lettres d’avertissement. Comme en Tanzanie, le secret a été maintenu sur les contrats miniers zambiens.

Mais bien que l’héritage laissé derrière eux par l’« or sale » et le « cuivre tueur » ne soit pas sans remède, l’externalisation des coûts qu’il représente demeure absent de la perception publique de leur impact. De fait, ce sont l’environnement, les communautés – et des joyaux naturels comme le parc du Serengeti, localisé à 10 kilomètres au Nord-ouest de la mine de Mara – qui « subventionnent » les industries extractives.

Mais il n’est pas d’exemple d’impact plus dramatique du drainage minier acide que l’Afrique du Sud, où la pollution menace non seulement les ressources en eau du pays, mais catalyse aussi, à travers un complexe énergétique focalisé sur le charbon, un véritable effet domino. Celui-ci ne concerne pas seulement l’Afrique du Sud elle-même, mais aussi, indirectement, les pays voisins comme le Lesotho, qui « exporte » son eau vers l’Afrique du Sud pour satisfaire les besoins en électricité de son grand voisin. L’Afrique du Sud, à son tour, exporte son énergie sale dans ses pays clients, assurant, via l’entreprise nationale Eskom, 45% des besoins régionaux. L’origine lointaine de ce DMA, qui a été qualifiée de plus importante menace pesant sur l’environnement en Afrique du Sud, est à trouver dans l’exploitation et l’occupation de l’Afrique du Sud comme « colonie de matières premières » de l’Empire britannique. La région du Witwatersrand, exploitée depuis plus d’un siècle, est le plus important bassin minier du monde pour l’or et l’uranium.

Selon l’ONG Earthlife Africa, « un total de 43 500 tonnes a été extrait de la région du Witwatersrand », tandis qu’entre les années 50 et les premières élections démocratiques de 1994, « un total de 75 000 tonnes d’uranium a été extrait ». Résultat ? Un bassin béant de résidus, principalement des déchets miniers, s’étendant sur 400 kilomètres carrés, à quoi s’ajoutent 6 milliards de tonnes de pyrite (sulfure de fer), « l’une des substances qui, quand elle est exposée à l’air et à l’eau, produit de l’eau minière acide ».

Le « berceau de l’humanité » a déjà subi plus de 40 millions de litres de DMA. Même si les secteur agricole sud-africain utilisent dix fois plus d’eau (soit environ 7 920 millions de mètres cube par an) que les compagnies minières du pays, les coûts de dépollution du DMA que ces dernières parviennent à externaliser sont évalués à 360 milliards de rands (54 milliards de dollars) en usines spécialisées de traitement de l’eau sur les 15 prochaines années.

« S’attaquer au problème du drainage minier acide coûtera cher, mais aussi longtemps que les firmes minières continueront à engranger des milliards de rands de profit chaque année, comment quiconque peut-il prétendre que ‘nous’ n’avons pas les moyens d’apporter une solution ? L’argument selon lequel les firmes minières d’aujourd’hui ne devraient pas êtres tenues pour responsable des problèmes engendrés par leurs prédécesseurs au cours du temps ne me paraît tenable que jusqu’à un certain point. », a déclaré, au magazine The Africa Report, Stephanie de Villiers, auteure du rapport intitulé « H2O-CO2. Energy Equations for SA » produit pour l’Africa Earth Observatory Network (AEON).

De manière ironique, le coût de la dépollution, qui est encore loin d’être engagée, est comparable à celui des nouveaux projets d’exploitation du charbon d’Eskom, qui incluent la création de 40 nouvelles mines et l’extraction de l’eau de trois bassins de captage déjà sérieusement affectés : les systèmes du Vaal, de l’Orange et du Limpopo.

L’Afrique du Sud représente 4% de la masse continentale africaine. Plus de 98% du pays est classé comme aride ou semi-aride. Ne recevant que 40 mm d’eau par an (alors que la moyenne mondiale est de 266 mm), l’Afrique du Sud est considérée par les scientifiques comme l’une des nations du globe les plus sujettes à la rareté de l’eau. Plus de 80% des précipitations sont perdues du fait de l’évaporation au niveau de l’Afrique dans son ensemble, le continent le plus sec de tous avec un débit moyen annuel de 114 mm. Pour l’Afrique du Sud, ce chiffre se porterait à plus de 90%, ce qui signifie que moins de 10% des pluies se retrouvent dans les cours d’eau. Le rapport rédigé par de Villiers pour l’AEON démolit les frileuses estimations officielles selon lesquelles les pénuries à venir seront de l’ordre de 2 à 13%. Selon de Villiers, la demande d’eau excédera la disponibilité de cette ressource à hauteur de 33% à l’horizon 2025.

Le gouvernement, indique de Villiers, n’a pas pris en compte la réduction supplémentaire des ressources en eau disponibles du fait de la pollution, en plus du réchauffement climatique. On sait que les ressources en eau d’Afrique du Sud sont d’ores et déjà presque entièrement allouées, un fait commun aux pays développés ou aux pays qui souffrent d’une rareté de l’eau. Mais en Afrique du Sud comme ailleurs, les écosystèmes ont également un droit à l’eau, et les ressources en eau contaminées par le DMA impactent l’environnement et l’économie (notamment l’agriculture), sans parler des conséquences désastreuses pour le deuxième secteur le plus important en termes de proportion d’eau utilisée : la consommation domestique. Alors que l’industrie agricole serait selon certains observateurs en train de s’efforcer de s’attaquer aux inefficiences, les firmes minières semblent toujours ne se préoccuper que de leurs profits.

« Le comité inter-ministériel désigné pour examiner la question juge que la neutralisation serait la meilleure solution au problème de l’AMD. », dit de Villiers. « Cela serait certainement une solution économiquement viable, pourvu que soit assurée (de manière continue et sur une longue période de temps) la logistique nécessaire, notamment les réservoirs nécessaires à la mise en œuvre de la neutralisation, ce qui semble improbable à l’heure actuelle. »

Comme cela avait été prévu par l’hydrologue Garfield Krige en 1998, le Bassin minier occidental a commencé à se décanter en 2002, entraînant le déversement de 15 millions de litres de DMA. Pendant ce temps, le Bassin central pourrait commencer à se décanter d’ici deux ans et demi à hauteur de 60 millions de litres par jour, et le Bassin oriental à hauteur de 82 millions de litres par jour d’ici 3 ans, une fois que le pompage s’arrêtera. En outre, l’exploitation des ressources en or (épuisé à hauteur de 95%) ne sera plus viable si les externalités et les coûts cachés sont pris en compte.

Mais il semble que les entreprises minières qui cherchent à obtenir des « certificats de clôture » (qui exonèrent les compagnies de toute responsabilité écologique) ont trouvé une solution : à la faveur d’une OPA inversée sur l’Alternative Investment Market de la Bourse de Londres (sous l’égide de Watermark Global PLC), l’entreprise Western Utilities Corporation (WUC) permettra aux firmes minières – les véritables « propriétaires » de l’initiative – d’obtenir à la fois des certificats de clôture et de vendre de l’eau « traitée » aux 11 millions de consommateurs de Johannesburg à travers Rand Water.

« Le marché avec WUC donnera à tous les propriétaires de mines leurs certificats de clôture, et en raison de la manière dont le gouvernement a cafouillé dans cette opération, il leur assurera également un retour sur investissement garanti de 16%. », affirme Anthony Turton, un expert en gestion de l’eau et en hydropolitique suspendu du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR) d’Afrique du Sud suite à une intervention sur la crise imminente de l’eau.

Dans un entretien accordé à The Africa Report, Turton a déclaré que non seulement les mines échapperont aux réquisits légaux minimaux du principe « pollueur payeur », mais même s’en tireront avec de nouveaux profits. « Qui plus est, ce profit est de fait garanti, car il sera souscrit par l’État à travers un Partenariat public privé (PPP) controversé. », ajoute-t-il. Le contrat permet aux firmes minières de s’octroyer un marché de 3,5 milliards de rands (500 millions de dollars) sans processus d’appel d’offres, ainsi que de bénéficier d’un « traitement » exclusif qui est décrit comme « l’option de moindre coût » via une procédure entachée de secret, qui autorise WUC à intervenir à la fois en tant que consultant et en tant qu’auditeur.

« Les propositions avancées par des entreprises (comme Western Utilities Corporation) d’intervenir avec des solutions technologiques internes ont apparemment été écartées, parce qu’ils voulaient revendre l’eau traitée à Rand Water, en s’assurant un profit au passage. Je ne comprends pas bien pourquoi les firmes minières sont autorisées à polluer tout en réalisant des profits, alors qu’on s’attend apparemment à ce que les entreprises qui veulent nettoyer le fassent sans réaliser de profits. », observe-t-elle.

De Villiers fait part de sa perplexité quant au fait que le gouvernement n’ait pas profité de ces circonstances pour créer une entreprise publique qui aurait pu potentiellement générer des revenus qui auraient été réinjectés dans l’État. Elle craint que le gouvernement ne se soit embourbé dans les considérations politiciennes.

Dans le même temps, la directive gouvernementale au sujet du drainage minier acide a été fortement influencée par les compagnies minières comme Rand Uranium, qui assurait que bien qu’elle « respecterait les directives … certains aspects de celles-ci sont impossibles à atteindre, et à l’impossible nul n’est tenu. Nous avons donc travaillé de très près avec le ministère pour rendre la directive et la régulation relatives à l’usine de traitement de l’eau possible à atteindre. » (dixit le directeur de rand Uranium John Munro au magazine télévisé Carte Blanche).

De son côté, Krige a déclaré à Carte Blanche que la mansuétude dont faisait preuve la directive était comparable à une augmentation de la vitesse limite à 200 km/heures pour éviter que les fonceurs ne fassent d’excès de vitesse.

* Cet article fait partie d’un numéro spécial sur l’eau et la privatisation de l’eau en Afrique, réalisé dans le cadre d’une collaboration entre Transnational Institute, Ritimo, et Pambazuka News. Ce numéro spécial est publié en anglais English et en français French.

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